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LE CONSEIL EXAMINE LES RAPPORTS SUR LE DROIT À L'ALIMENTATION ET SUR LES EFFETS DE LA DETTE EXTÉRIEURE SUR LES DROITS DE L'HOMME

Compte rendu de séance

Le Conseil des droits de l'homme a examiné, à la mi-journée, les rapports présentés par Mme Hilal Elver, Rapporteuse spéciale sur le droit à l'alimentation, et par M. Juan Pablo Bohoslavsky, Expert indépendant chargé d'examiner les effets de la dette extérieure et des obligations financières internationales connexes des États sur le plein exercice de tous les droits de l'homme, en particulier des droits économiques, sociaux et culturels.

Présentant son rapport, M. Bohoslavsky a constaté que les inégalités mondiales atteignent un niveau sans précédent: on estime que les quatre-vingt personnes les plus riches possèdent autant de biens que la moitié de l'humanité la plus pauvre. Dans sa partie thématique, le rapport de l'Expert indépendant rappelle qu'un certain nombre de droits économiques et sociaux obligent les gouvernements à prévenir les inégalités qui compromettent la réalisation des droits de l'homme ou à y remédier. Il souligne aussi qu'il y a de bonnes raisons de croire que l'inégalité économique contribue à l'éclatement de crises financières – lesquelles, à leur tour, creusent les écarts économiques à la faveur des mesures d'austérité. Par ailleurs, dans une étude portant sur les flux financiers illicites, M. Bohoslavsky montre que l'évasion fiscale et les stratégies d'optimisation fiscale de certaines entreprises multinationales privent les gouvernements des revenus dont ils ont besoin pour faire appliquer les droits de l'homme. L'Expert indépendant a par ailleurs rendu compte des visites qu'il a menées en Chine et en Grèce. En tant que pays concernés, ces deux États – ainsi d'ailleurs que la Commission grecque des droits de l'homme – se sont exprimées à la suite de cette présentation de M. Bohoslavsky.

Parmi les délégations* qui ont participé au débat interactif avec M. Bohoslavsky, bon nombre ont déploré que la dette extérieure, en détournant des ressources cruciales pour le développement des pays, empêche les populations de jouir pleinement de leurs droits économiques, sociaux et culturels. Elles ont plaidé pour des accords d'allégement de la dette qui respectent les nécessités de développement des pays et les droits fondamentaux des peuples à la subsistance et au progrès. Enfin, beaucoup ont dénoncé les inégalités qui persistent dans le monde et qui affectent aussi la réalisation des droits de l'homme.

Présentant son rapport, la Rapporteuse spéciale sur le droit à l'alimentation a pour sa part plaidé pour l'intégration d'une perspective sexospécifique dans le droit à l'alimentation. Elle a souligné que les femmes représentent 70 % de ceux qui souffrent de la faim dans le monde, alors qu'elles assument plus de la moitié de la production mondiale de nourriture. La Rapporteuse spéciale a déploré que le droit international ne reconnaisse pas pleinement le droit des femmes à l'alimentation. Mme Elver a par ailleurs attiré l'attention sur la tendance à distinguer la nutrition du droit fondamental à une alimentation adéquate, qui fait que l'on s'est employé à accroître la production alimentaire et non à élargir l'accès à l'alimentation dans des conditions d'égalité. Mme Elver a ensuite rendu compte de ses visites aux Philippines et au Maroc. Précisément, en tant que pays concernés, les Philippines et le Maroc – mais aussi des représentants de leurs institutions nationales de droits de l'homme respectives – sont intervenus à la suite de cette présentation de la Rapporteuse spéciale.

Au cours du débat interactif avec Mme Elver, auquel ont pris part de nombreuses délégations**, l'accent a particulièrement été mis sur la nécessité de lever les obstacles, notamment juridiques, qui empêchent les femmes d'accéder aux moyens de production agricole, y compris par un meilleur accès aux semences et aux outils. Il a été recommandé d'intégrer les femmes aux processus de décision politique. Plusieurs délégations ont souligné que les méthodes de production agricole actuelles ne sont pas durables et se sont inquiétées de la «corporisation» croissante de l'agriculture. Mme Elver a conclu ce débat en demandant à la communauté internationale de prendre très au sérieux la situation actuelle, marquée par le fait que plus d'un milliard de personnes vivent toujours dans l'insécurité alimentaire.


Le Conseil terminera ces débats interactifs demain matin, à 9 heures. Cet après-midi, le Conseil poursuivait sa journée de débat annuel sur les droits de l'enfant consacrée, cette année au thème: « Technologies de l'information et de la communication et exploitation sexuelle des enfants ».


Effets de la dette extérieure sur les droits de l'homme

Présentation de rapports

Le Conseil est saisi du rapport de l'Expert indépendant chargé d'examiner les effets de la dette extérieure et des obligations financières internationales connexes des États sur le plein exercice de tous les droits de l'homme, particulièrement des droits économiques, sociaux et culturels (A/HRC/31/60) ainsi que des rapports concernant les missions que l'Expert a effectuées en Chine (A/HRC/31/60/Add.1, à paraître en français) et en Grèce (A/HRC/31/60/Add.2, à paraître en français) et des réponses des deux États concernés (figurant respectivement dans les documents A/HRC/31/60/Add.3 et 4, à paraître en français).

Le Conseil est également saisi de l'Étude finale sur les flux financiers illicites, les droits de l'homme et le Programme de développement durable à l'horizon 2030 (A/HRC/31/61) qui lui également soumise par l'Expert indépendant.

M. JUAN PABLO BOHOSLAVSKY, Expert indépendant chargé d'examiner les effets de la dette extérieure et des obligations financières internationales connexes des États sur le plein exercice de tous les droits de l'homme, particulièrement des droits économiques, sociaux et culturels, a présenté son rapport publié sous la cote A/HRC/31/60 en précisant qu'il est consacré à une étude des liens entre les inégalités de revenus et les crises financières ainsi que leurs incidences sur l'exercice des droits de l'homme. L'Expert indépendant y constate que les inégalités mondiales atteignent un niveau inédit: on estime que les quatre-vingt personnes les plus riches possèdent autant de richesses que la moitié de l'humanité la plus pauvre. Or, «le droit international des droits de l'homme a quelque chose à dire au sujet des inégalités économiques» a souligné M. Bohoslavsky. Un certain nombre de droits économiques et sociaux obligent en effet les gouvernements à prévenir les inégalités qui compromettent la réalisation des droits de l'homme, ou à y remédier. Dans son rapport, l'Expert indépendant note qu'il y a de bonnes raisons de croire que l'inégalité économique contribue à l'éclatement de crises financières – lesquelles, à leur tour, confortent les écarts économiques à la faveur des mesures d'austérité. Pour réduire autant que possible les inégalités excessives et favoriser le respect des droits de l'homme, l'Expert indépendant recommande la réglementation des marchés financiers, l'introduction de salaires minimaux et d'une imposition progressive, ainsi que l'adoption de filets de protection sociale.

L'Étude finale sur les flux financiers illicites, les droits de l'homme et le Programme de développement durable à l'horizon 2030 que présente l'Expert indépendant à la présente session du Conseil (document publié sous la cote A/HRC/31/61) est en particulier consacrée aux problèmes soulevés par l'évasion fiscale et par les stratégies d'optimisation fiscale de certaines grandes entreprises multinationales, a ensuite indiqué M. Bohoslavsky. Il a précisé que dans cette Étude, il constate que ces pratiques privent les gouvernements des revenus dont ils ont besoin pour faire appliquer les droits de l'homme, notamment les droits économiques, sociaux et culturels. Pour contrecarrer ce phénomène, l'Expert indépendant recommande aux États de contribuer volontairement à l'échange automatique des données fiscales, au profit en particulier des pays en voie de développement. D'autre part, les sociétés transnationales devraient publier leurs comptes dans les pays où elles exercent une activité commerciale afin de permettre l'imposition de leurs bénéfices.

M. Bohoslavsky a ensuite rendu compte des deux visites qu'il a effectuées en Chine et en Grèce. Il a indiqué qu'en Chine, son objectif était de déterminer dans quelle mesure les autorités de ce pays œuvrent à la protection des droits de l'homme dans le cadre de leurs prêts à l'extérieur. L'Expert indépendant a constaté en effet que la Chine était devenue un acteur très important du financement de la coopération Sud-Sud. Il a constaté que la Chine n'avait pas encore adopté de cadre complet permettant de garantir le respect des droits de l'homme dans le contexte de ses prêts internationaux et qu'elle devait consentir davantage d'efforts dans l'application des lignes directrices existantes, y compris en obtenant la participation des personnes les plus concernées. L'Expert indépendant recommande que les entreprises et les institutions financières chinoises créent des mécanismes de plainte indépendants et accessibles et que les autorités prennent les mesures législatives et réglementaires indispensables pour que les entreprises chinoises et leurs filiales aient à rendre des comptes pour leurs éventuelles violations des droits de l'homme.

Par ailleurs, l'Expert indépendant a constaté qu'après plusieurs années d'ajustement économique en Grèce, plus d'un million de personnes sont tombées dans l'extrême pauvreté, contraintes de vivre avec moins de 8,41 euros par jour. Le Gouvernement grec n'est pas, en l'état, entièrement capable de garantir à de nombreuses personnes vivant sur son territoire la jouissance des droits économiques et sociaux fondamentaux, a-t-il observé. La situation à cet égard a empiré ces derniers mois du fait des difficultés supplémentaires induites par la présence en Grèce de réfugiés toujours plus nombreux, a-t-il souligné. M. Bohoslavsky s'est interrogé dans ce contexte sur la pertinence de procéder à une nouvelle coupe dans les budgets sociaux. L'Expert indépendant a constaté, à cet égard, que l'incapacité d'améliorer une situation qu'il a qualifiée d'intolérable ne résultait pas d'un manque de volonté politique, mais des contraintes budgétaires imposées aux autorités. Il a recommandé que la Grèce bénéficie d'une remise de dette et qu'elle applique une politique de relance par l'investissement dans les infrastructures, la recherche et l'éducation.

Pays concernés

La Chine s'est félicitée du sérieux et du professionnalisme dont a fait preuve l'Expert indépendant au cours de sa visite et dans la rédaction de son rapport. La délégation chinoise a toutefois affirmé que ce rapport contient un certain nombre d'inexactitudes concernant, en particulier, la politique de coopération Sud-Sud de la Chine, notamment avec les pays en développement. La Chine ne s'est jamais ingérée et n'a jamais imposé ses valeurs aux pays avec lesquels elle coopère, a assuré la délégation chinoise. La Chine a des pratiques honnêtes, respecte les pratiques locales et protège les droits de l'homme, de même que l'environnement dans les pays visés, a-t-elle ajouté. La Chine a toujours été un partenaire honnête des pays en développement, a insisté la délégation. Pour la seconde fois, la Chine a annulé la dette de plusieurs pays pour un montant de 330 milliards de yuan et cela concerne une cinquantaine de pays, a-t-elle fait valoir.

La Grèce s'est réjouie des constats faits par l'Expert indépendant, notamment pour ce qui est des conséquences de la dette extérieure grecque sur la population, en particulier sur les plus vulnérables. Forte de ce constat, la Grèce souligne la nécessité de prendre des mesures pour alléger la dette, les réformes économiques et leurs conséquences sur la population. Elle souligne aussi qu'aucune réforme visant à résorber la dette ne doit être imposée par des tiers, sans le consentement des populations directement concernées. La délégation grecque s'est également félicitée des recommandations de l'Expert indépendant, qui rejoignent la position du Gouvernement grec, notamment celles relatives à la nécessité de réduire la dette, d'investir massivement, mais aussi de fournir une aide humanitaire urgente pour les migrants que la Grèce accueille.

Par vidéotransmission, la Commission nationale grecque des droits de l'homme, s'est félicitée elle aussi de la bonne coopération de l'Expert indépendant avec le Gouvernement et les organisations de la société civile lors de son séjour en Grèce. La Commission se réjouit des conclusions auxquelles est parvenu M. Bohoslavsky, s'agissant notamment des conséquences sur les droits de l'homme des politiques d'austérité et des règles financières internationales. Dans ce contexte, la Commission appelle le Gouvernement grec et les autorités européennes à revoir l'impact sur les droits de l'homme de leurs politiques et des mesures qu'ils adoptent pour résoudre la crise financière grecque.

Débat interactif

De nombreuses délégations ont mis l'accent sur les inégalités dans le monde. L'Afrique du Sud a rappelé les préoccupations du Groupe africain face à l'augmentation incessante des inégalités dans le monde, qui fait que la notion d'égalité des chances ressemble souvent à un mythe, y compris dans les pays du Nord. Pour le Groupe africain, le droit international relatif aux droits de l'homme prévoit un certain degré de redistribution (des richesses) et de soutien au profit des plus pauvres. C'est là un des éléments du droit au développement dont le Groupe africain regrette l'absence de mention dans le rapport de l'Expert indépendant. Le Nigéria s'est lui aussi prononcé pour une redistribution des richesses et a mis l'accent sur la responsabilité des États les plus riches. Il a en outre exhorté les groupes les plus riches à prendre des mesures pour éliminer la dette qui étrangle certains États.

Le Bangladesh a déploré que l'Expert indépendant n'ait pas abordé les effets du commerce international sur les inégalités internationales, pas plus qu'il n'a exploré les effets des objectifs 10b, 10a et 17 du Programme de développement durable pour 2030.

Le Koweït, au nom du Groupe arabe, a attiré l'attention sur le rôle important des fonds de développement arabes.

Au nom de l'Organisation de la coopération islamique (OCI), le Pakistan a indiqué qu'il aurait souhaité avoir une meilleure vision des conséquences de la dette sur le développement des pays.

La République dominicaine, au nom de la Communauté des États d'Amérique latine et des Caraïbes (CELAC), a rappelé la pertinence d'une amélioration des systèmes de contrôle, de supervision et de règlementation du système financier international. La Bolivie s'est prononcée en faveur d'un régime financier international plus transparent et démocratique et davantage redevable, en termes de reddition de comptes, face aux peuples du monde. La Bolivie s'est enquise auprès de l'Expert indépendant de ce qu'il propose pour empêcher l'instabilité financière et de nouvelles crises. Pour Cuba, toute réaction à la crise financière qui ne tiendrait pas compte de ses effets sur les droits de l'homme reviendrait à recréer les conditions d'un renouvèlement du phénomène. Cuba a en outre précisé qu'il présentera lors de la présente session du Conseil ses traditionnelles résolutions sur le droit à l'alimentation et les conséquences de la dette extérieure sur les droits de l'homme.

L'Algérie a souligné que la dette extérieure empêche les populations de jouir pleinement de leurs droits économiques, sociaux et culturels. L'Algérie soutient l'appel lancé par l'Expert indépendant pour la réforme des marchés financiers. Elle souligne aussi l'importance de l'aide publique au développement. L'Iran a regretté que la dette détourne des ressources cruciales pour le développement des pays, notamment de par l'obligation faite aux pays débiteurs de donner la priorité au paiement des créanciers au détriment du financement des services sociaux de base. Le Venezuela a relevé la nécessité de faire en sorte que des accords raisonnables puissent être signés entre débiteurs et créanciers en matière de restructuration de la dette. Les mécanismes actuels d'allégement de la dette l'interdisent, a regretté le Venezuela. Le Soudan a dénoncé l'utilisation de la dette extérieure comme un outil politique pour renforcer les inégalités, soulignant que la dette extérieure a un effet néfaste sur la situation des droits de l'homme, en particulier dans la lutte contre les inégalités. Pour le Saint-Siège, la résolution du problème de la dette internationale est une question économique autant qu'une affaire de volonté politique. Les institutions financières internationales devraient avoir à cœur de soutenir le développement durable des pays. Tout en réaffirmant le principe selon lequel les dettes doivent être remboursées, le Saint-Siège a plaidé pour la recherche de moyens de ne pas compromettre les droits fondamentaux des peuples à la subsistance et au progrès. Pour l'Afrique du sud, les Nations Unies devraient reconnaître le poids que représentent la dette et les mécanismes de restructuration de la dette, tenant compte des principes élémentaires adoptés au plan international. Le pays a par ailleurs plaidé pour que les flux financiers illicites, notamment en provenance de l'Afrique soient combattus. Le Kirghizstan, a de son côté observé que ce sont en effet les pays en développement qui souffrent le plus des affres de la dette. C'est pour cela qu'il faut élaborer des programmes d'allègement ou de remise de la dette, au plan international.

L'Inde a mis l'accent sur la fiscalité et sur les conséquences pour certains États de l'évasion fiscale au plan international, en mettant l'accent sur les fraudes des entreprises multinationales. L'Égypte s'est inquiétée de l'existence des paradis fiscaux.

Droit à l'alimentation

Présentation de rapports

Le Conseil est saisi du rapport de la Rapporteuse spéciale sur le droit à l'alimentation (A/HRC/31/51), ainsi que de ses rapports concernant les deux visites qu'elle a menées aux Philippines (A/HRC/31/51/Add.1) et au Maroc (A/HRC/31/51/Add.2, à paraître en français).

MME HILAL ELVER, Rapporteuse spéciale sur le droit à l'alimentation, a indiqué avoir consacré son deuxième rapport à l'importance d'intégrer une perspective sexospécifique dans le droit à l'alimentation après avoir été témoin des obstacles rencontrés en particulier par les femmes et les filles dans l'exercice de ce droit. Malgré le cadre juridique mis en place pour les protéger, les femmes sont touchées de manière disproportionnée par la pauvreté et la faim, a-t-elle expliqué. Les formes institutionnalisées de discrimination et de violence sexistes constituent toujours des obstacles qui empêchent les femmes d'exercer leurs droits économiques, sociaux et culturels, en particulier leur droit à une alimentation et à une nutrition adéquates. Les femmes sont désavantagées dans différents domaines du fait principalement de l'influence des systèmes patriarcaux, a poursuivi la Rapporteuse spéciale, précisant notamment que la stratification sociale porte atteinte au droit des femmes de produire des aliments en les empêchant d'accéder aux facteurs de production. Les femmes sont aussi touchées par les structures patriarcales qui favorisent l'inégalité de traitement sur le marché du travail. Mme Elver a précisé que les femmes et les filles souffrent à tous les stades de leur vie de discrimination en ce qui concerne leur droit à l'alimentation. Elle a mentionné, à titre d'exemple, que dans de nombreux pays, elles reçoivent moins de nourriture que les hommes en raison de leur statut social inférieur.

La Rapporteuse spéciale a relevé l'existence de deux séparations structurelles entre les droits des femmes et le droit à l'alimentation. Premièrement, le droit international ne reconnaît pas pleinement le droit des femmes à l'alimentation: de nombreux droits économiques, sociaux et culturels sont répétés dans la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, mais le droit à l'alimentation ne l'est pas. La deuxième séparation tient à la tendance visant à distinguer la nutrition du droit fondamental à une alimentation adéquate, qui fait que l'on s'est employé à accroître la production alimentaire et non à élargir l'accès, dans des conditions d'égalité, à l'alimentation. Mme Elver a rappelé que l'un des facteurs d'autonomisation des femmes les plus significatifs réside dans leur capacité à être propriétaire ou à avoir accès à des propriétés foncières. Or, l'exclusion des femmes de la propriété foncière est un phénomène très répandu, a-t-elle fait observer. Elle a également dénoncé le régime de droits de propriété intellectuelle qui exclut de façon disproportionnée les femmes, en particulier dans le secteur de l'agriculture. Selon elle, une analyse sexospécifique est essentielle pour comprendre les causes de la faim et de la malnutrition. La Rapporteuse spéciale a rappelé que les femmes représentent 70% des personnes qui souffrent de la faim dans le monde, alors qu'elles sont responsables de plus de la moitié de la production mondiale de nourriture. Dans ce contexte, elle a appelé les États à adopter une perspective sexospécifique dans tous les domaines, en particulier dans le contexte du changement climatique, afin d'améliorer l'accès des femmes à l'alimentation.

Rendant compte de sa visite aux Philippines, la Rapporteuse spéciale a indiqué que l'accès à une alimentation adéquate continue d'être un défi pour de nombreux Philippins. Elle a précisé que le typhon Haiyan de 2013 est venu accentuer l'insécurité alimentaire et la pauvreté de ce pays. Tout en reconnaissant les défis que doit affronter le Gouvernement philippin dans la réalisation du droit à l'alimentation, Mme Elver a souligné que la réforme agraire mise en œuvre constitue l'un des facteurs principaux entravant les progrès en matière de sécurité alimentaire. Elle a par ailleurs salué l'engagement (des autorités) à l'égard de la loi-cadre sur le droit à l'alimentation et a invité le Gouvernement à accélérer le projet de loi pour l'accès à une nourriture adéquate.

S'agissant de sa visite au Maroc, la Rapporteuse spéciale a estimé que ce pays a réalisé d'immenses progrès aux fins de l'éradication de la pauvreté extrême et de la faiM. Cependant des difficultés persistent, a-t-elle ajouté: il existe des disparités importantes entre les régions et le chômage a un impact disproportionné sur les femmes et les jeunes, a-t-elle fait observer. Mme Elver a salué le «Plan vert» du pays, estimant que cette initiative contribuera à transformer le secteur agricole en une source de croissance stable.

Pays concernés

Les Philippines ont réaffirmé leur engagement en faveur de la réalisation des droits de l'homme, conformément aux termes de la Constitution et des instruments internationaux qu'elles ont ratifiés. Les Philippines se félicitent du rapport de la Rapporteuse spéciale concernant sa visite dans le pays, qui est le fruit de leur collaboration étroite durant cette visite de Mme Elver. Les Philippines se félicitent de ce qui est dit dans ce rapport s'agissant des conditions juridiques de l'application du droit à l'alimentation. Le projet de loi sur le droit à une alimentation suffisante est en voie d'être adopté par le Parlement, a annoncé la délégation philippine, avant d'ajouter que les autorités ont par ailleurs approuvé un projet de règlement sur la gestion des ressources foncières des populations autochtones. Les pouvoirs publics œuvrent parallèlement à une réforme du fonctionnement des services publics en faveur de déboursements destinés aux catégories les plus vénérables de la population.

La Commission des droits de l'homme des Philippines s'est dite favorable à toutes les recommandations présentées par la Rapporteuse spéciale et a recommandé au pays d'adopter les lois nécessaires afin de donner pleinement effet aux recommandations de Mme Elver. La Commission demande aussi aux autorités des Philippines de donner effet aux dernières observations finales formulées par le Comité des droits économiques, sociaux et culturels. L'accès à la terre est un facteur clé de l'éradication de la faim, a confirmé la Commission. Elle a recommandé au Gouvernement d'élargir, par voie législative, les compétences du département de la réforme agraire, afin de faciliter l'acquisition de biens fonciers dans le cadre de la réforme agraire.

Le Maroc s'est félicité de ce que la Rapporteuse spéciale ait souligné, dans son rapport, les réformes mises en œuvre et les efforts déployés par le pays pour assurer la réalisation du droit à l'alimentation pour tous les Marocains. Le Maroc a attiré l'attention de la Rapporteuse spéciale sur la Stratégie nationale 2011-2019 visant à améliorer la nutrition des femmes et des enfants, précisant qu'une importance toute particulière est accordée à la qualité nutritionnelle, notamment en milieu scolaire. S'agissant du rapport de la Rapporteuse spéciale, les autorités marocaines auraient aimé que toutes les données statistiques récentes soient prises en considération. Un document lui a été envoyé comprenant les informations actualisées.

Le Conseil national des droits de l'homme du Maroc a souligné que la Rapporteuse spéciale avait pu mesurer, lors de sa visite, les efforts du Gouvernement pour permettre aux Marocains d'avoir accès à l'alimentation. Le Conseil national invite maintenant le Gouvernement à mettre en œuvre les recommandations de Mme Elver, en particulier concernant le projet de loi sur l'alimentation et la prise en compte des personnes vulnérables. Le Conseil national plaide, d'autre part, pour une amélioration de la qualité de l'alimentation des détenus et pour l'inclusion, dans les contrats de travail du personnel domestique, de garanties quant au respect du droit à l'alimentation.

Débat interactif

De nombreuses délégations ont mis l'accent sur le caractère non durable des modes de production agricoles et se sont inquiétés de la «corporisation» croissante de l'agriculture, à l'instar de l'Égypte qui a attiré l'attention sur le grand nombre de questions vitales qui se posent du fait de l'émergence du modèle d'entreprises agricoles. De même, le Pakistan, au nom de l'Organisation de la coopération islamique, a estimé que les effets de la corporisation croissante de l'agriculture – qui exclut les petites exploitations agricoles - devraient être mieux pris en compte. L'OCI estime en outre que le régime actuel des droits de propriété intellectuelle, s'il promeut ostensiblement l'innovation, peut aussi empêcher les communautés rurales de développer et partager des semences et constate qu'il n'existe toujours pas de mécanisme viable de protection des savoirs traditionnels et de prévention de la « bio-piraterie ». L'OCI tient par ailleurs à souligner que la tradition juridique islamique des pays membres reconnaît d'importants droits fonciers aux femmes.

Plusieurs délégations ont rappelé le rôle des femmes dans la production agricole. Or, a rappelé l'Inde, alors que les femmes produisent 50% de l'alimentation, elles représentent plus de 70% des personnes qui ont faim dans le monde. L'Inde insiste donc sur la nécessité d'assurer l'intégration de la question de genre dans les programmes de développement. La Belgique a quant à elle rappelé que, dans de nombreux pays, les femmes ne pouvaient pas participer à la prise de décision en matière agricole, du fait de nombreuses barrières clairement décrites dans le rapport de la Rapporteuse spéciale. De l'avis de la Belgique, les femmes doivent être des agents actifs de la réalisation des objectifs associés au Programme de développement durable à l'horizon 2030 et la politique d'assistance de la Belgique met précisément l'accent sur cette question. La France soutient l'analyse de la Rapporteuse spéciale concernant la nécessité de mettre fin aux barrières, notamment juridiques, à l'accès des femmes aux moyens de production agricole, notamment aux semences et aux outils. L'Union européenne aimerait plus précisément savoir comment mieux surmonter les obstacles opposés à la sécurité foncière des femmes. Elle estime en outre qu'un meilleur accès des femmes aux avoirs financiers pourrait avoir un effet favorable sur l'alimentation des familles. Comme l'a rappelé Cuba, les possibilités de revenus pour les femmes restent plus limitées que pour les hommes dans le domaine de l'agriculture. La Bolivie a indiqué que 46% des femmes de ce pays possédaient aujourd'hui des titres de propriété foncière. La Tunisie s'est dite d'accord avec les constatations de la Rapporteuse spéciale concernant les obstacles culturels et juridiques que rencontrent les femmes dans l'exercice du droit à l'alimentation, estimant à ce propos que les États devraient réduire la charge de travail domestique non rémunéré assumé par les femmes. El Salvador a, de même, souligné l'importance d'adopter des politiques et mesures qui tiennent compte et défendent, dans la promotion du droit à l'alimentation, les droits des femmes. El Salvador applique pour sa part une approche assurant la coordination de toute l'action publique en faveur de la sécurité alimentaire. La Namibie s'est dite étonnée d'apprendre, à la lecture du rapport de Mme Elver, que les femmes représentent 70 % des personnes ayant faim dans le monde. La Namibie a adopté un certain nombre de mesures destinées à favoriser la participation des femmes dans le secteur agricole. Mais le pays est confronté aux conséquences très néfastes du réchauffement climatique. Pour régler ce problème qui affecte nombre de pays en voie de développement, la Namibie appelle à des transferts de technologie en direction des pays du Sud. La Turquie a déclaré que l'amélioration de la situation des femmes au regard du droit à l'alimentation et de la sécurité alimentaire dépend d'une action coordonnée de la communauté internationale contre le changement climatique et pour l'autonomisation des femmes. L'Italie a attiré l'attention sur une initiative élaborée dans le cadre de l'Exposition universelle de Milan, Women for Expo, destinée à sensibiliser les gouvernements, la société civile et l'opinion publique sur la nécessité de soutenir les femmes. Cette initiative s'est concrétisée dans une Charte visant à promouvoir et accroître le rôle et la contribution des femmes dans l'agriculture. La Suisse a appuyé l'idée que le rôle de la coopération internationale ne se limite pas à fournir des solutions pour améliorer l'accès des femmes à la technologie, mais qu'il s'agit également de renforcer leur accès aux ressources productives. Les femmes doivent aussi être intégrées dans les processus de décision politique.

Le Luxembourg, pays très actif sur le plan de la coopération internationale et de l'aide publique au développement, s'est dit d'avis que les femmes pauvres vivant en milieu rural devraient être davantage autonomisées, d'autant que 50% des aliments cultivés, labourés ou récoltés le sont par des agricultrices et que les droits fondamentaux de celles-ci sont le plus souvent violés. C'est dans ce sens que le Fonds des Nations Unies pour l'alimentation (FAO), a depuis trois ans, élaboré avec d'autres organismes des Nations Unies des programmes d'assistance technique aux États aux fins de la mise en œuvre de l'article 14 de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (CEDAW) – qui traite des femmes rurales. En 2015, le Fonds a également élaboré un programme de renforcement des capacités de gestion foncière pour les femmes et les hommes, dans le but de mettre en œuvre les Directives volontaires pour une gouvernance responsable des régimes fonciers applicables aux terres, aux pêches et aux forêts dans le contexte de la sécurité alimentaire nationale. Au Kirghizistan, l'expérience a montré que les revenus augmentent dans les foyers où les femmes sont gestionnaires de la terre. Au Burkina Faso, où l'économie est essentiellement basée sur l'agriculture, le Gouvernement est d'avis que les femmes, qui constituent la moitié de la population, ont besoin des terres et surtout d'en avoir le contrôle. C'est à cette fin que depuis trois décennies, les stratégies de réduction de la pauvreté accordent une place importante à la sécurisation foncière et en particulier à la réduction des risques de marginalisation des femmes dans le domaine foncier rural, a indiqué le Burkina Faso. Djibouti aussi a mis en œuvre une politique d'égalité des genres, avec pour objectif d'assurer une place centrale pour la femme dans la société. Cependant, il convient de savoir si la mise en place de normes et de règlementations permettant aux femmes d'être mieux intégrées dans l'économie est suffisante pour lever les obstacles auxquels elles se heurtent dans l'exercice de leur droit à l'alimentation? La défense des droit des femmes, a été une priorité du Mexique lors des négociations précédant l'adoption du Programme du développement durable pour 2030.

Quant au Nigéria, il a rappelé le rôle fondamental du droit à l'alimentation pour permettre la réalisation de nombreux autres droits, mais a estimé que le droit à l'alimentation ne devrait toutefois pas être axé sur la dimension de genre.

Le Togo s'est quant à lui doté d'un programme d'investissement et de sécurité alimentaire qui vise à accroître les exportations de produits traditionnels et à promouvoir de nouvelles cultures à l'exportation. L'Indonésie a rappelé qu'elle avait invité la Rapporteuse spéciale à se rendre dans le pays et lui a demandé quel était, selon elle, le rôle du partenariat international pour combler le fossé entre les sexes dans le contexte d'une importance croissante du modèle agro-industriel. L'Indonésie, qui a souligné accorder une grande importance à la résilience alimentaire de sa population, a fait état de divers plans et autres mesures qu'elle a adoptés en ce sens, en consultation avec différents partenaires, dont les associations d'agriculteurs et la société civile.

Au nom de la Communauté des États d'Amérique latine et des Caraïbes (CELAC), la République dominicaine a pour sa part insisté sur l'urgence de lutter contre les conséquences néfastes du changement climatique et de l'agriculture non durable pour la production agricole et la sécurité alimentaire.

Le Koweït, au nom du Groupe arabe, a appelé à la prise de mesures supplémentaires pour faciliter les transferts de technologies.

La Chine a déclaré que la question de l'alimentation est primordiale pour elle compte tenu de son importante population, la première au monde. Sur 9 % des terres arables dans le monde, la Chine assure un quart de la production agricole mondiale.

Le Bangladesh a souligné que le droit à la propriété intellectuelle ne devait pas être pris comme prétexte pour empêcher le commerce de semences agricoles dans les pays en développement.

Réponses de la Rapporteuse spéciale

MME ELVER a demandé à la communauté internationale de prendre très au sérieux la situation actuelle, marquée par le fait que plus d'un milliard de personnes vivent dans l'insécurité alimentaire. Elle a appelé à une collaboration internationale étroite dans ce domaine. La communauté internationale doit ainsi se pencher sur les problèmes rencontrés par les pays en voie de développement – comme par exemple la sécheresse et ses effets sur la production agricole – pour y apporter des réponses concrètes. Mme Elver a demandé aux États d'appliquer, en particulier, les directives du Comité de la sécurité alimentaire mondiale de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO). Jamais l'idée de « village planétaire » n'avait été aussi pertinente qu'aujourd'hui, de l'avis de la Rapporteuse spéciale.

Elle remercié les autorités des Philippines et du Maroc de leur ouverture au dialogue, dont elle a demandé l'approfondissement en vue d'une évaluation ultérieure encore plus complète. Mme Elver a souligné, à cet égard, la contribution importante des institutions nationales de droits de l'homme. Elle a recommandé à tous les États de ratifier les Protocoles facultatifs se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, en particulier le protocole instituant une procédure de plainte ouverte aux justiciables. Les mesures que prendront les États pour donner effet aux droits des femmes dans le contexte de la sécurité alimentaire et du droit à l'alimentation devront faire l'objet d'une vigilance renforcée, faute de quoi les objectifs ne seront probablement pas atteints, a mis en garde Mme Elver.
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*Délégations ayant participé au débat sur les effets de la dette extérieure sur les droits de l'homme: Union européenne, Pakistan (au nom de l'Organisation de la coopération islamique ), Koweït (au nom du Groupe arabe), République dominicaine( au nom de la CELAC), Afrique du Sud (au nom du Groupe africain), Belgique, Inde, Indonésie, Nigeria, Cuba, Bolivia, France, Égypte, Chine , Tunisie, El Salvador, Namibie, Turquie.

*Délégations ayant participé au débat sur le droit à l'alimentation: Égypte, Pakistan, Inde, Belgique, France, Union européenne, Bolivie, Tunisie, El Salvador, Namibie, Turquie, Italie, Suisse, Luxembourg, Fonds des Nations Unies pour alimentation, Kirghizistan, Burkina Faso, Djibouti, Mexique, Nigéria, Togo, Indonésie, République dominicaine, Koweït (au nom du Groupe arabe), Chine, Bangladesh.


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HRC16/018F