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LE COMITÉ DES DROITS ÉCONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS OUVRE LES TRAVAUX DE SA CINQUANTE-SEPTIÈME SESSION

Compte rendu de séance
Il auditionne des organisations non gouvernementales concernant la situation au Kenya et au Canada

Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a entamé, ce matin, les travaux de sa cinquante-septième session en adoptant son ordre du jour et son programme de travail et en entendant M. Simon Walker, chef de la Section des affaires civiles, politiques, économiques, sociales et culturelles de la Division des traités du Haut-Commissaire aux droits de l'homme.

M. Walker a notamment rappelé que l’année 2016 était celle du cinquantième anniversaire des deux Pactes des Nations Unies traitant respectivement des droits civils et politiques et des droits économiques, sociaux et culturels; il a souligné que cet anniversaire serait célébré par une série d’événements.

Ce cinquantième anniversaire des deux Pactes pourrait être l’occasion de rappeler que ces deux catégories de droits (droits économiques, sociaux et culturels et droits civils et politiques) ne peuvent être séparés, a pour sa part indiqué le Président du Comité, M. Waleed Sadi.

Le Comité a ensuite auditionné des représentants de trois organisations non gouvernementales (ONG) concernant l’application du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels au Kenya et de dix-sept ONG concernant l’application du Pacte au Canada – les rapports de ces deux pays devant en effet être examinés cette semaine.

S’agissant du Kenya, l’accent a été mis sur la persistance des discriminations contre les femmes, notamment en matière de propriété foncière et d'héritage, et sur la sous-représentation des femmes dans les différentes branches du gouvernement, ainsi que sur certains groupes communautaires.

Pour ce qui est du Canada, l’attention a notamment été attirée sur la situation des peuples autochtones, ainsi que sur les questions se rapportant à la pauvreté, au droit à un logement convenable, aux prestations sociales, à l’environnement, ou encore à l’accès à l'eau potable et à l'assainissement.

Demain matin, à 10 heures, le Comité entamera l’examen du rapport initial de la Namibie (E/C.12/NAM/1), auquel il consacrera trois séances, jusqu’à mercredi matin inclus.


Déclarations d’ouverture

M. SIMON WALKER, Chef de la Section des affaires civiles, politiques, économiques, sociales et culturelles de la Division des traités du Haut-Commissariat aux droits de l'homme, a rappelé que l’année 2016 était celle du cinquantième anniversaire des deux Pactes des Nations Unies relatifs aux droits de l’hommes – qui concernent respectivement les droits civils et politiques et les droits économiques, sociaux et culturels. Il a noté que cette célébration intervenait dans un contexte où les inégalités économiques grandissantes et le terrorisme menacent la réalisation des droits économiques, sociaux et culturels, mais aussi dans le contexte de l’adoption, l’automne dernier, des Objectifs de développement durable, qui fixent des orientations au Haut-Commissariat aux droits de l'homme .

Les célébrations du cinquantième anniversaire des deux Pactes constituent l’une des principales priorités du Haut-Commissariat en cette année 2016, a expliqué M. Walker, qui a rappelé qu’elles avaient commencé à Genève en décembre 2015 avec une exposition de photographies. D’autres manifestations sont prévues à Genève et à New York tout au long de l’année. Ainsi, le 1er mars, le Conseil des droits de l'homme tiendra-t-il une réunion-débat de haut niveau consacré à l’universalité, l’indivisibilité et l’interdépendance des droits de l'homme et qui sera suivie d’un événement parallèle offrant aux membres de la société civile l’occasion de s’exprimer. En juin, le Comité et le Conseil des droits de l'homme tiendront en outre une réunion plénière conjointe. Par ailleurs, le Haut-Commissariat a préparé divers outils de sensibilisation aux deux Pactes et aux travaux des deux Comités y afférents, l’accent étant mis sur la sensibilisation des enfants et des jeunes.

Le Président du Comité, M. WALEED SADI, a rappelé que la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 et la Charte des droits de l'homme abordaient tant les droits civils et politiques que les droits économiques, sociaux et culturels et rejetaient ainsi la division entre ces deux catégories de droits. L’anniversaire pourrait être l’occasion de rappeler que ces deux catégories de droits ne peuvent être séparés, a-t-il insisté. A de multiples reprises, les débats au sein du Comité ont montré qu’on ne pouvait discuter des droits économiques, sociaux et culturels sans aborder d’une façon ou d’une autre les droits civils et politiques, même si, en théorie, ce n’est pas le mandat de ce Comité.

M. Sadi a par ailleurs fait observer que s’il est vrai que le Comité ne va examiner que trois rapports d’État parties au cours de ces deux semaines de session, il n’en va pas moins examiner aussi en privé un certain nombre de questions relatives à ses méthodes de travail ou encore à des observations générales qu’il lui reste à finaliser.

Audition des organisations non gouvernementales

S’agissant du Kenya

Federation of women lawywers a relevé que les réformes législatives en cours au Kenya accordent l’égalité formelle aux femmes mais a estimé qu’il fallait encore travailler à une égalité substantielle qui permette aux femmes de jouir de manière durable de leurs droits, notamment fonciers, qui sont reconnus par la Constitution du Kenya de 2010 mais dont la jouissance est en fait empêchée par les pratiques coutumières qui placent les femmes en situation inférieure. Le Gouvernement du Kenya devrait montrer sa volonté de renforcer les droits des femmes et d’appliquer l’égalité en abolissant les lois qui s’y opposent et en prenant des mesures concrètes pour sensibiliser les différents acteurs, y compris les acteurs coutumiers et judiciaires, à l’égalité des droits des femmes. Le Gouvernement devrait aussi renforcer l’information des femmes sur leurs droits.

Global Initiative a attiré l’attention du Comité sur la prolifération des écoles privées commerciales alors que l’État semble incapable de fournir à tous une éducation de qualité.

La Commission internationale des juristes a évoqué les lenteurs dans la mise en œuvre de certains droits et des décisions du pouvoir judiciaire qui, de plus en plus, reconnaissent le droit au logement. Elle a en outre attiré l’attention sur l’importance de la mise en œuvre des conclusions et recommandations de la Commission sur la vérité, la justice et la réconciliation, qui éclairent la marginalisation de diverses communautés du pays. Seuls 19% des sièges à l’Assemblée nationale sont actuellement occupés par des femmes, a par ailleurs fait observer l’ONG. Elle a regretté que les communautés n’aient pas été consultées lors de la préparation de la loi contre les mutilation génitales féminines, de sorte que s’il existe bien une loi interdisant ces mutilations, elles se poursuivent en réalité dans tout le pays.

Au cours de l’échange de vues qui a suivi ces présentations, un membre du Comité a demandé si les pratiques coutumières étaient intégrées dans le droit positif. Existe-t-il une loi spécifique sur les droits de femmes, a-t-il par ailleurs été demandé? Qu’est-ce qui a changé concrètement depuis la reconnaissance dans la Constitution des droits économiques, sociaux et culturels, a-t-il également été demandé? Un membre du Comité s’est enquis des progrès accomplis en matière de sensibilisation sur les droits des femmes et les mutilation génitales féminines.

S’agissant du Canada

Au nom de l’ensemble des ONG présentes, M. Bruce Porter et Mme Leilanie Farha ont fait observer que la présence de nombreuses ONG canadiennes témoigne du vif engagement des organisations de la société civile du Canada en faveur du respect par ce pays de ses obligations découlant du Pacte. Ils ont émis l’espoir qu’avec le nouveau Gouvernement du Premier Ministre Justin Trudeau, s’achèvera pour le Canada «une période très noire» pour les droits de l'homme; le nouveau Gouvernement canadien devra préciser la politique qu’il entend mener dans le sens d’une amélioration des relations du pays avec les Nations Unies en général et dans le domaine des droits de l'homme en particulier. Le nouveau Gouvernement doit adopter une nouvelle approche des droits économiques, sociaux et culturels et ce Comité doit l’y aider.

Indigenous Bar Association a attiré l’attention sur les problèmes particuliers des autochtones, y compris le «racisme systémique» dont ils font l’objet dans le système de santé. Les statistiques montrent que les populations autochtones ont un niveau économique très inférieur à la moyenne nationale. La réalisation des droits économiques, sociaux et culturels des autochtones est encore compliquée par la séparation des pouvoirs prévue par la Constitution fédérale canadienne, car ces populations relèvent le plus souvent des compétences fédérales alors que des nombreux services auxquels elles prétendent dépendent des provinces.

Charter Committee on Poverty Issues a rappelé que la Cour suprême avait reconnu que le droit à la vie, à la liberté et à la sûreté faisait partie des droits économiques, sociaux et culturels. Des sans-abri se sont vu refuser les audiences des tribunaux, a ajouté l’ONG, déplorant que les avocats du Gouvernement aient convaincu les tribunaux de ne pas prendre en considération la discrimination sur la base de la pauvreté ou de l'itinérance. Les droits économiques, sociaux et culturels sont des valeurs canadiennes fondamentales et il doit être possible à tous d’accéder à la justice afin que ces droits puissent être réalisés.

L’Alliance féministe du Canada pour l’action internationale
a exprimé l’espoir que le nouveau Gouvernement respecte ses obligations en vertu du Pacte et a attiré l’attention sur le lien très fort qui existe entre la marginalisation économique et sociale des femmes dans le pays et les violences dont elles sont victimes. L’ONG a par ailleurs rappelé que le Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes avait récemment reproché au Canada de ne pas satisfaire à ses obligations aux termes de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Evoquant la question des meurtres et disparitions de femmes et filles autochtones, l’ONG a demandé au Comité d’exhorter le nouveau Gouvernement canadien à s’assurer que l’enquête lancée sur ces disparitions de femmes autochtones ait une portée nationale et traite de la marginalisation sociale, économique et culturelles de ces femmes.

Amnesty International Canada a demandé au Canada de mettre fin à son traitement des droits économiques, sociaux et culturels en tant que droits secondaires et de reconnaître que les droits économiques, sociaux et culturels des populations autochtones sont en crise. Elle a demandé que soit incorporé dans toutes les lois pertinentes le principe de consentement libre, préalable et informé des populations autochtones quand leurs droits sont concernés. En outre, un plan d'action national complet devait être mis au point pour combattre la violence contre les femmes et les filles au Canada. Les lois sur les travailleurs domestiques migrants doivent être réformées afin de garantir à ces personnes un meilleur accès à la justice, a par ailleurs estimé l’ONG. Le Canada devrait aussi veiller à ce que les enfants handicapés aient un meilleur accès à l'éducation inclusive et à développer des stratégies nationales basées sur les droits de l'homme, notamment en matière de droits à l’alimentation et de droit au logement. Il conviendrait aussi pour le pays d’assurer une plus grande intégration entre droits humains, commerce et affaires.

Colour of Poverty – Colour of Change a rappelé qu’entre 1980 et 2000, le taux de pauvreté de la population d’origine européenne à Toronto avait baissé de 28% alors que celui des population d’origine non européenne avait augmenté de 361%. Sur le marché canadien du travail, les travailleurs de couleur perçoivent à travail égal un salaire qui équivaut à 81,4% du salaire de leurs homologues de race blanche – et ce pourcentage tombe à 56,5% si la personne de couleur est une femme.

Le Conseil des Canadiens avec déficiences a estimé qu'aucun plan n’avait été mis en œuvre pour faire face à l'inégalité dont pâtissent les personnes handicapées. Les personnes handicapées sont deux fois plus susceptibles de vivre dans la pauvreté que les autres et leur taux d'emploi est presque moitié plus faible que celui de la population générale.

Canada sans pauvreté a estimé que la persistance de la pauvreté au Canada était un problème très profond, qui vient de ce que le Gouvernement ne comprend pas que son action de lutte contre la pauvreté, le mal-logement ou en faveur d’une alimentation adéquate doit être fondé sur ses obligations internationales en matière de droits de l'homme. Au Canada, plus de 235 000 personnes sont sans abri et 3,4 millions souffrent d’insécurité alimentaire, alors que ce pays figure au 11e rang mondial de l’indice de développement humain, a-t-il été souligné. L’ONG estime que le Canada a complètement dissocié ses politiques et programmes sociaux de ses obligations en la matière, notamment au regard du droit à un niveau de vie suffisant.

La Ligue des droits et libertés
a fait observer que les transferts sociaux au Canada se situaient bien en dessous du niveau qu’ils avaient dans les années 1990. La prestation de base est de 620 dollars canadiens, ce qui ne permet pas d’avoir un niveau de vie décent. La Ligue est préoccupée par l’intention affichée du Gouvernement de la province du Québec de conditionner les aides sociales à des programmes d'employabilité en vertu desquels les bénéficiaires de l’aide sociale devraient accepter tout type de travail sous peine de voir leurs prestations réduites.


Le représentant de l’ONG Coalition pour le droit au logement, s’identifiant comme étant lui-même un ancien sans-abri, a attiré l’attention sur la crise du logement au Canada qu’illustre un mémorial du sans-abri érigé à Toronto et qui comporte les noms de 794 personnes mortes dans les rues de cette ville – la plus grande du pays.

Pour le Front d'une action populaire en réaménagement urbain, le Canada et ses provinces n’ont pas été accordé le suivi requis aux recommandations du Comité concernant le droit au logement. Il existe une grave crise de l'itinérance au Canada, en particulier parmi les communautés autochtones, a souligné l’ONG. Pendant des années, le Gouvernement n'a pas augmenté le budget alloué au logement, pas plus que les subventions sociales. L'argent devrait être alloué spécifiquement aux ménages à faible revenu, ce qui aiderait à contrer l'augmentation des loyers.

Pivot Legal Society
a attiré l’attention sur les mesures prises à l’encontre des sans-abri, telles que les «lois anti-camping» auxquelles recourent de plus en plus les villes canadiennes et qui aboutissent à sanctionner, harceler et déplacer les sans-abri. L’ONG a par ailleurs souligné que les autorités provinciales et locales doivent être conscientes de leurs obligations en vertu du Pacte.

Grassy Narrows First Nations
a dénoncé l’empoisonnement au mercure de certaines eaux locales, qui a causé un préjudice grave aux populations vivant dans les zones affectées. Il existe une situation d’urgence pour la communauté autochtone de Turtle Island, mais elle ne semble pas réellement prise en compte.

Human Rights Watch
a estimé que le Canada avait des difficultés à satisfaire à ses obligations en matière de droit d’accès à l’eau potable et à l’assainissement, en particulier pour ce qui concerne les communautés autochtones. L’ONG a mis l’accent sur le problème plus large de la discrimination institutionnalisée à l’encontre des populations autochtones.

Action Canada for Sexual Health and Rights a fait observer que le Tribunal des droits de la personne du Canada n’avait pas spécifiquement conclu que le droit à la non-discrimination fondée sur le sexe était protégé en vertu de la législation fédérale sur les droits de l'homme. L'avortement est considéré comme une procédure médicalement nécessaire, mais il existe des différences considérables dans l'accès à ce service selon l'endroit où l'on vit, a poursuivi l’ONG. Elle a en outre attiré l’attention sur de récents rapports concernant des cas de stérilisation forcée pratiquée sur des populations autochtones.

L’Association canadienne des libertés civiles a estimé que les groupes autochtones n’étaient pas correctement consultés au sujet des projets de développement qui les concernent directement. L’ONG a par ailleurs attiré l’attention sur les modifications radicales apportées au système de libération sous caution du Canada, les conditions de libération sous caution étant désormais excessives, ce qui affecte de façon disproportionnée les personnes autochtones, les minorités raciales et les malades mentaux.

La Fondation David Suzuki a affirmé que le Canada avait affaibli, lors de la dernière décennie, des protections environnementales fondamentales pour le respect des droits économiques, sociaux et culturels. Des projets industriels qui ont des effets catastrophiques sur l’environnement et sur les modes de vie sont approuvés sans consultation ou après des consultations minimales. Le Canada devrait constitutionnaliser le droit à un environnement sain.

La Fondation Maytree a rappelé que la plupart des villes canadiennes ne connaissent pas leurs obligations et responsabilités en vertu du Pacte, alors que celui-ci leur impose des obligations. Le Canada devrait garantir que les provinces et municipalités disposent des moyens adéquats pour satisfaire à leurs obligations.

Au cours de l’échange de vues qui a suivi ces présentations, un expert du Comité a souhaité savoir si des discussions étaient prévues quant à une éventuelle réforme de la Charte canadienne des droits et libertés, s’agissant plus particulièrement de ses dispositions intéressant les droits économiques, sociaux et culturels. Un expert s’est enquis de la répartition des compétences entre les différents niveaux de l’État: Etat fédéral, provinces et territoires, municipalités.

Un autre expert a souhaité savoir s’il y avait eu, ces quatre dernières années, des changements dans la législation canadienne relative aux peuples autochtones et, ces deux dernières années, des changements concernant la législation relative aux réfugiés. Qu’en est-il des mesures visant à réguler l’action des entreprises minières ou pétrolières canadiennes à l’étranger, a-t-il en outre été demandé? Un expert a souhaité en savoir davantage au sujet des activités de fracturation hydraulique au Canada.


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ESC16/002F