Fil d'Ariane
LE COMITÉ CONTRE LA TORTURE EXAMINE LE RAPPORT DE L'AZERBAÏDJAN
Le Comité contre la torture a examiné, hier après-midi et cet après-midi, le rapport présenté par l'Azerbaïdjan sur les mesures prises par le pays pour mettre en œuvre les dispositions de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
Le rapport a été présenté par le Vice-Ministre des affaires étrangères de l'Azerbaïdjan, M. Khalaf Khalafov. Il a affirmé que son gouvernement accordait la plus grande importance à la collaboration avec les organisations internationales dans le domaine de la lutte contre la torture, comme en témoignent les nombreuses visites de travail réalisées par le Sous-Comité pour la prévention de la torture, le Comité européen pour la prévention de la torture et le Comité international de la Croix-Rouge. L'Azerbaïdjan a adopté en outre un ensemble de mesures destinées à améliorer le fonctionnement du système de justice, à garantir l'indépendance des magistrats et la surveillance des institutions pénitentiaires. Le Gouvernement prend aussi des mesures cohérentes de lutte contre la corruption, qui est l'une de ses priorités: cent quarante-six plaintes ont été déposées contre 224 personnes dans les neuf premiers mois de cette année. L'Azerbaïdjan ne peut cependant pleinement s'acquitter pleinement de toutes ses obligations de droits de l'homme dans ses territoires qui sont encore occupés par l'Arménie, a observé le vice-ministre.
La délégation azerbaïdjanaise était forte d'une vingtaine de représentants des Ministères de l'intérieur, du travail et de la protection sociale, de la santé, de la sécurité nationale et des affaires étrangères, ainsi que des administrations officielles en charge des migrations, des statistiques et des questions féminines. Elle a répondu aux questions et observations des membres du Comité s'agissant notamment de l'organisation du système de justice; de la formation et de la sensibilisation des forces de l'ordre aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales des détenus; au respect des garanties formelles des justiciables dans les commissariats; et aux suites données aux plaintes pour actes de torture par des policiers.
Le rapporteur du Comité pour l'examen du rapport azerbaïdjanais, M. George Tugushi, a constaté avec satisfaction que ce pays avait adopté une définition de la torture conforme à celle donnée par la Convention et pris des mesures pour améliorer les conditions de détention dans les prisons du pays. Il a aussi été noté que la Cour suprême avait récemment interdit aux tribunaux de tenir compte d'aveux obtenus sous la torture. Mais la persistance des actes de torture et de mauvais traitements commis par des policiers demeure d'autant plus préoccupante que leurs responsables ne sont que rarement traduits en justice, a déclaré le rapporteur. Le corapporteur, M. Kening Zhang, a pour sa part voulu savoir quelles mesures disciplinaires avaient été prises contre les agents de police convaincus d'agissements illicites envers des justiciables et de violation des normes de procédure. D'autres experts ont demandé à la délégation de donner des renseignements sur le sort de Mme Leyla Yunus et de M. Ilgar Mammadov et sur les suites judiciaires données aux mauvais traitements dont ces défenseurs des droits de l'homme auraient été victimes en détention.
Le Comité adoptera, dans le cadre de séances privées, des observations finales sur le rapport de l'Azerbaïdjan, qu'il rendra publiques à la fin de la session, le mercredi 9 décembre.
Le Comité entendra demain, à partir de 15 heures, les réponses de l'Autriche aux questions et observations présentées par les experts lors de la séance de ce matin consacrée également à la présentation du rapport autrichien (CAT/C/AUT/6).
Présentation du rapport
Le Comité est saisi du quatrième rapport de l'Azerbaïdjan (CAT/C/AZE/4, préparé sur la base d'une liste de points à traiter préparée par le Comité - CAT/C/AZE/Q/4).
M. KHALAF KHALAFOV, Vice-Ministre des affaires étrangères de l'Azerbaïdjan, a affirmé que son gouvernement accordait la plus grande importance à sa collaboration avec les organisations internationales dans le domaine de la lutte contre la torture. En témoigne notamment la visite de travail réalisée par le Sous-Comité pour la prévention de la torture en avril dernier, au cours de laquelle les experts ont visité des prisons, des commissariats, des hôpitaux psychiatriques et des institutions sociales. Les experts se sont félicités de l'accès libre aux lieux de détention, de la dotation en personnel suffisante et du traitement des prisonniers, ainsi que de l'équipement technique des lieux. Les recommandations du Sous-Comité seront soigneusement examinées par le Gouvernement de l'Azerbaïdjan, a assuré le chef de la délégation. Pour sa part, le Comité européen pour la prévention de la torture a effectué sa dernière visite en juin 2015. Des représentants du Comité international de la Croix-Rouge ont effectué 37 visites cette même année.
L'Azerbaïdjan a adopté un ensemble de mesures destinées à améliorer le fonctionnement du système de justice, l'indépendance des magistrats et la surveillance des institutions pénitentiaires. Il a également procédé à l'informatisation des services offerts aux citoyens en matière d'aide judiciaire, notamment. La commission judiciaire créée en 2005 émet des recommandations pour améliorer le fonctionnement des organes judiciaires. Ces recommandations ont donné lieu à plus de 200 procédures disciplinaires contre des magistrats entraînant la mise à pied de onze juges.
Le Gouvernement prend des mesures cohérentes de lutte contre la corruption, qui est l'une de ses priorités. Cent quarante-six plaintes ont été déposées contre 224 personnes dans les neuf premiers mois de cette année. Le Gouvernement a créé une agence chargée d'améliorer la qualité de la fourniture des services publics et qui met l'accent sur le renforcement de la confiance du public envers les structures étatiques, la transparence, les mesures de réduction de coût. La lutte contre la corruption a également été au cœur des priorités de l'Azerbaïdjan en tant que président du Conseil des ministres du Conseil de l'Europe en 2014.
Le Gouvernement a également adopté des mesures de lutte contre la violence domestique et de prévention de la traite des êtres humains. En 2015, il a créé un comité d'État des affaires familiales, chargé notamment de procéder à une compilation des données émanant des institutions et organes de l'État et des centres de réhabilitation gérés par les organisations non gouvernementales. Un plan d'action national pour l'égalité entre les sexes a été élaboré dans le cadre de la réalisation du plan décennal «Azerbaïdjan 2020». Le troisième plan national d'action contre la traite des êtres humains (2017-2018) est en cours d'application. Il prévoit des mesures de prévention, de protection et de réintégration des victimes de la traite des êtres humains.
L'Azerbaïdjan ne peut cependant s'acquitter pleinement de toutes ses obligations en matière de droits de l'homme sur la partie de son territoire encore occupée par l'Arménie, a observé le Vice-Ministre. L'Arménie est responsable de violations très graves du droit international des droits de l'homme et du droit humanitaire, a-t-il dénoncé, notamment des exécutions sommaires et extrajudiciaires, des actes de torture et d'autres traitements inhumains et dégradants. Au 1er octobre, 4013 ressortissants de l'Azerbaïdjan sont portés disparus, très probablement détenus de manière illégale en Arménie. D'après les renseignements à disposition de l'Azerbaïdjan, 554 de ses ressortissants sont décédés des suites de tortures et de mauvais traitements subis dans les prisons arméniennes. Dans ce contexte, le sort de deux personnes en particulier, MM. Asgarov et Guliyev, préoccupe particulièrement les autorités de l'Azerbaïdjan.
Examen du rapport
Questions et observations des experts du Comité
M. GEORGE TUGUSHI, rapporteur du Comité pour l'examen du rapport de l'Azerbaïdjan, a constaté avec satisfaction que l'Azerbaïdjan avait adopté une définition de la torture conforme à celle figurant dans la Convention ainsi que des mesures pour améliorer les conditions de détention dans les prisons du pays. Mais la persistance d'actes de torture et de mauvais traitements commis par des policiers demeure d'autant plus préoccupante que les responsables ne sont que rarement traduits en justice, a dit l'expert. Les garanties accordées aux personnes arrêtées ne sont pas opérantes dans les faits, a également observé l'expert. Il semble ainsi que le droit de consulter un avocat de son choix ne soit pas respecté en Azerbaïdjan, puisque les justiciables sont tenus d'accepter les services d'avocats commis d'office qui sont implicitement encouragés à ne pas défendre efficacement leurs clients, au risque de se voir rayés du barreau. Il semble également que les examens médicaux des personnes arrêtées ne sont pas effectués dans des conditions de confidentialité suffisante.
Le Comité est aussi informé de ce que les agents de police n'informent pas systématiquement les personnes arrêtées des motifs de leur arrestation, a dit M. Tugushi. Tous ces éléments sont préoccupants. Il est également troublant de constater que nombre d'enquêtes pour dénonciations de mauvais traitements par des policiers soient effectuées par les agents concernés eux-mêmes, et que 99% de ces dénonciations n'entraînent aucune sanction. Il est impossible, dans un pays aussi grand que l'Azerbaïdjan, que personne ne soit jamais déclaré coupable des crimes dénoncés, a estimé le rapporteur. Dans tous les cas, les procureurs doivent donner une suite judiciaire aux constatations de mauvais traitements faites par les médecins légistes, a également plaidé l'expert, qui a recommandé l'installation de caméras de surveillance dans les commissariats.
Le rapporteur a fait état d'informations selon lesquelles les activités des organisations non gouvernementales en Azerbaïdjan étaient soumises à de fortes contraintes, l'enregistrement des nouvelles organisations étant hérissé d'obstacles. De même, le traitement individuel des défenseurs des droits de l'homme laisse beaucoup à désirer, plusieurs d'entre eux étant emprisonnés pour de longues périodes, avec des risques importants pour leur santé, dans certains cas. L'un de ces défenseurs des droits de l'homme, Mme Leyla Yunus, a été victime d'une agression pendant sa détention; M. Ilgar Mammadov aurait pour sa part été brutalisé par ses gardiens.
M. Tugushi a voulu savoir si tous les demandeurs d'asile en Azerbaïdjan avaient effectivement accès à une procédure d'examen en bonne et due forme de leur requête et s'ils étaient protégés contre le refoulement vers des pays où ils courent des risques d'être torturés. Le rapporteur a demandé aussi si des mesures ont été prises pour améliorer les conditions matérielles dans les établissements correctionnels pour les mineurs à Bakou et pour contrôler la violence qui règne entre détenus dans les prisons. Enfin, le rapporteur a demandé à la délégation de réagir à des informations selon lesquelles la lutte contre la traite des êtres humains était entravée par la corruption de nombreux fonctionnaires concernés. M. Tugushi a recommandé aux autorités de l'Azerbaïdjan de collaborer plus étroitement avec les organisations non gouvernementales spécialisées dans la lutte contre la traite.
L'absence de plaintes et de condamnations signale généralement un problème de responsabilisation des fonctionnaires s'agissant des actes de violence ou de torture, plutôt qu'elle ne signale que la situation est acceptable, a souligné le rapporteur. Comment appliquer les articles pertinents du code pénal si tous les éléments de preuve sont systématiquement rejetés, s'est demandé l'expert. M. Tugushi a relevé d'autre part que l'accès à un avocat devrait être assuré dès le moment de la privation de liberté. Or, les avocats manquent justement dans les premiers moments des interrogatoires, où se noue en général le sort des personnes accusées.
Le rapporteur a relevé en outre que le mari de Mme Yunus avait été libéré ce jour même, pour être mis au régime de l'arrêt domiciliaire: il serait bon que son épouse et les autres défenseurs des droits de l'homme dont il a été question bénéficient de la même mesure. Le rapporteur s'est inquiété du contrôle exercé par les autorités sur les activités des organisations non gouvernementales.
M. KENING ZHANG, corapporteur, a voulu savoir si tous les fonctionnaires concernés avaient participé aux initiatives organisées en 2010-2013 par le bureau de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) à Bakou et par d'autres instances internationales en matière de prévention de la violence.
M. Zhang a voulu savoir quelles mesures disciplinaires exactement avaient été prises contre les 1196 agents de police mentionnés au paragraphe 352 du rapport. Il a voulu connaître la raison qui a poussé les tribunaux à rejeter successivement six plaintes pour menaces, pressions ou actes de torture sur des détenus déposées par le Comité azerbaïdjanais contre la torture (voir le paragraphe 361 du rapport).
L'expert a demandé à la délégation de commenter le paragraphe 286 du rapport, concernant les conclusions de l'enquête menée au parquet de la ville de Nakhitchevan à la suite du décès, survenu le 28 août 2011, de M. Tural Shuryi Zeynalov dans des locaux de garde à vue. Selon des organisations non gouvernementales, la famille de cette personne continue de recevoir des menaces et est poussée à quitter Nakhitchevan.
M. Zhang a aussi demandé à la délégation de fournir des informations complémentaires sur les raisons des suicides en détention et sur les poursuites engagées et les sanctions prises contre les gardiens de prison mentionnés dans les paragraphes du rapport qui concernent ce problème (paragraphe 287 et suivants). L'expert s'est interrogé aussi sur l'incidence de la tuberculose dans les lieux de détention.
Parmi les autres membres du Comité, un expert a demandé pour quelles raisons l'Azerbaïdjan avait accepté de rendre publics deux rapports de visite du Comité européen pour la prévention de la torture, mais pas les sept autres. L'expert a relevé que le rapport soumis par l'Azerbaïdjan au Comité contre la torture indiquait que le procureur général n'avait recensé aucun acte de torture sur des prisonniers (paragraphe 390), alors même que le bureau du procureur a reçu plus de 600 plaintes pour ce motif (paragraphe 353). Or, les tribunaux ont jugé qu'aucune de ces plaintes ne portait sur des cas avérés de torture: ces centaines de démarches sont-elles dépourvues de tout motif? Une experte s'est dite choquée par le fait qu'aucune de ces affaires n'ait donné lieu à la collecte d'éléments de preuve, notamment des examens de santé, par le pouvoir judiciaire. Le Président du Comité a demandé à la délégation de donner des renseignements sur les 96 cas de torture recensés en 2015 par l'organisation non gouvernementale Human Rights Watch.
Un expert a observé que le pouvoir politique ou exécutif devait être contrebalancé, dans une société moderne, par une justice efficace. Dans le cas de l'Azerbaïdjan, la question se pose de la réalité du rôle du pouvoir judiciaire, de son indépendance et de son pouvoir d'exercer son rôle de contrepouvoir, tant il est grevé de défauts endémiques. La nomination des juges ne semble ainsi pas relever d'un processus crédible. «L'impression est que la justice a pour fonction de rendre un hommage discret au pouvoir exécutif», a résumé l'expert, pointant en particulier la faiblesse du barreau.
Une experte a voulu savoir si MM. Mammadov et Guseynov, membres du personnel pénitentiaire mentionnés au paragraphe 16 du rapport pour avoir soumis des condamnés à des traitements inhumains, avaient été sanctionnés au-delà de leur révocation. L'experte a déclaré n'avoir jamais vu, dans aucun rapport d'État, de mention telle que le paragraphe 390 du rapport, selon lequel «les tribunaux azerbaïdjanais n'ont pas été saisis d'affaires de torture et de traitements cruels, inhumains ou dégradants».
L'experte a par ailleurs voulu savoir combien de policiers avaient reçu une formation sur la protection des femmes contre la violence familiale.
Un expert a salué l'engagement de l'Azerbaïdjan à œuvrer de son mieux à la mise en œuvre de la Convention et de coopérer avec le Comité. L'expert a cependant fait part de ses préoccupations quant à l'application pratique de la Convention en Azerbaïdjan, s'agissant essentiellement des violences policières et de la nécessité de mener des enquêtes impartiales sur la torture et de prendre des sanctions adéquates. Des questions se posent aussi sur le fonctionnement de base du système de justice azerbaïdjanais, s'agissant par exemple de la définition juridique de la personne suspecte et de son accès aux garanties fondamentales. Peut-être l'Azerbaïdjan devrait-il revoir de fond en comble le fonctionnement de son système de justice, a suggéré l'expert.
La délégation a été rendue attentive au fait que la justice de l'Azerbaïdjan est conçue de telle sorte que les justiciables – qui sont soumis soit à la sécurité nationale, soit à la justice – ne bénéficient pas des garanties de base et doivent de plus payer pour consulter un médecin ou recevoir de la nourriture. La justice des mineurs est aussi lacunaire. Le système est donc à revoir entièrement.
Plusieurs experts ont demandé à la délégation de donner des renseignements sur le sort de Mme Leyla Yunus, de M. Ilgar Mammadov et de M. Intigam Aliyev, ainsi que sur les suites judiciaires données aux mauvais traitements dont ces personnes ont été victimes pendant leur détention. Une experte a voulu savoir s'il fallait toujours présenter des excuses au Président de l'Azerbaïdjan pour espérer être libéré, comme il a été demandé à M. Mammadov de faire.
Le Président du Comité, M. Claudio Grossman, a demandé à la délégation de dire si l'Azerbaïdjan avait l'intention de lancer une invitation au Rapporteur spécial sur la torture. Il a aussi voulu savoir de quelles autorités dépendaient les infrastructures carcérales. M. Grossman a noté avec satisfaction que la Cour suprême de l'Azerbaïdjan avait récemment interdit aux tribunaux de tenir compte d'aveux obtenus sous la torture. Il s'est toutefois dit étonné par la diffusion d'aveux de criminels à la télévision.
D'autres questions ont porté sur les modalités de l'examen médical subi par les personnes qui sont placées en détention, sur l'existence – ou non – de directives relatives aux enquêtes pour faits de torture (sur le modèle du Protocole d'Istanbul) et sur la procédure de refoulement des personnes vers des pays où ils risqueraient d'être torturés.
Une experte a déclaré que le Comité s'informait auprès d'organes crédibles pour juger des progrès réels de l'Azerbaïdjan dans l'organisation de son système judiciaire. Ces organes s'inquiètent cependant de la vulnérabilité du pouvoir judiciaire envers l'exécutif et face à la corruption, a relevé l'experte. Elle a pointé en outre une carence de personnel médical dans les prisons de l'Azerbaïdjan. Les autorités doivent rendre le système plus crédible aux yeux de la population. Un autre membre du Comité a souligné que la question fondamentale n'est pas «d'huiler les rouages de la machine judiciaire», mais bien de créer un système capable de rendre efficacement la justice. Ainsi les autorités ne doivent-elles pas «asservir les magistrats» en les payant trop, mais veiller à ce qu'ils puissent fonctionner efficacement avec un salaire raisonnable. Le président a dit que le Comité avait connaissance de défenseurs des droits de l'homme détenus s'étant suicidés en se jetant par une fenêtre ouverte: le Comité recommande donc que toutes les fenêtres des lieux de détention soient munies de barreaux. M. Grossman a demandé confirmation du fait que Mme Yunus se serait automutilée, selon les dires de la délégation, et qu'elle serait neurasthénique.
Réponses de la délégation
Répondant aux questions et observations des experts, la délégation a déclaré que l'Azerbaïdjan, en adhérant à la Convention, a pris l'engagement de prendre des mesures actives contre la torture. À l'examen du dernier rapport périodique, les recommandations du Comité ont porté notamment sur la mise en conformité de la définition de la torture utilisée dans le droit national. Ce travail a été mené à bien par les autorités concernées et consacré récemment par l'inscription au code pénal d'une définition de la torture répondant aux critères de la Convention et prévoyant des sanctions proportionnées. Cette définition se présente sous une forme juridique qui lui donne pleinement force de loi, a assuré la délégation en réponse à une question du Président. Elle incrimine également des actes humiliants ou fondés sur la discrimination. La loi de l'Azerbaïdjan fait l'objet d'expertises juridiques et est proche du corpus normatif de l'Union européenne. La grande préoccupation des autorités est de perfectionner l'application de la loi compte tenu de la situation économique et sociale du pays.
L'Azerbaïdjan a aussi adopté un arsenal de mesures pour garantir les droits et les libertés fondamentales des détenus. L'article 22 de la loi de 2012 sur ce sujet interdit la torture et les traitements inhumains; il impose la dénonciation immédiate de tels actes au procureur. Ce dernier procède à une évaluation systématique des dénonciations d'actes de torture: il y a eu 166 plaintes en 2015. Le procureur a publié une directive imposant la réalisation d'une enquête sur chaque plainte, l'information du motif de son arrestation à tout citoyen concerné, et la garantie de l'accès à un avocat et à un médecin, notamment.
En Azerbaïdjan, près de 20 000 délits sont commis chaque année, impliquant des personnes très différentes, a précisé la délégation. Plus de 80% des cas sont élucidés, 90% s'agissant des crimes les plus graves. Les victimes d'actes de torture peuvent avoir été victimes d'agressions ou de vols, ce qui explique que certaines plaintes sont requalifiées. Les détentions illégales ne sont pas toujours à mettre en rapport avec des actes de torture: c'est pourquoi les tribunaux peuvent citer à ce propos des articles de loi relatifs à l'abus de pouvoir, par exemple.
Les organes d'enquête sont indépendants et n'ont pas accès aux examens médicaux, a précisé la délégation. Il est interdit d'adresser une plainte pour torture au commissariat où des actes de torture auraient été commis. Le procureur a créé un groupe d'enquête spécialisé dans l'analyse des plaintes pour ces faits; il publie des statistiques et des recommandations au sujet du déroulement des enquêtes. Chaque plainte pour acte de torture est étudiée de manière approfondie, a assuré la délégation, et suivie d'une décision judiciaire légitime. Le nombre des dénonciations de faits de torture baisse tous les ans, a constaté la délégation. En 2014, dix gardiens ont été sanctionnés au plan administratif pour avoir maltraités des prisonniers.
L'impartialité et l'indépendance des juges sont des objectifs fondamentaux pour les autorités azerbaïdjanaises, qui sont conscientes de l'importance du bon fonctionnement de la justice. Le processus judiciaire de l'Azerbaïdjan est régi par des lois adoptées relativement récemment, a souligné la délégation. Le programme national pour les droits de l'homme contient un chapitre consacré spécifiquement à la protection des droits des personnes les plus vulnérables, notamment les femmes. La réforme du système judiciaire a commencé en 2000. Un code pénal et des codes de procédure pénale et civile mis à jour régissent désormais les relations des justiciables avec le système judiciaire. La première élection de juges a eu lieu il y a quelques années au terme d'une sélection impartiale effectuée par le Conseil supérieur de la magistrature. Le Conseil, composé de quinze membres, est le seul organe autorisé à prendre des sanctions disciplinaires contre des juges, et seuls ceux de ses membres qui sont des magistrats ont le droit de prononcer ces sanctions. Plusieurs magistrats ont déjà fait l'objet de sanctions disciplinaires. Le Conseil supérieur de la magistrature collabore étroitement avec l'Académie des sciences juridiques à l'élaboration des programmes de formation et de formation continue des magistrats, sous le regard des organisations de la société civile nationales et étrangères. À l'heure actuelle, 90% des magistrats de la ville de Bakou appartiennent à la nouvelle génération, 60% à l'échelle du pays, a-t-il été précisé.
Quatre nouvelles cours d'appel ont été ouvertes et d'autres tribunaux ont été ouverts pour juger les crimes les plus graves. Plus de dix régions ont ouvert des «cliniques juridiques» capables d'aider les personnes en conflit avec la loi. Toutes les réformes sont engagées dans le cadre de collaborations avec les instances européennes. D'autre part, la coopération de l'Azerbaïdjan avec la Banque mondiale lui a permis de se doter de deux nouveaux bâtiments de justice et d'informatiser une partie des démarches juridiques. Les citoyens sont ainsi en mesure de déposer plainte et de suivre les progrès de leur cause par voie électronique. Cette manière de faire est conçue pour améliorer tant l'accès à la justice que la transparence de ses processus, a fait valoir la délégation.
Un tribunal est chargé d'un programme pilote pour le traitement différencié des cas impliquant des mineurs, avec en ligne de mire l'adoption d'un code de procédure de justice pour mineurs. Mais il faut relever que le code de procédure pénale, dans son état actuel, contient déjà un certain nombre de dispositions relatives au traitement des mineurs dans les procédures.
Des membres du Comité s'étant interrogés sur l'absence de statistiques relatives à l'application de l'article du code pénal réprimant les actes de torture, la délégation a précisé que les tribunaux exigent, de manière légitime, que les accusations contre des fonctionnaires doivent toujours être étayées de preuves irréfutables, pour éviter d'autres injustices. Les plaintes de citoyens déposées par le biais d'avocats ou du médiateur sont examinées avec soin et des poursuites sont engagées pour autant que les preuves nécessaires soient recueillies. Des examens médicaux peuvent être exigés, entre autres moyens de preuve. La légalité des décisions rendues de cette manière est évaluée deux fois par an par les services du procureur. On constate au terme de ces vérifications que la procédure est efficace, a noté la délégation. Dans la grande majorité des cas, les constatations ne correspondaient pas aux déclarations des plaignants relatives à des lésions corporelles.
S'agissant du traitement de Mme Leyla Yunus, la délégation a fait savoir que cette personne avait été convoquée le 23 septembre 2014 par le directeur adjoint de sa maison d'arrêt où elle a été informée du fait que ses communications téléphoniques seraient limitées pour des raisons disciplinaires; Mme Yunus a fait état de violences sur sa personne commises à cette occasion et ultérieurement. Les personnes interrogées pendant l'enquête subséquente, y compris les compagnes de cellule de Mme Yunus et des membres du personnel, n'ont pas confirmé l'agression dont elle aurait été victime. L'examen de l'enregistrement vidéo réalisé ce même jour dans la prison dément lui aussi les affirmations de la plaignante. Une expertise médicale supplémentaire n'a pas non plus permis d'établir de lésions corporelles. Un praticien a posé au contraire un diagnostic de neurasthénie, a affirmé la délégation; d'autres examens ont montré que cette personne souffrait d'hépatite. Revenant sur la libération du mari de Mme Yunus, la délégation a précisé que cette décision n'avait pas été prise par le gouvernement mais par un tribunal. L'assignation à résidence prononcée dans ce cas montre que le pays sait faire preuve d'humanité, a fait valoir la délégation.
Quant à M. Zeynalov, il a été accusé d'espionnage au profit d'un autre pays. Détenu dans la ville de Nakhitchevan, M. Zeynalov est décédé durant son transfert vers le tribunal. L'examen médical a conclu à une thrombose d'origine cancéreuse et n'a pas décelé de violences corporelles. M. Mammedov a été inculpé pour sa part pour sédition en vertu des articles correspondants du code pénal; les services du procureur examinent en ce moment même la plainte pour acte de torture que M. Mammedov a déposée.
Les droits de la défense sont consacrés et garantis par le code de procédure pénale de l'Azerbaïdjan, a assuré la délégation. Les justiciables peuvent demander les services d'avocats et contacter leurs proches. Le règlement est appliqué de manière très rigoureuse. Le procureur peut décider de sanctions à appliquer aux enquêteurs qui auraient manqué aux règles de procédure. La nouvelle loi sur la garde à vue répond pleinement à la nécessité de respecter le principe de présomption d'innocence. L'état de santé de chaque détenu est établi à son entrée dans la maison d'arrêt ou dans la prison. Chaque lésion physique constatée sur une personne détenue donne lieu à un signalement auprès des autorités carcérales.
Les fonctionnaires peuvent être poursuivis qui, de par leurs manquements aux règlements, ont facilité le suicide de certaines personnes dans les commissariats et le système pénitentiaire. Leur responsabilité est engagée en particulier s'ils ont commis des actes qui ont pu pousser certaines personnes au suicide, comme par exemple des humiliations. Le code de procédure pénale prévoit cependant quelles circonstances excluent la responsabilité des fonctionnaires en l'absence de preuves.
La délégation a fait état en outre d'une amélioration notable des conditions de détention dans le système pénitentiaire azerbaïdjanais, qui est à mettre au compte d'un train de mesures adoptées avec l'aide des partenaires internationaux de l'Azerbaïdjan. Les anciens établissements hérités de l'ère soviétique ont été rénovés; la qualité et la quantité de l'alimentation servie aux détenus ont été améliorées, de même que l'accès aux services médicaux. Les autorités ont beaucoup fait pour réduire l'incidence de la tuberculose parmi les personnes détenues, qui arrivent en prison généralement déjà porteuses de cette maladie. Les autorités se sont efforcées en outre d'améliorer les relations entre gardiens et détenus. L'État accorde une part nettement plus grande de son budget à la gestion des prisons, qui se fait sous le regard attentif de la société civile.
L'Azerbaïdjan ne connaît pas de problème de capacité carcérale, mais doit encore augmenter la surface dont dispose chaque personne détenue. Plus de 2000 détenus suivent une formation scolaire secondaire en prison. La censure de la correspondance des détenus est interdite par la loi depuis plusieurs années. Les autorités carcérales s'efforcent aussi de démanteler les structures hiérarchiques qui s'établissent au sein de la population incarcérées. Plusieurs centaines de personnes ont été transférées pour ce faire dans des établissements de haute sécurité. La détention au secret n'est cependant utilisée que dans des cas très exceptionnels, pour des questions de sécurité: cinq détenus sont en secret en 2015, en majorité à leur propre demande.
Toute personne condamnée peut solliciter une grâce présidentielle: il n'est cependant pas question de présenter des excuses au président de la République, a affirmé la délégation.
Une partie du territoire national est occupée par l'Arménie depuis 23 ans, ce qui oblige l'Azerbaïdjan à entretenir une armée assez forte, a indiqué la délégation. Chaque famille comptant au moins un des siens sous les drapeaux, toute la population se sent donc très concernée par ce qu'il se passe au sein des forces armées et est sensibilisée aux injustices qui peuvent s'y commettre. C'est pourquoi tous les incidents donnent lieu à des enquêtes approfondies et à des sanctions proportionnelles à la gravité des délits, a assuré la délégation. Les cas de violence au sein de l'armée existent bel et bien, comme dans toutes les armées du monde, a confirmé la délégation: elle se manifeste notamment sous la forme de bizutages ou plutôt de «hooliganisme de caserne». Le parquet militaire a ainsi dénoncé plus de 150 cas pendant le premier semestre 2015, dont sept affaires ont été portées au pénal.
D'un autre côté, 130 cas de violences, voire de tortures commises par des officiers sur leurs subalternes ont été renvoyés devant les tribunaux en 2013; plusieurs officiers et sous-officiers purgent actuellement des peines de prison pour de tels faits. Heureusement, la statistique montre que ces problèmes sont à la baisse au sein des forces armées, a noté l'expert militaire de la délégation.
En février 2015, l'Azerbaïdjan a présenté son rapport périodique au Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes. Les experts ont noté des progrès dans le respect des droits des femmes. En 2010, l'Azerbaïdjan a adopté une loi sur la prévention de la violence au sein de la famille. Les plaintes pour violence physique commises sur des femmes chez elles sont tombées de 2043 en 2011 à 809 en 2014. Les autorités misent beaucoup sur la collaboration avec les organisations non gouvernementales pour lutter contre cette forme de violence et pour en prendre en charge les victimes. La prévention passe par l'interdiction du mariage précoce, dont le nombre est passé de 5138 en 2011 à 479 en 2014.
La délégation a précisé que plus de trois mille organisations non gouvernementales fonctionnent en Azerbaïdjan, dont le financement est en général assuré par des dons. Les ONG qui ne respectent pas l'obligation de déclaration des revenus s'exposent à des sanctions au titre de la loi fiscale. Toute organisation qui demande son enregistrement peut considérer sa demande comme acceptée sans réponse contraire des autorités sous quarante jours.
Sur 72 centres de détention provisoire, 18 sont dotés de caméras vidéo, a-t-il été précisé. Les images sont stockées dans un centre informatique à Bakou et sont exploitées dans les enquêtes sur les allégations de vexations et d'autres formes de brutalité policière. Ces cinq dernières années, le département de la sécurité intérieure a reçu plusieurs centaines de signalements d'infractions par des agents de police: plusieurs dizaines employés des services de police ont été suspendus, d'autres dégradés. Cela montre que l'État souhaite mettre de l'ordre dans le fonctionnement de la police, a affirmé la délégation.
Le plan d'action national contre la traite des êtres humains comprend un volet consacré à l'aide aux victimes. Plus de 253 victimes directes ont été prises en charge par un centre d'accueil ouvert à cet effet; plusieurs d'entre elles ont trouvé un emploi. Ces mesures sont prises en collaboration avec la société civile et des partenaires internationaux.
La loi interdit aux tribunaux de l'Azerbaïdjan de refouler des personnes vers des pays où elles risqueraient d'être torturées ou maltraitées. Enfin l'Azerbaïdjan ne figure pas sur la liste des pays associés aux pratiques de la CIA en matière de transfèrements extrajudiciaires, a tenu à préciser la délégation.
Conclusion
M. KHALAFOV s'est félicité de la coopération fructueuse de son pays avec le Comité. L'Azerbaïdjan sait qu'il doit continuer sa réforme du système judiciaire pour mieux protéger les droits de l'homme et les libertés fondamentales. Il poursuivra ce travail avec la collaboration de la communauté internationale et en tenant compte des recommandations que formulera le Comité. Le Gouvernement a envoyé une invitation ouverte à tous les titulaires des procédures spéciales des Nations Unies. Le Rapporteur spécial sur la torture sera donc le bienvenu.
Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas un document officiel
CAT15/028F