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LE COMITÉ DES DROITS DE L'HOMME EXAMINE LE RAPPORT DE L'IRAQ

Compte rendu de séance

Le Comité des droits de l'homme a examiné, hier après-midi et ce matin, le rapport de l'Iraq sur les mesures qu'il a prises pour mettre en œuvre les dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

M. Mohammad Sabir Ismail, Représentant permanent de l'Iraq auprès des Nations Unies à Genève, a observé que la situation politique et sociale de l'Iraq depuis la présentation du dernier rapport, en 1997, avait eu des incidences profondes sur la protection des droits de l'homme dans le pays. La dictature et deux blocus économiques successifs, en particulier, ont entraîné des répercussions très néfastes sur les conditions de vie des Iraquiens. Cependant, depuis 2003, la situation des droits de l'homme s'est beaucoup améliorée grâce à l'adoption d'une nouvelle Constitution et de ses lois d'application, marquées par une conformité étroite aux dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. En dépit de la menace terroriste, le Gouvernement et le Parlement n'ont pas cessé de légiférer en matière de droits de l'homme, qu'il s'agisse de la lutte contre la traite des êtres humains, des droits des femmes et des personnes handicapées, des conditions de travail ou encore du sort des personnes victimes de déplacements forcés. La capacité du Gouvernement iraquien à faire respecter les droits de l'homme est cependant compromise par les actes terroristes extrêmement violents auxquels l'Iraq est confronté, et dont certains sont assimilables à des crimes contre l'humanité. Les crimes commis par Daech n'ont pas de précédent dans l'histoire du monde; ils ont entraîné le déplacement forcé de plus de trois millions d'Iraquiens. La communauté internationale a adopté heureusement une attitude unie contre ces groupes, s'est félicité le chef de la délégation iraquienne.

La délégation iraquienne était composée de cinq représentants des Ministères des affaires étrangères et des affaires sociales. Elle a répondu aux questions et observations des membres du Comité s'agissant notamment de la capacité de l'État iraquien de faire respecter les principes du Pacte dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, sous l'angle en particulier du principe d'interdiction la torture. D'autres questions ont porté sur les poursuites engagées contre des auteurs de violations des droits de l'homme commises avant et après 2003, date de la fin de la dictature; la sensibilisation du personnel judiciaire et sécuritaire aux obligations qui sont les leurs en vertu du Pacte; les raisons du recours de plus en plus fréquent à la peine de mort en Iraq depuis 2005; ou encore la séparation entre la religion et l'État.

En conclusion des échanges entre le Comité et la délégation, M. Fabián Omar Salvioli, président du Comité, a dit la solidarité du Comité des droits de l'homme avec toute la population iraquienne confrontée à des défis formidables, que l'Iraq devra surmonter en respectant les dispositions du Pacte. Il a relevé que les membres du Comité avaient posé des questions très importantes s'agissant en particulier de la lutte contre la discrimination contre les femmes, qui perdure aussi bien dans la loi que dans certains préjugés et stéréotypes. La décision prise par les autorités de fermer le ministère des droits de l'homme a été jugée symboliquement regrettable.

Le Comité adoptera des observations finales sur le rapport de l'Iraq dans le cadre de séances privées qui se tiendront avant la clôture de la session, le 6 novembre.


Le Comité entame cet après-midi, à 15 heures, l'examen du deuxième rapport périodique du Bénin (CCPR/C/BEN/2), qui se poursuivra demain matin.

Présentation du rapport

Le Comité est saisi du cinquième rapport périodique de l'Iraq (CCPR/C/IRQ/5), ainsi que de ses réponses (CCPR/C/IRQ/Q/5/Add.1) à la liste de questions que lui a adressée le Comité (CCPR/C/IRQ/Q/5).

M. MOHAMMED SAMIR ISMAIL, Représentant permanent de l'Iraq auprès des Nations Unies à Genève, chef de la délégation, a déclaré que son pays était profondément convaincu de l'importance de l'action des mécanismes internationaux de protection des droits de l'homme en appui aux institutions nationales dans ce domaine. L'Iraq entend continuer d'œuvrer pour garantir les droits des groupes ethniques et des minorités religieuses conformément aux dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il a pour ce faire créé un comité multisectoriel constitué de représentants des Ministères des affaires étrangères, de l'intérieur, de la défense, de la justice, des droits de l'homme, du travail et des affaires sociales, du Plan et de la coopération pour le développement, et des déplacements et migrations. L'établissement du rapport a coïncidé avec une autre initiative gouvernementale, à savoir l'élaboration d'un plan national en faveur des droits de l'homme dans lequel les droits civils et politiques figurent en bonne place.

La situation politique et sociale de l'Iraq depuis la présentation du dernier rapport, en 1997, a eu des incidences profondes sur la protection des droits de l'homme. La dictature et deux blocus économiques successifs, en particulier, ont entraîné des répercussions très néfastes sur les conditions de vie des Iraquiens. L'Iraq a été en effet confronté dans la pauvreté, dans la faim et les déplacements de populations. Cependant, depuis 2003, la situation des droits de l'homme s'est beaucoup améliorée grâce à l'adoption d'une nouvelle Constitution et de ses lois d'applications, marquées par une conformité étroite aux dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. État fédéral indépendant, parlementaire et démocratique, le nouvel État iraquien est divisé en régions décentralisées, la région du Kurdistan étant reconnue comme une autorité fédérée. Les droits et libertés fondamentaux sont garantis non seulement par la Constitution mais aussi par l'indépendance de la justice et le respect du principe de séparation des pouvoirs, a assuré le représentant permanent.

En dépit de la menace terroriste, le Gouvernement et le Parlement n'ont pas cessé de légiférer en matière de droits de l'homme, qu'il s'agisse de la lutte contre la traite des êtres humains, des droits des femmes, des droits des personnes handicapées, des conditions de travail ou encore du sort des victimes de déplacements forcés. Le Conseil des représentants est saisi d'un projet de loi sur la protection des femmes, qui prévoit entre autres mesures la création de foyers d'accueil pour femmes victimes de la violence domestique. L'activité des organisations non gouvernementales est désormais protégée par la loi et encadrée par une nouvelle institution nationale des droits de l'homme conforme aux principes de Paris, a précisé M. Ismail.

Tous les droits reconnus par le Pacte ont été repris dans la Constitution et les lois iraquiennes. Tous les citoyens sont considérés comme égaux sans discrimination et ont le droit à la vie et à la sécurité ainsi qu'au respect de leur vie privée. Le représentant a aussi indiqué que la nationalité iraquienne avait été accordée à de nombreux apatrides vivant en Iraq. La Constitution garantit un certain nombre d'autres droits fondamentaux – tels que la liberté d'association, de rassemblement et de culte – qui ne souffrent d'autres dérogations que celles prévues par la loi, a indiqué M. Ismail. L'Iraq a retiré sa réserve à l'article 9 de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes («les États parties accordent aux femmes des droits égaux à ceux des hommes en ce qui concerne l'acquisition, le changement et la conservation de la nationalité») et impose désormais des quotas de femmes dans les instances politiques élues. Mais l'Iraq est conscient du fait que l'intégration sociale des femmes est encore imparfaite, pour des raisons liées principalement aux coutumes et à la situation sécuritaire qui prévaut dans le pays depuis une dizaine d'années.

La capacité du Gouvernement iraquien à faire respecter les droits de l'homme est en effet compromise par les actes terroristes extrêmement violents auxquels l'Iraq est confronté, et dont certains sont assimilables à des crimes contre l'humanité, a souligné le chef de la délégation. Les crimes commis par Daech n'ont pas de précédent dans l'histoire du monde et n'épargnent ni femmes ni enfants; ils ont entraîné le déplacement forcé de plus de trois millions d'Iraquiens. La prolifération des groupes terroristes est favorisée par la situation qui règne dans les pays voisins, M. Ismail ajoutant que l'Iraq demeure un pays d'accueil de réfugiés originaires de pays voisins. La communauté internationale a heureusement adopté une attitude unie contre ces groupes, s'est félicité le chef de la délégation iraquienne.

Examen du rapport

Questions et observations des membres du Comité

Les membres du Comité ont regretté que le Gouvernement iraquien n'ait été en mesure de dépêcher qu'un seul expert de la capitale, et ont souligné la nécessité pour eux de pouvoir mener un dialogue constructif et bien informé avec les États. Un expert a relevé que le rapport était soumis avec un retard considérable de treize ans mais s'est félicité de cette occasion de renouer le dialogue avec l'Iraq.

Des experts ont pris note avec regret des conditions très difficiles que traverse l'État partie depuis de longues années, en particulier sous l'effet des actes terroristes commis par Daech. Cependant, ont-ils observé, il importe que les autorités appliquent concrètement les principes inscrits dans la Constitution iraquienne en ce qui concerne la jouissance des droits défendus par le Pacte.

Un expert a demandé à la délégation de dire quelles sanctions étaient prises contre les membres des forces gouvernementales, et de ses milices affiliées, qui commettent des violations des droits de l'homme particulièrement graves dans le cadre de la lutte contre Daech, comme a pu le constater un rapport du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme qui fait état d'actes de torture et d'exécutions extrajudiciaires. Un autre expert a constaté que la loi iraquienne ne prévoyait pas de délit de torture correspondant pleinement aux critères internationaux à cet égard. Il a constaté que les plaintes pour faits de torture étaient rarement suivies d'enquêtes en Iraq et observé que, selon les allégations reçues par le Comité, il était très rare que les magistrats donnent suite aux allégations de torture subies par les justiciables.

Un autre expert a demandé des précisions sur le nombre total de personnes déplacées en Iraq et sur le soutien dont elles bénéficient effectivement de la part des autorités. L'expert a souligné que cette question était particulièrement importante compte tenu du fait que le nombre des personnes déplacées ne cessait de croître sous la pression des actes terroristes. Les personnes issues de minorités religieuses et ethniques sont confrontées à des difficultés extrêmement importantes à cet égard, a souligné l'expert, leur vie même étant menacée. Un expert a voulu savoir où en était l'adoption du projet de loi sur la protection des droits des minorités religieuses ou ethniques en Iraq, quelle était la proportion des agressions contre les minorités commises dans les zones contrôlées par les groupes terroristes et quelles mesures les autorités comptaient prendre, ou prennent déjà, pour y remédier.

Un autre membre du Comité s'est inquiété de lacunes juridiques en matière de protection des réfugiés en Iraq alors même que les réfugiés palestiniens et syriens, notamment, sont de plus en plus souvent confrontés à des actes de violence de la part, selon certaines informations, des forces gouvernementales. Selon d'autres informations, l'octroi du statut de réfugié est soumis à des restrictions qui semblent contraires aux obligations contractées par l'Iraq à cet égard au titre du droit international. L'expert a demandé à la délégation de préciser les conditions dans lesquelles l'état d'urgence peut être imposé en Iraq et les raisons pour lesquelles le Parlement n'a toujours pas adopté de nouvelle loi régissant l'état d'urgence qui soit conforme à la lettre et à l'esprit du Pacte.

Le Comité attend des États qu'ils concrétisent l'engagement qu'ils ont pris de faire respecter le Pacte sur leur territoire, a souligné un expert. Il a demandé les raisons pour lesquelles le tribunal pénal spécial chargé de juger les crimes commis par l'ancienne dictature entre 1968 et 2003 avait été dissous. D'autres experts ont demandé quelle suite avait été donnée aux poursuites engagées contre les auteurs de violations des droits de l'homme commises en Iraq après 2003, dont des membres des forces armées des États-Unis.

Un expert a demandé des précisions s'agissant du statut du Pacte dans l'ordre juridique interne de l'Iraq, au regard en particulier de la possibilité d'invoquer ses dispositions dans les jugements rendus par les tribunaux. Il a aussi voulu savoir si le Gouvernement iraquien prenait des mesures pour faire connaître aux juges et aux procureurs l'existence du Pacte et la portée de ses principes. La délégation a été priée de dire si l'Iraq était prêt à reconnaître la compétence du Comité pour recevoir des plaintes émanant de citoyens iraquiens.

Un membre du Comité a demandé à la délégation de préciser le mandat, les attributions et les pouvoirs de l'institution nationale de droits de l'homme. L'expert a fait état d'informations selon lesquelles cette institution éprouverait des difficultés à s'acquitter de son mandat de contrôle des conditions de détention; il semble également que des interventions politiques extérieures empêchent la désignation du président de cette institution.

La délégation a été priée de dire comment les autorités comptaient améliorer la place des femmes dans la vie politique en Iraq, alors qu'elles n'occupent actuellement qu'un part très faible des postes à responsabilités dans l'appareil judiciaire ou encore le cabinet des ministres, par exemple. Des questions ont porté également sur les mesures concrètes prises par les pouvoirs publics pour empêcher les mariages précoces ou forcés, en particulier dans les zones tenues par les groupes terroristes. Le Gouvernement doit appliquer les dispositions de sa propre Constitution et du code pénal pour empêcher le recrutement de jeunes gens par des groupes terroristes, a aussi souligné un expert.

Les membres du Comité ont également demandé des informations sur les mesures prises par le Gouvernement iraquien pour combattre la discrimination envers les femmes sous toutes ses formes. Une experte a voulu savoir si le projet de loi contre la violence familiale avait été adopté et dans quelle mesure les recommandations à ce sujet du Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes avaient été suivies d'effet. Des membres du Comité se sont inquiétés de la pénalisation et de la persécution des homosexuels en Iraq, dont nombre d'observateurs estiment qu'ils sont victimes de stéréotypes tenaces et de violences y compris de la part des forces de l'ordre et des milices qui leur sont affiliées. Une experte s'est inquiétée du manque d'informations sur la protection des lesbiennes, gays, bisexuels et transsexuels contre toute forme de violence en Iraq.

L'Iraq a été félicité pour les mesures qu'il a prises pour éradiquer la traite des êtres humains et le travail forcé sur son territoire. Cependant, a relevé une experte, ces problèmes, qui n'ont pas disparu dans les zones tenues par Daech, persistent aussi dans les régions administrées par les autorités légitimes.

Une experte du Comité a pris note des assassinats de juges, de fonctionnaires et d'avocats commis non seulement par Daech mais aussi par des représentants des autorités légitimes. L'experte a voulu savoir quelles mesures de protection les autorités avaient prises pour remédier à ces formes d'intimidation. Le Rapporteur spécial sur l'indépendance des juges et des avocats n'a toujours pas reçu de réponse à sa demande de visite en Iraq, a relevé l'experte.

Un expert a félicité l'Iraq d'avoir récemment ratifié plusieurs instruments internationaux de droits de l'homme et de remettre régulièrement ses rapports aux organes de surveillance. L'expert a relevé que la loi de 2005 sur la lutte contre le terrorisme faisait toujours l'objet de critiques car elle incrimine les faits de manière vague et qu'elle prévoit encore la peine de mort. La question se pose donc de la teneur du projet de révision de la loi contre le terrorisme qui est toujours à l'examen.

S'agissant de la peine de mort, l'expert s'est interrogé sur l'appréciation faite par l'Iraq du critère de gravité des crimes pouvant justifier l'application de la peine capitale, selon l'article 6 du Pacte. La délégation a été priée de dire pour quels crimes punissables de la peine de mort aucune demande de grâce n'est admise; et pour quelle raison le moratoire de fait qui était imposé au Kurdistan à l'application de la peine de mort avait été levé cet été avec l'exécution de trois personnes. L'expert a souligné que le caractère dissuasif de la peine de mort était contredit par l'augmentation des actes violents en Iraq depuis 2005, date de réintroduction de cette sanction.

L'expert s'est étonné du fait que le nombre de personnes détenues pour des faits de terrorisme soit beaucoup plus élevé que le nombre de criminels de droit commun. Le rapport de l'Iraq indique qu'aucune femme n'a été mise en détention ou ni n'a été victime de violence du fait de ses liens avec une personne convaincue de terrorisme, alors que le Comité dispose d'informations selon lesquelles au moins cent femmes liées à des terroristes sont aujourd'hui détenues.

Un expert a prié la délégation d'indiquer si l'Iraq allait faire de la disparition forcée un crime à part entière et s'il entendait prendre des mesures pour venir en aide aux familles des victimes.

Un expert a voulu savoir à quelles conséquences s'exposerait un Iraquien musulman qui choisirait de se convertir à une autre religion que l'islam. Compte tenu de la dimension religieuse du conflit qui secoue actuellement l'Iraq, il a recommandé à l'Iraq de se doter de lois qui permettraient de dissocier nettement la religion du pouvoir temporel. L'expert a demandé, d'autre part, des précisions sur l'application concrète du cadre juridique garant de la liberté d'expression en Iraq, s'agissant par exemple de la formation des fonctionnaires chargés de sa mise en œuvre.

Des membres du Comité ont souligné des carences dans les conditions de détention dans les prisons iraquiennes, et se sont préoccupés notamment du sort des mineurs détenus.

Le Président du Comité a voulu avoir si l'Iraq envisageait adopter un plan d'action pour appliquer les recommandations du Comité, comme il l'a déjà fait pour donner suite aux recommandations du Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes.

S'agissant du fonctionnement de la justice, une experte a fait état d'informations à la disposition du Comité selon lesquelles le pouvoir judiciaire iraquien n'est pas indépendant. Un membre du Comité a jugé regrettable, au plan symbolique, la fermeture du ministère des droits de l'homme. S'agissant de la peine de mort, a-t-il ajouté

L'experte s'est dite aussi très préoccupée par la pendaison, cet été à Bagdad, de 25 personnes sommairement jugées pour des faits de terrorisme. Cette pratique pose la question de la jouissance effective, en Iraq, des garanties de procédure judiciaire équitable. Un expert a déclaré qu'au-delà des arguments utilitaristes, la question se pose toujours de la validité de sanctions prononcées après des procédures qui ne respectent pas nécessairement les droits fondamentaux des justiciables. L'expert a souligné que le Pacte interdit de rendre la peine de mort obligatoire pour certains crimes. Il a enfin demandé des explications complémentaires s'agissant des allégations de centres de détention secrets en Iraq.

Un autre expert a constaté que la lecture de la Constitution montre que l'islam est la religion d'État de l'Iraq. Le système de quotas de religions, la charia, le fait que les Bahaïs ne sont pas autorisés à mentionner leur foi sur leurs papiers d'identité: tous ces éléments amènent à se poser la question de la réalité de la séparation de la religion et de l'État et de l'application de l'article 18 du Pacte, garant de la liberté de conscience.

La délégation a été priée de donner des informations complémentaires sur le soutien accordé aux femmes victimes des violences de Daech et aux personnes qui les prennent en charge quand elles ont été libérées.

Réponses de la délégation

Répondu aux questions et observations du Comité portant sur la lutte contre le terrorisme, la délégation iraquienne a souligné que le pays était sur la ligne de front de la lutte contre le terrorisme. Des milliers de personnes ont perdu la vie ou ont été déplacées de force du fait des actes de Daech, un groupe terroriste composé d'extrémistes étrangers mais aussi de fascistes membres du parti Baas au pouvoir pendant l'ancienne dictature, et dont les actes n'ont aucun rapport avec la religion ni avec la morale. La bataille que livre l'Iraq n'est pas celle d'un groupe religieux contre un autre, mais concerne toute la communauté internationale, a insisté la délégation. L'Iraq estime que les crimes commis par Daech contre l'Iraq sont des crimes internationaux et demande donc à la communauté internationale de l'aider à protéger sa population. Les accusations de violations des droits de l'homme portées contre les forces armées nationales dans leur lutte contre le terrorisme sont des manœuvres de propagande, a ajouté la délégation.

Depuis la chute de la dictature en 2003, des dizaines de milliers d'Iraquiens ont perdu la vie dans les attaques terroristes commises successivement par Al-Qaida, Daech et d'autres groupes armés. L'État prend d'abord des mesures pour décourager les personnes de se livrer à des actes terroristes sur son sol. La loi sur la lutte contre le terrorisme érige en infraction terroriste tout acte visant à semer la terreur et entraînant le déplacement forcé de personnes. L'application de cette loi a eu des effets positifs et négatifs, a admis la délégation, indiquant qu'un projet de révision de cette loi était à l'examen. Les autorités mènent des enquêtes sur toutes les allégations de violations des droits de l'homme qui auraient été commises sous couvert de cette loi. Les attaques terroristes menacent l'état de droit et le bien-être de la population, plus de 70 000 personnes étant décédées et 200 000 blessées depuis 2003.

La délégation a insisté sur l'importance de prendre des sanctions sérieuses contre les auteurs de crimes systématiques contre les civils. Quand il sera revenu à la stabilité, l'Iraq pourra envisager d'abolir la peine de mort.

La loi est très sévère sur la question des aveux obtenus sous la torture: toute allégation donne lieu à un examen médical et, le cas échéant, les aveux seront déclarés inadmissibles devant le tribunal. Quant aux responsables hiérarchiques, ils seront punis au même titre que les tortionnaires s'il est établi qu'ils ont donné les ordres.

Une réponse ferme s'impose pour rétablir l'ordre et protéger les droits des citoyens en cas de menace grave et la loi sur la sécurité nationale adoptée en 2004 autorise le Gouvernement à décréter l'état d'urgence sous trois conditions: existence d'un état de nécessité (guerre), validation par le Parlement et validation par l'exécutif; l'état d'urgence est valable pour trente jours, la Chambre des représentants devant en examiner l'application toutes les deux semaines. La délégation a précisé que l'État ne souhaite pas décréter un état d'urgence qui l'obligerait à déléguer trop de pouvoirs aux forces armées.

La loi sur l'indemnisation des victimes du terrorisme et de la guerre détaille le type de dédommagements à accorder. L'application de la loi et l'évaluation des compensations sont confiées à des comités régionaux.

L'Iraq a été confronté depuis le début des années 1980 à d'énormes difficultés liées aux conflits auxquels le pays a été mêlé et aux embargos que sa population a subis. La chute de la dictature en 2003 a été suivie d'une période pendant laquelle l'Iraq a été administré par un pouvoir temporaire puis, après un référendum, par de nouvelles autorités élues. Ces changements successifs ont été marqués par des erreurs mais aussi par des succès en matière de droits de l'homme, comme en témoigne la ratification de plusieurs instruments de droits de l'homme. S'il est le successeur des gouvernements précédents, a admis la délégation, le Gouvernement actuel ne peut cependant assumer l'intégralité du passif précédant 2003.

Les instruments internationaux ratifiés par l'Iraq sont valables immédiatement dans l'ordre juridique interne à partir du moment où l'adhésion est publiée au journal officiel, après validation par le Parlement et par l'exécutif. Pour éviter des recours pour vice de forme, les juges préfèrent vérifier au préalable qu'aucune disposition du droit national n'est contraire au droit international. Le Ministère des droits de l'homme et la Commission des droits de l'homme sensibilisent les juges, magistrats et avocats au contenu des instruments internationaux ratifiés par l'Iraq. Des cours leur sont dispensés en Iraq ou dans des établissements d'enseignement à l'étranger. La formation continue des magistrats est obligatoire.

La Commission iraquienne des droits de l'homme a aussi pour mission de donner suite aux plaintes déposées par les citoyens qui estiment que leurs droits fondamentaux ont été bafoués. Elle assume un rôle important dans la formation des fonctionnaires aux droits de l'homme. La Commission est indépendante et les autorités politiques ne peuvent s'immiscer dans son fonctionnement. Il est exact que la Commission éprouve des difficultés à remplir toutes ses missions, notamment s'agissant du contrôle des conditions de détention des mineurs en conflit avec la loi.

L'Iraq étudie en ce moment l'opportunité d'adhérer au Protocole facultatif se rapportant au Pacte, qui donne la possibilité aux citoyens de porter plainte devant le Comité.

Le code pénal iraquien de 1969 est l'un des plus évolués de la région, tantôt proche et tantôt éloigné du droit religieux. Le gouvernement actuel s'est donné pour tâche d'en éliminer les dispositions qui ne correspondent pas aux normes du droit international.

Les arrestations arbitraires sont interdites en Iraq. Chaque arrestation doit être justifiée par un mandat comportant le nom de la personne incriminée et le motif de l'arrestation. L'Iraq rejette catégoriquement les allégations faisant état de l'existence de centres de détention secrets sur son sol.

La place des femmes en Iraq est plutôt favorable en comparaison des autres pays de la région, en particulier les pays du Golfe persique, a souligné la délégation. Les statistiques du Ministère de la planification montrent que les femmes constituent au moins 40 % des fonctionnaires et se retrouvent aussi à des postes à responsabilités. Plusieurs femmes ont été ministres. Les compétences acquises par les femmes iraquiennes leur permettent d'occuper aussi de nombreux postes dans l'encadrement moyen. La loi dispose que les femmes iraquiennes mariées à des étrangers peuvent transmettre leur nationalité à leurs enfants, pour autant qu'elles résident en Iraq.

La commission d'enquête des Nations Unies en Iraq a confirmé que des centaines de filles mineures ont été enlevées dans les zones soumises à Daech pour y être mariées de force à des terroristes. L'État prend toutes les mesures possibles pour retrouver les victimes en vie et aider les familles. Il est aidé par l'action de plusieurs institutions réparties sur tout le pays, surtout au Kurdistan, qui œuvrent pour la réinsertion sociale et le rétablissement psychologique des victimes.

S'agissant d'allégations de violations des droits de l'homme commises par des milices soutenues par le Gouvernement iraquien, la délégation a assuré que toute violation des droits de l'homme est incriminée et sanctionnée par le code pénal ou par le code militaire. Si la violation est avérée, le coupable est sanctionné. Les membres des comités populaires soupçonnés de ces exactions sont jugés par des tribunaux militaires. Il s'agit le plus souvent de faits isolés motivés en général par des motifs de vengeance, a estimé la délégation. La sévérité des tribunaux et les instructions données aux milices par le Gouvernement ont permis de supprimer quasiment tous les écarts de conduite. La délégation a ajouté que nombre de ces allégations ne sont pas étayées ni confirmées.

La crise économique que traverse l'Iraq a imposé l'adoption d'un train de mesures de rationalisation du gouvernement, y compris la fusion du Ministère des droits de l'homme avec un département au sein du Ministère des affaires étrangères. Le Premier Ministre a créé un conseil chargé de répartir dans d'autres administrations les dossiers confiés à l'ancien ministère. Le tribunal chargé de poursuivre les auteurs de crimes commis avant 2003 s'inscrivait dans les mesures de justice de transition adoptées après cette date. Les membres de l'ancien régime responsables de crimes ayant été jugés, le tribunal a été dissous. Les citoyens qui veulent encore dénoncer de faits commis entre 1969 et 2003 peuvent se tourner vers les tribunaux ordinaires. Un nombre immense de crimes ont fait l'objet d'enquêtes, a rappelé la délégation.

Le Premier Ministre a décrété un cessez-le-feu pour que cessent les bombardements de villes et villages tenus par Daech, ce qui témoigne de l'engagement des autorités pour respecter les droits de l'homme.

La lutte contre la violence domestique est supervisée au niveau national par le Gouvernement qui déploie au niveau local des unités chargées de recueillir les plaintes, d'instruire les enquêtes et de déposer plainte, si nécessaire. Les tribunaux peuvent prononcer des mesures de protection et d'éloignement. L'État gère des foyers ouverts aux femmes victimes de la violence, lesquelles bénéficient également d'une prise en charge sociale. Le projet de révision de la loi sur la lutte contre la violence domestique a été mis en consultation. Les organisations de la société civile demandent que les mesures de protection contre la violence soient renforcées et que les sanctions pénales soient aggravées. Les autorités ont d'autre part été saisies de demandes de renforcement d'urgence des mesures de protection aux femmes victimes de la violence domestique.

Le Ministère du travail a créé un comité chargé de prendre contact avec des femmes yézidies victimes de violence sexuelle et de leur accorder les indemnisations prévues par la loi. Les autorités ont pris un ensemble de mesures pour intégrer plus facilement les personnes membres de la communauté yézidie expulsées de leurs foyers. Les ministères concernés sont en contact permanent avec les communautés victimes de violations de leurs droits fondamentaux.

La loi contre la traite des êtres humains a été promulguée en 2012. Elle prévoit la création d'unités régionales et d'une direction générale chargées de coordonner l'action de l'État dans ce domaine. L'Organisation internationale des migrations a organisé des formations destinées aux fonctionnaires - gardes-frontières et employés de centres d'accueil - chargés de la prise en charge des victimes de la traite des êtres humains.

La conversion d'un musulman à une autre religion peut en effet entraîner la perte de certains droits liés à l'héritage, a confirmé la délégation. Rien dans la loi n'établit de lien entre la religion et la politique, a ajouté la délégation.

Le Gouvernement a créé en mai 2015 un comité interministériel chargé d'appliquer les recommandations acceptées par l'Iraq en 2014 lors de l'Examen périodique universel du Conseil des droits de l'homme, s'agissant notamment des mariages de mineurs et de l'intégration des femmes dans la vie économique.

Répondant à d'autres questions du Comité, la délégation a précisé que les représentants des minorités avaient largement participé au projet de loi sur le traitement des minorités ethniques et religieuses. La loi garantit à ces minorités, outre la jouissance des droits économiques, sociaux et culturels, le droit de pratiquer leur religion à égalité avec tous les autres citoyens iraquiens, dont la Constitution dispose qu'ils sont tous égaux en droit.

Les minorités religieuses sont représentées en tant que telles dans les parlements locaux; et cela ne préjuge pas de l'appartenance de membres de ces minorités dans les hautes sphères de l'État en tant que ministres, ambassadeurs ou autres.

La Constitution de 2005 garantit la liberté d'expression, pour autant qu'elle ne menace pas l'ordre public. Les activités de la presse et des médias sont libres dans cette mesure, conformément au Pacte. La liberté d'expression est l'un des piliers de la société démocratique iraquienne depuis 2003. Elle a rendu possible la création de chaînes de radio et de télévision, ainsi que de journaux et périodiques, après une longue période d'isolement. Le nombre de personnes ayant accès à internet a beaucoup augmenté.

Le Ministère de la planification avait organisé un recensement de la population en 2004. Mais l'instabilité politique n'a pas permis de mener cette initiative à son terme. Un recensement partiel a été réalisé en 2009 qui a facilité l'adoption de certaines réformes sociales.

La délégation a réitéré l'invitation de l'Iraq lancée à la Rapporteuse spéciale sur l'indépendance des juges et des avocats.


Conclusion

M. FABIÁN OMAR SALVIOLI, Président du Comité des droits de l'homme, a dit la solidarité du Comité avec toute la population iraquienne confrontée à des défis formidables, que l'Iraq devra surmonter en respectant les dispositions du Pacte. Il a relevé que les membres du Comité avaient posé des questions très importantes s'agissant en particulier de la lutte contre la discrimination à l'égard des femmes, qui perdure aussi bien dans la loi que dans certains préjugés et stéréotypes. M. Salvioli a souligné que les libertés de religion et d'opinion étaient fondamentales pour la jouissance des droits de l'homme.


Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas un document officiel

CT15/036F