Fil d'Ariane
LE CONSEIL DES DROITS DE L'HOMME EXAMINE LA SITUATION DES DROITS DE L'HOMME EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE
Le Conseil des droits de l'homme a examiné, ce matin, un rapport sur la situation des droits de l'homme en République centrafricaine, présenté, au titre de l'assistance technique et du renforcement des capacités des États, par l'Experte indépendante chargée de ce dossier, Mme Marie-Thérèse Keita Bocoum. Il a examiné en début de séance le rapport sur la situation des droits de l'homme au Soudan présenté hier par l'Expert indépendant chargé de la situation dans ce pays, M. Aristide Nononsi.
Mme Keita Bocoum a déclaré que la reprise récente des violences en République centrafricaine faisait craindre une aggravation rapide de la situation, alors que les prochains mois seront décisifs avec un référendum sur une nouvelle constitution et des élections législatives et présidentielles en octobre. Elle a ajouté que «les Centrafricains se demandent encore comment des élections libres pourraient se tenir dans un environnement où les groupes armés continuent d'opérer plus ou moins librement sur une large portion du territoire. Les communautés musulmanes et chrétiennes réclament la paix et se disent fatiguées des menaces et exactions des groupes armés». Mme Keita Bocoum a dit craindre que si les violences récentes qui ont ensanglanté la capitale n'étaient pas rapidement contenues, «les attaques ciblées sur une base ethnique et religieuse risquaient inévitablement d'augmenter et conduire à une véritable guerre civile». Elle a exhorté la communauté internationale à se mobiliser rapidement car les violences actuelles qui tendent à se généraliser pourraient avoir un effet dévastateur sur le pays et l'ensemble de la sous-région».
Plusieurs délégations* sont intervenues dans le cadre du débat sur la situation en République centrafricaine. La plupart se sont alarmées de la détérioration de la situation, tout en se félicitant des progrès enregistrés, notamment dans l'avancement du processus électoral. Toutes ont appelé à la réconciliation des communautés chrétienne et musulmane, fondamentale pour la normalisation de la situation. Plusieurs intervenants ont demandé à la communauté internationale de fournir une assistance renforcée pour aider la République centrafricaine à réussir sa transition vers la paix et à combattre l'impunité, et à s'engager à financer la Cour pénale spéciale et restaurer le système national de justice pénale. Quelques délégations ont dénoncé le caractère improductif des mandats d'experts consacrés à des situations de pays en particulier.
S'agissant du débat** sur la situation des droits de l'homme au Soudan, de nombreuses délégations ont appelé les autorités à prendre des mesures décisives contre l'impunité et à respecter les droits fondamentaux, y compris la liberté d'expression, d'association et de réunion. D'autres ont estimé que le pays faisait des efforts importants et ont regretté l'imposition de sanctions, en soulignant le caractère néfaste des mesures de coercition unilatérales, dont le principe a été condamné par des résolutions du Conseil des droits de l'homme. Le Soudan a pour sa part regretté que certains pays adoptent une approche de «deux poids deux mesures» en ce qui le concerne.
En conclusion, l'Expert indépendant a souligné que le Soudan s'était doté d'une législation sur la liberté d'association et qu'il s'agissait maintenant d'observer sa mise en œuvre. Il a plaidé pour un renforcement de l'efficacité des organisations de la société civile ainsi que celle des organismes créés par le Gouvernement, comme la Commission nationale de droits de l'homme. La communauté internationale doit continuer d'appuyer les efforts du Soudan, notamment dans sa lutte contre les violences sexuelles. M. Nononsi préconise que cette aide ne se fasse pas uniquement par le biais de ressources financières mais aussi par un partage de bonnes pratiques.
Lors de la séance de la mi-journée, le Conseil se penchera sur la situation des droits de l'homme en Somalie, en présence de l'Expert indépendant sur la question, qui présentera son rapport.
Assistance technique et renforcement des capacités au Soudan
Le Conseil a été saisi hier du rapport de l'Expert indépendant sur la situation des droits de l'homme au Soudan (A/HRC/30/60 à paraître en français), M. Aristide Nononsi.
Débat interactif
L'Algérie, au nom du Groupe africain, a rappelé que les efforts internationaux pour la promotion et protection des droits de l'homme devraient être fondés sur les principes du dialogue constructif, de la coopération, de l'objectivité, de la transparence et de la non-sélectivité; ces efforts devraient compléter et appuyer le rôle de premier plan du pays concerné et en conformité avec les priorités nationales. Le Groupe africain remarque par ailleurs que le rapport de l'Expert indépendant met l'accent sur les droits civils et politiques et omet de traiter de manière adéquate les défis auxquels fait face le pays dans le domaine des droits économiques, sociaux et culturels. L'Érythrée a tenu à souligné qu'elle ne soutenait pas les mandats concernant un pays spécifique imposé sans le consentement de celui-ci. La communauté internationale doit fournir des fonds et aider le Soudan à améliorer les droits de l'homme; cette assistance technique doit assister le Gouvernement et non pas être utilisée à des fins d'enquête et de surveillance.
L'Arabie saoudite, au nom du Groupe arabe, a salué les efforts déployés par le Soudan et notamment le cessez-le-feu qui, précise-t-elle, crée une atmosphère propice à un dialogue. À cet égard, l'Arabie saoudite se félicite de la décision d'octroyer l'immunité à toutes les parties qui participeront au dialogue. Pour l'Éthiopie, le dialogue national lancé par le Gouvernement soudanais devrait permettre de faire progresser les réformes démocratiques. Pour les Émirats arabes unis, le dialogue national doit être transparent et inclure toutes les parties prenantes, y compris les observateurs régionaux. En outre, la communauté internationale doit apporter au Soudan un soutien financier; les Émirats arabes unis appuient l'appel de l'expert indépendant à cet égard. Le Qatar estime que l'attitude d'ouverture et de coopération dont fait preuve le Soudan doit encourager la communauté internationale à fournir une assistance technique et un soutien à ses efforts. L'Égypte appelle la communauté internationale à apporter aussi une assistance technique au Ministère de l'éducation et au Ministère de la sécurité sociale pour leurs efforts dans la lutte contre la pauvreté.
Le Koweït s'est réjoui des efforts déployés par le Gouvernement soudanais; il salue en particulier le fait que les femmes représentent aujourd'hui 30% du Parlement grâce à l'adoption d'une nouvelle loi. Bahreïn, qui a noté les efforts du Soudan pour améliorer la situation des droits de l'homme, s'est félicité que celui-ci ait manifesté sa volonté de coopérer avec l'Expert indépendant. Il s'est félicité en outre des actions dans la lutte contre les violences faites aux femmes. Il appelle le Conseil des droits de l'homme à poursuivre l'action en faveur du renforcement des capacités.
Le Maroc a salué les réformes mises en place ainsi que les efforts du gouvernement pour garantir à sa population un cadre de vie stable et sécurisé, efforts qui ont permis de définir un cadre légal pour juger les cas de violence contre les femmes ainsi que pour ses efforts inclusifs qui ont permis de rassembler différents partenaires. Le Maroc souhaite que le Conseil des droits de l'homme fournisse l'assistance technique nécessaire. En son nom propre, l'Algérie a salué la qualité de la coopération du Soudan avec la communauté internationale, ainsi qu'avec l'ONU, en particulier avec l'Expert indépendant. Elle se félicite des avancées enregistrées en matière de droits de l'homme et du programme national de réforme lancé en 2014. Elle a toutefois noté que ces efforts étaient entravés par le fardeau de la dette extérieure et les mesures coercitives unilatérales imposées au pays. Elle réitère son appel à la communauté internationale pour qu'elle fournisse l'assistance technique nécessaire.
Le Mali a salué les progrès réalisés en matière de réforme législative, estimant que les autorités de Khartoum avaient fait montre d'engagements réels en faveur de la promotion et la protection des droits de l'homme. Ces efforts ne sont toutefois pas suffisants et méritent d'être confortés davantage. Le Mali invite la communauté internationale à soutenir le Soudan à poursuivre sa lutte contre l'impunité. Djibouti salue l'application par le Gouvernement soudanais de la loi sur l'enfance en 2010 et prend note des difficultés que le Soudan rencontre toujours dans les zones touchées par le conflit.
La Chine a estimé que le Soudan avait accompli des progrès significatifs dans son dialogue national. Elle a émis l'espoir que les parties contribueraient au progrès politique en cours. Elle encourage l'Expert indépendant à mener son mandat de façon impartiale. Elle est opposée à la prise en compte de critères politiques dans l'assistance à fournir. Cuba a rappelé pour sa part qu'il s'était toujours opposé à des mandats et résolutions spécifiques à des pays du Sud, en raison de leur caractère sélectif et politisé. Il rappelle que l'Examen périodique universel est l'outil adapté pour analyser la situation des droits de l'homme dans tous les pays. Il estime nécessaire d'en finir avec les critères à géométrie variable. La manière dont agit
L'Union européenne demeure très préoccupée par la situation des droits de l'homme dans le pays. Elle regrette notamment les violences commises à l'encontre des manifestants, des médias et de la société civile, ainsi que les allégations de torture. Elle demande au Gouvernement d'assurer qu'une enquête indépendante fasse la lumière sur le recours à la force lors des manifestations de septembre 2013. L'Union européenne condamne également fermement les attaques contre les civils par les forces gouvernementales et les groupes armés au Sud-Kordofan, au Nil bleu et au Darfour. La culture de l'impunité qui persiste au Soudan doit cesser. La France pour sa part appelle le Gouvernement soudanais à mettre fin aux attaques aériennes indiscriminées qui prennent pour cible les populations civiles et les privent des infrastructures médicales et des équipements civils indispensables à leur survie. La France est en outre très préoccupée par les discriminations et les violences dont sont victimes les femmes et les personnes appartenant à certains groupes religieux ou ethniques.
Le Royaume-Uni a déploré «l'impunité généralisée» dans les zones de conflit. Le Gouvernement doit s'assurer que personne n'est au-dessus des lois; des enquêtes doivent être menées pour toutes les allégations d'abus et de violations. À cet égard, le Royaume-Uni regrette qu'il n'y ait pas eu d'enquête concernant les allégations de viols de masse à Tabit en octobre 2014. Les Pays-Bas s'inquiètent des sérieuses violations des droits de l'homme perpétrées par les agents du Gouvernement, les milices soutenues par le Gouvernement et les forces rebelles, en toute impunité. Les recommandations formulées par l'Expert indépendant en septembre 2014 n'ont pas été suivies d'effet, regrettent-ils. L'Allemagne enjoint le Gouvernement soudanais d'examiner avec le plus grand sérieux et de bonne foi les recommandations formulées dans le rapport. L'Espagne s'inquiète du manque de garanties et de libertés politiques, notamment pour les activistes, membres de l'opposition et membres de la société civile.
La Belgique a estimé que l'impunité était au cœur de l'échec flagrant à mettre un terme aux conflits qui déchirent le pays. Elle appelle le gouvernement de Khartoum à établir un mécanisme impartial et indépendant d'enquête de toutes les allégations afin que les victimes d'atrocités obtiennent justice et réparation. La Belgique a demandé à l'Expert indépendant quel type de mécanismes ou processus, au-delà de ceux chargés de lutter contre l'impunité, pourraient être mis en place afin de promouvoir la réconciliation et rétablir la confiance entre les différentes communautés. Quant à l'Irlande, elle est alarmée par la fermeture d'organisations de la société civile et de journaux, ainsi que par l'arrestation de journalistes. Elle rappelle qu'une presse indépendante et une société civile saine sont vitales pour toute démocratie et essentielles pour la promotion et la protection des droits de l'homme.
La Norvège a fait part de ses préoccupations face aux restrictions en matière de liberté d'expression, d'association et de réunion pacifique. Elle est favorable à une résolution qui prorogerait et renforcerait le mandat de l'Expert indépendant qui doit avoir plein accès aux parties prenantes dans toutes les régions du pays. La Suisse a déploré la répression contre les médias, les défenseurs des droits de l'homme et la société civile. Elle a demandé à l'Expert indépendant quelles mesures concrètes et immédiates pourraient être prises pour que la société civile et les défenseurs des droits de l'homme puissent poursuivre leur travail librement et à l'abri d'éventuelles représailles. La Suisse est convaincue que cet expert joue un rôle crucial.
Les États-Unis ont dénoncé les bombardements aveugles sur les civils et se disent préoccupés par l'attaque commise récemment dans le nord du Darfour. La Nouvelle-Zélande souligne aussi que le Gouvernement doit aujourd'hui saisir cette chance pour mettre en place des mesures pour assurer l'état de droit et le respect des droits de l'homme dans tout le Soudan. L'Australie a exprimé ses graves préoccupations face aux arrestations arbitraires et à l'emploi généralisé de la torture. Elle a appelé le gouvernement à entreprendre une action immédiate contre des violences sexuelle et de genre qui sont monnaie courante. Elle a demandé au Haut-Commissariat de quelle manière la communauté internationale pouvait coopérer avec le Soudan pour assurer la protection des femmes et des jeunes filles de la violence sexuelle en situation de conflit.
Le Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF) s'inquiète de ce que le Soudan, qui a perdu en dix ans une génération d'enfants au Darfour, risque d'en perdre une autre. Les violations des droits des enfants sont bien documentées, elles incluent assassinats, violences sexuelles, mutilations et recrutement d'enfants. L'organisation se félicite toutefois du recul de la mortalité infantile et de la hausse de l'enregistrement des naissances dans ce pays.
Les organisations non gouvernementales ont dénoncé, à l'instar de East and Horn of Africa, des violences commises par la police contre la société civile au Soudan avant, pendant et après les élections d'avril 2015: harcèlement de journalistes et de défenseurs des droits de l'homme ou encore fermeture de trois organisations non gouvernementales, entre autres. Civicus s'est dit préoccupé par l'arrestation et la détention arbitraire de dizaines de militants politiques, défenseurs des droits de l'homme, étudiants et membres de partis d'opposition. La Fédération internationale des ligues de droits de l'homme a dénoncé l'assassinat de civils et le pillage de villages au Darfour, au Kordofan méridional et au Nil Bleu par les forces gouvernementales et leurs alliés.
Human Rights Watch a dénoncé des violences contre les civils commises par les membres de la Force de soutien rapide soudanaise au Darfour en 2014 et 2015: viols, arrestations arbitraires, violences pendant les élections. Le Conseil est saisi d'une résolution qui malheureusement est loin de répondre à la gravité de la situation au Soudan. Jubilee Campaign a condamné des violences contre des chrétiens, l'interdiction de la construction de nouvelles églises au Soudan et les persécutions dont sont victimes les femmes et des filles chrétiennes de la part des forces de police. Society Studies Center a déclaré que l'un des problèmes essentiels dans le Kordofan méridional est l'accès humanitaire, dans un contexte où le cessez-le-feu décrété par le gouvernement n'a eu aucun écho auprès des rebelles.
Eastern Sudan Women Development Organization a recommandé à l'Expert indépendant d'avoir pour priorité l'assistance technique et le renforcement des capacités des organisations de la société civile, compte tenu du rôle très important qu'elles jouent pour accorder une aide juridique aux populations, notamment. Cameroon Youths and Students Forum for Peace a déclaré que les sanctions économiques imposées par les États-Unis contre le Soudan avaient des conséquences sanitaires graves pour la jeunesse soudanaise, privée d'éléments essentiels à sa survie. Cet embargo est inefficace et inacceptable, a insisté l'organisation.
Le Conseil a été prié à de nombreuses reprises par les organisations non gouvernementales de renforcer le mandat de l'Expert indépendant et de réaliser des enquêtes sur les violences commises pendant les dernières élections.
Conclusions
Le Soudan a assuré avoir entendu les préoccupations des participants à ce dialogue interactif et a réitéré sa volonté de coopérer avec l'Expert indépendant. Le Soudan regrette toutefois que certains pays adoptent une perspective de «deux poids deux mesures» qui va à l'encontre de l'esprit de dialogue de ce Conseil. Il souligne que l'embargo unilatéral qui lui a été imposé est l'une des sources des problèmes que le pays affronte aujourd'hui. Le Soudan est prêt à coopérer avec les Nations Unies et dans le cadre l'examen périodique universel. Il accueille volontiers une assistance technique et une aide en matière de renforcement des capacités de la part du Conseil.
M. ARISTIDE NONONSI, Expert indépendant sur la situation des droits de l'homme au Soudan, a, en réponse à une question, indiqué qu'une législation sur la liberté d'association existe au Soudan et qu'il s'agit maintenant d'observer sa mise en œuvre. Il faut par ailleurs que la société civile apprenne à lancer des actions en justice en cas de violations des droits de l'homme. L'expert indépendant a plaidé pour un renforcement de l'efficacité des organisations de la société civile ainsi que celle des organismes créés par le Gouvernement, comme la Commission nationale de droits de l'homme. S'agissant de la culture du silence autour des violences sexuelles, le Gouvernement reconnaît la prévalence des violences sexistes: pour l'Expert indépendant, c'est là un premier pas. La communauté internationale doit continuer d'appuyer les efforts du Soudan dans ce domaine, a estimé M. Nononsi, qui préconise de manière générale que cette aide ne se fasse pas uniquement par le biais de ressources financières mais aussi par un partage de bonnes pratiques. Enfin, il est prévu que l'Expert indépendant puisse se rendre dans les zones affectées par le conflit.
Situation des droits de l'homme en République centrafricaine
Le Conseil est saisi du rapport de l'Experte indépendante sur la situation des droits de l'homme en République centrafricaine (A/HRC/30/59).
Présentation du rapport
MME MARIE-THÉRÈSE KEITA BOCOUM, Experte indépendante sur la situation des droits de l'homme en République centrafricaine, qui a indiqué s'être rendue à deux reprises cette année à Bangui, a commencé par mentionner la récente reprise des violences, qui fait craindre une aggravation rapide de la situation. Elle a indiqué que les conclusions de son rapport soulignaient que «les prochains mois seraient décisifs avec un calendrier électoral ambitieux», qui prévoyait un référendum sur une nouvelle Constitution début octobre et des élections législatives et présidentielles fixées quinze jours plus tard. Bien que le calendrier électoral initial n'ait pas été respecté, des progrès ont été accomplis dans la préparation de ces scrutins, a-t-elle estimé.
Toutefois, a ajouté l'Experte indépendante, «les Centrafricains se demandent encore comment des élections libres pourraient se tenir dans un environnement où les groupes armés continuent d'opérer plus ou moins librement sur une large portion du territoire. Les communautés musulmanes et chrétiennes réclament la paix et se disent fatiguées des menaces et exactions des groupes armés». Après avoir rappelé les tous derniers événements ayant ensanglanté la capitale, Mme Keita Bocoum a dit craindre que si ces violences n'étaient pas rapidement contenues, les attaques ciblées sur une base ethnique et religieuse «risquent inévitablement d'augmenter et conduire à une véritable guerre civile».
Comme l'a rappelé le Haut-Commissaire lors de sa visite au début septembre à Bangui, «le désarmement des groupes armés doit être une priorité absolue», a rappelé l'Experte indépendante. Le pays doit se reconstruire par des forces de sécurité professionnelles et représentatives des communautés, a poursuivi Mme Keita Bocoum, qui s'est dite préoccupée par le manque de progrès dans la mise en œuvre des décisions du Forum de Bangui par le comité responsable du suivi. Elle appelle celui-ci à redoubler ses efforts pour que «cette opportunité historique de refonder la République centrafricaine sur la base d'un Pacte national ne soit pas perdue et afin de contrer les tentatives de déstabilisation».
Mme Keita Bocoum estime que la détérioration de la situation sécuritaire rappelle le besoin urgent de bons offices afin de rétablir le dialogue entre les communautés et prévenir une escalade la violence sur une base ethnique et religieuse. Elle exhorte aussi la communauté internationale à se mobiliser rapidement sous l'égide de l'Union africaine et la Communauté d'États d'Afrique centrale. Elle appelle la MINUSCA (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation en République centrafricaine) et les forces internationales à renforcer leurs actions afin d'assurer la protection des civils qui, encore une fois, sont les premières victimes des violences.
Enfin, Mme Keita Bocoum a indiqué que les agences des Nations Unies et le gouvernement centrafricain organisaient une réunion demain à New York, en marge de l'Assemblée générale, afin de mobiliser la communauté internationale et lever des fonds pour assister le pays dans les douze à dix-huit prochains mois. Les violences actuelles qui tendent à se généraliser pourraient avoir un «effet dévastateur sur le pays et l'ensemble de la sous-région», a-t-elle averti en conclusion.
Pays concerné
La République centrafricaine a dit que l'urgence était aujourd'hui pour elle d'abord d'ordre sécuritaire. : Il faut éteindre les foyers de tension qui la gangrènent et ensuite boucler le budget des élections, qui accuse un déficit important. De même, il est important et urgent de rendre opérationnelle la Cour pénale spéciale pour aider le pays à lutter contre l'impunité et dans ses efforts de rétablissement de la paix et e l'autorité de l'État. Le rapport exhaustif de l'Experte indépendante démontre l'urgence qu'il existe à sauver la République centrafricaine, laquelle risque de perdre les avancées significatives dans le rétablissement de la cohésion sociale et de la paix grâce aux efforts du gouvernement de transition et aux sacrifices de ses partenaires.
L'Experte indépendante a tiré plus d'une fois la sonnette d'alarme devant le Conseil, a rappelé la délégation. Il est temps pour la communauté internationale de passer aux actes. Les auteurs d'assassinats et autres crimes, de même que leurs commanditaires, sont connus et ne se cachent pas. Il ne fait aucun doute que les forces internationales déployées en République centrafricaine, de par leur mandat clairement défini, peuvent et doivent contrer et arrêter ces flambées de violence et d'assassinats à répétition contre d'innocentes personnes, dont de nombreux enfants.
La République centrafricaine se réjouit enfin de la reconnaissance tacite par le Secrétaire général des Nations Unies et le Haut-Commissariat aux droits de l'homme des viols et violences sexuelles commis par les forces internationales, et de leur condamnation sans équivoque.
Débat interactif
L'Union européenne a souligné que la situation sécuritaire demeure très fragile en République centrafricaine. Le rétablissement de l'administration et la restauration de l'état de droit ne progresse que lentement et la réconciliation se heurte aux tensions intercommunautaires. Saluant la volonté démontrée dans la démobilisation des enfants, l'Union européenne souhaite que cette dynamique soit poursuivie de manière prioritaire.
Par la voix de l'Algérie, le Groupe africain estime qu'il convient en effet de mettre en œuvre les recommandations du Forum de Bangui pour mener à bien le processus de transition. Il faut permettre une réconciliation véritable. La communauté internationale doit continuer d'apporter toute l'assistance nécessaire en vue de la tenue d'élections libres et apaisées. En son nom propre, l'Algérie a en outre salué la signature de l'Accord sur les principes de désarmement, de démobilisation et de réinsertion, ainsi que sur la lutte contre le recrutement d'enfants soldats. Mais elle constate qu'il reste beaucoup à faire pour instaurer définitivement la paix et la stabilité en République centrafricaine et observe que ce pays aura besoin de l'assistance technique de la communauté internationale. L'Égypte s'est félicitée de la révision de la Constitution actuelle, dont le projet définitif sera soumis à référendum prochainement, et du renforcement de l'appareil judiciaire centrafricain.
L'Organisation de la coopération islamique, par la voix du Pakistan, a dit contribuer à une solution pacifique à la crise qui sévit en République centrafricaine, en dépassant le conflit interconfessionnel qui oppose la majorité chrétienne et la minorité musulmane, en appelant au rétablissement de l'unité nationale et en rappelant la réalité d'une société où plusieurs familles comptent en leur sein des musulmans et des chrétiens vivant depuis longtemps en parfaite harmonie. La Chine exhorte quant à elle la communauté internationale à écouter pleinement les points de vue du pays concerné, à respecter réellement sa souveraineté et à redoubler son appui à la République centrafricaine. Elle se félicite du rôle constructif joué par l'Experte indépendante.
Les États-Unis ont réaffirmé leur soutien au processus de transition politique. Ils se réjouissent en particulier des progrès effectués dans l'enregistrement des électeurs. Ils rappellent à cet égard l'importance d'accorder le droit de vote aux réfugiés qui se trouvent hors du pays, afin d'assurer des résultats véritablement représentatifs. Pour l'Australie, la violence des derniers jours montre la nécessité de rétablir la démocratie et l'état de droit et d'avancer de toute urgence dans le processus de réconciliation. Par ailleurs, l'Australie demeure préoccupée par les violences qui se poursuivent à l'encontre des civils et en particulier des femmes et des fillettes.
Le Bénin a dit apprécier hautement les efforts pour l'organisation des consultations populaires du Forum de Bangui, à l'issue duquel a été adopté un pacte républicain et salue l'application d'un plan d'action des forces armées contre la violence sexuelle. Le Gabon s'est réjoui de la promulgation de la loi établissant une Cour pénale spéciale compétente pour enquêter sur les violations graves des droits humains et du droit international humanitaire commises sur le territoire de ce pays depuis le 1er janvier 2003. Le Togo a souligné qu'en dépit des avancées, de nombreux défis se posaient encore pour le rétablissement de l'autorité de l'État et la sécurité. Il est préoccupé par la détérioration de la situation à quelques jours de la date prévue pour les élections et appelle les parties à assurer que les élections se déroulent dans les conditions optimales de sécurité.
L'Angola a assuré qu'en sa qualité de président la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs, il ne ménagerait aucun effort pour le rétablissement de la paix et de la stabilité dans la République centrafricaine. Il réitère son engagement dans la recherche de solutions concertées qui permettront le retour à la paix. L'Angola appelle la communauté internationale à fournir les ressources techniques et financières pour permettre à la République centrafricaine de tenir des élections et d'assurer la sécurité et le respect des droits de l'homme.
Le Botswana a demandé à la communauté internationale de fournir une assistance renforcée pour aider la République centrafricaine à réussir sa transition vers la paix et à combattre l'impunité, et à s'engager à financer la Cour pénale spéciale, pour restaurer le système national de justice pénale. Les Pays-Bas se sont félicités de la création de la Cour pénale spéciale pour enquêter sur les violations des droits de l'homme et du droit international humanitaire commis depuis 2003: il s'agit là d'une première étape indispensable de la lutte contre l'impunité. Pour la France, la lutte contre l'impunité reste un défi majeur. Elle souligne aussi que les allégations d'abus sexuels qui auraient été commis par des personnels des forces internationales doivent faire l'objet d'enquêtes et que les responsables de ces faits, s'ils sont établis, doivent être traduits en justice.
L'Estonie a félicité le Gouvernement de transition pour l'organisation du Forum de Bangui et salue l'adoption du Pacte républicain, ainsi que la signature des accords sur le désarmement, la démobilisation et la réintégration. Elle se réjouit de la tenue d'un référendum sur la Constitution, ainsi que des élections parlementaires et présidentielles qui doivent se tenir en octobre et novembre prochain. Le Luxembourg a estimé que la tenue du Forum de Bangui et l'adoption du Pacte républicain constituaient une étape significative; les recommandations formulées à l'issue du Forum devraient désormais guider les efforts de tous les acteurs en vue d'assurer une paix durable, la justice et la réconciliation. L'Espagne a remercié l'Experte indépendante de son rapport, se félicitant en particulier de ses recommandations sur l'abolition de la peine de mort. L'Espagne a voulu savoir si la République centrafricaine avait reconnu les fêtes musulmanes, comme il était prévu par l'Accord de Bangui.
La Belgique a relevé que plusieurs pistes intéressantes ont été présentées par l'Experte indépendante et que celles-ci «devraient être sérieusement étudiées par les autorités centrafricaines afin de jeter des ponts entre les communautés et de prévenir de nouvelles violences. Il s'agit par exemple de l'idée d'instaurer des procédures pour assurer la représentation des minorités dans les institutions et la fonction publique». La Croatie a demandé quelles étaient les propositions de Mme Keita Bocoum pour la mise en place des programmes de démobilisation des enfants soldats.
Le Royaume-Uni a salué la coopération de la République centrafricaine avec le Conseil des droits de l'homme mais s'est dit très préoccupé par les violences contre les travailleurs humanitaires qui s'efforcent de remédier à la situation difficile de la République centrafricaine au plan nutritionnel.
La Nouvelle-Zélande, qui a fait part de sa préoccupation des violences interreligieuses, juge nécessaire de promouvoir la réconciliation entre les communautés. Elle a demandé à l'Experte indépendante quelles solutions elle entrevoyait à cet égard. Elle a souligné le devoir des pays contributeurs de troupes de démontrer qu'elles entendaient faire toute la lumière sur les allégations de violences sexuelles concernant leurs hommes. Ils doivent informer les Nations Unies de l'état d'avancement des enquêtes. Car, comme l'a dit le Secrétaire général de l'ONU, «tout retard ou silence contribue à une apparence d'impunité». L'Irlande a souligné que le Secrétaire général des Nations Unies avait créé un mécanisme d'enquête indépendant pour faire la lumière sur la manière dont l'Organisation traite les plaintes lancées contre des membres des forces de maintien de la paix coupables de violences sexuelles. Lorsque les défenseurs se muent en tortionnaires, la communauté internationale doit faire tout son possible pour traduire les coupables en justice. La Norvège a fait part de sa profonde préoccupation face aux allégations de graves violations des droits de l'homme dont des cas d'exploitation sexuelle et d'abus commis par des membres du personnel des opérations internationales dirigées par l'Union africaine, la France et les Nations Unies. Tous les pays dont des soldats ont été accusés d'être impliqués dans de tels abus doivent faire en sorte que justice soit rendue.
En dépit de la détérioration de la situation sécuritaire, des délégations comme celles du Mozambique, du Soudan, et du Mali ont salué les évolutions positives constatées par Mme Keita Bocoum. Le Mali s'est en particulier félicité des efforts constants et combinés des autorités centrafricaines, de ceux de l'Union africaine et des Nations Unies. Le Mali a appelé à plus d'engagement de la part des Centrafricains et au soutien accru de la communauté internationale, le Soudan pressant la communauté internationale à tenir ses engagements en apportant l'assistance nécessaire. En dépit des difficultés, la Côte d'Ivoire a félicité elle aussi les autorités de Bangui pour les initiatives prises en vue du règlement de la crise, notamment l'adoption du Pacte républicain pour la paix, la réconciliation nationale et la reconstruction.
Organisations non gouvernementales
La Rencontre Africaine pour la défense des droits de l'homme reste préoccupée par la recrudescence des tensions et violences à Bangui depuis dimanche dernier. Elle invite à une action urgente pour mettre un terme à ces violences afin de préserver les acquis du processus de la transition, qui reste encore fragile. Human Rights Watch a souligné que de graves violations des droits de l'homme continuent d'être perpétrées, non seulement à Bangui, mais aussi dans des régions du centre du pays, loin des yeux et des oreilles de la communauté internationale. Tant les rebelles musulmans de la coalition Séléka que les combattants principalement chrétiens des milices anti-Balaka continuent de perpétrer des attaques à l'encontre des populations civiles. L'impunité continue d'accompagner la violence dans le pays. Jubilee Campaign s'est pour sa part inquiétée que les membres de la coalition Séléka et les milices anti-Balaka se soient divisés en sous-groupes compliquant encore la mise en œuvre des accords de paix et aggravant l'insécurité.
Pour la Fédération internationale des Ligues de droits de l'homme, l'opérationnalisation de la Cour pénale spéciale est désormais urgente, non seulement parce qu'elle permettra de lutter activement contre l'impunité des auteurs de graves violations des droits de l'homme, mais également parce qu'il est nécessaire de préserver les preuves, de protéger les témoins et les victimes et de traiter les cas de suspects qui se trouvent actuellement en détention provisoire. L'Alliance internationale d'aide à l'enfance insiste pour sa part sur l'impact psychologique du conflit armé sur les enfants. Une récente étude de l'ONG montre que plus de 60% des enfants interviewés souffrent de troubles de stress post-traumatique et ont besoin de soins particuliers. Caritas Internationalis, au nom également de World Evangelical Alliance, se fait l'écho d'informations indiquant que des armes automatiques ont été utilisées dans le conflit, ce qui pose la question cruciale du désarmement. L'ONG recommande à la communauté internationale et aux autorités concernées que des mesures concrètes soient prises pour le désarmement, la démobilisation et la réinsertion des groupes armés qui continuent d'entraver sérieusement le processus de paix.
Conclusions
La République centrafricaine a souligné que l'inclusivité ne devait pas signifier que ceux qui ont joué aux pyromanes devaient maintenant jouer aux pompiers. Tous les sacrifices de la communauté internationale doivent certes avoir des retombées positives, mais exiger l'inclusivité ne doit pas être synonyme d'accorder d'impunité. Trop souvent dans les crises en Afrique, on a pardonné, au nom de l'inclusivité, à ceux qui ont mis le feu à la maison.
MME KEITA BOCOUM a indiqué qu'un séminaire s'était tenu en septembre à Bangui au cours duquel ont été débattues les mesures devant accompagner la justice transitionnelle. Il convient au préalable de restaurer les institutions judiciaires du pays. L'Expert indépendante a aussi mentionné la réforme du secteur de la sécurité, qui est fondamental. Pour améliorer la lutte contre l'impunité, elle a relevé que les Centrafricains avaient réfléchi en profondeur aux mesures à mettre en œuvre. Il faut que la communauté internationale accompagne la République centrafricaine sur les plans technique et financier. Elle a souligné que des représentants de la Cour pénale internationale enquêtaient actuellement dans le pays.
Il convient par ailleurs de sensibiliser et d'informer la population afin qu'elle s'approprie les mesures qui sont prises. Il faut notamment faciliter l'accès des femmes à la justice en prévoyant une protection des témoins afin que ceux-ci n'hésitent pas à témoigner. Mme Keita Bocoum a dénoncé le fait que les victimes de violences sexuelles soient ostracisées et appelé à un soutien en leur faveur. Sur les 1500 policiers formés, il y a 500 femmes dont le rôle est crucial pour aider les femmes à accéder à la justice. L'Experte indépendante a estimé tout aussi nécessaire de sensibiliser la société sur la question de la réintégration des enfants soldats, leur insertion communautaire en particulier.
À la question de savoir si les fêtes musulmanes avaient finalement été reconnues, Mme Keita Bocoum a répondu par la négative, soulignant qu'une telle décision, qu'il ne serait pas difficile de prendre, ne représenterait pas un coût supplémentaire majeur pour le pays.
Le budget prévu pour les élections n'a pas encore été bouclé, et Mme Keita Bocoum juge important que la communauté internationale fasse l'effort nécessaire à cette fin. La communauté internationale doit absolument se concerter sur la situation actuelle afin que la démocratisation ne soit pas remise en cause.
Les violences sexuelles sont très répandues, a observé l'experte, et elles l'étaient déjà avant que ne soient révélés des cas d'abus par des soldats de la paix. Une stratégie plus efficace de prévention de ces violences doit être mise en place en impliquant mieux la population et en la sensibilisant à la gravité d'un crime aussi abject. Elle a en même temps averti que, sans les troupes internationales, il ne serait pas possible de maintenir la paix.
L'Expert indépendante a aussi souligné l'importance de l'implication des femmes dans le processus politique, recommandant une discrimination positive en leur faveur. Elle a relevé l'importance des associations de femmes en République centrafricaine. Il est important de les associer au maximum et de leur donner la possibilité de s'exprimer. Les formations politiques doivent être encouragées à placer des femmes en position éligible sur leurs listes électorales, a-t-elle conclu.
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** Délégations ayant pris part au débat interactif sur la situation en République centrafricaine: Union européenne, Algérie (au nom du Groupe africain), France, États-Unis, Estonie, Chine, Australie, Luxembourg, Togo, Gabon, Espagne, Algérie, Pays-Bas, Égypte, Bénin, Royaume-Uni, Organisation de la Coopération islamique, Botswana, Angola, Irlande, Nouvelle Zélande, Norvège, Croatie, Belgique, Mali, Mozambique, Soudan, Côte d'Ivoire, Alliance internationale d'aide à l'enfance, Caritas Internationalis (au nom également de World Evangelical Alliance), Jubilee Campaign, Human Rights Watch, Fédération internationale des ligues des droits de l'homme (FIDH), et la Rencontre Africaine pour la défense des droits de l'homme.
Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas un document officiel
HRC15/136F