Fil d'Ariane
COMITÉ DES DROITS ÉCONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS: AUDITION DE LA SOCIÉTÉ CIVILE CONCERNANT LE GUYANA, LE MAROC ET L'IRAQ
Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a auditionné, ce matin, les représentants de la société civile – institutions nationales de droits de l'homme et organisations non gouvernementales – concernant l'application du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels dans trois des quatre pays dont les rapports seront examinés cette semaine: Guyana, Maroc et Iraq.
S'agissant du Guyana, l'attention a particulièrement été attirée sur la situation des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres. La problématique des discriminations et violences contre les femmes et la situation au Sahara occidental ont nourri la plupart des interventions concernant le Maric. Pour ce qui est de l'Iraq, les interventions ont porté notamment sur la situation des chrétiens assyriens (Chaldéens) et sur la problématique plus large de la participation des minorités ethniques.
Des représentants des institutions nationales des droits de l'homme du Maroc et de l'Iraq sont intervenus dans le cadre de ce dialogue avec les membres du Comité, ainsi que les ONG suivantes: Society Against Sexual Orientation Discrimination, Association démocratique des femmes du Maroc (dans une déclaration conjointe), Avocats des droits de l'homme (dans une déclaration conjointe), International Human Rights Clinic de la Cornell Law School, Western Sahara Resource Watch, Association de victimes de violations graves des droits de l'homme, Congrès mondial amazigh, Maloga International, Geneva International Centre for Justice, Save the Tigris and Iraqi Marshes Campaign, et Assyrian Universal Alliance (Americas Chapter).
Cet après-midi, à 15 heures, le Comité entamera l'examen du rapport du Guyana (E/C.12/GUY/2-4).
Audition de la société civile
S'agissant du Guyana
La Society Against Sexual Orientation Discrimination (SASOD) a fait observer que de nombreuses lois au Guyana établissent une discrimination à l'encontre des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres. Ces lois ont une forte incidence sur la vie de ces personnes dans le pays, a-t-elle insisté, avant de rappeler que le Guyana avait l'obligation de respecter les droits de toutes les personnes, y compris des «LGBT». Beaucoup restant à faire au Guyana, en dépit de certains progrès, pour satisfaire aux droits de ces personnes.
Un membre du Comité a souhaité savoir s'il n'y avait vraiment aucune reconnaissance, pas même de facto, des unions homosexuelles au Guyana. Un autre a souhaité en savoir davantage au sujet des articles 351 à 353 du code pénal qui, semble-t-il, érigent en crime les relations homosexuelles, même entre adultes consentants. Les quelques progrès enregistrés au Guyana en matière de promotion des droits des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres ont-ils été ponctuels ou procèdent-ils d'une réelle vision du Gouvernement s'agissant de ces questions, a-t-il également été demandé ?
Il n'y a absolument aucune reconnaissances des unions homosexuelles au Guyana en termes de retraite ou de propriété, a déclaré la SASOD. Les relations homosexuelles sont effectivement érigées en crime selon les articles 351 à 353 du code pénal. Les mesures prises en faveur des droits des LGBT sont ponctuelles et ne procèdent pour l'heure d'aucune vision gouvernementale, a-t-elle répondu.
S'agissant du Maroc
Le Conseil national des droits de l'homme (CNDH) du Maroc a indiqué avoir reçu, entre sa création en mars 2011 et le 31 décembre 2013, un total de 41 704 plaintes. Quatre domaines, en l'occurrence le passé des violations graves des droits de l'homme, la justice, les prisons et les droits fondamentaux constituent à eux seuls 65% des plaintes reçues, dont 1289 portant sur des allégations de violations de droits fondamentaux, y compris les droits économiques, sociaux et culturels et environnementaux. Le Conseil mène des visites d'enquête et de surveillance dans les centres pénitentiaires, les centres de sauvegarde de l'enfance et les établissements psychiatriques. Il a recommandé au Gouvernement marocain de déployer davantage d'efforts pour répondre aux doléances des citoyens concernant des violations des droits. Dans le cadre de la mise en œuvre des recommandations de l'Instance équité et réconciliation qui sont liées aux droits économiques, sociaux et culturels et dont le suivi est assuré par le CNDH, au 31 décembre 2014, le Gouvernement a pu indemniser plus de 26 000 victimes de violations graves des droits de l'homme et leurs ayants droits, a indiqué la représentante du CNDH. Les citoyennes marocaines bénéficient moins que leurs homologues masculins des efforts consentis par le pays en matière d'éducation, de formation, de santé, d'emploi et d'accès aux ressources. Le Conseil marocain des droits de l'homme a recommandé au Gouvernement d'adopter au plus vite le projet de loi sur la violence contre les femmes. Il a également recommandé que l'âge minimum du travail domestique soit fixé à 18 ans et que soit garantie la mise en œuvre stricte de l'âge minimum du mariage, fixé à 18 ans.
Dans le cadre du dialogue qui a suivi cette intervention, un membre du Comité a souhaité savoir si le Conseil national des droits de l'homme avait connaissance de discriminations à l'encontre des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres au Maroc. Il a aussi voulu connaître la situation en ce qui concerne le droit à l'autodétermination des populations dans le Sahara occidental. Le CNDH est-il un organe public ou un organe privé, a demandé un autre expert. La Constitution de 2011 constitue certes un progrès important sur la voie de la consolidation de l'état de droit au Maroc, mais un expert a voulu savoir si des progrès ont été enregistrés sur la voie de la justiciabilité des droits économiques, sociaux et culturels.
Le Conseil national des droits de l'homme a indiqué bénéficier du statut A accordé par le Comité international de coordination des institutions nationales de droits de l'homme (CIC). Ses membres sont nommés sur la base de consultations assez larges avec la société civile, a-t-il ajouté. Il demande toutefois au Gouvernement marocain d'accroître le budget du CNDH. Certes, la Constitution de 2011 a prévu une indépendance accrue du système judiciaire; mais le recours accru des citoyens à la justice du point de vue de la justiciabilité des droits économiques, sociaux et culturels reste «en-deçà des aspirations». S'agissant des personnes LGBT, le Maroc reste un pays conservateur mais «ces questions-là sont de plus en plus posées»: un débat de société émerge dans le pays. Quant à la question de l'autodétermination, «il faudrait poser cette question au Gouvernement», a estimé le Conseil, avant d'indiquer que le Conseil disposait de commissions régionales également dans les «provinces du Sud».
L'Association démocratique des femmes du Maroc, au nom de plusieurs autres organisations non gouvernementales, a déclaré que le Maroc a certes avancé ces dernières années en matière de promotion des droits des femmes; mais le quotidien des femmes reste marqué par des discriminations et des violations de leurs droits fondamentaux dans les domaines du travail, de la santé et de l'éducation, ainsi que par la pauvreté et la difficulté d'accès à la propriété, et par les violences, notamment conjugales. Cette situation est liée aux dispositions discriminatoires qui subsistent dans la législation en vigueur.
Avocats des droits de l'homme, au nom de plusieurs ONG locales, a déclaré que depuis 2006, le Gouvernement avait fait part de son intention de promulguer une loi sur les violences contre les femmes, mais aucune loi n'a encore été promulguée à ce jour. À cause des violences, les femmes sont forcées de fuir leur foyer et il n'existe pas pour elles un nombre suffisant de centres d'hébergement. Le nombre d'autorisations de mariages de mineurs ainsi que la polygamie sont élevés et en train de s'accroître, a-t-elle ajouté.
La International Human Rights Clinic de la Cornell Law School, a attiré l'attention sur les violations du Pacte dans le «territoire non autonome du Sahara occidental», s'agissant plus particulièrement du droit à l'autodétermination, du droit à l'éducation et du droit à la vie culturelle.
Western Sahara Resource Watch a rappelé que le peuple sahraoui constitue la population d'origine, avant «l'annexion par le Maroc», du Sahara occidental. Il a notamment attiré l'attention sur l'épuisement des ressources non renouvelables au Sahara occidental après 40 ans d'occupation, s'agissant en particulier des mines de phosphate.
L'Association de victimes de violations graves des droits de l'homme a souligné que les violations au Sahara occidental sont toujours liées à une violation flagrante de l'autodétermination du peuple sahraoui. Elle a notamment attiré l'attention sur le refus opposé à la création de syndicats sahraouis, lesquels doivent obligatoirement s'affilier à des syndicats marocains. Nombre de plaintes ne donnent lieu à aucune poursuite, a dénoncé l'ONG.
Le Congrès mondial amazigh a souligné que l'année 2011 au Maroc avait été marquée par la mise en cause du fonctionnement du régime politique, les manifestants réclamant un plus grand respect des droits de l'homme. L'officialisation de la langue amazigh faisait partie des revendications et le Congrès mondial amazigh demande pourquoi la Constitution ne met pas la langue amazigh sur un pied d'égalité avec l'arabe et pourquoi les prénoms amazighs sont toujours interdits.
Maloga International a insisté sur la nécessité d'établir un mécanisme d'observation et de garantie des droits de l'homme du peuple sahraoui au Sahara occidental.
S'agissant de la langue amazigh, une experte du Comité a souhaité savoir si la société civile faisait le constat d'une absence totale de volonté politique ou si des progrès avaient été enregistrés sur certains points. Un autre membre du Comité a demandé quelles lois fondamentales devraient être mises en œuvre pour qu'il y ait de réels progrès en matière d'égalité entre hommes et femmes.
Il est vrai qu'au Maroc, il est difficile pour les victimes de viol de prouver qu'elles ont bien été victimes de viol car cela induirait qu'elles ont eu une relation sexuelle hors mariage, ce qui est incriminé par le code pénal, a indiqué une ONG. À titre prioritaire, il faudrait que le Gouvernement marocain réforme le code de la famille, en éliminant la polygamie et le mariage pour mineurs; il faudrait également, entre autres, a suggéré une autre ONG.
S'agissant de l'Iraq
La Commission indépendante des droits de l'homme de l'Iraq a indiqué qu'elle avait été créée en 2008 par la loi conformément aux Principes de Paris; son budget est indépendant de celui de l'État. Elle a ensuite fait observer que l'Iraq n'avait pas signé le Protocole facultatif se rapportant au Pacte et n'envisageait pas pour l'heure de ratifier cet instrument. Elle a par ailleurs attiré l'attention sur les niveaux élevés de chômage et de pauvreté dans le pays. Elle a insisté sur les problèmes que rencontre le pays en matière d'approvisionnement en produits de base, en particulier pour la santé. Elle a ajouté que le Gouvernement iraquien n'avait pas pris de mesures pour garantir une représentation et une participation adéquates des minorités ethniques dans les postes de prise de décision.
Une experte a demandé quel était le mandat de la Commission indépendante des droits de l'homme de l'Iraq: est-il purement consultatif ou cette Commission peut-elle se saisir de plaintes? Une autre experte s'est elle aussi enquise du statut exact de cette Commission, faisant observer qu'elle dispose du statut B auprès du CIC.
La Commission iraquienne a répondu qu'elle disposait d'un mandat complet dans tous les domaines afin d'assurer les droits de l'homme conformément aux lois iraquiennes. Elle peut recevoir des plaintes, enquêter à leur sujet et lorsqu'elle constate la violation d'un droit, elle peut transférer la plainte directement à la justice. La Constitution iraquienne interdit toute forme de discrimination fondée sur le sexe, a ajouté la Commission.
Pour les citoyens iraquiens, la réalisation des droits économiques, sociaux et culturels reste un rêve, a déclaré le Geneva International Centre for Justice. Il faudrait que le Comité demande à la délégation iraquienne ce qu'il est advenu des immenses richesses du pays depuis 2003; qu'il lui demande comment il se fait que l'Iraq soit le seul pays du Moyen-Orient à être touché par des épidémies de choléra; et qu'il lui demande comment il se fait que le système éducatif se soit à ce point détérioré.
Save the Tigris and Iraqi Marshes Campaign (campagne pour sauver le Tigre et les Marais irquiens) a attiré l'attention sur les efforts pour sauver les zones humides du Tigre, notamment contre les projets de barrages menés par le Gouvernement turc, mais aussi par le Gouvernement iranien.
Assyrian Universal Alliance (Americas Chapter) a attiré l'attention sur la situation des chrétiens assyriens (ou Chaldéens) en Iraq, victimes d'une campagne de violence menée par l' «état islamique» et ses affiliés. Près de 35 000 Assyriens ont fui Mossoul et leurs foyers dans la ville ont été marqués du terme «chrétien», alors que leurs biens étaient pillés. Les Assyriens étaient 1,4 million avant l'invasion de 2003 et ne seraient plus, selon les estimations actuelles, que la moitié de ce nombre.
Un membre du Comité a souhaité savoir si les ONG en Iraq travaillaient librement ou se sentaient restreintes en termes, par exemple, de déplacement ou de liberté d'opinion. Une experte a souhaité savoir si la discrimination dont sont victimes les chrétiens assyriens était comparable à celle subie par les autres minorités.
Une organisation non gouvernementale a assuré que les ONG avaient la possibilité de se faire enregistrer; mais ce qui manque c'est la volonté politique du Gouvernement d'accorder l'attention voulue à certaines questions comme, par exemple, celle du droit à l'eau. Une autre ONG a indiqué que les chrétiens assyriens étaient notamment victimes de discriminations en matière de droit à la propriété et en matière linguistique.
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ESC15/024F