Fil d'Ariane
LE COMITÉ POUR L'ÉLIMINATION DE LA DISCRIMINATION RACIALE EXAMINE LE RAPPORT DE L'ALLEMAGNE
Le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale a examiné, hier après-midi et ce matin, le rapport présenté par l'Allemagne en vertu de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale.
Suite à une introduction du représentant permanent de l'Allemagne à Genève, le rapport a été présenté par Mme Almut Wittling Vogel, responsable de la Direction des droits de l'homme, du droit international et du droit européen au Ministère fédéral de la justice, qui a déclaré que la lutte contre les préjugés raciaux revêtait une importance particulière en Allemagne et devait être abordée par la société dans son ensemble. Le racisme n'est pas seulement l'expression d'une idéologie d'extrême droite mais peut se trouver partout dans la société, a-t-elle souligné; c'est pourquoi le Gouvernement a apporté son soutien aux citoyens qui manifestent massivement contre le mouvement anti-immigrés PEGIDA. Le Gouvernement a aussi lancé le programme «démocratie vivante» qui vise à lutter contre la promotion d'idéologies racistes et discriminatoires et de mettre en place des programmes de prévention de l'extrémisme. Il a ainsi mis en place des projets de lutte contre la haine communautaire et veille à créer les conditions de l'intégration des immigrés dans la société. L'Allemagne accueille environ un tiers des réfugiés dans l'Union européenne, a-t-il aussi été rappelé.
La délégation allemande était également composée de hauts fonctionnaires des Ministères fédéraux de l'intérieur; de la justice; des affaires étrangères; des affaires familiales; ainsi que du Ministère de l'emploi, de l'intégration et des affaires sociales du Land de Rhénanie du Nord-Westphalie et des représentants du quartier général de la police, des services de fonction publique et du Secrétariat de la Conférence permanente des ministres de l'éducation et des affaires culturelles des Länder de la république fédérale, et plusieurs membres de la Mission de l'Allemagne auprès de l'Office des Nations Unies à Genève, dont le Représentant permanent, l'Ambassadeur Thomas Fitschen. La délégation a répondu à des questions des membres du Comité portant notamment sur la discrimination structurelle et sur le racisme institutionnel; le profilage racial par la police, la formation des policiers et juges en matière de droits de l'homme; le refus perçu par certains experts de reconnaître l'étendue du racisme au sein de la société; les activités du mouvement d'extrême droite NSU et le mouvement anti-immigrés PEGIDA; les attaques contre les demandeurs d'asile; le caractère de circonstance aggravante du racisme dans les infractions pénales; la question des migrations; la situation des populations roms et sintis; la discrimination dans le logement ou le travail; l'accès à la justice.
Une représentante de l'institution nationale de droits de l'homme allemande a noté une forte augmentation ces dernières années des prises de position relatives aux déclarations racistes, que ce soit pour les approuver ou les condamner. Elle a relevé que le racisme restait souvent assimilé à l'extrémisme de droite et a dénoncé le retard avec lequel les actions criminelles du groupe NSU ont été traitées, qui pourrait être attribué à une insinuation plus large de ces idées dans la société, y compris au sein des institutions. Elle a estimé que les effets du racisme sur les victimes étaient souvent sous-évalués et a estimé que l'on pouvait soupçonner la police fédérale de profilage ethnique dans ses contrôles. Elle a demandé la levée des mesures qui limitent l'accès au travail des migrants.
La rapporteuse pour l'examen du rapport de l'Allemagne, Mme Anastasia Crickley, a félicité la délégation d'avoir présenté le rapport comme une base de départ pour le débat interactif et a par ailleurs salué le rapport parallèle des organisations non gouvernementales. Elle a estimé que l'Allemagne devait trouver les moyens d'aborder la question de la discrimination raciale dans la société et a relevé l'absence d'une notion partagée de la discrimination raciale. Elle a également estimé qu'un fossé demeurait entre la définition de la discrimination raciale et la mise en œuvre des moyens de lutte. Elle a également a mis l'accent sur la situation des Roms et Sintis.
Les observations finales du Comité sur tous les rapports examinés au cours de la session seront rendues publiques à la clôture des travaux, le vendredi 15 mai.
Cet après-midi, le Comité entamera l'examen du rapport du Danemark (CERD/C/DNK/20-21), qu'il poursuivra demain matin.
Présentation du rapport de l'Allemagne
Présentation par la délégation
Présentant le rapport de l'Allemagne (CERD/C/DEU/19-22) dans une déclaration préliminaire, M. THOMAS FITSCHEN, Ambassadeur, Représentant permanent de l'Allemagne auprès de l'Office des Nations Unies à Genève et chef de la délégation, a déclaré que l'imposante délégation de son pays témoignait du sérieux avec lequel son pays abordait l'audition de ce jour. L'Allemagne attache une grande importance à la Convention, à laquelle elle a adhéré dès son adoption et dont elle est devenue État partie en 1969. Depuis lors, elle a toujours remis son rapport avec grand soin. Dans les États fédéraux comme l'Allemagne, un grand nombre de dispositions de la Convention relèvent d'une législation concurrente de l'État fédérale et des entités fédérées. C'est pourquoi la délégation compte des représentants du niveau fédéral et des Länder.
MME ALMUT WITTLING VOGEL, Responsable de la Direction des droits de l'homme, du droit international et du droit européen au Ministère fédéral de la justice, a déclaré que la lutte contre les préjugés raciaux revêtait une importance particulière en Allemagne. Le thème doit être abordé par la société dans son ensemble. Il y a quelques semaines, la chancelière Angela Merkel a rappelé à l'occasion d'une cérémonie commémorative dans l'ancien camp de concentration de Dachau, que 2015 marquait le 60ème anniversaire de la libération des camps. Les crimes commis par le régime national-socialiste du IIIe Reich sont à la base de la position actuelle de l'Allemagne; la Constitution allemande consacre ses sept premiers articles à la dignité humaine et aux droits de l'homme, avec une interdiction explicite de toute forme de discrimination. En outre, quiconque peut saisir la Cour constitutionnelle pour faire valoir ses droits. Cette cour a une compétence très étendue.
L'Allemagne se félicite du rapport parallèle présenté par la société civile, qui permet d'améliorer le dialogue avec elle. Le rapport officiel de l'Allemagne correspond aux lignes directrices du Comité, et a de ce fait une portée plus restreinte. Le racisme ne constitue pas seulement un problème pour les franges d'extrême droite, il concerne toute la société allemande, le Ministère fédéral de la protection sociale a déclaré qu'il ne fallait tolérer aucune manifestation de raciste, d'où qu'elle vienne. Le racisme n'est pas seulement l'expression d'une idéologie d'extrême droite mais peut se trouver partout dans la société.
Mme Wittling Vogel a ajouté à cet égard qu'il était inexact de dire que le Gouvernement se concentre uniquement sur le racisme des milieux d'extrême droite, même si des accusations ont été faites en ce sens, notamment lors des assassinats commis par le groupe NSU (Nationalsozialistischer Untergrund, ou «clandestinité national-socialiste). Le fait que de tels crimes aient pu avoir lieu a ébranlé l'Allemagne. Des commissions d'enquête parlementaires ont cherché à savoir comment de tels crimes ont pu être commis et comment des gens ont pu agir ainsi sans être repérés. À la suite des conclusions de la commission d'enquête, il a été décidé que les crimes inspirés par le racisme seraient plus lourdement punis. Des commissions d'enquête ont également été menées dans certains Länder. Mme Wittling Vogel a ajouté que les proches des victimes ont pu participer au procès du principal responsable du NSU à Munich, en qualité de plaignants.
Certains estiment que de telles mesures et poursuites ne vont pas assez loin, a poursuivi la représentante. Il faut toutefois aussi respecter le principe fondamental de la liberté d'expression. Des peines trop lourdes risqueraient de susciter un débat public qui pourrait avoir des effets contre-productifs et il faut mettre l'accent sur le dialogue, sans pour autant renoncer aux sanctions pénales. Le Gouvernement fédéral a pris de plus en plus souvent position contre les propos et slogans racistes. Il est envisagé de lutter contre des affiches électorales qui comporteraient des propos racistes. Le ministère de la Justice a commandé récemment une étude sur les possibilités de mieux invoquer la Convention pour lutter contre de tels affichages.
Mme Wittling Vogel a souligné que l'Allemagne accueillait plus d'un tiers des réfugiés qui arrivent dans l'Union européenne. L'augmentation constante du nombre des réfugiés a suscité des débats et un sentiment de honte au sein de la population. Les attaques contre des personnes ou des bâtiments font l'objet de poursuites, mais il faut aller plus loin, s'interroger sur le climat qui favorise de tels délits et sur les organisations qui créent ce climat. Le Gouvernement est en particulier inquiet du mouvement islamophobe et anti-immigrés PEGIDA. Le Ministère de la justice a exigé un débat de fond sur ce mouvement, afin de pouvoir en révéler la véritable nature. Le Gouvernement est heureux de voir qu'il existe aussi des manifestations démocratiques contre le racisme, et que le nombre de manifestants anti-PEGIDA est bien plus élevé que celui de ceux qui soutiennent ce mouvement.
Toutefois, cela n'est pas suffisant et il faut créer un climat social stable pour assurer la cohésion par le biais de la participation. Le Gouvernement a ainsi lancé le programme «démocratie vivante», qui vise à lutter contre la promotion d'idéologies racistes et discriminatoires et de mettre en place des programmes de prévention de l'extrémisme. Il existe ainsi des projets de lutte contre la haine communautaire, qu'il s'agisse des Roms et Sintis, des musulmans ou d'autres groupes.
Certains de ces projets sont destinés aux écoles, à la fois pour mieux intégrer les enfants d'immigrés – qui accusent souvent un fort retard scolaire - mais aussi dans le cadre plus large d'éducation civique des jeunes. Le taux d'abandon scolaire des enfants issus de l'immigration a connu une chute considérable, ce qui est encourageant.
Institution nationale de droits de l'homme
MME PETRA FOLLMAR-OTTO, de l'Institut allemand pour les droits de l'homme - Deutsches Institut für Menschenrechte, l'institution nationale de droits de l'homme en Allemagne - a salué le rapport officiel de l'Allemagne ainsi que les différentes organisations non gouvernementales de la société civile allemande qui ont participé à l'élaboration du rapport officiel et du rapport alternatif. Elle s'est dite frappée par la disponibilité de la délégation allemande et sa volonté de franchise. L'Institut mène des études et présente de multiples rapports. Concernant le présent rapport de l'Allemagne, l'Institut note en premier lieu une forte augmentation ces dernières années des prises de position relatives aux déclarations racistes, que ce soit pour les approuver ou les condamner. Le racisme est souvent assimilé à l'extrémisme, notamment de la droite. L'effet du racisme sur les victimes est souvent sous-évalué et le Gouvernement devrait prendre des mesures administratives et judiciaires pour combattre le racisme. On peut estimer que le fait que les actions criminelles du groupe NSU soient restés ignorés pendant de nombreux années - fait qui a suscité de nombreuses enquêtes - est le résultat d'un racisme présent dans la société, y compris au sein de la police et de la justice. La police fédérale allemande est autorisée par la loi à solliciter les documents d'identité de toute personne dans les aéroports et les gares ferroviaires. Il existe quelques milliers de cas par an. L'allégation de pratique discriminatoire dans ces contrôles ne peut être confirmée par des statistiques mais il peut exister un sentiment de profilage raciste, lequel devrait être strictement interdit.
La loi sur le traitement équitable de 2006 a considérablement renforcé le cadre juridique de protection contre les traitements discriminatoires en Allemagne mais il reste des lacunes. Cette loi devrait être évaluée, ainsi que les autres législations anti-discrimination. Il faudrait en outre que la compétence en matière de droits de l'homme devrait être un élément obligatoire de la formation des juristes. Enfin, l'institution nationale de droits de l'homme estime que les mesures qui limitent l'accès au travail des migrants devraient être supprimées.
Examen du rapport
Questions et observations des membres du Comité
MME ANASTASIA CRICKLEY, rapporteuse du Comité pour l'examen du rapport de l'Allemagne, a rendu hommage à l'engagement manifesté par l'Allemagne à l'égard du Comité, y compris par la manière dont elle met en œuvre les recommandations finales du Comité. Elle a félicité la délégation d'avoir présenté le rapport en tant que base de départ pour le débat interactif. Elle a également salué le rapport parallèle des organisations non gouvernementales. Rappelant l'histoire particulière de l'Allemagne, elle a noté le rôle de chef de file de l'Allemagne dans la construction européenne et a rendu hommage au fait que l'Allemagne avait choisi la diversité pour assurer son développement.
La rapporteuse a noté que la lutte contre la discrimination raciale au titre de la Convention concernait à la fois les faits et l'intention. Il faut créer des moyens d'aborder la question de la discrimination raciale dans la société. La xénophobie peut parfois revêtir des formes particulières qui occultent la discrimination raciale. Or, il semble, selon plusieurs sources d'information, qu'il n'y ait pas une notion commune de la discrimination raciale entre le secteur public, le secteur privé et la société civile. Il semble aussi y avoir un fossé entre la définition de la discrimination raciale et la mise en œuvre des moyens de lutte.
Le précédent plan national contre le racisme semble avoir été axé surtout sur des projets; il serait souhaitable que le prochain plan ait un aspect plus institutionnel et tienne pleinement compte des recommandations du Comité. Il semble que la priorité en matière de discrimination raciale reste accordée au néonazisme. Il est également étonnant que les faits concernant le NSU soient restés si longtemps délaissés. Il est essentiel de former la police en matière de discrimination raciale.
L'expression «issu de l'immigration» employée par la délégation semble très restreinte et limitée; elle semble contourner la question de la discrimination institutionnelle. La rapporteuse a encouragé l'Allemagne à modifier son modèle de collectes de données ventilées, tout en reconnaissant la nécessité de l'auto-identification. Il faudrait lutter davantage contre le profilage racial.
La stratégie d'intégration basée sur l'inter-culturalisme ne semble pas traiter de l'aspect essentiel de la discrimination raciale. La rapporteuse a souhaité connaître la manière dont l'Allemagne traite de l'intersection entre divers type de discriminations, par exemple à l'encontre des femmes. Ainsi, comment l'Allemagne traite-t-elle les jeunes filles qui souhaitent porter le voile à l'école?
La rapporteuse s'est également préoccupé de la marginalisation des populations roms et sintis, en particulier les plus vulnérables d'entre eux, et de la protection des demandeurs d'asile.
En conclusion, Mme Crickley a demandé ce qui était fait pour protéger les personnes qui s'opposent au néonazisme et qui sont ciblées sur Internet, y compris depuis l'étranger. Elle a enfin souhaité savoir si l'Allemagne envisageait de prendre des mesures spécifiques pour empêcher toute discrimination dans les entreprises en Allemagne et aussi les entreprises allemandes à l'étranger.
Parmi les autres membres du Comité, un expert a jugé que le rapport abordait de manière convaincante et exhaustive les conclusions et recommandations du Comité faites à l'issue du précédent rapport, ce qui signifie que le Comité est pris au sérieux. Une experte a jugé positif que la délégation ait fait plusieurs fois référence au contre-rapport des organisations non gouvernementales allemandes. Un autre expert a jugé l'analyse et la présentation extrêmement constructives et a estimé que l'Allemagne avait fait un effort remarquable de compréhension des attitudes racistes pour mieux les combattre et prévenir les actes racistes. Il a souhaité disposer de données sur l'évolution et les résultats obtenus par les plans nationaux qui ont été mis en œuvre.
Plusieurs experts se sont montrés satisfaits que la délégation ait reconnu que la discrimination raciale ne concernait pas que l'extrême droite et qu'elle pouvait aussi être un problème structurel résultant de comportements inconscients. Un expert s'en est inquiété, estimant que, si le racisme gagne de l'attrait dans la population, alors il sera impossible de le combattre. Un expert a demandé comment on pouvait, dans l'affaire des dirigeants du groupe d'extrême droite NSU (Clandestinité nationale-socialiste), laisser de côté le caractère raciste des crimes commis. Un expert a constaté un refus de la réalité pourtant évidente du racisme dans la société allemande, citant à cet égard l'affaire Sarrazin, du nom de l'économiste et membre du directoire de la Banque centrale allemande poussé à la démission en 2010 après avoir publié un livre radicalement antimusulman. Un expert a posé une question concernant un financement de la NSU par des autorités publiques et sur le rôle des services secrets.
Plusieurs experts ont abordé la question de la collecte de données ventilées et l'approche de l'Allemagne en la matière. Un expert a dit comprendre les motivations profondes de ce refus de l'Allemagne mais a estimé qu'il faudrait bien y procéder le moment venu afin de caractériser le caractère racial de certains crimes aux fins de punir les auteurs. Un autre expert a constaté qu'alors que d'autres pays européens se retranchent derrière les positions de l'Union européenne, l'Allemagne n'hésitait pas à invoquer sa propre histoire pour expliquer ses réticences face à la collecte de données ventilées. Il a pour sa part estimé que recommander la collecte de données ventilées pourrait échouer, voire avoir des incidences négatives.
Un expert a noté que la discrimination raciale semblait désormais considérée comme une circonstance aggravante mais s'est demandé si la loi qui le stipule avait été adoptée. Un autre a ajouté que le pays devrait prévoir une clause spécifique sur l'aggravation des peines pour des délits fondés sur la discrimination raciale. Un expert a demandé s'il était envisagé d'incriminer la discrimination raciale institutionnelle, par exemple le profilage des populations par la police ou encore les messages qui favorisent une perception selon laquelle l'homicide de personnes d'origine étrangère était nécessairement le fait d'étrangers.
Des questions ont été posées concernant le logement, en particulier sur l'absence de mesures antidiscriminatoires pour les «petits» bailleurs de moins de 50 logements. Un autre a ajouté qu'il fallait rendre socialement inacceptable la discrimination raciale des bailleurs privés en matière de logement.
Un expert a estimé qu'un certain nombre de problèmes pourraient être réglées si l'agence fédérale de lutte contre la discrimination pouvait apporter un soutien financier pour les frais de justice. Un membre du Comité s'est interrogé sur le caractère discriminant d'une définition des Allemands de souche et des Allemands d'origine étrangère.
À propos des Roms et Sintis, un expert a regretté l'absence de données sur leur situation économique, sociale et culturelle. Un autre a noté la coopération de l'Allemagne avec la Roumanie sur la question des Roms. Il a estimé que l'Allemagne consentait des efforts remarquables pour intégrer les minorités, ce qui n'empêche pas que la montée du mouvement PEGIDA ou encore de l'extrémisme musulman d'être des phénomènes inquiétants. Un expert s'est enquis de la position de l'Allemagne face au projet européen d'instaurer une journée de commémoration du génocide des Roms.
La rapporteuse a demandé si l'Allemagne pouvait envisager de remplacer sa stratégie nationale pour les Roms et Sintis par la stratégie 2020 de l'Union européenne. Elle a demandé si l'Allemagne envisageait de collecter des informations sur l'islamophobie, phénomène qui semble moins pris en compte que d'autres comme l'antisémitisme. Elle a demandé si une évaluation de la loi sur l'égalité de traitement de 2006 était envisagée.
Un autre membre du Comité a demandé quels étaient les activités que l'Allemagne comptait organiser dans le cadre de la Décennie des personnes d'ascendance africaine, dans le cadre national ou encore dans le cadre européen, comme cela a été fait pour les Roms.
Un expert a demandé comment les migrants s'intégraient sur le marché du travail, en particulier ceux qui sont d'ascendance africaine. Le taux de chômage est nettement plus élevé chez les migrants, notamment ceux d'origine africaine, que dans la moyenne de la population.
Un expert a demandé des informations sur la lutte contre la traite en Allemagne, faisant état de 15 000 victimes, dont des enfants. D'autres experts se sont enquis du sort des femmes des minorités visibles en Allemagne, notamment les femmes musulmanes.
La rapporteuse a demandé ce que la délégation entendait par «personnes issue de l'immigration», expression dont elle a noté l'utilisation récurrente par la délégation. Elle a demandé sur la loi de 2006 définissait la «discrimination indirecte». Tout en se disant informée de la stratégie sur l'intégration des Rom, la rapporteuse s'est dite très inquiète de l'utilisation de l'expression de «tourisme d'allocations «par un membre de la délégation. Elle a mis l'accent sur la discrimination spécifique que subissent les Rom, qu'elle a assimilée à la discrimination qu'avaient subie les juifs.
Un expert a demandé des précisions contre ce qu'il a considéré comme une interprétation très restrictive de la notion de «race» et de «racisme». Il s'est interrogé sur une possible contradiction entre des propos affirmant la prééminence de la Convention sur le système juridique allemand, alors que les autorités allemandes consultent des linguistes sur le sens de racisme, pourtant parfaitement défini par la Convention. Il s'est demandé comment on pouvait par exemple systématiquement parler d'attaque raciste quand celle-ci vise une synagogue mais ne pas mentionner le caractère raciste d'une attaque contre une mosquée.
Un expert a suggéré la mise en place d'une commission indépendante chargé d'examiner les accusations de racisme contre la police, qui semblent être traitée en interne.
Un expert a demandé si les victimes de discrimination institutionnelle pouvaient demander des compensations et lesquelles. Il s'est enquis des discriminations, du racisme et des crimes de haine dont pouvaient être victimes les lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres.
Réponses de la délégation
La délégation allemande a estimé que les questions du Comité témoignaient d'une étude attentive du rapport de l'État partie et d'une bonne connaissance de la situation.
La délégation a expliqué que le caractère raciste d'une infraction était considéré comme une circonstance aggravante de la peine. Cet aspect est déjà inscrit dans le code pénal mais il l'est désormais expressément également dans une nouvelle loi adoptée par Bundestag (Assemblée parlementaire) qui doit être approuvée le 8 mai par le Bundesrat (Conseil fédéral). Le résultat ne fait pas de doute et la loi entrera bientôt en vigueur.
Selon la Constitution, les Églises ont un droit à l'autodétermination qui a été confirmé par la Cour constitutionnelle. Des associations confessionnelles peuvent donc régir leur politique d'emploi en fonction de la confession des candidats. Toutefois, les institutions cultuelles ont récemment estimé que leur processus d'embauche devait être révisé. Le Gouvernement entend suivre les discussions sur ce point.
Les policiers fédéraux suivent une formation de trois ans, qui comprend une formation sur les droits de l'homme. Ces thèmes sont approfondis lors de la formation professionnelle et continue, avec une forte sensibilisation à la compréhension et la compétence interculturelle, ainsi qu'au respect des victimes, ou encore à la lutte contre l'extrême droite. La situation varie selon les Länder, mais à Berlin, la police locale reçoit une formation liée à la diversité culturelle et pour lutter contre la discrimination, en collaboration avec l'agence de lutte contre la discrimination. La délégation a par la suite précisé que la formation dans le domaine des droits de l'homme au sein de la police fédérale est sanctionnée par des contrôle et examens; c'est donc une compétence à acquérir. Les compétences interculturelles sont également obligatoires.
La délégation comprend l'intérêt du Comité pour les données ventilées, mais en Allemagne, il n'a pas été possible d'envisager la collecte de telles données jusqu'à présent. Elle a ajouté que les Sintis vivent en Allemagne depuis plus de 600 ans, et que les Roms sont arrivés au début du XIXe siècle. Pour l'Allemagne, il appartient à chaque citoyen de décider s'il veut donner des indications sur son origine ethnique, qui relève du domaine privé: on ne peut pas distinguer un Rom sur son apparence. Il est jugé inutile de collecter de telles données car les prestations ne sont pas liées à l'appartenance ethnique: un Rom en difficulté reçoit une aide sociale au même titre que toute autre personne dans la même situation. Ces différents groupes ne souhaitent pas la collecte de données ventilées. Concernant les données fournies à titre volontaire, la situation n'est pas aisée non plus.
Certaines lois allemandes interdisent le port du foulard islamique dans certains Länder, mais pas partout. Récemment toutefois, la Cour constitutionnelle a interdit le port du foulard dans les enceintes scolaires, sauf exceptions particulières. Un des plus grand Länder du pays a commencé une discussion législative à la suite de la décision de la cour constitutionnelle.
Toute forme de discrimination est interdite, à la fois du fait de la Constitution allemande et de la Convention. Il existe aussi une définition juridique de la discrimination indirecte. Actuellement, toutes les lois fédérales font l'objet d'un examen juridique par le ministère de la justice pour vérifier leur conformité aux dispositions antidiscrimination. Le racisme et la xénophobie ont dû être redéfinis après un arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme et un débat linguistique reste en cours sur ces termes et la manière de les distinguer et de les définir. Dans les Länder, le terme de «race» est parfois évité dans la Constitution des États ou fait l'objet de débats pouvant mener à une modification de la Constitution; ce n'est pas vraiment le cas au niveau fédéral. Les policiers et le personnel judiciaire suivent des modules de formation continue, qui concernent notamment les droits de l'homme.
Le plan national contre le racisme est piloté par l'État fédéral mais préparé avec la participation active des Länder et des organisations non gouvernementales. On espère d'ici fin 2016 un plan d'action beaucoup plus complet.
Concernant le profilage racial, le représentant de la police fédérale au sein de la délégation a expliqué qu'elle comprenait 31 000 policiers, dont 450 à l'étranger, la moitié de ces derniers participant à des opérations de maintien de la paix ou dans le cadre de la coopération technique. Une des missions de la police fédérale est d'empêcher l'entrée illégale dans le pays, qui est une infraction pénale et qui permet aussi de lutter contre la criminalité organisée, y compris la traite des êtres humains. Le contrôle s'effectue notamment dans les gares et les trains, ainsi que dans les aéroports. Le contrôle se fait davantage sur la base d'informations ou de l'expérience que sur un quelconque profilage racial, même si la personne contrôlée peut avoir le sentiment d'être contrôlée en raison d'un profilage racial. Tirer des conclusions sur la base du comportement de certaines personnes fait partie aussi du travail d'un policier mais le contrôle sur la seule base de l'ethnie, de la couleur de peau ou de la religion est interdit et toute accusation de profilage racial est prise très au sérieux. Il existe diverses manière de porter plainte, y compris par le biais d'internet. Par ailleurs, dans le cadre de l'information et de la formation continue, les policiers sont constamment informés des éléments nouveaux, y compris en matière de droits de l'homme. La délégation a précisé que des mesures similaires sont prises partout au niveau des Länder.
Le représentant des services d'intégration de la Rhénanie du Nord-Westphalie a rappelé que les projets d'intégration, de reconnaissance et d'inclusion ont fait l'objet de nombreux débats au niveau fédéral. La notion d'intégration a longtemps été un peu à sens unique, l'immigrant devant s'intégrer dans la société telle qu'elle est, alors que l'on cherche désormais aussi à adapter la société en fonction des immigrés et à développer une culture d'accueil. La police fédérale a connu des succès en matière de compétence culturelle mais ceci est également fait avec les fonctionnaires des différents services dans les différents Länder et il existe une coordination entre les Länder et l'État fédéral. Ainsi, en Rhénanie du Nord-Westphalie, État fédéré qui compte 6,5 millions d'habitants, une loi sur l'intégration sociale et la participation a été adoptée en 2012 qui vise à améliorer la cohésion et le respect mutuel au sein de la société et de lutter contre le racisme et la discrimination raciale.
En matière d'éducation, l'accent est mis sur l'acquisition de la langue allemande, car il a été observé que l'absence de maîtrise de l'allemand était un facteur important de moindre réussite scolaire. Il existe notamment plusieurs programmes pour les enfants de famille migrantes, qui concernent aussi, mais pas spécifiquement, les Roms. Les Roms peuvent être soit des citoyens allemands, et ils sont alors membres d'une minorité nationale, soit des immigrés, donc des étrangers.
Le Gouvernement allemand a soutenu au niveau européen le projet – non encore abouti - de création d'une journée de commémoration du génocide des Roms. En Allemagne, il existe déjà deux journées en ce sens, l'une consacrée aux victimes de la police raciste du IIIe Reich, l'autre qui concerne spécifiquement les Roms. Il faut noter par ailleurs que les Roms vivant en Allemagne parlent en fait plusieurs langues. Les Länder de Hambourg puis de Berlin ont pris des mesures linguistiques pour faciliter l'intégration des Roms mais cela n'existe pas partout et pas au niveau fédéral. On ne peut, faute de données, parler de résultats scolaires très mauvais pour les enfants roms mais ce qui est sûr, c'est que les enfants des familles venues des Balkans pour faire du «tourisme d'allocations», c'est-à-dire pour bénéficier de prestations sociales sans chercher à s'intégrer ou même rester durablement, le niveau de scolarisation et de connaissance de la langue allemande est effectivement très faible. Il n'existe pas de statistiques concernant exclusivement les Roms «vrais migrants», mais l'essentiel des migrants venus des Balkans – Bulgarie et Roumanie – sont des Roms. Comme tous les autres migrants, ils bénéficient notamment de programmes pour l'apprentissage de la langue et l'intégration scolaire mais, là encore, cela ne concerne pas spécifiquement les migrants. De même, les Roms migrants ont le même accès au travail que les autres migrants.
Répondant à des questions complémentaires, la délégation a déclaré que le terme allemand qu'elle avait utilisé ne se traduisait pas par «touristes d'allocations», terme qu'on voit plutôt dans les médias, mais par «personnes venant de pays pauvres». C'est le cas de nombreux étrangers venus des Balkans, roms ou pas, et qui, du fait de leur pauvreté, ont des besoins spécifiques. Il existe des projets très importants pour mieux faire comprendre la situation des Roms et Sintis.
Concernant l'accès des groupes minoritaires au marché du travail, de nombreuses mesures sont mises en place au niveau des Länder mais il en existe aussi au niveau fédéral. La connaissance de la langue allemande est indispensable pour accéder au marché du travail. Les cours d'intégration, avec l'enseignement des langues en général gratuit, sont à la disposition des migrants étrangers, entre autre services sociaux. Les étrangers qui viennent en Allemagne, migrants réguliers mais aussi réfugiés, qui ont des compétences et peuvent justifier des diplômes, ont la possibilité de faire reconnaître ces compétences et diplômes. Il y a désormais une stratégie en place pour faciliter la formation professionnelle des migrants dans les petites et moyennes entreprises, qui ne le font pratiquement jamais alors qu'elles constituent la base du tissu économique du pays et donc de l'emploi.
Les propos tenus par un policier après l'assassinat d'un ressortissant turc, qui avait considéré que l'assassin ne pouvait qu'être étranger car l'homicide n'était pas dans la mentalité allemande – l'assassin s'est avéré être un extrémiste allemand du groupe NSU - ont été considérés comme racistes et inacceptables par sa hiérarchie. Un tel comportement ne peut être considéré comme représentatif de la police allemande. Concernant du groupe NSU, les enquêtes menées n'ont pas mis en évidence de racisme institutionnel, même s'il y a des preuves de participation de certains individus au sein de services officiels. Les enquêtes du Parlement ont abouti à 47 recommandations auprès de l'autorité de contrôle de la police, dont certaines étaient tellement manifestes qu'elles ont été mise en œuvre avant même la publication des recommandations. Après les révélations sur le groupe NSU, les dossiers de près de 3000 cas d'homicide ont été rouverts.
Concernant le cas spécifiques des tragédies dont sont victimes les migrants en Méditerranée, le Gouvernement allemand estime qu'il faut renforcer les moyens de secours en mer, et les moyens de contrôle et de surveillance au départ. Il faut aussi porter assistance aux pays de premier accueil. Mais l'Allemagne accueille beaucoup de migrants, notamment en provenance des Balkans. L'Allemagne ne peut offrir de solution à tout le monde. Elle s'attend à 350 000, voire 400 000 demandes d'asile cette année. Il faut prendre des mesures contre les criminels qui organisent le trafic des migrants en Méditerranée. L'action doit être menée au plan européen. Une réunion entre représentants de l'État fédéral et des Länder sur la question est prévue le 8 mai prochain.
Il n'existe pas de statistiques sur d'éventuels groupes particuliers qui seraient visés dans le cadre des attaques contre les demandeurs d'asile ou les lieux qui les accueillent. En revanche, on constate une très forte augmentation du nombre de ces attaques: 24 en 2012 contre des demandeurs d'asile ou les centres d'accueil, 85 en 2013 et plus de 200 en 2014. Ces agressions servent aussi d'alerte sur le climat général dans la société. Des mesures préventives de protection des centres d'accueil sont prises au niveau fédéral.
Concernant les appels à la haine raciale sur internet, différents services enquêtent et suivent ce qui se passe sur les sites et dans les médias d'extrême droite. Il existe un filtrage des contenus et sites jugés dangereux, qui sont supprimés des sites de recherche. Le Conseil de la presse allemande dispose d'un code, qui a été adapté à l'ère de l'internet. En même temps, il faut veiller au respect de la liberté d'expression.
L'Allemagne met en place actuellement un plan d'action national concernant les entreprises et les droits de l'homme, qui vise à lutter contre la discrimination raciale.
Une loi met en œuvre la directive européenne contre la discrimination et l'intègre dans le droit allemand. Mais, face à un acte pris à titre officiel, les droits fondamentaux de tout individu sont protégés par la loi fondamentale (constitution). L'assistance juridique assure l'accès de chacun à la justice, y compris administrative. Dès aujourd'hui, il est possible pour des associations de participer à des procédures judiciaires mais il n'est pas dans le système judiciaire de procédures collectives du type «class action».
En matière de logement, la loi prévoit que des mesures peuvent être prises pour maintenir une structure sociale stable. Il s'agit d'une longue tradition législative visant à réguler le marché du logement et de lutter contre la discrimination. Cette législation, souvent critiquée par les organisations non gouvernementales mais que la Commission européenne a jugée conforme au droit européen, ne saurait être utilisée pour des motifs discriminatoires. Le Gouvernement allemand n'entend pas la modifier. Il n'existe que deux cas où des locataires ont évoqué la discrimination en matière de logement sur la base de cette loi et ils ont eu gain de cause.
La terminologie utilisée dans les rapports était en cours de révision, a indiqué la délégation. Le terme «personnes issues de l'immigration» est utilisé car des statistiques sont recueillies dans ce domaine, ce qui n'est pas le cas dans d'autres.
Il existe au niveau européen un projet de mise en place d'un réseau sur les personnes d'ascendance africaine sur le continent, auquel participe l'Allemagne.
Des discussions qui ont eu lieu avec des linguistes visaient à savoir si on devait définir différemment en droit pénal le racisme et la xénophobie et comment. Dans ce domaine, l'article 1 de la Convention n'est pas très utile car le racisme suppose la définition de la race et s'est le la perception du terme de «race» en Allemagne qui est en jeu. Les textes font état de programme «pour la démocratie», «pour l'égalité des chances» et non «contre le racisme» car l'Allemagne veut se définir en fonction de ce qu'elle recherche et non pas de ce contre quoi elle se défend. Le concept de crime de haine est défini de manière à tenir de toutes les situations.
L'État comme les Länder doivent appliquer les traités internationaux auxquels l'Allemagne est partie.
Il n'y a pas de règles spécifiques concernant les victimes de discrimination raciale, mais il existe des règles générales en matière d'indemnisation pour des fautes de l'État.
Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas un document officiel
CERD15/009F