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LE COMITÉ CONTRE LA TORTURE EXAMINE LE RAPPORT DE LA COLOMBIE

Compte rendu de séance

Le Comité contre la torture a examiné, hier matin et cet après-midi, le rapport présenté par la Colombie sur les mesures qu'elle a prises pour mettre en œuvre les dispositions de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Le rapport a été présenté par la Directrice de la politique pénale et pénitentiaire au Ministère de la justice de la Colombie, Mme Marcela Abadia Cubillos, qui a notamment déclaré que la transformation positive qu'a subi la Colombie ces quatre dernières années dans tous les domaines, notamment dans le domaine des droits de l'homme, était reconnue et jugée utile pour d'autres pays. Après un conflit armé de plus de cinq décennies qu'elle espère surmonter à travers le processus de paix, la Colombie est parvenue à consolider sa démocratie par une institutionnalisation des droits de l'homme et la garantie des libertés fondamentales pour tous les Colombiens. «La pratique de la torture en Colombie ne répond pas à une politique étatique», a également affirmé le chef de la délégation. Le pays rejette la pratique de la torture, ce dont témoigne l'important cadre normatif et institutionnel qui existe dans le pays pour prévenir et sanctionner cette pratique. Le délit de torture est énoncé au titre des délits contre la liberté individuelle et autres garanties et est pris en compte dans le contexte des délits protégés par le droit international humanitaire et la législation punit ce délit de peines privatives de liberté allant de 10 à 30 ans d'emprisonnement. Le fait que ce délit soit commis par un fonctionnaire public ou par un particulier exerçant une fonction publique est une circonstance aggravante. Mme Abadia Cubillos a assuré que, face aux cas de torture qui se sont présentés en Colombie, prévaut la décision d'enquêter et de juger et sanctionner les responsables, quelle que soit leur qualité. Elle a d'autre part mis l'accent sur un projet de loi visant notamment à limiter le recours à la détention préventive.

La délégation colombienne était également composée de représentants du Ministère des relations extérieures; du Ministère de la défense; du Ministère de l'intérieur; du bureau du Procureur général; de l'Institut de médecine légale; et de l'Unité de soins et d'indemnisation des victimes. Elle a répondu aux questions qui lui étaient adressées par les membres du Comité s'agissant, notamment, de l'incrimination de la torture; des délais de prescription des délits de torture et de disparition forcée; de l'irrecevabilité des preuves obtenues sous la torture; du système carcéral; de la détention préventive; du recours à la force dans le contexte de manifestations; de la justice pénale militaire; du service militaire; des exécutions extrajudiciaires imputables à des militaires; des découvertes de fosses communes; des réparations, y compris les restitutions de terres, pour les victimes du conflit armé; des violences sexuelles dans le cadre du conflit armé; ou encore des cas de paramilitaires colombiens extradés aux États-Unis.

Le rapporteur du Comité pour l'examen du rapport de la Colombie, M. Jens Modvig, a exprimé des préoccupations de ce que le Gouvernement colombien ait érigé en infraction la participation à des manifestations et s'est enquis de la fréquence du recours à la «rétention pour protection» dans ce contexte. Il a par ailleurs relevé que la violence sexuelle contre les femmes et les enfants semble être un problème endémique en Colombie. Il a aussi porté son attention sur la situation de «crise humanitaire» dans les prisons colombiennes, marquées par la surpopulation carcérale. Le recours à la détention au secret est aussi un problème, ainsi que le nombre élevé de détenus placés en détention préventive. Le rapporteur s'est par ailleurs inquiété d'informations sur plusieurs cas de détention arbitraire et de torture imputables à des militaires. C'est l'impunité qui semble prévaloir pour les personnes qui se sont rendues coupables de disparations forcées, a-t-il en outre déploré. Ce serait le cas également pour les membres des forces paramilitaires démobilisés. La corapporteuse, Mme Essadia Belmir, a ajouté à cet égard que groupes paramilitaires démobilisés sont accusés de se continuer de se livrer à des exécutions extrajudiciaires. Elle s'est inquiétée des compétences de la justice militaire s'agissant des questions de torture et de droits de l'homme. Elle a elle aussi constaté peu d'évolutions en Colombie en ce qui concerne les conditions de détention.

Le Comité adoptera, dans le cadre de séances privées, des observations finales sur le rapport de la Colombie et les rendra publiques à l'issue de la session, qui se termine le vendredi 15 mai.


Lundi matin, à 10 heures, le Comité entamera l'examen du rapport de l'ex-République yougoslave de Macédoine (CAT/C/MKD/3).

Présentation du rapport de la Colombie

Présentant le rapport de la Colombie (CAT/C/COL/5), MME MARCELA ABADIA CUBILLOS, Directrice de la politique pénale et pénitentiaire au Ministère de la justice de la Colombie, a déclaré que la Colombie était aujourd'hui un pays différent: la transformation positive qu'elle a connue ces quatre dernières années dans tous les domaines, notamment dans le domaine des droits de l'homme, est reconnue et jugée intéressante pour d'autres pays. En dépit du conflit armé interne qui s'est déroulé durant plus de cinq décennies et que qu'elle espère surmonter à travers le processus de paix, la Colombie est parvenue à consolider sa démocratie par une institutionnalisation des droits de l'homme et la garantie des libertés fondamentales pour tous les Colombiens.

La Colombie rejette la pratique de la torture, ce dont témoigne l'important cadre normatif et institutionnel qui existe dans le pays pour prévenir et sanctionner cette pratique, a par ailleurs souligné Mme Abadia Cubillos. Dans le code pénal colombien (loi 599 de 2000), le délit de torture est énoncé au titre des délits contre la liberté individuelle et autres garanties, a-t-elle indiqué. Le délit de torture est en outre pris en compte dans le contexte des délits contre les personnes et les biens protégés par le droit international humanitaire, a-t-elle ajouté. La législation colombienne prévoit pour ce délit des peines privatives de liberté allant de 10 à 30 ans d'emprisonnement, a précisé la Directrice de la politique pénale et pénitentiaire. Est par ailleurs prévue comme circonstance aggravante de la peine encourue le fait que ce délit soit commis par un fonctionnaire public ou par un particulier exerçant une fonction publique. La Colombie compte d'autre part une vaste jurisprudence protégeant le droit à la vie et l'intégrité physique des citoyens sur tout le territoire national, a poursuivi Mme Abadia Cubillos.

«La pratique de la torture en Colombie ne répond pas à une politique étatique», a souligné Mme Abadia Cubillos; face aux cas qui se sont présentés dans le pays, prévaut toujours la décision d'enquêter et de juger et sanctionner les responsables, quelle que soit leur qualité. Elle a attiré l'attention sur l'adoption de la loi sur les victimes et la restitution des terres, qui prévoit réparations et soins pour les victimes dans un contexte de conflit armé. Au cours des quatre années depuis l'entrée en vigueur de cette loi, le mécanisme a enregistré sept millions de victimes qui se trouvent donc dans un processus de réparation, avec un effort budgétaire devant atteindre 1200 millions de dollars à l'horizon 2021. À ce jour, près d'un demi-million de victimes de divers délits ont pu être indemnisées. Cette loi inclut la torture comme «fait de victimisation pour lequel les victimes doivent être indemnisées», a-t-elle précisé.

Mme Abadia Cubillos a ensuite attiré l'attention sur les changements apportés à la politique pénale et pénitentiaire du pays et qui visent à renforcer la prévention du délit et à éviter l'augmentation disproportionnée et injustifiée des peines, tout en garantissant un accès adéquat aux services de justice et en améliorant les conditions matérielles à l'intérieur des établissements de détention. Dans ce cadre, le 20 janvier 2014, a été promulguée la loi 1709 portant modification du code pénitentiaire et carcéral de 1993, qui inclut la création du Fonds national de santé des personnes privées de liberté, lequel sera chargé d'organiser la prestation des services de santé de tous les centres de détention, a précisé la Directrice de la politique pénale et pénitentiaire. Elle a par ailleurs attiré l'attention sur la création, en 2014, de la Commission de suivi du système pénitentiaire et carcéral.

Mme Abadia Cubillos a d'autre part mis l'accent sur le projet de loi présenté en octobre dernier par le Ministère de la justice afin de rationaliser et limiter le recours à la détention préventive. Elle a souligné qu'en 2014, quelque 3,5 millions de dollars avaient été investis dans des travaux de mise aux normes, d'entretien et de rénovation des infrastructures physiques des centres de détention.

Mme Abadia Cubillos a ensuite indiqué que la loi 1654 de 2013, qui s'est accompagnée de huit décrets lois, a permis la restructuration du bureau du Procureur général de la nation, visant à renforcer sa capacité d'assumer effectivement et efficacement les fonctions constitutionnelles et légales qui lui sont dévolues. Mme Abadia Cubillos a également attiré l'attention sur le renforcement du travail scientifique de l'Institut national de médecine légale.

En conclusion, la Directrice de la politique pénale et pénitentiaire a fait observer que le Plan national de développement promu par le Président Juan Manuel Santos se fonde sur trois piliers: paix, équité et éducation. «Nous vivons un moment historique où, comme jamais auparavant, la paix se présente comme une réalité possible», a-t-elle déclaré.

Examen du rapport

Questions et observations des experts

M. JENS MODVIG, rapporteur du Comité pour l'examen du rapport de la Colombie, a relevé que la torture était définie dans deux articles du code pénal avec deux définitions différentes, celle de l'article 178 étant plus vaste que celle de la Convention, selon les autorités colombiennes. Dans ce contexte, combien de condamnations pour crime de torture ont-elles été prononcées en Colombie durant la période couverte par le rapport, a-t-il demandé?

Existe-t-il des délais de prescription pour le crime de torture dans le droit colombien, a par ailleurs souhaité savoir le rapporteur? Quels traitements cruels, inhumains ou dégradants sont-ils définis comme crimes dans le code pénal colombien et combien de condamnations pour de tels traitements ont-elles été prononcées contre des agents de l'État durant la période à l'examen, a en outre voulu savoir M. Modvig?

Le Comité est préoccupé que le fait que le Gouvernement colombien ait érigé en infraction la participation à des manifestations, a en outre souligné le rapporteur. À quelle fréquence la «rétention pour protection» a-t-elle été utilisée dans ce contexte, a-t-il demandé?

La violence sexuelle contre les femmes et les enfants semble être un problème endémique en Colombie, a poursuivi le rapporteur. Selon un rapport, plus de 48 000 cas de violences sexuelles à l'égard de femmes et d'enfants ont été enregistrés entre 2008 et 2012, a en outre fait observer le rapporteur, soulignant que cela représente plus de 10 000 cas par an. Que fait le Gouvernement pour protéger les personnes vulnérables dans le cadre des déplacements de populations, a-t-il demandé?

Quelque 730 membres de la communauté des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres aurait été tués au cours des dix dernières années, s'est en outre inquiété M. Modvig.

Pour ce qui est des conditions carcérales, s'il est rassurant de constater que les autorités se concentrent maintenant sur ce problème, il n'en demeure pas moins que la Cour constitutionnelle avait fixé un ultimatum de trois ans au Gouvernement pour régler la situation de crise humanitaire dans les prisons colombiennes, a poursuivi le rapporteur. La surpopulation carcérale semble avoir atteint des niveaux alarmants, a-t-il insisté. Dans certaines prisons du pays, seul un tiers de prisonniers semble pouvoir avoir accès à un médecin, a-t-il poursuivi. En outre, la détention de femmes dans des centres pour hommes reste un problème, a ajouté M. Modvig. Le problème des maladies et de l'accès à la santé est alarmant dans les centres de détention, a-t-il également fait observer.

Le recours à la détention au secret est aussi un problème, a poursuivi M. Modvig, avant de s'enquérir de statistiques concernant cette pratique. Qu'en est-il de l'examen du détenu avant son placement en détention au secret ou en détention en isolement, a-t-il demandé?

Le rapporteur s'est en outre inquiété du nombre élevé de détenus placés en détention préventive.

M. Modvig a recommandé à la Colombie d'accéder au Protocole facultatif se rapportant à la Convention. Il serait également bon que le pays reconnaisse la compétence du Comité pour recevoir et examiner des plaintes individuelles.

Le rapporteur a indiqué que le Comité avait été informé de plusieurs cas de détention arbitraire et même de torture imputables à des militaires colombiens.

C'est l'impunité qui semble prévaloir pour les personnes qui se sont rendues coupables de disparations forcées, a en outre fait observer M. Modvig. Qu'en est-il des mesures prises par l'État pour prévenir les disparitions, a-t-il demandé? Il s'est ensuite inquiété que des exécutions extrajudiciaires de civils soient décrites comme des pertes de vie résultant des combats.

Il subsiste en Colombie un problème non résolu concernant les quelque 30 000 membres des forces paramilitaires démobilisés, au sujet desquels les enquêtes et poursuites sont très rares, ce qui équivaut à une impunité de facto, a ajouté le rapporteur, avant de s'enquérir des plans du Gouvernement pour mettre un terme à l'impunité pour les groupes armés illégaux en Colombie.

M. Modvig s'est en outre enquis de la fréquence des menaces reçues par des juges.

Le rapporteur a également voulu connaître l'ampleur du problème de la traite de personnes en Colombie.

L'impression générale qui se dégage est que tant la torture que les mauvais traitements sous différentes formes se poursuivent dans le pays et que les mesures de protection et d'indemnisation sont assez limitées ou inefficaces, ce qui se traduit par une impunité face à ces crimes, a déclaré M. Modvig.

Le rapporteur a en outre souhaité obtenir des informations sur toute forme de coopération judiciaire entre la Colombie et les États-Unis concernant les dirigeants paramilitaires colombiens qui ont été extradés vers les États-Unis et sur la responsabilité de ces personnes dans des violations massives de droits de l'homme; il convient d'assurer les poursuites à l'encontre de ces personnes et de satisfaire le droit à la justice, à la vérité et à l'indemnisation des victimes, a-t-il souligné.

MME ESSADIA BELMIR, corapporteuse du Comité pour l'examen du rapport de la Colombie, a fait observer que plusieurs sources confirment l'existence de «détentions massives ayant notamment pour objectif le recrutement de jeunes personnes dans l'armée». Nier l'existence de tels faits n'est pas la bonne solution et il faudrait œuvrer à mettre fin à de telles pratiques, a-t-elle déclaré.

S'agissant des conditions de détention, il y a eu très peu d'évolutions en Colombie et des «manquements très préoccupants» persistent, a par ailleurs affirmé la corapporteuse.

La justice militaire a été réformée, mais cette réforme vise à élargir sa compétence, notamment aux questions de torture et de droits de l'homme en général alors que ces questions doivent relever de la justice ordinaire, a poursuivi Mme Belmir. Elle a exprimé une inquiétude à propos de l'évolution de la justice en Colombie, notamment eu égard à une certaine atteinte à l'indépendance du bureau du Procureur général, a souligné la corapporteuse, s'inquiétant en outre de la suppression de certaines juridictions et de plusieurs atteintes au pouvoir de tutelle ou de contrôle de la cour constitutionnelle.

S'agissant de la question des exécutions extrajudiciaires, «tout un problème se pose» en Colombie, a poursuivi Mme Belmir. En effet, les groupes paramilitaires démobilisés sont accusés de se livrer à des exécutions extrajudiciaires et des corps sont retrouvés décapités ou démembrés dans certaines régions bien identifiées. Il faut que l'État établisse la vérité sur ces faits. «Ces personnes sont considérées comme des «faux positifs» («falsos positivos»)»; les personnes sont tuées par ces groupes paramilitaires et on fait croire qu'elles ont été tuées pendant les combats, ces infractions étant alors traitées par les tribunaux militaires, a relevé la corapporteuse.

Mme Belmir s'est étonnée que la Colombie ait extradé 18 paramilitaires colombiens pour être jugés au États-Unis; la situation est-elle telle en Colombie qu'elle ne puisse pas juger ses propres nationaux? La corapporteurse a voulu savoir ce qui a motivé la Colombie pour procéder de la sorte, rappelant que «ces gens ont droit à un procès équitable et à être jugés là où ils ont commis leurs méfaits».

Mme Belmir a en outre soulevé le problème des personnes déplacées afro-colombiennes et autochtones; dans quelle mesure ces personnes peuvent-elles être indemnisées et faire valoir leur droit à leurs terres, a-t-elle demandé?

Parmi les autres membres du Comité, un expert a souhaité savoir où en était le projet d'abrogation de la détention en isolement.

Un autre s'est dit satisfait que le chef de la délégation colombienne ait clairement indiqué que l'État colombien n'avalise pas les actes de torture. En effet, à partir de là, on peut appréhender la prévention de la torture dans toutes ses dimensions, ce qui reste essentiel; or, pour ce faire, les garanties fondamentales, comme la présence d'un avocat dès le début de la privation de liberté, revêtent une importance cruciale. À cet égard, l'expert a relevé que selon la législation en vigueur en Colombie, le prévenu a le droit de désigner et rencontrer un avocat de son choix «le plus rapidement possible»; cette procédure reste par trop souple et laisse en fait le choix aux enquêteurs de déterminer à partir de quel moment l'avocat pourra intervenir, s'est inquiété l'expert.

Un membre du Comité a jugé alarmant le nombre important de personnes placées en détention préventive. Plusieurs membres du Comité sont allés dans le même sens pour réitérer leurs inquiétudes devant le nombre important de personnes placées en détention préventive et le problème de la surpopulation carcérale – autant de problèmes qui doivent être résolus de façon urgente.

Quelque 1662 défenseurs de droits de l'homme ont été victimes d'agressions de toutes sortes menées en particulier par des membres des groupes démobilisés, s'est inquiétée une experte. La situation des défenseurs de droits de l'homme a été jugée «à risques» par plusieurs procédures spéciales, parmi lesquelles le Groupe de travail sur les détentions arbitraires et le Rapporteur spécial sur la situation des défenseurs des droits de l'homme, a-t-elle insisté.

Une experte s'est inquiétée d'information qui mentionne l'utilisation de produits chimiques, en l'occurrence de l'acide, comme arme de guerre contre les femmes.

Rappelant le principe de non-refoulement énoncé à l'article 3 de la Convention, un membre du Comité s'est inquiété de la situation de deux jeunes vénézuéliens expulsés de Colombie vers le Venezuela pour n'avoir pas respecté l'obligation qui leur était faite de ne pas faire de politique en Colombie. Aujourd'hui, l'un de ces deux jeunes vénézuéliens se trouve détenu dans la prison appelée «La Tumba» (la tombe, en français) à Caracas, a fait observer l'expert. Certes une disposition du droit national colombien peut interdire aux réfugiés d'exercer une activité politique mais en aucun cas la Colombie ne peut se permettre de renvoyer une personne vers un pays sans s'assurer qu'elle n'y encourt pas un risque de torture, a-t-il insisté. Ce même expert s'est inquiété des menaces émanant des groupes paramilitaires à l'encontre des défenseurs de droits de l'homme. Il a en outre souhaité savoir si des enquêtes, suivies de poursuites et de condamnations, avaient été menées sur les centaines d'homicides de lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres perpétrés dans le pays. Il semblerait par ailleurs, selon plusieurs sources, que la stérilisation des personnes handicapées puisse être opérée sans le consentement de la personne, s'est également inquiété l'expert.

Un membre du Comité a relevé que la notion de traitement cruel, inhumain et dégradant n'est pas érigée en infraction pénale en tant que telle dans la législation colombienne. Il a insisté pour obtenir des données concernant le nombre de condamnations prononcées pour crimes de torture ou mauvais traitements.

Une experte a demandé quelle était la situation s'agissant d'assassinats de juges ou d'avocats lorsque des membres des forces de l'ordre sont impliqués dans des exactions. Nulle trace dans les normes internationales existantes d'une possibilité d'élargissement du champ de compétence des tribunaux militaires pour permettre à un tribunal militaire de juger d'infractions relevant des juridictions civiles, a-t-elle en outre fait observer.

Un expert a vivement encouragé la Colombie à accéder au Protocole facultatif se rapportant à la Convention, ce qui pourrait aider le pays à faire face à un certain nombre de problèmes qui se posent s'agissant de son système carcéral et pénitentiaire.

La Colombie remet-elle à des États tiers des individus sur la seule base d'assurances diplomatiques, a souhaité savoir un autre membre du Comité?

Réponses de la délégation

Répondant aux questions des membres du Comité, la délégation colombienne a notamment indiqué qu'en vertu de l'article 12 de la Constitution colombienne de 1992, personne ne sera soumis à la torture; c'est là le fondement juridique de tout le corpus juridique se rapportant à la torture en Colombie, a indiqué la délégation. La torture est un crime punissable qui n'implique pas nécessairement une participation active ou passive d'un agent ou d'une institution de l'État, a-t-elle précisé, soulignant que la définition retenue par le pays va donc au-delà des prescriptions de la Convention.

Le délai de prescription pour les délits de torture et de disparition forcée est de 30 ans, conformément à l'article 83 du code pénal et des dispositions de deux lois datant de 2009 et 2010, a par ailleurs indiqué la délégation. Pour la disparition forcée, puisqu'il s'agit d'un crime continu, la prescription ne court qu'à compter de la découverte du corps ou de la personne, a-t-elle précisé.

Si les traités et conventions relatifs aux droits de l'homme sont considérés comme ayant rang constitutionnel et priment sur le droit interne, il n'en demeure pas moins que la législation colombienne prévoit une clause d'exclusion absolue des preuves obtenues sous la torture, a d'autre part fait valoir la délégation.

S'agissant du système pénitentiaire et carcéral, la délégation a déclaré que les autorités colombiennes sont conscientes des défis qu'impose la problématique carcérale et pénitentiaire que connaît actuellement la Colombie et qui leur a été clairement signalée par la Cour constitutionnelle. Il n'en demeure pas moins que l'État ne ménage aucun effort pour résoudre et surmonter les graves conditions dans lesquelles se trouvent les personnes privées de liberté. C'est pourquoi le Gouvernement a entrepris de repenser le système pénitentiaire et la politique pénale qui le sous-tend, laquelle fut conçue durant des décennies de façon tout à fait désordonnée car non planifiée et avec un fort caractère punitif qui envisageait le droit pénal comme étant la principale solution à l'endiguement de nombreux problèmes sociaux. La politique pénale et pénitentiaire qui est appliquée aujourd'hui part de l'idée que la privation de liberté est l'ultime recours que doit utiliser l'État pour contrôler les conflits au sein de la société et doit donc être réservée aux crimes les plus graves. Aussi, les plans d'action des autorités publiques en la matière visent-ils à promouvoir les activités de prévention des délits. Dans le même sens, le Gouvernement œuvre à la mise en place de mesures alternatives à la sanction pour les délits en rapport avec la consommation problématique de drogues. Ainsi, la solution ne réside-t-elle pas dans la construction de davantage de prisons, a souligné la délégation.

Face à l'insuffisance des espaces disponibles pour les personnes privées de liberté, la délégation a fait état des mesures prises par les autorités pour, entre autres, construire de nouveaux pavillons et augmenter le nombre de places disponibles.

La délégation a par ailleurs fait valoir que la Colombie avait adopté en 2014 une norme obligeant à construire des établissements pénitentiaires différenciés pour les femmes. À l'heure actuelle, a-t-elle précisé, les femmes qui se trouvent encore emprisonnées dans des établissements pour hommes sont néanmoins toujours isolées des hommes et gardées par des personnels féminins – personnels dont le nombre s'élève à 1671 gardiennes.

La délégation a d'autre part indiqué que divers mécanismes sont à la disposition des personnes privées de liberté pour porter plainte concernant leurs conditions de détention ou de mauvais traitements dont elles auraient fait l'objet. Il s'agit en particulier du Défenseur délégué à la politique pénale et pénitentiaire du bureau du Défenseur du peuple; des comités des droits de l'homme des personnes détenues (organes de représentation des personnes détenues dans les établissements de détention); des consuls des droits de l'homme de l'Institut national pénitentiaire et carcéral.

La délégation a par ailleurs attiré l'attention sur les mesures prises et les importants investissements réalisés dans le cadre du programme de protection des victimes et des témoins pour la période 2007-2015.

S'agissant de la situation juridique des personnes placées en détention préventive, la délégation a fait valoir que le système en vigueur en Colombie fournit des garanties constitutionnelles et juridiques qui permettent d'invoquer des recours tels que le recours en habeas corpus et de présenter des plaintes pénales contre tous les fonctionnaires qui autorisent le maintien d'une personne en détention indue. Personne ne peut être détenu plus de 36 heures sans qu'un procureur ait demandé à un juge des garanties de prononcer une accusation et d'imposer une mesure de sûreté, a par ailleurs indiqué la délégation. Le Défenseur du peuple et le bureau du Procureur général sont les deux entités garantes de ces droits, a-t-elle précisé.

En ce qui concerne les questions relatives aux manifestations massives et aux troubles sociaux, la délégation a déclaré que le Gouvernement colombien était respectueux des manifestations et a assuré qu'en aucun cas il n'incrimine les manifestants. Le droit de manifester est prévu par l'article 37 de la Constitution; tout individu peut manifester publiquement et pacifiquement, a-t-elle souligné. Dans ce contexte, le recours à la force est régi par un certain nombre d'instruments internationaux et nationaux, a fait observer la délégation, précisant que le recours à la force doit viser à protéger les biens publics et les biens juridiques des membres de la communauté et ne peut en aucun cas violer les droits de l'homme; il doit en outre respecter les principes de nécessité et de rationalité. «Est rationnelle la force qui est proportionnelle aux circonstances en fonction des biens juridiques et de leur valeur», a précisé la délégation. Le recours à la force ne sera pas légitime lorsque la personne devant être arrêtée a été neutralisée, a-t-elle insisté. Avant l'usage de la force, il faut toujours rechercher une solution pacifique, a assuré la délégation.

En 2014, pendant les troubles sociaux, 93 agents de police nationale ont été gravement blessés voire mutilés dans le cadre de manifestations, a précisé la délégation. Une enquête a donc été ouverte. Les enquêtes et arrestations qui ont suivi ont été menées à bien avec toutes les garanties judiciaires requises, a assuré la délégation.

En ce qui concerne la justice pénale militaire, la délégation a indiqué que le Congrès était en train de débattre d'un projet de loi visant à garantir qu'un certain nombre de violations des droits de l'homme imputables aux militaires relève des tribunaux ordinaires. La Colombie a décidé d'accorder un rang constitutionnel à l'exclusion d'un certain nombre de crimes de la compétence militaire. Il s'agit en particulier des crimes contre l'humanité, des crimes de guerre, du génocide, des exécutions extrajudiciaires, des violences sexuelles, de la torture et des déplacements forcés, entre autres, a précisé la délégation.

Tout homme colombien doit, dans l'année qui précède la date de sa majorité, s'inscrire aux fins de la détermination de sa situation militaire, après quoi l'armée décidera de son statut, a par ailleurs indiqué la délégation. L'individu sera enrôlé dans l'armée s'il est jugé apte. Les critères d'exemption du service militaire sont consignés dans la loi. En aucun cas des mineurs de moins de 18 ans ne doivent être enrôlés dans l'armée ou dans des unités de la police nationale, a souligné la délégation.

Interpellée sur la question des exécutions extrajudiciaires, la délégation a assuré que si des fonctionnaires agissent en marge de la Constitution et de la législation, un tel comportement sera toujours jugé inacceptable. Le pays dispose de règles claires concernant les actions qui doivent être engagées contre tout agent de l'État qui se sera rendu coupable de manquements. Des mécanismes ont été créés pour garantir la transparence et la coopération avec les autorités judiciaires et disciplinaires lorsque des enquêtes sont diligentées, a insisté la délégation.

Jusqu'en décembre 2014, quelque 800 militaires avaient été condamnés pour homicides et homicides aggravés et plus de 3700 font aujourd'hui l'objet d'enquêtes pour des faits similaires, a précisé la délégation.

Grâce au processus de justice transitionnelle, environ 4500 fosses communes ont été mises à jour et quelque 2841 dépouilles ont été remises aux familles et aux proches des victimes, 933 autres étant actuellement en attente de la même procédure, a en outre indiqué la délégation.

S'agissant de la question des restitutions de terres des victimes du conflit armé, la délégation a notamment attiré l'attention sur la loi n°1448 de 2011 dite loi sur les victimes et la restitution des terres, qui constitue l'un des principaux axes de construction de la paix en Colombie. L'Unité de soins et d'indemnisation des victimes mis en place pour le suivi et l'évaluation de cette loi s'appuie sur l'existence primordiale du Registre unifié des victimes du conflit armé. Ce registre contient plus de sept millions de victimes reconnues dont près de 5,6 millions sont considérées comme sujets d'attention et de réparation, a précisé la délégation, signalant par ailleurs que 86% de ce Registre était composé de victimes de déplacements forcés, le reste étant constitué de victimes d'autres faits en rapport notamment avec la torture dans le cadre du conflit armé. Les victimes ont droit à réparation intégrale, a insisté la délégation. L'Unité de soins et d'indemnisation des victimes a jusqu'ici indemnisé à titre de réparation individuelle quelque 500 000 personnes, alors que 303 groupes et communautés ont été reconnus comme sujets de réparations collectives. Rappelant que le retour et la réinstallation figurent au nombre des mesures de réparation, la délégation a indiqué qu'à ce jour, 64% des familles ayant bénéficié d'une décision de justice favorable en la matière se trouvent dans un processus de retour ou de réinstallation.

En ce qui concerne les violences sexuelles dans le cadre du conflit armé, la délégation a indiqué que les femmes ayant été victimes de telles violences représentent près de la moitié des victimes totales du conflit armé. La délégation a par ailleurs attiré l'attention sur la décision qui a été prise de ne pas fixer de délai pour la déclaration de ces crimes. À ce jour, près de 10 000 personnes ont porté plainte pour délit contre l'intégrité sexuelle, a précisé la délégation, soulignant qu'il a donc fallu adopter et appliquer une stratégie de réparation intégrale en faveur de ces victimes.

Interpellée sur le cas des 18 paramilitaires colombiens extradés pour être jugés aux États‑Unis, la délégation a expliqué que la collaboration de la Colombie avec les autorités des États-Unis dans cette affaire résultait du fait qu'il s'agissait de crimes liés au trafic de drogues qui avaient été perpétrés par de hauts responsables des groupes paramilitaires.

La délégation a reconnu que la surpopulation carcérale résultait du grand nombre de personnes placées en détention préventive.

S'agissant des cas d'exécutions extrajudiciaires, la délégation a indiqué que, pour un nombre total de 4450 victimes, 2513 enquêtes étaient en cours, dont 1521 dans leur première phase; 1140 personnes ont d'ores et déjà été condamnées pour de tels faits, a ajouté la délégation, précisant que plus de 800 condamnations ont été prononcées à l'encontre de membres des forces armées.

La délégation a indiqué que les autorités colombiennes ont constaté des retards dans les enquêtes disciplinaires et pénales ayant fait suite à des plaintes contre le personnel pénitentiaire. Les ministères concernés ont mis en place des stratégies de lutte contre la criminalité à l'intérieur des prisons, notamment pour lutter contre des actes d'extorsion ou de racket imputables, non seulement à des détenus à l'encontre de codétenus, mais aussi à des gardiens.

L'examen médical est un droit pour les détenus, a d'autre part assuré la délégation. Malheureusement, des lacunes subsistent en ce qui concerne la prestation des services de santé dans les prisons, a-t-elle admis, exprimant l'espoir que la situation s'améliorera prochainement. L'Institut de médecine légale a beaucoup fait en matière de lutte contre la torture et les mauvais traitements, a souligné la délégation; il a publié une série de manuels accessibles sur son site web, a-t-elle indiqué. Ces deux dernières années, le Protocole d'Istanbul a été appliqué dans quelque 138 cas de suspicion d'actes de torture, a notamment précisé la délégation.


Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas un document officiel

CAT15/013F