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LE CONSEIL DES DROITS DE L'HOMME TIENT SA PREMIÈRE RÉUNION-DÉBAT BIENNALE DE HAUT NIVEAU SUR LA QUESTION DE LA PEINE DE MORT

Compte rendu de séance
L'attention se porte sur les efforts entrepris au niveau régional en vue d'abolir la peine de mort et les difficultés rencontrées

Le Conseil des droits de l'homme a tenu, cet après-midi, une réunion-débat consacrée aux efforts entrepris au niveau régional en vue d'abolir la peine de mort et les difficultés rencontrées à cet égard. En juin 2014, le Conseil avait décidé d'organiser des réunions-débats biennales de haut niveau visant la poursuite d'échanges de vues sur la question de la peine de mort, dont la première serait tenue à la présente session et porterait sur les efforts entrepris au niveau régional en vue d'abolir la peine de mort et les difficultés rencontrées à cet égard.

M. Ivan Šimonović, Sous-Secrétaire général aux droits de l'homme, a ouvert le débat, qui était animé par Mme Ruth Dreifuss, ancienne Présidente de la Suisse. Le débat a compté avec la participation de cinq experts invités: Mme Zainabo Sylvie Kayitesi, Présidente de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples; M. Stavros Lambrinidis, Représentant spécial de l'Union européenne pour les droits de l'homme; Mme Tracy Robinson, Présidente de la Commission interaméricaine des droits de l'homme; M. Mohammed Bedjaoui, membre de la Commission internationale contre la peine de mort; et Mme Sara Hossain, membre de la Commission internationale de juristes (région Asie-Pacifique).

M. Šimonović a notamment souligné que quelque 160 pays des cinq continents avaient aujourd'hui soit aboli la peine capitale, soit choisi de ne pas l'appliquer. En décembre dernier, un nombre sans précédent d'États membres de l'ONU ont apporté leur soutien à une résolution de l'Assemblée générale appelant à un moratoire sur les exécutions capitales en tant que première étape d'une abolition future. Mais certains pays réintroduisent la peine de mort, avec pour justification que la majorité de la population l'exige. D'autres la maintiennent pour certains délits. Pour sa part, l'ONU, et en particulier le Haut-Commissariat aux droits de l'homme, mènent des initiatives pour promouvoir l'abolition de la peine de mort. Mme Dreifuss a souligné que l'inefficacité dissuasive de la peine de mort, de même que les erreurs judiciaires qui émaillent son application, ont conduit à la prise de conscience internationale de la nécessité d'abolir cette peine. Il est essentiel qu'une très grande majorité de pays invitent les États encore non abolitionnistes à renoncer à la peine de mort, a-t-elle insisté.

La Présidente de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples a indiqué que la peine de mort est désormais abolie dans 19 pays d'Afrique, 23 pays s'étant inscrits dans un processus abolitionniste et neuf seulement l'appliquant encore, mais de manière retreinte. S'agissant des Amériques, la Présidente de la Commission interaméricaine des droits de l'homme a souligné que seuls les États-Unis pratiquent encore la peine de mort, même si on perçoit un changement de tendance dans l'opinion publique. Quant à l'Asie, de nombreux pays de la région Asie-Pacifique ont adhéré aux instruments internationaux relatifs à l'abolition ou observent des moratoires, a fait savoir Mme Hossein, de la Commission internationale de juristes, même si la région ne dispose pas de mécanisme régional imposant l'abolition de la peine de mort. Le Représentant spécial de l'Union européenne pour les droits de l'homme a pour sa part affirmé que l'approche consistant à ancrer le débat sur l'abolition sur des considérations culturelles était erronée, le mouvement abolitionniste touchant aujourd'hui tous les pays et toutes les régions sans exception. En ce qui concerne les pays arabes, M. Bedjaoui, de la Commission internationale contre la peine de mort, a relevé que si la Charte arabe des droits de l'homme n'abolit pas la peine de mort, elle interdit la peine de mort en dehors des sentences prononcées par la justice; en outre, nombre de pays arabes appliquent un moratoire et plaident en ce sens, à l'exemple de l'Algérie qui a parrainé à New York la résolution sur le moratoire.

Au cours du débat, le Ministre de la justice de la Namibie a appelé les États non abolitionnistes à revoir leur position et les a encouragés à décréter, au minimum, un moratoire. «La justice doit restaurer, réhabiliter et non détruire», a dit le ministre; l'application de l'antique adage «œil pour œil, dent pour dent» rendra tout le monde aveugle, a-t-il observé. Plusieurs pays, relevant qu'il n'existe pas d'argument statistique convaincant en faveur du maintien de la peine de mort, ont appelé les États ayant imposé un moratoire sur la peine de mort à abolir cette peine. La France a souligné que la peine de mort n'était «pas une question culturelle mais de principe».

Mais d'autres pays, dont le Botswana, ont souligné que la peine de mort ne relevait pas des normes de droits de l'homme mais bien de la justice pénale, expression de la souveraineté nationale. Ils ont aussi souligné qu'aucun instrument universel de droits de l'homme n'interdisait explicitement la peine de mort. Singapour, qui s'exprimait au nom d'un groupe de 24 États, a souligné l'absence de consensus international sur la question de l'abolition de la peine de mort.

Le Ministre de la justice de la Namibie et de la Sierra Leone, le Ministre des affaires étrangères et de la coopération du Botswana ont participé au débat, de même que le président de la Commission des droits de l'homme de l'Arabie saoudite. Les délégations suivantes se sont également exprimées: Singapour (au nom d'un groupe de 24 États), Timor-Leste (au nom de plusieurs pays de langue portugaise), Argentine, Australie, Autriche, Norvège, Belgique, Albanie, Union européenne, Organisation internationale de la Francophonie, Turquie, Paraguay, Pays-Bas, Brésil, Fédération de Russie, Slovénie, Afrique du Sud, Moldova, Jamaïque, Mexique, Pakistan, Royaume-Uni, France, Portugal, Liechtenstein, Irlande, Indonésie et Soudan.

Les institutions nationales de droits de l'homme de la Malaisie et du Maroc de même que plusieurs organisations non gouvernementales ont aussi fait des déclarations: Verein Südwind Entwicklungspolitik, Penal Reform International, Franciscain international, Amnesty International, Comité consultatif mondial de la Société des amis (Quakers) et Commonwealth Human Rights Initiative.


Le Conseil se réunit demain à partir de 9 heures pour entendre plusieurs dignitaires dans le cadre de son débat de haut niveau, avant de tenir un débat général consacré au rapport annuel du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme.


Réunion-débat sur la question de la peine de mort

Déclarations liminaires

M. IVAN ŠIMONOVIĆ, Sous-Secrétaire général des Nations Unies aux droits de l'homme, a fait un rappel historique de l'abolition de la peine de mort, indiquant que le Venezuela avait été le premier pays à y renoncer, démarche qui a ensuite été imitée, de fait ou en droit, d'abord aux Amériques puis dans le reste du monde. Désormais, quelque 160 pays des cinq continents ont soit aboli la peine capitale, soit choisi de ne pas l'appliquer. En décembre dernier, un nombre sans précédent d'États membres de l'ONU ont apporté leur soutien à une résolution de l'Assemblée générale appelant à un moratoire sur les exécutions capitales en tant que première étape d'une abolition future.

En dépit de ces avancées, des difficultés demeurent, a noté M. Šimonović, qui a constaté que certains pays renonçaient à l'abolition ou réintroduisaient la peine de mort, avec pour justification que la majorité de la population l'exige. D'autres la maintiennent pour les délits de trafic de stupéfiants, en estimant que cela pouvait avoir un effet dissuasif, ce qui n'est pas démontré. Si l'on ne peut ignorer les sentiments du public, un pays sensible à l'importance des droits de l'homme ne peut se permettre de s'appuyer sur des sondages d'opinion pour justifier le maintien de la peine capitale, a estimé le Sous-Secrétaire général, qui a attiré l'attention sur les initiatives de l'ONU, du Haut-Commissariat aux droits de l'homme en particulier, en faveur de l'abolition de la peine de mort.

L'animatrice du débat, MME RUTH DREIFUSS, ancienne Conseillère fédérale et ancienne Présidente de la Suisse, a noté que le mouvement en faveur de l'abolition de la peine de mort s'était accéléré ces dernières années. Aujourd'hui ce sont 100 pays l'ont aboli en droit et 50 en fait. Des pays pionniers ont expérimenté l'inefficacité dissuasive de cette peine, sans compter les erreurs judiciaires qui ont émaillé son histoire. Ce sont ces facteurs qui ont conduit à la prise de conscience internationale de la nécessité d'abolir cette peine, a dit la modératrice, ajoutant que le débat du jour est l'occasion d'échanger sur ces expériences et voir comment on peut progresser sur la question.

Exposés des panélistes

MME ZAINABO SYLVIE KAYITESI, Présidente de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples, a indiqué que cette dernière s'était engagée dans le processus d'abolition de la peine de mort depuis 1999. De nombreuses initiatives ont été prises en ce sens, sachant que la peine de mort est encore prévue dans le code pénal de nombreux pays africains, situation qu'elle a attribuée à l'héritage colonial ou à des coutumes locales ou religieuses. La peine reste pratiquée pour des crimes graves et s'est étendue, par exemple, aux infractions sexuelles, a indiqué Mme Kayitesi.

La Commission a mené en 2010-2011 une étude sur la peine de mort qui a abouti à la formulation de recommandations visant son abolition et à l'ajout d'un protocole additionnel à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples à cette fin. La Commission a également demandé aux États africains qui appliquent la peine de mort ou qui la maintiennent dans leur législation d'adopter un moratoire ou de ne l'appliquer qu'aux crimes les plus graves. Au début de ce processus, l'Afrique ne comptait que 11 pays ayant aboli la peine capitale; aujourd'hui elle en compte 19, tandis que 23 autres se sont inscrits dans un processus abolitionniste. Seuls neuf pays appliquent encore la peine de mort, mais avec des chiffres minimes, de l'ordre d'une exécution par an, a-t-elle aussi noté, en soulignant les progrès accomplis sur le chemin de l'abolition.

M. STAVROS LAMBRINIDIS, Représentant spécial de l'Union européenne pour les droits de l'homme, a souligné que l'Europe avait pris un engagement ferme et sans réserve contre la peine de mort, à tel point que l'abolition de cette peine est une condition d'adhésion à l'Union. L'approche consistant à ancrer le débat sur l'abolition à des considérations culturelles est erronée, a estimé M. Lambrinidis, constatant que le mouvement abolitionniste touche aujourd'hui tous les pays et toutes les régions. Il est difficile de dire pourquoi l'Europe assume depuis longtemps un rôle d'avant-garde dans ce domaine. Peut-être faut-il invoquer ici le passé dramatique du continent, notamment l'extermination des Juifs, qui a pu inciter les Européens à plaider pour l'élimination de la peine capitale. Une autre raison tient sans doute au risque juridique inhérent à l'application de cette peine à des innocents, en particulier dans des pays qui ne disposent pas de structures judiciaires suffisamment fortes pour prévenir toute erreur judiciaire. Enfin, un troisième argument contre la peine de mort est le simple respect de la dignité humaine: «aucun assassin ne doit pouvoir me transformer moi-même en assassin», a estimé M. Lambrinidis.

MME TRACY ROBINSON, Présidente de la Commission interaméricaine des droits de l'homme, a déclaré que près de la moitié des États membres de l'Organisation des États américains se sont déjà engagés contre la peine de mort, le Venezuela étant historiquement le premier pays abolitionniste. Tous les pays de la région des Caraïbes ont renoncé à la peine de mort. Le seul pays du continent qui la conserve sont les États-Unis, même si là aussi, on perçoit un changement de tendance dans l'opinion publique. Mme Robinson a constaté que la peine de mort est un héritage de la colonisation anglaise. Elle a recommandé aux États de transformer leurs moratoires en abolition juridique.

M. MOHAMMED BEDJAOUI, membre de la Commission internationale contre la peine de mort, a observé que la Charte arabe des droits de l'homme n'abolit pas la peine de mort. Toutefois, a-t-il observé, une telle situation n'est pas exceptionnelle car aucune charte internationale ou régionale, à l'exception de l'Europe, n'abolit expressément cette peine. Même le Déclaration universelle des droits de l'homme ne le fait pas. La Charte arabe contient cependant un article qui interdit la peine de mort en dehors des sentences prononcées par la justice. En outre, nombre de pays arabes appliquent un moratoire et plaident en ce sens, à l'exemple de l'Algérie qui a parrainé à New York la résolution sur ce moratoire. M. Bedjaoui a aussi estimé que l'état de droit et la démocratie ne sont pas compatibles avec la peine de mort, alors que les régimes autoritaires s'en accommodent très bien. Dans ce contexte, il est à espérer que les pays arabes suivront cette voie et parviendront à l'abolition, a-t-il conclu.

MME SARA HOSSAIN, Commisssaire pour la région Asie-Pacifique de la Commission internationale de juristes, a déclaré que sa région est la seule à ne pas avoir de mécanisme régional imposant l'abolition de la peine de mort. Il n'empêche que nombre de pays asiatiques ont adhéré aux instruments internationaux relatifs à cette abolition ou observent des moratoires. D'autres pays commuent cette peine en prison à vie ou ne procèdent plus à aucune exécution depuis des années. Il y a donc de bons exemples en faveur de l'abolition, a-t-elle estimé. Mme Hossain a également observé que la peine de mort était souvent prononcée pour des faits mineurs, comme celui de relations sexuelles entre adultes consentants. La mise à exécution de cette peine pose un certain nombre de problèmes, notamment ses conséquences pour les personnes pauvres et vulnérables. Il faut donc un débat sur cette question, a conclu l'experte.

Débat

De nombreux pays abolitionnistes se sont placés sur le plan des principes. L'Afrique du Sud a indiqué que, lors de l'abolition en 1995 par sa Cour constitutionnelle, son président, Arthur Chaskalson, avait souligné que «les droits à la vie et à la dignité étaient les plus importants de tous les droits humains et la source de tous les autres droits individuels». Le Paraguay a souligné pour sa part que, sans respect du droit à la vie il ne saurait y avoir d'autres droits. Il a souligné qu'il s'agissait d'une mesure d'une cruauté extrême. Le Portugal estime qu'il s'agit d'une peine inhumaine et dégradante qui dégrade également l'État qui le pratique et s'est félicité que les deux tiers des pays ne l'appliquent plus. Il s'inquiète toutefois de l'évolution inquiétante actuelle où des États annulent leur moratoire quand ils ne réinstaurent pas la peine capitale. Le Liechtenstein a souligné des erreurs judiciaires pouvaient survenir n'importe où, y compris dans les pays jouissant de systèmes judiciaires fonctionnels. Il est convaincu que la peine capitale est destinée à finir dans les oubliettes de l'histoire. L'Irlande, qui a rappelé le caractère irréparable de la peine capitale, a appelé les États la pratiquant encore à respecter un minimum de critères fondamentaux en ne l'appliquant pas aux mineurs ou aux personnes attardées mentales.

S'agissant de la proclamation de moratoires en tant que première étape censée menée à la renonciation définitive, la Fédération de Russie, qui a indiqué avoir instauré un tel moratoire en 1999, a indiqué que la Cour constitutionnelle avait estimé qu'il existait désormais des garanties stables de la poursuite de sa non application. Il s'agit a priori d'un processus irréversible menant à l'abolition. Néanmoins, la Russie estime nécessaire de tenir compte des contextes spécifiques à chaque pays et se refuse à considérer que ses propres choix doivent s'appliquer de manière universelle. La Turquie, qui a indiqué avoir appliqué un moratoire de deux décennies, a précisé avoir aboli la peine de mort en 2004. Les États lusophones s'exprimant par la voix de Timor Leste ont fait part de leur préoccupation face à la récente augmentation du nombre des exécutions capitales dans le monde. Il s'agit d'une grave violation du droit à la vie, les pays de langue portugaise appelant à l'abolition, en commençant par décréter un moratoire sur les exécutions, estime ces pays.

Parmi les pays n'ayant pas sauté le pas du moratoire à l'abolition, la Jamaïque a souligné à son tour que la peine de mort n'était pas interdite par le droit international. L'Algérie a indiqué observer un moratoire de fait depuis 1993 et expliqué que de nombreuses peines de mort étaient commuées en peine de réclusion. Elle a accueilli en décembre dernier un séminaire d'experts sur l'abolition de la peine capitale au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.

Plusieurs pays appellent leurs partenaires non abolitionnistes à revoir leur position. Le ministre de la justice de la Namibie a ainsi lancé un appel en ce sens à tous les États non abolitionnistes, les encourageant à décréter au minimum un moratoire. La justice doit restaurer, réhabiliter et non détruire, estime la Namibie, pour laquelle, si l'on applique l'antique adage «œil pour œil, dent pour dent», tout le monde finira aveugle. Exprimant une note optimiste, le ministre de la justice de la Sierra Leone, qui a indiqué que son pays avait renoncé à la peine de mort en 2007, a estimé qu'il existait une forte volonté politique en Afrique en faveur de l'abolition. Le Royaume-Uni a souligné lui aussi la tendance abolitionniste dans le monde à l'exception de quelques pays, dont les États-Unis dans les Amériques et le Bélarus en Europe. Il estime que la réflexion doit se poursuivre quant aux peines alternatives pour trafic de drogue.

En revanche, plusieurs délégations ont souligné que l'imposition de la peine capitale relevait du droit interne inaliénable de chaque État. Singapour, qui s'exprimait au nom d'un groupe de 24 pays, a souligné l'absence de consensus international sur l'abolition. Rien dans la Charte de l'ONU ne permet à celle-ci de s'ingérer dans la souveraineté des États, a ajouté Singapour: c'est à chaque société de faire son choix. Le Pakistan, qui a souligné lui aussi que la question ne faisait pas consensus, a rappelé que chaque pays était absolument souverain dans ce domaine. Il a cité le cas concrets des terroristes qui méritent les châtiments les plus sévères. Il est contre-productif, selon lui, de vouloir imposer son système de valeurs aux autres. Le Botswana aussi a estimé que chaque pays jouissait du droit souverain d'abolir ou pas la peine capitale. Il s'agit d'un principe incontestable du droit international, lequel ne prévoit pas l'abolition de ce châtiment. Au Botswana, la peine de mort est réservée aux crimes les plus graves.

Certaines délégations ont justifié le maintien de la peine de mort pour les crimes les plus graves. Ainsi, l'Arabie saoudite, qui a rappelé que son système judiciaire s'appuyait sur la «charia islamique tolérante», a rappelé elle aussi qu'il n'existait pas de consensus face à la peine capitale et son abolition. Elle a souligné l'importance de ne pas oublier les droits des victimes qui ont été violés par les criminels, la peine capitale étant réservée aux crimes les plus graves. Le Soudan a rappelé que la résolution de l'Assemblée générale avait été adoptée à l'issue d'un vote et non pas par consensus. Il s'agit pour les pays non abolitionnistes de protéger la société contre les crimes les plus graves, a souligné son représentant.

L'Indonésie estime que les pays pratiquant la peine de mort doivent faire preuve de la plus grande retenue possible. Elle a indiqué avoir pratiqué un moratoire pendant plusieurs années, moratoire qu'elle a annulé en raison de l'aggravation de la criminalité. Prenant le contre-pied, le Brésil a souligné qu'il n'existait pas de preuve empirique établissant une relation de cause à effet entre la peine capitale et le contrôle effectif de la criminalité.

Pays abolitionniste, les Pays-Bas ont fait part de leur préoccupation face à la levée de certains moratoires, ainsi que face à l'élargissement de l'application de la peine capitale à certains crimes. En tant que pays, dont un des citoyens a été récemment exécuté à l'étranger, les Pays-Bas appellent les États pratiquant encore cette peine à y renoncer. L'Union européenne, qui se félicite de la tendance abolitionniste de par le monde, a émis l'espoir que les derniers pays ayant renoncé récemment à la peine capitale ouvriraient la voie à ceux résistant encore. La Slovénie, qui se félicite elle aussi de la tendance croissante à l'abolition avec le soutien de l'ONU, estime possible d'influencer les États et d'influer sur le respect des droits de l'homme. Elle appelle à l'abolition ou à défaut à l'instauration de moratoires.

Quelques délégations ont mis en avant leurs initiatives sur le plan international. L'Albanie estime que rien ne saurait justifier la peine capitale et indique, comme la Norvège, avoir placé cette question parmi les priorités de sa politique étrangère. Ces pays estiment qu'il n'existe pas d'argument statistique convaincant en faveur du maintien de la peine de mort. L'Argentine, qui a rappelé qu'elle avait aboli la peine capitale, a dit militer activement à l'ONU en faveur de son abolition universelle. Son représentant a indiqué que Buenos Aires réclamait inlassablement la grâce de Victor Saldano, seul ressortissant argentin condamné à mort, au Texas, et qui est détenu dans le couloir de la mort depuis 1996. Tout en reconnaissant la nécessité d'infliger des peines sévères de réclusion criminelle pour les peines les plus graves, l'Australie se félicite de la tendance générale à l'abolition pour laquelle elle se bat. Le Mexique a souligné qu'il menait une action active et importante en faveur de l'abolition et de l'instauration de moratoires.

Plusieurs pays européens ont souligné le rôle d'avant-garde du vieux continent en faveur de l'abolition universelle. La Belgique estime qu'il s'agit d'une peine qui porte gravement atteinte à la dignité humaine et constitue en outre un châtiment cruel, dégradant et inhumain. Elle se félicite que l'Europe soit aujourd'hui le seul espace au monde où la peine de mort est presque totalement hors la loi. La Belgique reconnaît toutefois que, malgré des progrès significatifs ces dernières années, la lutte pour l'abolition reste une œuvre de longue haleine. L'Autriche a déploré qu'un pays européen, à savoir le Bélarus, applique toujours la peine capitale et a appelé ce pays à revoir sa position. La Norvège a demandé aux panélistes de quelle manière les pays abolitionnistes pouvaient influer sur les pays appliquant la peine capitale.

La République de Moldova, qui a rappelé être coauteur de la résolution du Conseil sur la peine de mort, a estimé que le cas de l'Europe illustrait le rôle fondamental joué par les organisations régionales et multilatérales dans le combat pour l'abolition. La France, qui a estimé que ce débat s'imposait au sein du Conseil, a souligné que la peine de mort n'était pas une question de culture mais de principe. Elle a appelé les organisations régionales à se mobiliser sur cet enjeu majeur. Son représentant a appelé les États concernés à participer activement au prochain congrès régional contre la peine de mort, consacré pour la première fois à l'Asie, qui se tiendra à Kuala Lumpur en juin de cette année. Elle organisera en fin d'année un séminaire parlementaire centré sur l'Afrique francophone subsaharienne. L'Organisation internationale de la francophonie a souligné l'encouragement qu'elle prodiguait en faveur des Protocoles relatifs à la peine de mort et souligné son rôle de plaidoyer à cet égard, en soutenant notamment les organisations non gouvernementales militant pour l'abolition.

En tant qu'Institution nationale des droits de l'homme, la Commission des droits de l'homme du Maroc a rappelé que, si ce pays pratiquait un moratoire depuis plus de vingt ans, près de 200 condamnés à mort étaient détenus dans les prisons du pays. La Commission souhaite que le Maroc ratifie le Deuxième Protocole facultatif au Pacte international relatif aux droits civils et politiques visant à l'abolition car elle considère la peine de mort comme une peine inhumaine. La Commission des droits de l'homme de la Malaisie-SUHAKAM a appelé à l'éducation du public sur le caractère inhumain de la peine de mort et son effet négatif sur la protection des droits de l'homme. Elle a appelé à un moratoire sur les exécutions, en soulignant que personne ne devrait être soumis à la torture et à des traitements inhumains.

Pour les organisations non gouvernementales, Franciscain international a évoqué les condamnations à mort en Indonésie, pour trafic de stupéfiants notamment. Cette politique est contraire aux engagements présidentiels avant son élection, le chef de l'État refusant d'exercer son droit de grâce. Amnesty International, qui a constaté qu'un nombre croissant de pays abolissaient la peine capitale, juge que plutôt que d'exécuter les criminels, il serait plus fructueux de s'attaquer aux causes de la criminalité. Le Comité consultatif mondial de la Société des amis – Quakers estime qu'il serait utile d'avoir une consultation régionale sur la question en ce qui concerne l'Afrique. Commonwealth Human Rights Initiative a appelé les États à mettre un terme à une «pratique révoltante» et a déploré que neuf pays du Commonwealth continuent à appliquer la peine capitale, forme cruelle et honteuse de châtiment. Verein Südwind Entwicklungspolitik a attiré l'attention sur les cas récents d'incarcération inhumaines et l'absence de procédure légale au Pakistan, ainsi que sur les cas d'exécutions et de tueries de civils menées par des organisations terroristes brutales. Penal Reform International s'est penché sur l'impact de la peine de mort sur certains groupes comme les enfants dont les parents sont dans le couloir de la mort, les avocats défendant les condamnés à mort, et les gardiens de prison qui sont en contact avec les prisonniers condamnés à mort.

Réponses et conclusions des panélistes

MME HOSSAIN a jugé important de reconnaître que les normes sur le droit à la vie doivent éclairer les discussions sur la peine de mort. La majorité des pays asiatiques ont accepté ce principe en ratifiant les instruments du droit international, a-t-elle souligné. Le débat sur cette question doit évoluer, d'autant plus qu'il demeure des préoccupations s'agissant de l'impunité des auteurs de crimes contre l'humanité: l'opinion peut alors avoir le sentiment que la peine de mort s'impose dans ces cas. Il faut donc renforcer les systèmes de justice. L'experte de la Commission internationale de juristes a par ailleurs cité plusieurs études montrant comment la situation sociale détermine la vulnérabilité à la peine de mort. La lutte n'est pas une affaire de culture ou de religion, mais bien de justice sociale et de volonté de mettre un terme à l'impunité, a-t-elle affirmé. Il importe de procéder de manière méthodique vers l'abolition de la peine de mort, en tenant compte également des intérêts des victimes.

M. BEDJAOUI s'est dit peu convaincu par l'argument selon lequel la peine de mort ne relèverait pas des droits de l'homme, comme il a été dit par une délégation. Par analogie, peut-on nier que la torture relève tant de la justice criminelle nationale que des droits de l'homme, s'est interrogé M. Bedjaoui. L'ancien président de la Cour internationale de justice a ensuite déclaré que le succès des activités humaines dépendait bien sûr des textes qui les régissent, mais surtout des hommes qui appliquent ces textes: tous les codes pénaux sont en soi bon, c'est leur application qui pose problème. Les bonnes pratiques, les efforts d'interprétation cohérents de ces textes doivent être salués. L'expert de la Commission internationale contre la peine de mort a dit rejoindre les commentateurs qui placent au pinacle des droits le droit à la vie, ce qui devrait aller de soi. Il a relevé que certains juristes musulmans s'opposent à la peine de mort au nom des valeurs de pardon et de rédemption que prône le Coran. On gagnerait à aborder la sanction de la peine de mort à l'aune des critères moraux et pratiques proposés par le texte sacré, a-t-il fait valoir. Il a en outre souligné les effets pervers des moratoires, qui incitent les magistrats à prononcer la peine de mort car ils savent qu'elle ne sera pas appliquée. Faut-il travailler l'opinion publique, les cadres politiques et religieux? Tout est bon pour faire mûrir la situation, a conclu M. Bedjaoui.

MME ROBINSON a déclaré que le système interaméricain des droits de l'homme avait déjà obtenu des résultats concluants, comme par exemple l'abolition de la peine de mort dans les pays des Caraïbes. La Commission interaméricaine encourage les États à se conformer aux normes régionales de droits de l'homme et les aide à renforcer l'efficacité de leurs systèmes de justice. Elle a ultérieurement attiré l'attention du Conseil sur le problème de l'impunité des auteurs d'homicides dans les Amériques, dont seuls 5% sont condamnés. La population réclame avant tout la traduction en justice des responsables, a souligné Mme Robinson. L'opinion publique est susceptible de changer, a insisté l'experte, d'autant plus que les gouvernants eux-mêmes sont sensibilisés à l'opportunité de supprimer la peine de mort.

M. LAMBRINIDIS a indiqué que l'Europe agit très concrètement en interdisant l'exportation des substances chimiques utilisées pour infliger la peine de mort. L'expert a recommandé que toutes les personnes amenées à décider de l'application de la peine de mort soient tenues d'assister aux exécutions. Pour convaincre l'opinion publique de la pertinence de l'abolition de la peine de mort, l'Europe mise en particulier sur le dialogue avec les autorités nationales concernées. Il importe aussi de bien faire comprendre que «certains citoyens défavorisés sont beaucoup exposés à la peine de mort que les riches et puissants». Le Représentant spécial de l'Union européenne pour les droits de l'homme a réaffirmé qu'il n'existe aucune preuve du caractère dissuasif de la peine de mort et a souligné que la peine de mort était souvent infligée à des innocents, ce qui est inadmissible. Enfin, on sait que l'opinion publique, apparemment hostile, s'est montrée en réalité très réceptive à la décision de certains chefs d'États d'abolir la peine de mort, a-t-il plaidé. On ne saurait donc se prévaloir sans plus de réflexion du soutien de la population à cette peine.

MME KAYITESI a précisé que le Groupe de travail sur la peine de mort en Afrique avait préparé un projet de Protocole facultatif sur l'abolition de la peine de mort qui devrait être approuvé par la Commission africaine des droits de l'homme en avril prochain. Quant au Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, il n'a été ratifié à ce jour que par dix pays africains sur 57. Elle a ensuite assuré que la sensibilisation à l'abolition de la peine de mort ne constituait en rien un empiètement sur la souveraineté des États, dans la mesure où leurs chartes fondamentales défendent le principe du droit à la vie. La Commission africaine des droits de l'homme insiste, de plus, sur le problème du sort des enfants dont les parents ont été condamnés à la peine de mort.

MME DREIFUSS a constaté que certaines préoccupations demeuraient, d'abord quant à la définition même des «crimes les plus graves» invoqués par certains États qui pratiquent encore la peine de mort et qui couvrent non seulement des crimes de sang mais aussi des délits d'opinion, par exemple. D'autres problèmes persistants sont le manque de transparence des procédures judiciaires aboutissant à la peine de mort et le caractère obligatoire de la peine qui, dans certains cas, empêche le juge d'apprécier librement de l'opportunité de cette peine. Il est essentiel qu'une très grande majorité de pays invitent les États encore non abolitionnistes à renoncer à la peine de mort, a conclu l'animatrice du débat et ancienne Présidente de la Suisse.


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HRC15015F