Fil d'Ariane
LE CONSEIL DES DROITS DE L'HOMME TIENT UN DÉBAT SUR L'ÉTAT DE LA DISCRIMINATION RACIALE DANS LE MONDE
Le Conseil des droits de l'homme a tenu cet après-midi, dans le cadre de la Journée internationale pour l'élimination de la discrimination raciale qui sera célébrée demain, samedi 21 mars, un débat sur l'état de la discrimination raciale dans le monde. La réunion avait pour thème: «Tirer les enseignements des tragédies du passé pour combattre la discrimination raciale aujourd'hui», alors que cette année marque le début de la Décennie internationale des peuples d'ascendance africaine (2015-2024).
La réunion a été ouverte par le Président du Conseil, M. Joachim Rücker, qui a notamment rappelé que 2015 marquait également le 70ème anniversaire de la fin de la Deuxième guerre mondiale, un conflit dont l'Allemagne nazie est à l'origine. M. Rücker tire de ce passé le sens des termes «plus jamais ça». Mais il reste encore un long chemin à parcourir pour parvenir à un monde libéré du racisme et de la discrimination raciale. Mme Jane Connors, Directrice de la Division de la recherche et du droit au développement au Haut-Commissariat aux droits de l'homme, a ajouté qu'il fallait se souvenir que se la discrimination raciale coïncide souvent avec d'autres formes de discrimination, celle envers les femmes et les filles en particulier.
Sont ensuite intervenus les panélistes suivants: Mme Christiane Taubira, Ministre française de la justice; M. Doudou Diène, Président du Conseil de l'Alliance internationale des sites de conscience; Mme Johanna Kool-Blokland, Directrice des archives de Zélande (Pays-Bas); et M. Ali Moussa Iyé, Chef de la Section du dialogue interculturel, Division des politiques culturelles et du dialogue interculturel à l'UNESCO.
Mme Taubira a déclaré que l'enjeu principal de l'élimination de la discrimination raciale et de toutes les autres formes de discrimination «est tout simplement celui de l'altérité, celui de la capacité à accepter l'autre, à voir en l'autre un pur trésor et à vouloir faire largesse de tous les autres». C'est le déni d'humanité qui est à la source même des grandes tragédies humaines. C'est pourquoi il faut proclamer l'égalité: c'est une exigence éthique, c'est aussi une exigence politique. La communauté internationale a tiré les enseignements de son histoire, en particulier en créant les organisations internationales que nous connaissons aujourd'hui et il s'agit de renouer avec l'esprit et les valeurs universelles.
M. Diène a notamment dénoncé une instrumentalisation politique du racisme, avec des partis politiques qui bâtissent leur fonds de commerce sur le racisme et prennent démocratiquement le pouvoir par l'insulte et l'incitation à la haine. Il faut une mutation passant par le renforcement des instruments juridiques de lutte contre le racisme, notamment la mise en œuvre de la Déclaration et du Programme d'action de Durban.
Mme Kool-Blokland a attiré l'attention sur le travail en cours par les Archives de Zélande pour archive une partie de l'histoire de l'esclavage et a invité les établissements scolaires et les institutions de par le monde à avoir recours à ces archives, disponibles en ligne. M. Moussa Iyé a pour sa part attiré l'attention sur les programmes mis en œuvre par l'UNESCO, notamment pour lutter contre les théories raciales, ainsi que sur sa participation. L'UNESCO a également participé à la rédaction d'une histoire générale de l'Afrique. Le lancement de la Décennie internationale des personnes d'ascendance africaine offre une occasion de réfléchir sur les nouvelles actions à mener pour répondre à l'évolution actuelle des discours racistes et des pratiques de discrimination, a souligné M. Moussa Iyé.
Au cours du débat 1 qui a suivi, un grand nombre de délégations ont plaidé pour la mise en œuvre de la Déclaration et du Programme d'action de Durban. La Décennie internationale pour les personnes d'ascendance africaine offre une occasion pour tous de le faire, notamment en mettant en place un forum pour les personnes d'ascendance africaine, qui servirait de mécanisme permanent consultatif, comme le stipule le programme d'action de la Décennie. Des délégations 1 se sont également inquiétées de la persistance des discours de haine sur l'Internet, mais également du climat négationniste persistant en ce qui concerne l'histoire des minorités, de la traite transatlantique et de l'esclavage. Plusieurs délégations ont prôné à cet égard un renforcement de l'enseignement des droits de l'homme et de l'histoire, ainsi que la promotion des valeurs de dialogue et de diversité culturelle.
En fin de séance, le Président a présenté ses condoléances et celles des membres du Conseil au peuple et au Gouvernement du Yémen après les attentats perpétrés aujourd'hui contre deux mosquées.
À la reprise des travaux lundi matin à 9 heures, le Conseil se penchera sur la situation des droits de l'homme dans le Territoire palestinien occupé. Il entendra dans ce cadre un compte rendu oral de la Commission d'enquête sur Gaza et tiendra un débat interactif avec le Rapporteur spécial sur la situation des droits de l'homme dans les territoires palestiniens occupés.
Débat sur l'état de la discrimination raciale dans le monde
Déclarations liminaires
M. JOACHIM RÜCKER, Président du Conseil des droits de l'homme, a déclaré que le thème du débat - tirer les enseignements des tragédies du passé pour combattre la discrimination raciale aujourd'hui - venait à point nommé alors que 2015 coïncide avec le début de la Décennie internationale pour les peuples d'ascendance africaine, les 70 ans des Nations Unies et le 70ème anniversaire de la fin de la Deuxième guerre mondiale, un conflit dont l'Allemagne nazie est à l'origine et au cours duquel des crimes inédits ont été commis. «Je dis ceci, car le sens de responsabilité, le sens du ''plus jamais ça'', que je tire de notre passé est l'une de mes motivations les fortes pour moi personnellement d'être présent aujourd'hui, ainsi que mon pays», a dit M. Rücker.
Le Président du Conseil a reconnu qu'il restait encore un long chemin à parcourir pour parvenir à un monde libéré du racisme et de la discrimination raciale. «Apprendre de nos tragédies passées communes pour combattre la discrimination raciale aujourd'hui est difficile et douloureux mais c'est nécessaire», a-t-il fait observer. Pour M. Rücker, ce qui a conduit à ces tragédies – les idées fausses, les malentendus, les idéologies pathologiques de la hiérarchisation ethnique, la discrimination et souvent l'absence d'empathie sociale – est aussi à l'origine des tragédies d'aujourd'hui. Nous ne devons pas fermer les yeux et nous demander ce que les autres peuvent faire; il faut plutôt que chacun de nous contribue chaque jour à notre objectif commun d'un monde libéré du racisme et de la discrimination raciale.
MME JANE CONNORS, Directrice de la Division de la recherche et du droit au développement au Haut-Commissariat aux droits de l'homme, a rappelé que l'on célébrait cette année le cinquantenaire de l'adoption de la Convention pour l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale, à une époque où l'apartheid sud-africain faisait encore partie du paysage géopolitique. À la même époque, le mouvement des droits civiques aux États-Unis abattait le racisme institutionnalisé. Depuis, le premier Président noir de ce pays a été élu, ce qui était impensable lorsque la Convention a été rédigée. Les mécanismes des droits de l'homme de l'ONU – en particulier le Comité sur l'élimination de la discrimination raciale - ont permis de faire progresser le combat contre le racisme.
Pourtant, malgré ces efforts, la discrimination en fonction de la race et la xénophobie persistent partout dans le monde. On doit se souvenir que la discrimination raciale coïncide souvent avec d'autres formes de discrimination, celle envers les femmes et les filles en particulier, a rappelé Mme Connors. En référence au thème du débat, elle a constaté que l'on ne saurait trop exagérer l'importance de revisiter l'histoire pour se rappeler des tragédies du passé. Elle a souligné à cet égard le rôle important de l'éducation, qui est d'ailleurs mentionnée dans la Déclaration et le Programme d'action de Durban.
Exposés des panélistes
MME CHRISTIANE TAUBIRA, Ministre de la justice de la France, après avoir cité des vers du poème «Les pur-sang» d'Aimé Césaire, a estimé que l'enjeu principal de l'élimination de la discrimination raciale et de toutes les autres formes de discrimination «est tout simplement celui de l'altérité, celui de la capacité à accepter l'autre, à voir en l'autre un pur trésor et à vouloir faire largesse de tous les autres». La question de l'altérité est au cœur de ce déni d'humanité qui conduit à la discrimination raciale, à toutes les exclusions, à toutes les discriminations ou rejet des autres. C'est bien ce déni d'humanité qui est à la source même des grandes tragédies humaines, qu'il s'agisse des génocides du XXe siècle, de la traite et de l'esclavage ou de l'esclavage qui frappe individuellement. L'histoire nous enseigne que les sciences sociales, la philosophie, les sciences, l'économie, la géographie, toutes matières qui instruisent les hommes, toutes ont contribué à fournir des éléments pour discriminer, pour conduire à voir dans la différence une infériorité. Il faut comprendre ce que ces différentes tragédies ont en commun: ce déni de l'humanité de l'autre. C'est pourquoi il faut proclamer l'égalité, une égalité ontologique. C'est une exigence éthique: nous sommes tous égaux, quelles que soient nos apparences, nos singularités, le lieu où nous vivons, nos langues, nos cultures, nos croyances. C'est aussi une exigence politique qui suppose de proclamer une égalité sociale a dit Mme Taubira, car les discriminations sont souvent fondées sur des systèmes de domination et que c'est pour servir des intérêts de pouvoir que des prétextes sont mis en avant pour exclure.
Mme Taubira a souligné que la communauté internationale a tiré les enseignements de son histoire, en particulier dans le cadre des organisations internationales qui sont apparues après la première guerre mondiale. Mme Taubira a également déclaré que, partout dans le monde, on retrouve des corpus proclamant l'égalité et des valeurs qui protègent les plus faibles, que ce soit la Magna carta, la Charte du Mandingue ou le Code de Hammurabi. Il s'agit donc de renouer avec cet esprit et ces valeurs universelles, a-t-elle dit. Mme Taubira a aussi observé qu'en dépit de ces acquis, la communauté internationale restait confrontée à la contestation de cet idéal. Il est donc nécessaire qu'elle y réponde, y compris en s'ouvrant à la société civile. En ce qui la concerne, la France s'est donné les moyens d'agir. Elle a inscrit dans sa Constitution l'égalité devant la loi à tous les citoyens quelle que soit son origine, sa religion. Elle sanctionne aussi les discours racistes, antisémites, xénophobes et discriminatoires, considérés comme circonstances aggravantes.
M. DOUDOU DIÈNE, Président du Conseil de l'Alliance internationale des sites de conscience, a déclaré que le signal d'alerte est au rouge sur toutes les formes de racisme, de discrimination raciale et de xénophobie. L'actualité la plus objective, confirmée par des études menées dans différents pays et régions, révèlent, selon lui, deux tendances lourdes: d'une part, la prégnance, la résurgence et la vitalité des formes traditionnelles de discrimination –systèmes de castes, racisme de couleur, notamment visant les noirs, les asiatiques, les peuples autochtones, les Arabes, les Rom, l'antisémitisme et l'islamophobie et, d'autre part, l'apparition de nouvelles figures de la discrimination comme le Non-national, le Réfugié et l'Immigré. Pour M. Diène, la violence raciste, xénophobe, physique, verbale et sociale constitue l'expression d'une crispation identitaire et culturelle. Délégitimé de longue date par la science, le racisme n'avance plus masqué par le discours civilisationnel. Mais M. Diène a constaté une instrumentalisation politique du racisme, avec des partis politiques qui bâtissent leur fonds de commerce sur ce racisme et prennent démocratiquement le pouvoir par l'insulte et l'incitation à la haine. Cette violence atteint des degrés physiques, avec la résurgence du génocide, comme au Rwanda, ou dans l'attentat commis en Norvège en 2011 à Oslo et sur l'île d'Utoya. Que signifie cette résurgence, cette parole qui se lâche avec des partis politiques qui banalisent la haine?
Pour M. Diène, la lecture pessimiste veut qu'il soit impossible de lutter contre le racisme, réalité inéluctable, tandis que la lecture optimiste, qu'il propose, consiste à résoudre les questions des migrations et d'autres phénomènes positifs en dernière analyse. Il a montré du doigt une crise identitaire profonde des cultures nationales, bousculées par de nouvelles identités plurielles. «Nous sommes en train d'assister à un accouchement identitaire et tout accouchement est douloureux», a-t-il affirmé. La question de l'ethnie a été disqualifiée par la science et récupérée par les idéologues, qui n'ont plus rien à proposer. La violence provient des résistances identitaires. Certains ont élaboré le concept de l'antagonisme entre les civilisations et les cultures, entre l'Islam et l'Occident. M. Diène a appelé à analyser cette mutation en vue du renforcement des instruments juridiques de lutte contre le racisme, en mettant en œuvre le document de la Conférence de Durban sur l'élimination du racisme, de la discrimination raciale, de la xénophobie et de l'intolérance qui y est associée, ainsi que le document de la Conférence d'examen. Il a aussi insisté sur la nécessité de revisiter la mémoire de l'esclavage, de l'Holocauste, du génocide et de toutes les manifestations de racisme. L'Afrique du Sud raciste était éduquée, tout comme l'Allemagne nazie, a-t-il fait remarquer, en exhortant à la transmission des valeurs consacrées dans l'éducation à la connaissance et au respect d'autrui. Il a enfin suggéré la promotion des interactions entre toutes les communautés et de combattre, par la loi, toutes les expressions et manifestations sociales, économiques et culturelles du racisme.
MME JOHANNA KOOL-BLOKLAND, Directrice des archives de Zélande (Pays-Bas), a rappelé qu'environ 12 millions d'esclaves africains ont été vendus en moins de trois siècles. Mme Kool-Blokland a fait remarquer que cette réalité est méconnue ou relève d'un lointain concept pour beaucoup de personnes. Cependant, pour un nombre incalculable d'autres individus, l'héritage de l'esclavage transatlantique fait partie intégrante de leur identité culturelle. Les Archives de la Zélande ont utilisé le matériel dont elles disposent pour faire parler le passé, de manière à encourager la compréhension mutuelle de cet héritage commun. Ce travail d'archivage a été effectué dans les villes de Middelburg et Veere par 40 employés et autant de bénévoles; les documents imprimés et les archives numériques sont accessibles au public pour mener des recherches et exercer son droit démocratique à obtenir des informations juridiques et des preuves. La panéliste a notamment souligné que les Africains étaient vendus aux propriétaires de plantations et étaient destinés à une vie d'esclavage. Ce commerce a duré du XVIe au XIXe siècle. Une des compagnies impliquées, la MCC, a vendu environ 30 000 esclaves au cours du XVIIIe siècle. L'UNESCO a reconnu la valeur unique des archives de la MCC en les inscrivant sur le Registre de la mémoire du monde, suite à quoi, les Archives de la Zélande ont commencé leur numérisation en 2012. Le site internet et le blog des archives a pour but avoué de former les étudiants à l'importance de l'interprétation et de l'utilisation de documents d'archives en se servant des nouveaux médias. Et de poser la question de savoir comment se servir des sources d'information et ce que peut-on y apprendre. Ainsi, le blog a été consulté plus de 200 000 fois et le thème du commerce transatlantique des esclaves est désormais inscrit dans le programme scolaire des Pays-Bas.
Mme Kool-Bokland a invité les établissements scolaires et les institutions de par le monde à utiliser le blog et le site en ligne. En conclusion, elle a indiqué qu'il y a 252 ans, sur les 326 Africains achetés par le capitaine Jan Menkenveld, 33 hommes, femmes, garçons et filles sont décédés durant le voyage. Après le voyage, 296 esclaves ont été vendus; l'un d'entre eux fut ensuite le chef de file du soulèvement de la colonie néerlandaise de Berbice. Il s'appelait Atta et symbolise les premières données sur l'organisation des esclaves africains en vue de lutter pour leur liberté.
M. ALI MOUSSA IYÉ, Chef de la Section du dialogue interculturel, Division des politiques culturelles et du dialogue interculturel, UNESCO, a axé son exposé sur les conséquences de deux tragédies de l'Histoire qui sont fondatrices du monde moderne et qui ont affecté de manière particulière les personnes d'ascendance africaine, à savoir l'esclavage et la colonisation. De par cette histoire, les Africains et les personnes d'ascendance sont les survivants d'un triple déni: déni de leur humanité, de leur histoire, de leur citoyenneté. «Ainsi, plus que toute autre communauté humaine, les populations d'ascendance africaine ont été et continuent d'être victimes de la stigmatisation la plus primaire mais en même temps la plus efficace et durable qui soit: celle basée sur l'apparence physique et sur le taux de mélanine qui détermine la couleur de la peau», a expliqué M. Moussa Iyé. Les préjugés s'appuient sur deux croyances: celle selon laquelle l'Afrique n'a contribué en rien au progrès général de l'humanité et celle selon laquelle l'état de pauvreté dans lequel se trouvent nombre d'Africains serait le résultat ou la preuve de leur manque de capacités. La conjugaison de ces deux préjugés a ouvert la voie à deux types de racisme: le racisme biologique basé sur la théorie de l'inégalité des races et le racisme culturel qui met l'accent sur l'inégalité des cultures et des civilisations. Les discours qui les accompagnent conduisent à des régressions lourdes de menaces en terme de respect des droits humains et du vivre ensemble. Des solutions impensables il y a encore quelques décennies sont ouvertement suggérées aujourd'hui par certains pour défendre ce qu'ils appellent la préférence nationale, raciale et sociale, a constaté M. Moussa Iyé.
C'est contre ces idéologies de la hiérarchie que l'UNESCO a lancé plusieurs grands programmes, notamment un programme scientifique contre les théories raciales pour démontrer scientifiquement l'inanité de la notion même de race. En outre, l'UNESCO a effectué tout un travail sur l'Histoire, contribuant à la rédaction d'une Histoire générale de l'Afrique. Une méthodologie «pionnière» a aidé à identifier et exploiter les archives orales des peuples africains et afro-descendants en les recoupant avec les différentes sources écrites sur l'Afrique - archives en langues africaines et en alphabet arabe, archives européennes, chinoises, turques et indiennes. Une action de préservation de ces archives est aussi réalisée. Le lancement de la Décennie internationale des personnes d'ascendance africaine offre une occasion de réfléchir sur les nouvelles actions à mener pour répondre à cette évolution des discours racistes et des pratiques de discrimination, a estimé M. Moussa Iyé. En conclusion, il a fait part du souhait de l'UNESCO de définir avec le Haut-Commissariat aux droits de l'homme un programme conjoint d'activités auquel pourraient se joindre d'autres partenaires durant les dix années à venir.
Débat
L'Algérie, au nom du Groupe africain, a constaté que l'esclavage, la traite des esclaves, et en particulier la traite négrière transatlantique, tous fondés sur la théorie de la suprématie blanche, ont fait subir au continent africain des souffrances inouïes dont les effets cumulatifs se font encore sentir et ont constitué une caractéristique endémique du colonialisme. Le Groupe africain déplore le négationnisme persistant de l'esclavage, du commerce des esclaves et de la traite transatlantique, qui restent à ce jour les pires formes de racisme et de discrimination raciale. Les descendants d'esclaves africains, ceux qui sont aujourd'hui les personnes d'ascendance africaine dans la diaspora, continuent à subir les pires formes de racisme dans les pays où ils sont citoyens et c'est précisément pour cette raison qu'a été organisée en 2001 la Conférence mondiale sur l'élimination du racisme. Pour le Groupe africain, les concepts d'esclavage et de traite ont eu des conséquences dans la perpétuation de la pauvreté et du sous-développement, la marginalisation, l'exclusion sociale, les disparités économiques, l'instabilité et l'insécurité. Au cœur de ces facettes singulières de l'histoire se trouve le pillage de l'ensemble du continent africain et le vol de ses ressources vitales et de son patrimoine.
L'Équateur, au nom du Communauté des États d'Amérique latine et des Caraïbes (CELAC), a renvoyé à la Déclaration et au Programme d'action de Durban, soulignant que l'esclavage et la traite transatlantique constituent les crimes les plus graves contre l'humanité. La CELAC appuie l'érection d'un Monument permanent et mémoire des victimes dans un lieu bien en vue au Siège des Nations Unies et insiste sur la nécessité d'éduquer les générations futures et présentes sur ces atrocités pour qu'elles ne se reproduisent jamais. La CELAC se félicité du lancement, le 1er janvier 2015, de la Décennie internationale des personnes d'ascendance africaine.
L'Union européenne a rappelé l'anniversaire du massacre de Sharpeville commis il y a 55 ans en Afrique du Sud. À l'occasion de la présente Journée internationale, elle a invité à agir résolument pour combattre le racisme, la discrimination raciale et l'intolérance qui y est associée. L'Union européenne souhaite une mobilisation soutenue de la société civile. Dans les États de l'Union européenne, la Charte sur les droits fondamentaux interdit la discrimination ethnique et raciale, et une large gamme d'instruments législatifs ont été créés afin de prévenir et de lutter contre le racisme. Le Portugal s'est dit préoccupé par la persistance des manifestations de racisme et exhorté à un échange de pratiques optimales. Les politiques de migration ont été restructurées au Portugal et érigent en crime l'incitation à la haine.
Le Gabon a s'est également étonné que de tels discours et comportements soient tolérés et que la couleur de peau pose toujours problème et soit source de discrimination, y compris dans les pays qui se posent en donneur de leçons. Le Ghana a appelé tous les Gouvernements à garantir le respect de la dignité et des droits de tous les peuples indépendamment de leur origine et de leur contexte religieux et culturel. L'Égypte s'est dite encouragée par le consensus sur la nécessité de lutter contre les discriminations raciales. Mais les événements de Fergusson ont montré que des combats restent à mener. Le profilage racial en Irlande ou les autres discriminations en Norvège, au Monténégro, en Suède ou en Allemagne sont également des sources de préoccupation.
La Fédération de Russie a estimé que les idéologies suprématistes et de supériorité raciale sont les raisons profondes de l'aggravation des manifestations de racisme. L'humanité semblait vaccinée contre les effets du nazisme, mais à l'évidence, des relents de cette idéologie subsistent. La Chine a remarqué une montée des manifestations de racisme en Occident et dans d'autres régions du monde et a appelé à une tolérance zéro à cet égard.
Tirer les leçons des tragédies de l'histoire est une condition préalable indispensable pour combattre avec succès la discrimination raciale aujourd'hui, a souligné la Suède qui a énuméré un certain nombre de mesures prises par elle, mentionnant notamment son «Forum de l'histoire vivante», instance publique travaillant sur la tolérance, la démocratie et les droits de l'homme. Djibouti a souligné que les leçons de l'histoire étaient «utiles pour informer, au sens étymologique du terme, les efforts de lutte de la communauté internationale contre la discrimination raciale». Il a demandé aux panélistes ce que l'on pouvait répondre aux historiens et à ceux qui sont d'avis que la promotion mémorielle menace ou distend la cohésion sociale. Il a aussi voulu savoir comment les panélistes estiment que l'on puisse lutter contre la prolifération de programmes politiques basés sur le racisme. La Sierra Leone a indiqué qu'elle s'intéressait d'autant plus à l'histoire de l'esclavage que l'île de Bunce était l'un des havres du commerce négrier. Elle a souligné l'importance de préserver ce site historique auquel contribuent déjà des organisations sierra-léonaises, américaines et britanniques. Même si beaucoup de chemin a été fait depuis l'esclavage et l'apartheid, il ne faut pas baisser la garde, notamment dans le contexte de la résurgence de discours raciste sur l'Internet, a estimé la Thaïlande. Les États doivent donc lutter contre ces phénomènes et promouvoir l'enseignement de l'histoire.
Bahreïn a pour sa part souligné que l'éducation est le meilleur moyen de lutter contre les discriminations.
Le Maroc a affirmé que la Déclaration de Durban et son Programme d'action gagneraient à être enseignés dans les classes et sur les bancs de l'Université car la promotion de la tolérance dans les sociétés est une valeur cardinale, de plus en plus contestée par les tenants des idéologies extrémistes. Pour faire face aux manifestations modernes de stigmatisation et d'intolérance, le Plan d'action de Rabat constitue un outil important de mobilisation des sociétés. La Brésil s'est prononcé en faveur de la mise en place d'un forum pour les personnes d'ascendance africaine, qui servirait de mécanisme permanent consultatif, comme le stipule le programme d'action de la Décennie internationale pour les personnes d'ascendance africaine. Cuba a souligné que l'application du Programme d'action de Durban est un passage obligé si le monde désire réellement s'acquitter de la dette contractée envers les Africains et les victimes de la traite transatlantique. Dans ce contexte, il faut supprimer les causes du racisme et de la discrimination. Le Venezuela a plaidé en faveur du respect des droits des peuples autochtones et des personnes d'ascendance africaine et condamné les incidents survenus à Ferguson, aux États-Unis. Il a exhorté à l'application immédiate des textes issus de Durban et de sa conférence d'examen.
L'Afrique du Sud a dit convenir avec Mme Taubira de l'importance de l'éducation et l'enseignement pour l'émancipation individuelle. Comme le mentionne la Déclaration et le Programme d'action de Durban, l'Afrique du Sud est fermement convaincue que l'éducation à tous les niveaux et à tous les âges, y compris au sein de la famille, l'éducation aux droits de l'homme en particulier, est fondamentale pour promouvoir des changements d'attitude et de comportement basés sur le racisme et pour promouvoir la tolérance et le respect de la diversité dans la société. La Namibie a exprimé l'espoir que la Décennie internationale des personnes d'ascendance africaine permettrait de lutter contre la discrimination raciale par l'éducation. La Slovénie, qui a mis en avant ses programmes en faveur de l'amélioration de la situation des Rom, a souligné l'importance de l'éducation aux droits de l'homme. Les Pays-Bas ont souligné que la participation au débat des Archives zélandaises découlait de la visite du Groupe de travail d'experts des personnes d'ascendance africaine aux Pays-Bas l'été dernier. Ils sont fermement convaincus que l'éducation est un moyen constructif et puissant de lutte contre la discrimination.
Le Chili, qui a indiqué s'être doté de lois antiracistes, a donné l'exemple des mesures prises lorsque des chants ou des slogans racistes sont entonnés dans des matches de football. Ainsi, plusieurs parties ont été interrompues, l'idée étant à la fois d'éduquer le public par la collaboration entre l'État et les autorités du football professionnel. La Grèce a indiqué que la lutte contre le racisme était absolument prioritaire pour le nouveau gouvernement d'Athènes. Le Costa Rica a indiqué que le Président costaricain, qui a lui-même des racines africaines, avait nommé un Commissaire à la présidence pour l'ascendance africaine il y a quelques semaines. En outre, un comité interinstitutionnel a été créé pour le lancement de la Décennie internationale des personnes d'ascendance africaine.
L'Allemagne a dit sa conviction qu'une protection forte du droit à la liberté d'expression était essentielle. Seule un débat ouvert et sincère permet de répondre aux préoccupations des gens. La République islamique d'Iran a constaté qu'indépendamment de considérables efforts, on assistait à la prévalence d'insultes contre les personnes d'ascendance asiatique ou africaine motivées par le racisme ou l'affiliation religieuse. Elle a appelé à avoir une utilisation responsable de la liberté d'expression.
La Lettonie a demandé aux panélistes quel rôle pourraient avoir les nouvelles technologies à la fois en termes de nouveaux risques mais aussi en tant qu'instruments utiles pour sensibiliser le grand public.
Parmi les organisations non gouvernementales, le Mouvement international de la jeunesse et des étudiants pour les Nations Unies s'est déclaré préoccupée par les tentatives de nier ou de minimaliser les crimes commis pendant cinq siècles durant l'esclavage et la colonisation. La France, premier pays à avoir reconnu l'esclavage comme un crime contre l'humanité peut-elle aider les autres à avancer sur ce terrain, a demandé le représentant. Le Mouvement international contre toutes les formes de discrimination s'est également inquiété de cette tendance à nier l'Histoire et les faits historiques. Cela contribue à la propagation du racisme et de la discrimination. Les États devraient coopérer avec la société civile, a proposé le représentant, observant que l'histoire des Sinti et Rom en Europe est minimisée, de même que celle de la population coréenne au Japon. En Iraq, ce sont les minorités chrétienne et assyrienne qui sont discriminées, a dit AUA Americas Chapter Inc.
Le Conseil indien d'Amérique du Sud, qui a évoqué le cas de la colonisation blanche des terres de l'Alaska, a déploré l'immobilisme prévalant aux Nations Unies et s'est interrogé sur les résultats concrets d'un tel débat. Il a émis le vœu que la réunion d'aujourd'hui permettre au minimum de formuler quelques recommandations. L'US Human Rights Network Inc. a évoqué les affaires de meurtres de personnes de couleur aux mains de la police dans plusieurs incidents aux États-Unis, accusés de traiter différemment les Afro-américains et les Latino-américains, que ce soit en matière d'éducation, de soins de santé ou encore dans le système judiciaire et pénal.
Le Congrès juif mondial a fait part de sa déception envers le rapport du Haut-Commissaire qui devrait, selon lui, dresser une liste des bonnes et mauvaises pratiques des États. United Nations Watch a évoqué l'attaque meurtrière d'une école juive de Toulouse en France en 2012, un acte d'agression parmi d'autres. Il s'est interrogé pour quelles raisons le Conseil ne s'était pas encore penché sur la multiplication des attaques antisémites.
Conclusions
Pour Mme TAUBIRA, il reste encore beaucoup de choses à comprendre de la réalité du monde et des conditions que vivent les gens. Les personnes d'ascendance africaine n'ont pas seulement été victimes de la traite et de l'esclavage; elles avaient des langues, des cultures avant la traite et l'esclavage. Ce sont ces choses qu'il faut redécouvrir. La Ministre française de la justice a cité le poète Antonio Machado espagnol «caminante, no hay camino, se hace camino al andar» - le chemin se fait en marchant.
M. DIÈNE a conclu que nous sommes à un carrefour important et appelé à procéder à une lecture approfondie des raisons de la discrimination et de la question du multiculturalisme.
MME KOOL-BLOKLAND a indiqué que l'éducation et la mémoire sont des moyens idoines pour briser le silence et la méconnaissance de la période de l'esclavage. Le prix de liberté d'Eleanor Roosevelt décerné tous les deux ans et d'autres mesures éducatives sont également des moyens de favoriser la tolérance et le vivre ensemble.
M. MOUSSA IYÉ a souligné que la lutte contre la discrimination raciale est constante et que, de ce fait, la vigilance est fondamentale. Il a souligné qu'il y avait des bonnes pratiques susceptibles d'inspirer les politiques publiques et que, de l'avis de l'UNESCO, il faut écrire l'histoire autrement, en l'enseignant d'une manière qui ne soit pas conflictuelle et en mettant l'accent sur l'apport de chaque culture et civilisation à l'Histoire de l'humanité.
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1 Les délégations suivantes sont intervenues dans le cadre du débat: Algérie (au nom du Groupe africain), Équateur (au nom du Communauté des États d’Amérique latine et des Caraïbes - CELAC), Union européenne, Portugal, Ghana , Égypte, Bahreïn, Maroc, Brésil, Égypte, Bahreïn, Portugal, Maroc, Ghana, Suède, Djibouti, République islamique d'Iran, Sierra Leone, Namibie, Slovénie, Afrique du Sud, Allemagne, Chile, Grèce, Costa Rica, Lettonie, Pays Bas, Thaïlande, Gabon, Venezuela, China, Fédération de Russie, Cuba, Conseil indien d'Amérique du Sud , United Nations Watch, Congrès juif mondial, Mouvement international de la jeunesse et des étudiants pour les Nations Unies, Mouvement international contre toutes les formes de discrimination, AUA Americas Chapter Inc, et US Human Rights Network Inc.
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