Fil d'Ariane
LE COMITÉ DES DROITS DE L'HOMME EXAMINE LE RAPPORT INITIAL DE LA CÔTE D'IVOIRE
Le Comité des droits de l'homme a examiné, hier après-midi et ce matin, le rapport présenté par la Côte d'Ivoire sur les mesures qui ont été prises dans le pays pour assurer la mise en œuvre des dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Le rapport a été présenté par le Garde des sceaux et Ministre de la justice, des droits de l'homme et des libertés publiques de la Côte d'Ivoire, M. Mamadou Gnénéma Coulibaly, qui a expliqué que l'impasse politique qu'a vécue la Côte d'Ivoire depuis le début des années 1990 ne lui a pas permis de rendre compte de façon régulière des efforts entrepris dans le sens de l'application des dispositions du Pacte. Aujourd'hui, «avec le retour progressif à la normalité, l'État de Côte d'Ivoire entend honorer ses engagements internationaux en rattrapant son retard en la matière». Le cadre normatif et institutionnel tout comme les mesures de politique générale ont connu des avancées significatives dans divers domaines, notamment la promotion de l'égalité du genre, la protection des personnes vulnérables, l'identification des personnes vivant sur le territoire, le redressement du système judiciaire et pénitentiaire et la lutte contre l'impunité, la promotion des associations ou encore l'organisation des élections. «Le Gouvernement a résolu la question de l'extranéité et du traitement différencié des hommes et des femmes de nationalité étrangère à l'occasion du mariage avec un conjoint ivoirien», a fait valoir le ministre, qui a précisé que toute union avec un national ivoirien confère la nationalité au conjoint. Dans le même esprit, la frange de la population ivoirienne constituée des immigrés de la période coloniale et de leurs enfants nés sur le sol ivoirien et qui était exposée à l'apatridie a vu sa situation régularisée en 2013, avec l'adoption de la loi portant acquisition de la nationalité par déclaration.
La délégation ivoirienne était également composée de M. Mamadou Diane, Conseiller auprès du Président de la République, et de représentants du Ministère de la justice et du Ministère des affaires étrangères, dont le Représentant permanent auprès des Nations Unies à Genève, M. Kouadio Adjoumani. Elle a répondu aux questions qui lui étaient posées par les membres du Comité s'agissant, notamment, du statut de la Commission nationale des droits de l'homme; de l'incrimination des «infractions politiques»; du sort des personnes disparues; des activités et du rôle de la Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation; des attributions de la Direction de la surveillance du territoire; des mesures de prévention de la torture; du sort des personnes handicapées; des questions de nationalité; des dispositions relatives à l'avortement; de la situation des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres; de la lutte contre le travail des enfants; des questions d'éducation; ou encore des violences contre les femmes.
Plusieurs membres du Comité ont exprimé leur préoccupation de ce qu'un sentiment d'impunité prévale encore dans le pays s'agissant des crimes commis durant la crise liée au conflit post-électoral en 2010 et 2011. Un expert a en outre déploré le manque de publicité autour des délibérations et du rapport de la Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation. Les experts ont relayé les préoccupations exprimées par certaines organisations concernant le fait que les poursuites pour crimes politiques prévalent en Côte d'Ivoire sur les poursuites pour violations des droits de l'homme. Des préoccupations ont par ailleurs été exprimées au sujet de la disposition faisant des relations homosexuelles une circonstance aggravante de l'outrage public à la pudeur. Ont en revanche été salués les progrès réalisés par la Côte d'Ivoire s'agissant de la question de la peine capitale.
Le Comité présentera, à la fin de la session, des observations finales sur l'examen du rapport initial de la Côte d'Ivoire.
Le Comité entame cet après-midi, à 15 heures, l'examen du rapport périodique de Chypre (CCPR/C/CYP/4), qui se poursuivra demain matin.
Présentation du rapport de la Côte d'Ivoire
Le Comité est saisi du rapport initial de la Côte d'Ivoire (CCPR/C/CIV/1), ainsi que de ses réponses (CCPR/C/CIV/Q/1/Add.1) aux questions figurant dans une «liste de points à traiter» (CCPR/C/CIV/Q/1) que lui a adressée le Comité en août 2014.
M. MAMADOU GNÉNÉMA COULIBALY, Garde des sceaux, Ministre de la justice, des droits de l'homme et des libertés publiques de la Côte d'Ivoire, a rappelé que son pays avait ratifié le Pacte en 1992 et a expliqué que l'impasse politique qu'a vécue la Côte d'Ivoire depuis le début des années 1990 ne lui a pas permis de rendre compte de façon régulière des efforts entrepris dans le sens de l'application des dispositions du Pacte. Aujourd'hui, «avec le retour progressif à la normalité, l'État de Côte d'Ivoire entend honorer ses engagements internationaux en rattrapant son retard en la matière», a-t-il indiqué, avant de préciser que le présent rapport couvre la période allant de 1992 à mars 2013.
Le cadre normatif et institutionnel du pays ainsi que les mesures de politique générale ont connu des avancées significatives dans divers domaines, s'agissant notamment de la promotion de l'égalité du genre, de la protection des personnes vulnérables, de l'identification des personnes vivant en Côte d'Ivoire, du relèvement du système judiciaire et pénitentiaire et de la lutte contre l'impunité, de la promotion des associations ou encore de l'organisation des élections. M. Coulibaly a fait valoir que la Côte d'Ivoire avait procédé à la création d'un observatoire national de l'équité et du genre en décembre 2014, a-t-il notamment précisé. Il a en outre rappelé qu'en décembre 2012, la Côte d'Ivoire s'est dotée d'une loi disposant l'égalité de l'homme et de la femme dans la gestion du ménage, à travers l'instauration de la notion d'autorité parentale en lieu et place de l'autorité paternelle qui existait. Des mesures d'envergure ont été prises pour permettre l'accès des jeunes filles dans des structures de formation militaire comme l'École militaire préparatoire technique et la gendarmerie nationale, a ajouté le Ministre de la justice. Il a par ailleurs souligné que le Conseil national de la femme vient d'être installé par le Président de la République lui-même afin de donner un coup d'accélérateur à la politique ivoirienne en matière d'égalité des chances entre l'homme et la femme dans la perspective d'un développement humain équilibré et durable.
Pour ce qui est de la protection des personnes vulnérables, M. Coulibaly a indiqué que de nombreuses initiatives sont développées dans le pays dans le sens de la protection de l'enfance, des femmes, des personnes handicapées et des personnes vivant avec le VIH/sida. Il a notamment souligné que le cadre juridique de protection de l'enfant a été renforcé par l'adoption du décret d'application de la loi de septembre 2010 portant interdiction de la traite et des pires formes de travail des enfants. Le Gouvernement a en outre élaboré la Politique nationale de protection de l'enfant et mis en place un Comité national de lutte contre la traite, l'exploitation et les pires formes de travail des personnes. M. Coulibaly a ensuite rendu compte des mesures prises aux fins de la lutte contre la pauvreté, citant notamment la mise en place, depuis mars 2012, d'un fonds dédié aux activités génératrices de revenus – le Fonds d'appui aux femmes de Côte d'Ivoire, dont ont pu bénéficier plus d'un million de femmes. Le Ministre de la justice a également rendu compte de l'amélioration de la couverture sanitaire et de la gratuité des soins pour la mère et l'enfant depuis la fin de la crise post-électorale. Il a par ailleurs attiré l'attention sur la mise en place d'une ligne d'assistance téléphonique à l'intention des enfants (le 116) et sur l'institutionnalisation du Parlement des enfants en Côte d'Ivoire. M. Coulibaly a aussi fait état de l'adoption de la stratégie nationale de lutte contre les violences basées sur le genre, assortie d'un Comité national de lutte contre ce type de violence, opérationnel depuis l'an dernier.
Le Gouvernement ivoirien ne cesse de réfléchir à des stratégies plus appropriées pour remédier à la problématique de la déclaration des enfants à l'état civil et de la question d'identité, a poursuivi M. Coulibaly. En sus des mesures dérogatoires prises pour faciliter les enregistrements de naissances et de décès survenus entre le 30 novembre 2010 et le 31 juillet 2011, des opérations d'audiences foraines sont organisées régulièrement à travers le pays ainsi que des formations des agents de l'état civil; ainsi, «près de 30 000 enfants en classes d'examen ont pu bénéficier gratuitement de jugements supplétifs grâce aux actions de nos services en partenariat avec le HCR», a précisé le ministre. Une opération spéciale de délivrance gracieuse de pièces d'identité est actuellement en cours, jusqu'à la fin de ce mois, a-t-il ajouté. Par ailleurs, a-t-il fait valoir, «le Gouvernement a résolu la question de l'extranéité et du traitement différencié des hommes et des femmes de nationalité étrangère à l'occasion du mariage avec un conjoint ivoirien»; «à ce titre, toute union avec un national ivoirien confère la nationalité du conjoint». Dans le même esprit, la frange de la population ivoirienne constituée des immigrés de la période coloniale et de leurs enfants nés sur le sol ivoirien et qui était exposée à l'apatridie a vu sa situation réglée en 2013, avec l'adoption de la loi portant acquisition de la nationalité par déclaration, a ajouté M. Coulibaly, soulignant que la Côte d'Ivoire avait ratifié les deux conventions internationales se rapportant à l'apatridie.
La législation régissant l'activité judiciaire – à savoir les codes usuels – fait actuellement l'objet d'une révision, a d'autre part indiqué le Ministre. Le code pénal et le code de procédure pénale viennent d'être modifiés en vue de mettre en cohérence l'arsenal juridique répressif ivoirien avec le Statut de Rome instituant la Cour pénale internationale. Cette actualisation consacre la suppression de la peine de mort et fait disparaître la prescription de l'action publique en matière de crime contre l'humanité et autres infractions relevant du Statut de Rome, a précisé M. Coulibaly. Par ailleurs, des cliniques juridiques ont été installées dans six régions du pays en vue d'assister et donner des conseils aux personnes désireuses d'agir en justice, a-t-il indiqué. Au plan pénitentiaire, l'objectif poursuivi est de garantir aux personnes détenues un traitement conforme aux normes internationales, tout en réfléchissant à leur réinsertion sociale, a-t-il en outre indiqué. Aussi, le Gouvernement ivoirien s'évertue-t-il à rénover toutes les maisons d'arrêt et de correction qui sont fonctionnelles, a-t-il précisé, ajoutant qu'est envisagée la construction de dix nouveaux établissements pénitentiaires d'une capacité d'accueil allant de 300 à 500 places à Abidjan et à l'intérieur du pays. Dans le cadre de la réforme pénale, les actions se sont également orientées vers la mise en place d'une politique de réinsertion et d'alternative à l'incarcération, a souligné le Ministre, indiquant que c'est sous cet angle que s'inscrit la réactivation de la fonction de juge de l'application des peines. M. Coulibaly a en outre attiré l'attention sur «la restructuration de la Cellule spéciale d'enquête et d'instruction en charge des procédures judiciaires post-crise qui portent sur de graves violations des droits de l'homme». «La reprise des procès d'assises après dix ans dans les différentes cours d'appel du pays mérite d'être mentionnée», a-t-il ajouté.
La Côte d'Ivoire dispose désormais d'un cadre juridique de promotion et de protection des défenseurs des droits de l'homme, a poursuivi le Ministre de la justice.
Dans la perspective des élections présidentielles, législatives et locales, la Commission électorale indépendante a fait l'objet d'une réforme; elle compte désormais un nombre illimité de membres qui proviennent des institutions de l'État, des principaux partis politiques et de la société civile. Ladite Commission s'apprête à lancer le processus de révision de la liste électorale, a précisé M. Coulibaly. En outre, a-t-il indiqué, le Gouvernement vient d'adopter un projet de loi portant modification du code électoral en vue d'améliorer l'organisation de l'ensemble des scrutins dans la perspective des prochaines échéances électorales.
Le Gouvernement ivoirien considère la présentation de ce premier rapport comme un nouveau départ et compte sur l'appui et les recommandations du Comité pour non seulement renforcer les fondamentaux en matière de promotion et de protection des droits civils et politiques de tous les citoyens sur le territoire, mais aussi et surtout pour lever les obstacles à la mise en œuvre effective et efficiente des dispositions utiles du Pacte dans notre pays, a conclu le Ministre ivoirien de la justice, des droits de l'homme et des libertés publiques.
Examen du rapport
Questions et observations des membres du Comité
Un membre du Comité a exprimé l'espoir que le dialogue permettrait d'avoir une discussion constructive sur la situation des droits de l'homme en Côte d'Ivoire, étant entendu que l'objet du dialogue est d'aider les États à mieux appliquer le Pacte. Selon la Constitution ivoirienne, a relevé cet expert, les accords internationaux ratifiés par le pays ont une autorité supérieure aux lois nationales, sous réserve, pour chaque traité ou accord, de son application par l'autre partie. Mais la question qui se pose est de savoir si les dispositions du Pacte sont effectivement appliquées par les tribunaux, a souligné l'expert; or, il apparaît qu'elles ne sont pas invoquées directement par les plaideurs devant les juridictions nationales ivoiriennes, a-t-il relevé, déplorant ce «très mauvais signe» qui témoigne «peut-être que le Pacte ne fait pas encore partie de la culture juridique des juristes ivoiriens», juges, avocats et notaires confondus. Il convient donc pour les autorités ivoiriennes de faire descendre la connaissance du Pacte parmi les acteurs juridiques, a insisté l'expert, s'inquiétant d'informations selon lesquelles il n'y aurait pas de module d'enseignement du Pacte à l'École nationale de la magistrature.
L'expert a cité un rapport de l'Expert indépendant sur la situation des droits de l'homme en Côte d'Ivoire, M. Doudou Diène, qui, il y a quelques années, appelait le pays à renforcer l'indépendance de Commission nationale des droits de l'homme conformément aux Principes de Paris. Or, d'après les informations reçues, une réforme de loi portant création de cette institution nationale a été engagée en 2012 dans ce but; mais où en est cette réforme, a demandé l'expert, avant de faire état de déficiences, identifiées par certaines ONG, concernant cette Commission nationale – notamment du fait que ses membres sont désignés directement ou indirectement par le Gouvernement?
Quels progrès ont-ils été réalisés par la Commission Vérité et Réconciliation et est-elle parvenue à lutter contre l'impunité, a d'autre part demandé l'expert? Le fait que le rapport de cette Commission, qui a été soumis au Président de la République l'an dernier, n'ait pas été rendu public ne va pas dans le sens d'une ouverture du Gouvernement sur la société civile et sur l'opinion, a-t-il fait observer. En outre, les délibérations de cette Commission n'ont pas été diffusées par les médias, a regretté l'expert, se demandant si le dialogue de cette Commission ne pouvait pas être considéré comme «mitigé» voire «décevant».
Un autre membre du Comité a souhaité en savoir davantage au sujet de la jurisprudence et/ou des dispositions légales relatives au principe de non-discrimination. Cet expert s'est en outre inquiété d'informations transmises par certaines ONG, selon lesquelles l'article 360 du code pénal fait des relations homosexuelle une circonstance aggravante de l'outrage public à la pudeur. Si elle est avérée, une telle discrimination porte atteinte au principe d'égalité devant la loi, a souligné l'expert, dénonçant l'attaque du siège de l'ONG Alternative Côte d'Ivoire.
Un expert s'est félicité des progrès réalisés par la Côte d'Ivoire s'agissant de la question de la peine capitale. Dans ce contexte, que va-t-il advenir pour les personnes ayant été condamnées à mort en Côte d'Ivoire avant ces modifications majeures? La Côte d'Ivoire entend-elle adhérer au Protocole facultatif se rapportant au Pacte qui vise l'abolition de la peine de mort?
L'expert a relevé que qu'un sentiment d'impunité semble encore prévaloir en Côte d'Ivoire face aux crimes commis durant la conflit post-électoral qu'a connu le pays et ce sentiment semble trancher avec la volonté de l'État d'en finir avec ces crimes passés, a fait observer le même expert; aussi, qu'envisage de faire le pays pour accélérer les enquêtes sur les allégations de crimes internationaux et autres violations graves des droits de l'homme, a-t-il demandé? Des préoccupations ont été exprimées par certaines organisations concernant le fait que les poursuites pour crimes politiques prévalent en Côte d'Ivoire sur les poursuites pour violations des droits de l'homme, s'est par ailleurs inquiété l'expert. Il s'est en outre enquis de l'état d'avancement des enquêtes relatives aux 206 cas de disparitions forcées identifiés par la Commission nationale d'enquête dans le contexte du conflit post-électoral. Que fait l'État pour identifier les dépouilles des disparus et pour identifier et sanctionner les responsables de ces disparitions, a-t-il demandé?
Tout en indiquant comprendre que l'avortement n'est pas autorisé en Côte d'Ivoire, sauf en cas de danger pour la vie de la mère, l'expert a rappelé que la jurisprudence du Comité consiste à demander aux États de dépénaliser l'avortement pour préserver non seulement la vie mais aussi la santé de la mère et pour permettre l'interruption d'une grossesse qui résulterait d'un viol ou d'un inceste. Évoquant enfin la question des infanticides rituels, l'expert a attiré l'attention sur une dépêche de Reuters indiquant que 21 enfants au moins avaient été enlevés avant d'être retrouvés morts et mutilés.
La Commission nationale d'enquête mise en place le 20 juillet 2011 pour enquêter sur les violations des droits de l'homme et du droit international humanitaire commises pendant la période postélectorale allant du 31 octobre 2010 au 15 mai 2011 a reconnu quelque 300 cas de torture ayant entraîné la mort, a fait observer un autre expert, avant de rappeler que l'État est tenu de prévenir les crimes de torture et de poursuivre les auteurs de ces crimes. Les membres du Comité ont reçu, de la part d'organisations non gouvernementales, de nombreuses allégations relatives à des cas de torture, notamment aux mains de militaires, a insisté cet expert. Qu'en est-il de la pratique selon laquelle la Direction de la surveillance du territoire peut détenir une personne sans mandat pendant une durée maximale de deux mois avant qu'elle ne soit présentée devant un juge, a-t-il par ailleurs demandé?
Un expert a demandé si la Commission nationale d'enquête concernant les crimes commis en 2010 et 2011 prévoit des amnisties.
Si des progrès ont certes été réalisés, s'agissant en particulier des efforts consentis en faveur de la lutte contre les pires formes de travail des enfants, qu'en est-il de la mise en œuvre d'un plan national de lutte contre la traite et le travail des enfants, a-t-il été demandé? Plusieurs membres du Comité ont en outre demandé si la législation ivoirienne rend obligatoire la scolarité des enfants.
La violence domestique et le viol conjugal constituent toujours un problème grave en Côte d'Ivoire, a déclaré un expert. Les viols sont courants dans l'ouest du pays ainsi que dans d'autres régions et le viol conjugal n'est pas incriminé, a-t-il insisté.
Un expert a relevé que, selon l'Organisation mondiale de la santé, les mutilations génitales féminines toucheraient 48% des femmes en Côte d'Ivoire; si la tendance en la matière est à la baisse, environ 30% de jeunes filles seraient encore victimes de ces pratiques aujourd'hui. Récemment – et pour la première fois en Côte d'Ivoire –, neuf femmes dans le nord du pays ont été condamnées à une année d'emprisonnement assortie d'une amende pour pratique de l'excision, s'est félicité un expert.
La Côte d'Ivoire est un pays d'origine et de destination de la traite de femmes et de jeunes filles qui sont ensuite soumises au travail forcé, notamment comme domestiques, ou à la prostitution forcée, a-t-il en outre été souligné.
Alors que le code pénal et le code de procédure pénale vont être revus, qu'en est-il dans ce contexte des intentions des autorités au sujet de la détention préventive, a demandé un autre membre du Comité? Selon la loi actuellement en vigueur dans le pays, s'est inquiété cet expert, la durée maximale de la détention préventive peut aller de six à dix-huit mois, prorogeables de quatre mois, soit un total potentiel de 22 mois de détention préventive. Cette prorogation de quatre mois est-elle renouvelable, a demandé l'expert?
Une experte s'est inquiétée de l'important taux de mortalité qui prévaut en prison du fait des conditions de détention – un phénomène que le rapport lui-même reconnaît et qui constitue une violation directe du Pacte. Qu'en est-il, dans ce contexte, du calendrier prévu pour la construction des nouvelles prisons annoncées par les autorités, a demandé l'experte? Est-il vrai que certains journalistes sont victimes de harcèlements voire d'arrestations arbitraires alors qu'ils ne font qu'exercer leur droit à la liberté d'expression, a-t-elle en outre demandé? Elle s'est par ailleurs enquise des mesures prises, notamment en matière électorale, pour éviter que ne se reproduisent les incidents qui ont entouré les dernières élections.
Un membre du Comité a insisté sur l'importance, notamment aux fins de la prévention des mariages précoces, de fixer un âge égal pour le mariage des femmes et des hommes; ayant par ailleurs soulevé la question de la polygamie, tout en relevant que celle-ci est interdite en Côte d'Ivoire, cet expert a souhaité savoir dans quel sens va aller la révision envisagée du code de la famille s'agissant de ces questions. Pour ce qui est de l'enregistrement des naissances, près de trois millions d'enfants ne sont pas enregistrés, s'est par ailleurs inquiété l'expert.
D'après les informations disponibles, a fait observer un expert, un certain nombre de personnes sont encore portées disparues et d'autres ont été enterrées dans des fosses communes, sans que les auteurs de ces actes ne soient tenus responsables. Il s'agit là de crimes de masse revêtant un caractère de crime international et qui touchent donc la communauté internationale, a souligné cet expert. Justice doit être faite; il convient pour la Côte d'Ivoire de faire preuve de sa volonté de faire la justice autour de ces affaires, a déclaré l'expert. Or, l'on a l'impression qu'il y a en fait une justice à géométrie variable, certains auteurs de ces actes ayant été traduits en justice alors que d'autres ne sont pas poursuivis et restent impunis, a-t-il déploré.
Un expert a souhaité savoir si l'incrimination du viol conjugal était prévue dans le cadre de la révision envisagée du code pénal.
Réponses de la délégation
La délégation ivoirienne a souligné qu'il est impossible d'occulter la situation qu'a connue la Côte d'Ivoire de 1992 à 2011. Aujourd'hui, la Côte d'Ivoire est tributaire de cette longue période de «non-existence des droits de l'homme» dans le pays, a-t-elle affirmé, ajoutant que le pays sortait à peine de la troisième année d'effectivité des droits de l'homme. La crise qu'a connue le pays s'est illustrée par de nombreuses et graves violations de droits de l'homme, a-t-elle rappelé.
Les «infractions politiques» ont été commises à une période de sortie immédiate de crise et ont fait l'objet d'une procédure d'enquête qui a duré deux ans et a abouti au procès du mois dernier, a indiqué la délégation. Les crimes et violations de droits de l'homme ont fait l'objet de la mise en place, en décembre 2011, d'une commission d'enquête qui a travaillé jusqu'en décembre 2012 et dont le rapport se trouve actuellement entre les mains des juges d'instruction, a-t-elle expliqué. Pour qu'un crime puisse être qualifié, il faut pouvoir établir les causes de la mort et donc disposer d'un cadavre.
La situation des personnes disparues est tributaire de la situation globale du pays; ce sont des milliers de personnes dont on reste aujourd'hui sans nouvelles, sans preuve de leur décès ni preuve de leur présence en dehors des frontières de la Côte d'Ivoire, a par ailleurs indiqué la délégation. Depuis 2013 lorsqu'ont commencé les exhumations, plus de 832 corps ont été exhumés de sites qui n'étaient pas des cimetières, a-t-elle précisé; après Abidjan, le cap est maintenant mis sur l'ouest pour ce qui est des exhumations, a ajouté la délégation. Ces exhumations sont très onéreuses car la Côte d'Ivoire a un déficit d'expertise en matière d'expertise légale, a-t-elle expliqué, précisant que ces exhumations ont déjà coûté au pays près de 3,5 milliards de francs CFA – soit une somme considérable qui n'est pas consacrée à l'action en faveur des personnes vivantes.
La délégation a confirmé que le Pacte, signé en 1992, n'a pas eu le temps de connaître son expression en Côte d'Ivoire et d'y être usité; s'il n'est pas connu, ce Pacte ne risque pas d'être utilisé dans le pays, a-t-elle insisté. Aussi, la délégation a-t-elle rendu compte des mesures prises par les autorités en faveur de la diffusion de cet instrument et de la formation des personnes concernées afin que chacun s'implique dans la matérialisation et la mise en œuvre des dispositions du Pacte.
La Commission nationale des droits de l'homme qui a été instituée conformément aux Principes de Paris est composée de 22 membres dont 17 ont voix consultative, a indiqué la délégation, assurant que cette Commission ne subit aucune ingérence de l'administration. Cette Commission dispose des moyens nécessaires et fonctionne de manière autonome, a insisté la délégation.
La délégation a par ailleurs souligné que la Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation n'était pas un organe judiciaire et avait pour seul objet de rechercher et promouvoir un dialogue en vue de la réconciliation. Cette Commission a rendu son rapport au Chef de l'État auquel il incombe maintenant de développer les mécanismes qu'il jugera opportun pour donner suite au travail de la Commission et de rendre public ce qu'il estime devoir être porté à la connaissance du public, étant entendu que l'objectif de la démarche n'était pas de remettre de l'huile sur le feu de la société ivoirienne, a expliqué la délégation.
À ce stade, un membre du Comité a fait part de son point de vue selon lequel le principe-même d'une commission de vérité et de réconciliation est que l'exposé de la vérité favorisera la réconciliation; aussi, cet expert a indiqué ne pas bien comprendre comment la non-publication des résultats d'une telle commission pourrait être de nature à empêcher des troubles au sein de la société.
Le Gouvernement a décidé de mettre en place un fonds d'indemnisation des victimes à hauteur de 15 milliards de francs CFA pour l'année 2015, a fait savoir la délégation. Il n'est pas possible d'attendre d'être au terme du mécanisme de reconnaissance des faits avant d'apporter une aide aux victimes, a-t-elle expliqué; «lorsque sera déterminé le préjudice réel, la réparation se fera au prorata du préjudice subi», a précisé la délégation. Les faits que la Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation a traités sont les mêmes que ceux que la justice traite dans le cadre des instructions menées par les juges (dans le contexte de la Commission nationale d'enquête), a-t-elle ajouté.
S'agissant des questions de nationalité, la délégation a indiqué qu'effectivement, le Gouvernement ivoirien a bien la possibilité de s'opposer à l'acquisition de la nationalité par un étranger ou une étrangère; c'est une question de souveraineté, a déclaré la délégation. Chacun est libre de se marier, mais la Côte d'Ivoire se garde le droit de refuser la nationalité ivoirienne à celui qui, par le mariage, souhaite l'acquérir si elle estime que cette personne ne mérite pas d'arborer un passeport ivoirien, a insisté la délégation.
En ce qui concerne l'accès des personnes handicapées à l'emploi, la délégation a indiqué que cette année, il y a eu un recrutement spécial de personnes handicapées. Quoi qu'il en soit, aucun examen ou concours n'a jamais été fermé aux personnes handicapées, a assuré la délégation; tous les concours leur sont ouverts et régulièrement, les autorités leur réservent des accès spécifiques à la fonction publique, a-t-elle souligné.
Pour ce qui est de la question de l'avortement, la délégation a indiqué que le code pénal ivoirien punit l'avortement, la Côte d'Ivoire estimant que le droit à la vie prime sur le droit à l'interruption volontaire de grossesse, a expliqué la délégation.
Il n'y a pas à notre connaissance d'infanticides rituels en Côte d'Ivoire, a par ailleurs déclaré la délégation. S'il y a eu à un moment donné une vague d'enlèvements et d'assassinats d'enfants (dont le bilan a pu atteindre 21 victimes), rien ne permet d'affirmer que les responsables de ces actes étaient les parents des enfants concernés; or, un infanticide à proprement parler renvoie au meurtre par un parent de l'un de ses enfants, a rappelé la délégation.
S'agissant de la «communauté LGBT», la délégation a indiqué que «l'expression de cette tendance» en public est punie par la loi. La tolérance que l'État exprime à l'égard de cette communauté a fait dire que la Côte d'Ivoire est l'oasis de tolérance à l'égard des LGBT en Afrique; mais ce n'est pas pour autant que l'État se doit d'officialiser une telle attitude dans la société ivoirienne, pour la simple raison que la population n'est pas prête à l'admettre, a expliqué la délégation. Cette question fait partie de la «marge de tolérance», mais tolérance ne doit pas signifier encouragement, a ajouté la délégation.
La Direction de la surveillance du territoire (DST) est une entité de police judiciaire; la matière sur laquelle cette police travaille a fait l'objet d'une législation qui lui a accordé des dérogations, a indiqué la délégation. La DST est contrôlée par le Procureur de la République; elle est donc soumise à toutes les règles de droit en matière de procédures, sauf dérogations prévues par la loi, a insisté la délégation.
Pour ce qui est des allégations de torture, la délégation a souligné que la notion de torture est fluctuante en fonction de celui qui la subit ou l'exerce. Aussi, la torture va-t-elle être prochainement définie dans le code pénal et sera dûment incriminée, a indiqué la délégation. Les châtiments corporels sont interdits et punis par la loi, même dans les maisons d'arrêt et lorsqu'une personne a été condamnée, a par ailleurs souligné la délégation. La Côte d'Ivoire se veut un pays de droit et se donne les moyens de corriger toutes les attitudes qui ne sont pas conformes à l'état de droit, a assuré la délégation.
Grâce au Plan national de lutte contre les pires formes de travail des enfants et grâce à l'implication de la Première Dame, les résultats dans la lutte contre ce phénomène sont tangibles: les polices, qui sont davantage sensibilisées à cette question, parviennent à démanteler des bandes de trafiquants d'enfants et des poursuites judiciaires sont engagées, a par ailleurs indiqué la délégation. Sans vouloir l'excuser, le problème du travail des enfants a des fondements culturels, économiques et sociaux, a souligné la délégation. L'absence d'écoles et de garderies dans certains hameaux rend difficile la garde des enfants en bas âge en dehors des activités de ses parents, a-t-elle expliqué. Les trafiquants, en revanche, sont dans une logique lucrative et, du fait qu'ils tombent sous le coup de la loi, ils ont de moins en moins de possibilités de placer des enfants dans le milieu du travail, a ajouté la délégation.
L'enseignement est obligatoire en Côte d'Ivoire, a poursuivi la délégation. Pour l'heure, l'éducation est obligatoire au primaire et les autorités cherchent à étendre cette obligation au secondaire, c'est-à-dire jusqu'à l'âge de 15 ans, a-t-elle précisé, ajoutant que pour atteindre ce dernier objectif, il est impératif de faire en sorte qu'il y ait suffisamment de salles de classe.
Jusqu'à il y a peu, notre société était défavorable à la scolarité des jeunes filles, pour plusieurs raisons, y compris par manque d'infrastructures, de sorte qu'à un certain niveau, il est vrai qu'il existe un manque de compétences féminines; mais cela ne découle pas d'un manque de volonté, a assuré la délégation.
Interpellée sur les violences faites aux femmes, la délégation a souligné que cette problématique revêt une importante dimension culturelle; il est en effet des communautés au sein desquelles la première chose que le mari fasse lorsqu'il se réveille, c'est de gifler sa femme – si ce n'est pour ce qu'elle a fait hier, alors pour ce qu'elle fera aujourd'hui – a fait observer la délégation. Néanmoins, dès lors qu'une plainte est déposée, suite lui est donnée, a assuré la délégation. Elle a fait part des «cliniques juridiques» et autres points d'information mis en place auprès de certaines juridictions afin de donner les informations nécessaires aux personnes vulnérables pour qu'elles puissent déposer plainte lorsque nécessaire.
L'excision est elle aussi une question culturelle, tout comme l'est l'âge du mariage, a souligné la délégation. Les mariages précoces font l'objet de condamnation devant un juge; mais où est l'équilibre lorsque, en envoyant en prison un père de famille pour avoir organisé un mariage précoce, sont mises en péril les existences de nombreuses autres personnes – épouses et enfants – dépendant de ce père de famille, a interrogé la délégation? Il faut que les juges veillent à l'impact de leur décision, sous peine de détériorer le tissu social, a-t-elle souligné. Pour remédier au problème des excisions, il convient d'agir à la fois sur le volet de la sensibilisation et sur celui de la promotion d'activités de substitution; aussi, les autorités ont-elles notamment entrepris de distribuer aux exciseuses des «kits d'activités génératrices de revenus», a par ailleurs indiqué la délégation. Avec l'urbanisation des populations, ces pratiques reculent d'elles-mêmes, a-t-elle en outre fait observer.
Tant que n'aura pas été modernisée l'agriculture et que n'auront pas été construites des écoles dans tous les hameaux, il va être difficile de régler certaines questions, a déclaré la délégation.
La Côte d'Ivoire a pris des dispositions en matière de protection et de lutte contre le travail des enfants, y compris dans le cadre de sa politique d'immigration, a ensuite indiqué la délégation. Mais au sein de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), le principe de la libre-circulation des populations est acquis. Dans de telles circonstances, il convient donc – pour lutter contre de tels phénomènes – de prendre des mesures au plan sous-régional, a souligné la délégation. Or, la majorité des pays de la sous-région ont des problèmes d'identification des enfants, nombre d'enfants n'ayant pas de papiers d'identité, a-t-elle fait observer.
«Il n'y a pas de détenu politique en Côte d'Ivoire; en tout cas, depuis que nous sommes là, en 2011, il n'y a jamais eu de détenu politique», a assuré la délégation.
Lorsque l'on parle de crimes de sang, on ne peut qualifier ces infractions qu'en disposant des faits (certificats) médicaux attestant de la véracité des faits allégués. Pour engager des poursuites pour assassinat, il faut par exemple disposer d'un certificat de décès, a de nouveau souligné la délégation. On reproche parfois à la Côte d'Ivoire la lenteur de certaines de ses procédures en justice; mais Laurent Gbagbo est entre les mains de la Cour pénale internationale (CPI) depuis des mois sans avoir encore été jugé, a fait observer la délégation, soulignant que la CPI est une juridiction qui dispose de bien plus de moyens que les juridictions nationales ivoiriennes. La Côte d'Ivoire, c'est 24 millions d'habitants et 640 juges; «nous faisons ce que nous pouvons», a-t-elle déclaré.
Pour le Comité, les droits de l'homme sont un idéal; pour la Côte d'Ivoire, c'est un objectif, a déclaré la délégation.
Tout en prenant acte des préoccupations exprimées par le Comité, la délégation a tenu, en conclusion, à souligner que le Gouvernement ivoirien ne ménagera aucun effort pour faire obstacle à tout acte de violation ou d'abus, quel qu'il soit et quels qu'en soient les auteurs. Pour nous, les droits de l'homme font partie des priorités absolues de l'État, a insisté la délégation. Les autorités ivoiriennes sont conscientes de l'ampleur des défis qui restent à relever, au terme de plus d'une décennie d'instabilité et d'absence effective des droits de l'homme et des libertés publiques, a déclaré la délégation. La Côte d'Ivoire y travaille avec courage et acharnement, mais malheureusement, dans la limite de ses moyens matériels, humains et financiers, a-t-elle souligné. Les autorités ivoiriennes travaillent et continueront de travailler au renforcement d'un système judiciaire performant, placé à la pointe de la lutte contre l'impunité et accessible en Côte d'Ivoire à tous les justiciables, a conclu la délégation.
Conclusion
M. FABIÁN OMAR SALVIOLI, Président du Comité, a indiqué que la Côte d'Ivoire recevrait les observations finales du Comité et que le pays dispose dès à présent d'un délai de 48 heures pour transmettre toute information complémentaire qu'il jugera utile pour le Comité à cette fin. Ce dialogue a été très constructif, a affirmé M. Salvioli. Nous avons noté des progrès et d'autres domaines doivent se voir accorder la priorité, notamment pour ce qui a trait aux disparitions forcées, qui constituent un délit continu, a indiqué le Président du Comité. Il a rappelé la nécessité de prendre des mesures de prévention et de lutte contre la torture et a insisté sur l'importance d'autres questions ayant trait à l'égalité, à la discrimination et à la violence domestique.
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CT15/005F