Fil d'Ariane
LE CONSEIL DES DROITS DE L'HOMME EXAMINE DES RAPPORTS SUR LA JUSTICE TRANSITIONNELLE ET SUR LA DÉTENTION ARBITRAIRE
Le Conseil des droits de l'homme a tenu cet après-midi des débats interactifs avec le Rapporteur spécial sur la promotion de la vérité, de la justice, de la réparation et des garanties de non-répétition, M. Pablo de Greiff, et le Président du Groupe de travail sur la détention arbitraire, M. Mads Andenas, qui ont présenté leurs rapport annuels.
M. De Greiff a déclaré que ses travaux sur la justice transitionnelle ont permis de constater que la plupart des pays en situation de post-conflit sont tentés par des amnisties générales; cette tendance est dangereuse car elle peut créer un climat d'impunité, alors que les États ont le devoir de rendre justice. C'est pour remédier à cette situation que son rapport contient des propositions de stratégies visant notamment à prévenir la résurgence des violations des droits de l'homme, l'autonomisation des mécanismes de poursuite judiciaire ou encore l'accès à la justice des victimes. S'agissant de ses misions sur le terrain, le Rapporteur spécial a observé qu'en dépit de leurs institutions solides, l'Uruguay et l'Espagne ne font pas assez pour le droit à la vérité et à la justice des victimes des dictatures qu'ont connu ces deux pays. Ces deux pays ont réagi aux rapports les concernant.
Les délégations* ont insisté sur la nécessité de disposer d'une stratégie nationale globale dans le cadre du droit à la justice, à la vérité aux réparations et garanties de non répétition. Cette stratégie inclue l'indépendance des systèmes judiciaires, qui doivent librement pouvoir exercer leur travail a-t-il été dit. Pour que ces processus soient complets, il faut également que les victimes soient pleinement associés et reconnus en tant que victimes. C'est dans ce contexte qu'un groupe de délégations s'est inquiété des lois d'amnistie pouvant bénéficier aux auteurs de graves violations des droits de l'homme. Cette tendance est susceptible de promouvoir une culture de l'impunité, car ne pas poursuivre les auteurs de crimes de masse n'est pas une option, ni acceptable. Un autre groupe de délégations a quant à lui jugé qu'il ne saurait y avoir une stratégie unique. Elle doit au contraire s'adapter aux réalités socio-culturelles et politiques des pays concernés.
Le nombre croissant de plaintes reçues par le Groupe de travail sur la détention arbitraire témoigne de ce que le phénomène ne cesse de progresser, a déploré son Président, M. Andenas. Il s'agit là d'un problème qu'il va falloir affronter collectivement si l'on entend protéger la liberté individuelle. Il a également souligné que la détention préventive, qu'il a qualifiée de «dérive», se poursuit, notamment à l'encontre des demandeurs d'asile ou des personnes en détention irrégulière. Il a également plaidé pour que la détention «protectrice» des femmes et des filles pour les protéger de violences soit remplacée par des mesures alternatives permettant de les protéger sans porter atteinte à leur liberté. La Grèce, le Brésil, la Hongrie et le Maroc ont fait des déclarations sur les rapports les concernant, ainsi que les institutions nationales des droits de l'homme de la Grèce et du Maroc.
S'agissant du rapport annuel du Groupe de travail, les délégations* ont généralement présenté les dispositions prises par leurs autorités pour assurer la primauté du droit et empêcher toute détention arbitraire. Pour certaines, les mesures actuelles devraient être renforcées pour encore mieux protéger les personnes contre ce phénomène. La détention arbitraire ne doit pas être utilisée pour museler l'opposition politique. Des délégations ont pour leur part alerté le Conseil sur des situations de pays dans lesquelles les détentions arbitraires se multiplieraient. La communauté internationale devrait continuer de s'intéresser aux différentes formes de détention arbitraire, particulièrement en dehors de la sphère judiciaire, a-t-il été souligné.
La Fédération de Russie a exercé le droit de réponse s'agissant d'une déclaration faite précédemment par l'Ukraine.
Le Conseil reprendra ses travaux vendredi (demain étant jour férié) dès 9 heures à l'occasion d'une réunion-débat sur le droit à la vie privée à l'ère numérique. Il conclura à la mi-journée le débat interactif de cet après-midi.
Rapports sur la justice transitionnelle et sur la détention arbitraire
Présentation des rapports
M. PABLO DE GREIFF, Rapporteur spécial sur la promotion de la vérité, de la justice, de la réparation et des garanties de non-répétition, a rappelé qu'en principe, personne n'est au-dessus des lois. La justice transitionnelle, qui n'est ni une justice douce, ni une justice distincte, doit être également vue comme une stratégie visant à rendre justice, offrir réparation aux victimes et garantir la non-répétition, a-t-il souligné. Pourtant, la plupart des pays en situation de post-conflit sont tentés par des amnisties générales, a observé le Rapporteur spécial. Cette tendance est dangereuse, a-t-il prévenu, car elle peut créer un climat d'impunité, alors que les États ont le devoir de rendre justice. Selon M. de Greiff, il y a d'autres stratégies qui peuvent être mises en place pour enrayer ces risques et obtenir d'autres résultats, notamment en se concentrant sur la reddition de compte et le droit à réparation.
Le Rapporteur spécial a indiqué que c'est dans ce contexte que son rapport se concentre sur les stratégies alternatives en matière de justice transitionnelle. Ces stratégies doivent tenir compte du contexte dans lequel se sont déroulées les violations des droits de l'homme, afin d'en prévenir la résurgence. Ces stratégies visent aussi l'autonomisation des mécanismes de poursuite judiciaire, afin de les préserver de toute pression politique, par exemple. Elles visent enfin à accorder un statut particulier aux victimes dans les procédures judiciaires, a souligné M. de Greiff. Il a fait observer que son rapport fait également référence à la juridiction universelle et a relevé, à cet égard, que celle-ci avait reculé, y compris dans les pays qui ont adopté des législations pertinentes. Il ne faut pas qu'ils renoncent à la compétence universelle, a insisté le Rapporteur spécial, appelant au contraire ces États à la mettre en œuvre.
M. de Greiff a ensuite évoqué les visites qu'il a effectuées en Uruguay et en Espagne. Il a indiqué avoir constaté que l'Uruguay, qui a connu une dictature de 1973 à 1985, est aujourd'hui un État fort, avec des institutions solides. La démocratie y est aujourd'hui bien présente, a-t-il insisté. Cependant, il y a encore des lacunes en matière d'enquêtes et de reddition de comptes s'agissant des agissements des hauts fonctionnaires, a-t-il ajouté. En outre, l'Uruguay ne dispose pas de mécanisme de promotion de la vérité. Cette situation conduit à ce que de nombreux cas de détention arbitraire ou de torture restent non résolus, a souligné le Rapporteur spécial. L'Uruguay a encore beaucoup à faire pour se conformer à ses obligations internationales, a-t-il affirmé.
S'agissant de l'Espagne, M. de Greiff a relevé qu'il n'existe pas dans ce pays de politique globale pour faire la lumière sur la période de la guerre civile et la période dictatoriale qu'a également connues ce pays. Il n'y a pas de mécanisme de justice et de vérité, mais un système «privé» dans lequel les personnes privées ou les associations sont laissées à elles-mêmes pour faire des recherches ou encore exhumer des corps, a fait observer le Rapporteur spécial. La loi d'amnistie, prise dans son acception la plus restrictive semble nier l'accès à la justice, le droit à l'investigation et le droit à la vérité, a-t-il souligné. Eu égard à la force de ses institutions, l'Espagne devrait faire davantage pour le droit à la vérité et à la justice, a conclu le Rapporteur spécial.
Le rapport du Rapporteur spécial sur la promotion de la vérité, de la justice, de la réparation et des garanties de non-répétition (A/HRC/27/56, à paraître en français mais disponible en anglais) et de deux additifs consacrés à des missions en Espagne et en Uruguay (A/HRC/27/56/Add.2, à paraître en français mais disponible en espagnol).
M. MADS ANDENAS, Président-Rapporteur du Groupe de travail sur la détention arbitraire, a souligné que cette instance était la seule du système international des droits de l'homme à être dotée du mandat spécifique de recevoir et d'examiner des cas individuels de privation arbitraire de liberté. Lors de ses trois sessions annuelles, le Groupe de travail émet des avis s'appuyant sur des plaintes individuelles. Il lance régulièrement des appels lorsque des cas urgents se présentent, particulièrement lorsque des menaces contre la santé, l'intégrité ou la vie d'une personne sont en jeu, a expliqué M. Andenas. En 2013, a-t-il précisé, le Groupe de travail a émis une soixantaine d'avis relatifs à des cas individuels, concernant 431 personnes détenues dans 39 pays. Il a aussi transmis 110 appels urgents à 37 pays concernant 680 individus. M. Andenas a remercié les pays ayant coopéré avec le Groupe de travail.
Parmi les grands thèmes de réflexion sur lesquels le Groupe de travail s'est penché figure la pratique de l'abus de la détention, s'agissant en particulier de la détention préventive, a indiqué le Président-Rapporteur. Cette dérive se poursuit, notamment à l'encontre des demandeurs d'asile ou des personnes en détention irrégulière, a-t-il précisé. Un autre sujet de préoccupation touche à la pratique consistant à placer en détention les jeunes filles et les femmes afin de les protéger contre des risques de violences graves. Ce mode de détention «protectrice» doit être remplacé par des mesures alternatives permettant de protéger les femmes concernées sans porter atteinte à leur liberté, a souligné M. Andenas.
En réponse à la demande que le Conseil lui a adressée dans sa résolution 20/16 de 2012 aux fins de la rédaction d'un projet de principes et d'un projet de lignes directrices sur les procédures de recours face aux décisions des tribunaux en matière de détention – ou recours en habeas corpus, selon le terme en vigueur dans certains pays – le Groupe de travail a consulté des États, des institutions des Nations Unies, des organisations intergouvernementales et des organes de traité et l'ensemble de ces contributions fait l'objet d'un rapport thématique sous forme de compilation des réponses reçues, a indiqué M. Andenas, avant de faire observer que le droit de contester un placement en détention est reconnu par la plupart des instruments internationaux et régionaux des droits de l'homme.
M. Andenas a ensuite rappelé que le Groupe de travail avait, au cours de l'année 2013, effectué des visites en Grèce, au Brésil, en Hongrie et au Maroc. Rendant compte de ces visites sur le terrain, il a souligné qu'elles constituent un volet important du mandat du Groupe de travail. Il a en outre remercié l'Italie pour son soutien et sa coopération lors de la visite effectuée par le Groupe en juillet dernier dans la péninsule. Il s'est par ailleurs félicité qu'un certain nombre de pays - Azerbaïdjan, Burkina Faso, Inde, Japon, Libye, Nauru, Espagne, États-Unis - aient invité le Groupe de travail à les visiter, trois autres pays ayant pour leur part proposé que le Groupe revienne dans le cadre de visites de suivi.
En conclusion, M. Andenas a souligné que le nombre croissant de plaintes reçues par le Groupe de travail témoigne du fait que le phénomène de la détention arbitraire continue de progresser; il s'agit là d'un problème qu'il va falloir affronter collectivement si l'on entend protéger la liberté individuelle, a-t-il déclaré.
Le Conseil est saisi du rapport du Groupe de travail sur la détention arbitraire (A/HRC/27/48). Un additif (A/HRC/27/48/Add.1) contient les avis adoptés par le Groupe de travail sur la détention arbitraire à ses soixante-sixième, soixante-septième et soixante-huitième sessions. D'autres additifs portent sur des missions en Grèce, au Brésil, en Hongrie et au Maroc.
Pays concernés par des rapports
L'Espagne a remercié le Rapporteur spécial sur la promotion de la vérité, de la justice, de la réparation et des garanties de non-répétition pour son esprit de collaboration lors de sa visite, avant de préciser qu'il n'y a pas de recette magique dans les processus de transition. Celle de l'Espagne a été complexe à plusieurs points de vue, alliant transition d'une situation de conflit vers la paix et d'une dictature vers la démocratie. Une des grandes réalisations de la transition, d'ailleurs reconnue par le Rapporteur, a été l'établissement de la démocratie. L'Espagne prend bonne note des appréciations positives du Rapporteur spécial concernant l'évolution des forces armées dans le pays. L'Espagne conteste en revanche le constat d'inaction de l'Espagne que fait le Rapporteur et qui contredit ses propres appréciations. La transition en Espagne est un cas de réconciliation nationale obtenue sans recours à la justice pénale, grâce à un consensus très large de toutes les forces politiques et parlementaires démocratiquement élues. Cet équilibre entre paix et démocratie, justice et réconciliation, s'est fait grâce à la renonciation à la justice pénale, mais s'est accompagné de moyens de reconnaissance et de réparations pour les victimes, comme l'atteste la loi de 2007 sur la mémoire historique. Toutefois, la véritable légitimité de l'ensemble du processus procède de la loi d'amnistie de 1978, laquelle a été adoptée non par la dictature, mais sous la démocratie. Par ailleurs, contrairement à ce que dit le Rapporteur, les juges espagnols ne se contentent pas de classer sans suite les plaintes des personnes qui demandent des informations sur les lieux de détention de leurs proches. L'Espagne conteste en outre les affirmations du Rapporteur concernant la grande distance qui existerait entre la position des institutions et celle des associations de victimes de la dictature; en effet, de nombreuses victimes ne se reconnaissent pas dans ces associations.
L'Uruguay a fait valoir que son sénat avait adopté à l'unanimité le projet de loi portant réforme du Code pénal et offrant ainsi davantage de droits aux victimes présumées. En outre, des enquêtes sont prévues sur des assassinats attribués à des agents de l'État, a ajouté la délégation uruguayenne. La Commission nationale pour la paix a reçu 240 plaintes dont 189 ont été jugées recevables; 33 enquêtes ont été menées et 18 cas ont été classés sans suite. Une banque de données ADN a été mise en place afin d'identifier des victimes, a ajouté la délégation. En outre, un groupe de travail sur les archives a été mis en place afin d'assurer le traitement de ces documents. L'Uruguay partage l'avis du Rapporteur spécial quant à la nécessité d'élargir le concept de victime. L'Uruguay accorde beaucoup d'importance aux visites des titulaires de mandat au titre des procédures spéciales et présentera volontairement, l'an prochain, un rapport de suivi sur la mise en œuvre des recommandations du Rapporteur.
Le Brésil a déploré que le Groupe de travail sur la détention arbitraire n'ait pas pris en compte les observations de sa délégation. Le rapport de ce Groupe contient bon nombre d'inexactitudes, s'agissant notamment du pourcentage de personnes autochtones vivant au Brésil ou des détenus dans les prisons. Le rapport est également faux en ce qui concerne la situation des toxicomanes au Brésil, lesquels ne sont pas détenus de manière prolongée comme le prétend le rapport. Le Brésil déplore en outre les généralités contenues dans le rapport s'agissant du système judiciaire brésilien ou de la politique pénale relative aux mineurs.
La Grèce a souligné qu'elle considère la détention arbitraire comme une violation majeure des droits de l'homme. Le pays a indiqué souscrire pleinement au principe d'une supervision internationale permanente visant à assurer la disparition de cette pratique. La Grèce a rappelé qu'elle avait ratifié la plupart des instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme, y compris, en juin dernier, la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées. Le pays a également amendé ses codes civil et pénal afin de mettre sa législation interne en conformité avec cette Convention. Notant que le rapport met l'accent sur le phénomène de la détention arbitraire liée à la migration irrégulière, la Grèce tient à souligner que 18 mois se sont écoulés depuis la visite du Groupe de travail et que la législation grecque a été sensiblement amendée et complétée durant cette période. Ainsi, pour faire face à l'ampleur sans précédent de la migration irrégulière, un nouveau système a été mis en place pour certifier sérieusement la nationalité des ressortissants étrangers.
En même temps, la Grèce applique une politique améliorée et efficace de retour, basée sur les programmes de rapatriement volontaire de l'Organisation internationale pour les migrations. Les étrangers ne sont en aucun cas détenus systématiquement ou indistinctement, a assuré la délégation grecque. Chaque cas est étudié individuellement et une attention particulière est accordée aux personnes appartenant à des groupes vulnérables, a-t-elle affirmé. Parallèlement, des efforts sont faits pour améliorer les centres de détention. Par ailleurs, les autorités ont pris une série de mesures pour lutter contre la surpopulation carcérale, notamment par la libération de certaines catégories de prisonniers; ainsi, en 2014, plus de 750 détenus ont été libérés, ramenant à 12 092 le nombre total de détenus dans le pays. Enfin, des mesures sont prises pour appliquer plus efficacement les peines de services communautaires comme alternative aux peines d'emprisonnement. Quant à la détention des migrants irréguliers, elle est revue périodiquement et les migrants ont le droit de contester les mesures d'expulsion ou de détention en vue de l'expulsion et de demander des mesures provisoires, a rappelé la délégation. Malgré le fardeau actuel de la migration irrégulière et les circonstances économiques difficiles qu'elle traverse, la Grèce reste déterminée à garantir en toutes circonstances les droits fondamentaux et les principes des droits de l'homme et appuie entièrement l'élimination de la détention arbitraire, a conclu la délégation.
La Commission nationale grecque des droits de l'homme a dit partager les inquiétudes du Groupe de travail concernant la détention des migrants, l'échec à appliquer des mesures de substitution et la détention de mineurs, ainsi que sur les inquiétudes du Groupe concernant les mauvaises conditions de détention et le grand nombre de cas de demandes d'asile non traités. Le Gouvernement devrait être invité à remédier aux problèmes actuels dus au manque de personnel dans les commissions d'appel. La Commission est satisfaite du fait que le Groupe de travail a noté que 90% des migrants sans papiers qui entrent dans l'Union européenne le font par la Grèce, ce qui, du fait des règles de Dublin, fait peser sur celle-ci un fardeau financier disproportionné, en particulier en ces temps de difficultés financières. Toutefois, ce n'est pas en apportant une assistance financière que l'Union européenne aidera la Grèce à faire face à l'afflux des migrants, mais en réformant sa politique d'asile en la concentrant sur la dignité et les droits de l'homme, plutôt qu'en cherchant des moyens d'entasser des êtres humains dans certains États membres. Par ailleurs, la Commission remercie le Groupe de travail pour sa recommandation tendant à renforcer les ressources humaines et matérielles de la Commission mais souhaite qu'il recommande aussi un soutien en faveur de la politique de dé-institutionnalisation des malades mentaux, gravement menacée par les coupes budgétaires.
La Hongrie a déclaré soutenir le Groupe de travail sur la détention arbitraire, avec lequel les autorités ont par ailleurs bien coopéré. La Hongrie remplit ses obligations au regard du droit international, a assuré la délégation hongroise, insistant sur le fait que les membres du Groupe de travail avaient pu avoir accès aux lieux de détention comme ils le souhaitaient. Cependant, le rapport contient des éléments qui méritent d'être éclaircis ou rectifiés, a affirmé la délégation, évoquant notamment la loi sur les délits, les conditions de détention des requérants d'asile ou encore certains chiffres et données cités par le rapport. La Hongrie a toutefois assuré qu'elle poursuivrait sa coopération avec le Groupe de travail.
Le Maroc a affirmé être conscient de ses lacunes. Il a indiqué s'être penché sur toutes les violations des droits de l'homme commises par le passé et avoir engagé des réformes majeures, notamment en matière de justice militaire. Le pays a également déployé des efforts pour assurer les réparations nécessaires. Le Maroc entend tout faire pour se conformer au droit international, a insisté la délégation marocaine. Aussi, le pays a-t-il assuré qu'il poursuivrait le dialogue avec le Groupe de travail ainsi que les réformes déjà engagées.
Le Conseil des droits de l'homme du Maroc s'est également déclaré désireux de travailler avec le Groupe de travail sur la détention arbitraire. Il a affirmé rejoindre ce qui a été décrit par le rapport du Groupe de travail s'agissant des lieux de détention et de la justice pour mineurs. Le Conseil des droits de l'homme du Maroc salue néanmoins les réformes engagées par le Gouvernement marocain, notamment celle relative à l'accès à la justice, y compris devant les tribunaux militaires, et celle concernant les hôpitaux psychiatriques.
Débat interactif sur la justice transitionnelle
Le Costa Rica, au nom de la Communauté des États latino-américains et caribéens, s'est dit favorable à une plus grande participation et implication des victimes dans la mise en œuvre de stratégies concernant les priorités à établir au niveau national, s'agissant en particulier de la protection des victimes et des témoins et de la nécessité de garantir l'indépendance et l'autonomie des juges. Alors qu'un certain nombre de délégations, à l'instar de la République de Corée ou de l'Union européenne, insistaient sur l'importance de garantir l'indépendance des procureurs, la République tchèque a souligné que les États devaient s'abstenir d'exercer des représailles à leur encontre du fait de leurs initiatives indépendantes et impartiales. À l'instar de la République tchèque, l'Autriche a constaté qu'il y avait une tendance dans les pays sortant d'un conflit à entamer des poursuites pour faire en sorte que l'État apparaisse comme la seule et unique victime de la majorité des violations, ce qui a pour conséquence d'ignorer les violations des droits de l'homme et du droit humanitaire ou de les placer en arrière-plan.
Parmi les initiatives nationales mises en avant, le Mexique a indiqué disposer d'une loi générale sur les victimes qui reconnaît et garantit les droits de celles qui ont eu à souffrir de violations de leurs droits fondamentaux. Un système national d'attention aux victimes a été mis en place. Les États-Unis ont déclaré appuyer le droit de tout détenu à contester la légitimité de sa détention auprès d'un juge et d'obtenir sans retard une décision judiciaire à cet égard. Ce droit, qui figure dans la Constitution des États-Unis, a des racines historiques remontant à la Magna Carta.
Le Pakistan, au nom de l'Organisation de la coopération islamique, a dit partager la préoccupation du Rapporteur spécial au sujet des amnisties pouvant bénéficier aux auteurs de graves violations des droits de l'homme et susceptibles de promouvoir une culture de l'impunité. Quant aux Maldives, elles ont demandé à M. de Greiff de fournir des exemples de bonnes pratiques, si elles existent, ainsi que de stratégies ayant porté leurs fruits. L'Indonésie a dit partager l'avis du Rapporteur spécial selon lequel il n'existe pas de raccourci en matière de réconciliation des citoyens entre eux; cela implique qu'il convient de préparer la société à affronter son passé. L'Indonésie est également d'avis qu'il n'existe pas de stratégie unique qui soit bonne en tout temps. L'Argentine est convaincue que l'adoption d'une stratégie nationale destinée à établir un ordre de priorité dans le jugement de responsables de violations des droits humains constitue un outil permettant d'accroître substantiellement la flexibilité et l'efficacité des mécanismes d'établissement des responsabilités.
Le Comité international de la Croix-Rouge, quant à lui, convient avec le Rapporteur spécial que les victimes doivent être considérées comme des ayants-droits et que leurs besoins multiples doivent être pris au sérieux. Des stratégies en matière de poursuites judiciaires doivent veiller à répondre à ces besoins, dans le cadre de l'obligation qui incombe au parquet de protéger l'intérêt public.
De l'avis de la Suisse, la jurisprudence relative aux crimes les plus graves a enregistré d'importants progrès durant les deux dernières décennies et les amnisties générales pour de tels crimes ne sont plus acceptables. La question n'est plus de savoir si les responsables doivent être poursuivis mais à quel moment, dans quelles cadre et à quelles conditions. La Suisse souhaite la mise en place de stratégies en matière de poursuites pénales pour appréhender la nature systématique des violations. Le Danemark appuie quant à lui le Rapporteur spécial s'agissant des stratégies à mettre en place pour éviter toute répétition des violations et se félicite, dans ce contexte, des mesures concrètes proposées par ce titulaire de mandat. La participation des victimes est effectivement fondamentale, a rappelé le Danemark.
Pour l'Arménie le droit à la vérité est étroitement lié à plusieurs autres droits, parmi lesquels le droit à réparation et le droit à la non-répétition. L'Arménie est d'accord avec le Rapporteur spécial lorsqu'il identifie le fait que les violations massives ne requièrent pas seulement une organisation et des opérations armées, mais aussi une coordination qui implique un soutien politique et économique.
Le Brésil a indiqué que le rapport de sa Commission nationale sur la vérité serait rendu public en fin d'année. Les auteurs de graves violations des droits de l'homme doivent rendre des comptes, afin que soient démantelées les structures de répression qui ont rendu ces violations systémiques possibles. Le Brésil a souligné qu'il convenait aussi d'étudier le rôle des acteurs économiques concernés par les violations des droits de l'homme.
La Sierra Leone a rappelé qu'elle avait, après la fin de la guerre, accueilli le premier tribunal hybride mis en place avec les Nations Unies, entièrement financé par des contributions volontaires – le premier tribunal aussi à avoir condamné des personnes pour l'utilisation d'enfants-soldats et le recours à des mariages forcés. Alors que le Rapporteur spécial et le Comité des droits de l'homme appellent le pays à revenir sur l'amnistie qui a été décrétée, la Sierra Leone, tout en rejetant l'impunité, souhaite, onze ans après le retour à la paix, aller de l'avant. Le pays souhaiterait notamment que le Rapporteur spécial dise s'il est possible ou recommandable d'établir un laps de temps durant lequel il serait considéré comme raisonnable de poursuivre tous les responsables de violations graves. La Sierra Leone aimerait aussi interroger le Rapporteur spécial sur le lien existant selon lui entre paix et réconciliation, d'une part, et système de justice, de l'autre. L'Angola a indiqué s'être engagée à améliorer les conditions d'arrestation et de détention des responsables et auteurs d'infractions pénales grâce à un programme spécial de formation dans le domaine des droits de l'homme destiné aux agents de la force publique, mis en place avec l'assistance technique des Nations Unies. La législation angolaise prévoit en outre la responsabilité civile et pénale des agents de la force publique, qui peuvent être poursuivis en justice pour abus.
L'Allemagne et la Norvège ont salué les stratégies proposées par le Rapporteur spécial afin de renforcer l'obligation redditionnelle et mettre fin à l'impunité, en particulier en ce qui concerne la participation des victimes. La Norvège considère que le rapport de M. de Greiff offre des indications très concrètes visant à combattre efficacement l'impunité grâce à une stratégie d'enquête et de poursuite des violations des droits de l'homme alléguées. Elle estime en outre que la participation des victimes et leur reconnaissance en tant que victimes sont essentiels dans les stratégies de poursuites. Dans un tel processus, les femmes, dont le rôle est essentiel, ne doivent pas être marginalisées. La Norvège aimerait savoir quelles mesures les États pourraient prendre pour satisfaire les besoins des différentes victimes, notamment celles qui appartiennent à des groupes vulnérables. L'Allemagne aimerait pour sa part des précisions sur la recommandation faite de ne pas «utiliser le principe de complémentarité pour promouvoir un minimalisme qui ne fait qu'accroître l'impunité et non la combattre».
L'Algérie estime que la lutte contre l'impunité et la réhabilitation des victimes sont souvent au centre d'un processus global visant à reconstruire un pays ayant connu un conflit et garantir une paix durable. Il faut promouvoir en premier lieu les solutions nationales et les bonnes pratiques en tenant compte des caractéristiques historiques et socioculturelles de chaque partie. Le Paraguay, qui a soumis un projet de loi visant à mettre en œuvre le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, estime pour sa part que la justice de transition ne se limite pas à la justice pénale: la mémoire y joue un rôle très important et l'accès aux archives est donc très important.
Ne pas poursuivre les auteurs de crimes de masse n'est pas une option, a souligné la Pologne, avant de s'enquérir des mesures de coopération internationale pouvant être mises en place. Les États ont en effet le devoir de poursuivre et de traduire en justice les auteurs de tels crimes, a déclaré la Belgique, indiquant avoir pris l'initiative de mettre sur pied, avec d'autres délégations, un traité multilatéral sur l'extradition des criminels.
Débat interactif sur la détention arbitraire
L'Argentine s'est félicitée des visites de terrain effectuées par le Groupe de travail, indiquant qu'elle lui avait lancé une invitation afin qu'il effectue une visite de suivi dans le pays. L'Union européenne a fait part de sa préoccupation face à l'absence de réponse de la part de trop nombreux États suite aux appels urgents qui leur sont adressés par le Groupe de travail sur la détention arbitraire. Aussi, l'Union appelle-t-elle tous les États à coopérer avec le Groupe de travail. La Croatie a indiqué appuyer tous les efforts visant à mettre un terme à la détention, à des fins de protection, des femmes et des jeunes filles exposées à des risques de violence. Il s'agit en effet d'une forme de discrimination envers les femmes, leur libération dépendant d'un proche de sexe masculin.
Pour le Comité international de la Croix-Rouge, dans les cas spécifiques de disparitions forcées, l'un des besoins les plus pressants exprimés par les proches est celui d'une réponse individualisée concernant le sort du disparu. La justice doit par conséquent prendre en compte les besoins des proches en institutionnalisant leur participation afin qu'ils soient certains d'être entendus.
Le Pakistan, au nom de l'Organisation de la coopération islamique, ainsi que le Costa Rica, au nom de la Communauté des États d'Amérique latine et des Caraïbes, considèrent que la compilation réalisée par le Groupe de travail sur les cadres nationaux et régionaux relatifs au recours qu'un détenu peut introduire pour contester son incarcération est susceptible d'aider les États à améliorer leur législation. L'Indonésie a demandé au Groupe de travail ce qu'il entendait par les alternatives à la détention qu'il propose dans ses recommandations.
La République de Corée a déclaré que la communauté internationale devrait continuer de s'intéresser de près aux différentes formes de détention arbitraire, particulièrement en dehors de la sphère judiciaire, la délégation citant les camps de prisonniers, la détention pour soins et la détention de migrants. Pour sa part, la Fédération de Russie a attiré l'attention du Groupe de travail sur la situation inquiétante régnant selon elle en Ukraine, où – a-t-elle affirmé – les détentions arbitraires semblent se multiplier. Le représentant russe a cité plusieurs noms de victimes, notant que ces personnes n'avaient pas eu droit aux conseils d'un avocat. Les journalistes russes sont particulièrement victimes de ces pratiques, a insisté la délégation russe. Les groupes mercenaires ont recours à la détention arbitraire, tout comme l'armée ukrainienne elle-même, a-t-il ajouté.
Les Maldives ont quant à elles indiqué que leur Constitution contenait des dispositions spécifiques destinées à assurer la primauté du droit et à empêcher toute détention arbitraire.
La Suisse considère comme fondamentale la mise en œuvre du droit à la liberté et à la sécurité et du droit à un procès équitable et salue donc l'élaboration de principes et lignes directrices relatifs à l'habeas corpus. La Norvège a déclaré que la détention ne devrait jamais pouvoir être utilisée pour réduire l'opposition au silence ou l'éliminer; le pays a dénoncé les milliers de cas de détention arbitraire commis chaque année dans le monde à l'occasion de manifestations légitimes de protestation et a cité le cas de Bahreïn, accusé de détenir, parfois arbitrairement, des centaines de prisonniers politiques ayant simplement cherché à exercer leurs libertés fondamentales.
Bahreïn a affirmé défendre ardemment les droits et libertés fondamentaux et avoir mis en place des voies de recours pour protéger les droits des détenus. Le pays a assuré qu'il veille à mettre en œuvre toutes les recommandations issues des organes de droits de l'homme. L'Iraq a rappelé être partie au Pacte international sur les droits civils et politiques et a assuré avoir mis en place des procédures visant à garantir ces droits.
La Sierra Leone a estimé que les cadres juridiques nationaux devaient être renforcés pour mieux protéger les droits des personnes privées de liberté. Le Venezuela s'est élevé contre le fait que le Groupe de travail ait une fois de plus cité le cas des poursuites engagées contre l'ex-juge Afiuni Mora, poursuivie pour la commission de délits de droit commun pour les infractions qu'elle avait commises; il s'agit là d'une manœuvre politique, a affirmé la délégation vénézuélienne. Le Groupe de travail devrait veiller à rester crédible et donc rester impartial et non politisé. La juge concernée a pu s'appuyer sur toutes les garanties de droit existant au Venezuela, a insisté la délégation.
L'Ukraine a dénoncé les enlèvements et détentions arbitraires de citoyens ukrainiens par des organisations terroristes liées à la Fédération de Russie et leur transfèrement vers ce dernier pays. L'Ukraine a accusé la Fédération de Russie de collaboration avec des organisations terroristes, ainsi que de violation des dispositions du droit international relatif aux visites consulaires, avant de demander la libération de tous les captifs et otages.
La Belgique a déploré que nombre de délégations refusent de coopérer avec le Groupe de travail, appelant celles-ci à changer de politique.
Droit de réponse
La Fédération de Russie a réagi à la déclaration de l'Ukraine, qu'elle a accusée de vouloir induire en erreur la communauté internationale. Après le rattachement de la Crimée à la Fédération de Russie, à la suite d'un vote légitime et démocratique du peuple, le système pénitentiaire de la Crimée a été rattaché à celui de la Fédération de Russie, dans le respect des droits des détenus et des familles. Les personnes mentionnées par l'Ukraine comme faisant l'objet de détention arbitraire ont été mises en accusation par la justice en toute régularité et peuvent recevoir la visite, notamment, du Consul d'Ukraine. La Fédération de Russie a par ailleurs accusé l'Ukraine de détenir arbitrairement des personnes accusées de terrorisme qui n'ont pas accès à une procédure adéquate et ne savent même pas ce qu'on leur reproche; ces personnes sont détenues dans des lieux non toujours rendus publics et parfois torturées. La Fédération de Russie a en outre accusé l'Ukraine de recourir à des mercenaires et a affirmé que les accusations de présence de troupes russes en Ukraine sont des absurdités qui n'ont jamais été étayées.
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*Les délégations suivantes ont participé aux échanges sur la justice transitionnelle et sur la détention arbitraire: Conseil des droits de l'homme du Maroc, Pakistan (au nom de l'Organisation de la coopération islamique), Costa Rica (au nom de la Communauté des États d'Amérique latine et des Caraïbes - CELAC), Union européenne, République tchèque, Maldives, Autriche, Mexique, Indonésie, Fédération de Russie, Croatie, République de Corée, États-Unis, Comité international de la Croix-Rouge, Argentine, Brésil, Danemark, Armenia, Sierra Leone, Angola, Venezuela, Iraq, Bahreïn, Paraguay, Ukraine, Suisse, Algérie, Allemagne, Norvège, Pologne, Belgique.
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HRC14/113F