Fil d'Ariane
COMITÉ POUR L'ÉLIMINATION DE LA DISCRIMINATION RACIALE: AUDITION D'ORGANISATIONS NON GOUVERNEMENTALES SUR EL SALVADOR ET LE PÉROU
Le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale a entendu cet après-midi des organisations non gouvernementales qui ont témoigné de la situation en El Salvador et au Pérou au regard de l'application de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale, les rapports de ces deux pays devant être examinés cette semaine.
S'agissant d'El Salvador, les organisations non gouvernementales ont souligné le problème posé par l'absence de reconnaissance formelle des autochtones, à l'exception des Mayas. Ils ont aussi qualifié d'extrêmement problématique l'absence de statistiques précises et fiables, une lacune qui ne permet pas d'évaluer les retombées des politiques publiques censées leur bénéficier. Ils ont aussi mis en cause la promotion sans discernement du modèle de développement à l'occidentale sous le couvert de la politique gouvernementale Buen Vivir. Certains intervenants ont attiré l'attention sur le fait que les enseignants n'étaient pas formés pour répondre aux besoins de leurs élèves autochtones qui ne maîtrisent généralement pas la langue espagnole. Par ailleurs, une représentante a souligné la double discrimination dont souffraient les femmes autochtones, en tant que femmes et en tant qu'autochtones. Les questions du membre du Comité ont particulièrement touché à la nécessité de recenser la population, ceux-ci reconnaissant que l'absence de données fiables ne permettait pas de mener des politiques publiques efficaces.
En ce qui concerne le Pérou, les organisations non gouvernementales ont mis en cause un mode de développement et une exploitation des ressources, minières en particulier, qui se font au détriment des populations locales avec lesquelles la concertation est négligée. Le respect du principe de consultation préalable ne serait pas respecté par l'État, particulièrement en ce qui concerne l'exploitation des ressources minières dans les Andes. Par ailleurs, une ONG a estimé que le racisme et la discrimination sont minimisés au Pérou quand ils ne sont pas tout simplement niés. L'État ne déploie pas d'efforts suffisants pour qu'il y ait une prise de conscience à cet égard. Un expert a souligné que le bilinguisme dans l'éducation tendait à bénéficier la langue dominante, à savoir l'espagnol. Il a estimé nécessaire de connaître le pourcentage d'analphabètes chez les peuples autochtones, ainsi que chez les populations d'ascendance africaine.
Demain matin à 10 heures, le Comité tiendra, en salle XVIII du Palais des Nations, une réunion informelle publique avec des organisations non gouvernementales sur la situation aux États-Unis, dont le rapport sera examiné à partir de mercredi après-midi.
Aperçu des débats
S'agissant d'El Salvador, une représentante du Comité de América latina y el Caribe para la Defensa de los Derechos de la Mujer (CLADEM) a évoqué la situation des femmes des peuples autochtones, fréquemment victimes de discriminations à double titre, en tant qu'autochtones et en tant que femmes. Elle a déploré l'absence de statistiques ventilées en El Salvador susceptibles d'avoir une idée exacte de la situation. Par ailleurs, la réforme constitutionnelle récemment mise en place n'a tenu aucun compte des revendications autochtones, selon la représentante, les autochtones n'étant pas reconnus en tant que tels. Elle a estimé que le Comité devrait recommander une reconnaissance formelle à l'État-partie. La représentante a attiré l'attention sur des situations concrètes témoignant de la négation de l'apport des cultures autochtones en El Salvador, notamment s'agissant des médecines traditionnelles, qui constituent des pratiques ancestrales ayant montré leurs bénéfices, et qui ne devraient pas être éradiquées au profit de la médecine moderne. La même intervenante a aussi cité le domaine de l'éducation, constatant les discriminations dont souffriraient les enfants autochtones qui pâtissent d'une connaissance insuffisante de la langue espagnole. Elle a recommandé que les enseignants soient formés pour pouvoir répondre adéquatement aux besoins de ces élèves. Elle a demandé par ailleurs au Comité de recommander à El Salvador l'adhésion aux traités internationaux auxquels il n'est pas partie.
La représentante de la Comisión Jurídica de los Pueblos Originares Andinos a rappelé le contexte historique du pays. Tout en se félicitant que la réalité autochtone soit progressivement reconnue, elle a néanmoins déploré la poursuite d'une vision paternaliste envers les populations concernées. Si le rapport d'El Salvador met en avant les programmes et projets en faveur des peuples autochtones, notamment en matière de santé, elle a regretté l'impossibilité de savoir si ceux-ci étaient suivis d'effet, à tel point que les populations concernées en ignorent même l'existence. Elle a réclamé la mise en place d'un mécanisme de concertation. La création d'une direction nationale des peuples autochtones est indispensable, selon elle. Trop souvent les politiques sont imposées d'en haut, sans concertation aucune. La notion du «Buen Vivir» promue par l'État est par trop inspirée, selon elle, par le modèle de développement occidental sans tenir aucun compte de la culture, des mentalités et des valeurs autochtones. Elle a en outre souligné que la promotion des «droit de l'enfant» ne fait jamais apparaître les devoirs; ainsi, le principe de l'interdiction du travail des mineurs ne tient aucun compte de la tradition des corvées collectives, du ramassage du bois par exemple, auquel participe l'ensemble de la communauté, adultes et enfants réunis, a encore déploré la représentante. Celle-ci a estimé que le Comité devrait à nouveau recommander un recensement des populations autochtones, dans la perspective du recensement national envisagé pour 2017.
Parmi les membres du Comité, un expert a souhaité savoir si toutes les populations autochtones du pays bénéficiaient d'une reconnaissance officielle. Existe-t-il un effort de transcription des langues locales? Celles-ci peuvent-elles être utilisées dans les rapports avec l'administration? Y a-t-il un problème à cet égard? Comment se fait-il qu'une population estimée à 0,2% en 2007 représenterait désormais 10% de la population, soit 560 000 personnes, a demandé un autre expert. Un autre membre du Comité a pour sa part relevé que des estimations démographiques faisaient état d'un pourcentage relativement élevé des populations d'ascendance africaine – de 5 à 10%, selon les sources – ce qui illustre là aussi la nécessité de réaliser au plus tôt un recensement de la population. Il a souligné que le pays souffrait d'une émigration massive de sa jeunesse vers les États-Unis. Il a aussi relevé une violence endémique et affirmé que la maltraitance des femmes était monnaie courante. Le même expert a demandé ce qu'il en était du projet de libre-échange pour l'Amérique centrale qui fait l'objet de nombreuses critiques dans le pays. Un autre expert a demandé où en était la ratification de la Convention 169 de l'Organisation internationale du travail.
Une experte a souligné l'importance «cardinale» d'un recensement de la population et de ses composantes et souligné le rôle clé que pouvaient jouer les organisations non gouvernementales pour inciter les autorités à sa réalisation. Elle a souligné l'importance de disposer de statistiques, seul moyen d'évaluer les retombées des politiques mises en œuvre. Elle s'est étonnée que l'on en soit encore à revendiquer la reconnaissance de la médecine traditionnelle alors que c'est toute la population du pays qui devrait pouvoir bénéficier des bienfaits qu'elle apporte et qui sont incontestables.
Un membre du Comité a rappelé que les abus sexuels au sein des populations autochtones constituaient un problème soulevé dans plusieurs pays, souhaitant savoir si l'on disposait d'indications sur la situation à cet égard en El Salvador. L'expert a aussi demandé si des traités avaient été conclus entre les peuples autochtones et le colonisateur, notamment en ce qui concerne la propriété de la terre.
Un autre expert, qui s'est dit choqué par les allégations des organisations non gouvernementales faisant état d'une mauvaise utilisation des budgets alloués aux peuples autochtones, a demandé s'il était envisageable d'introduire des recours à cet égard. Le Président a conclu en demandant des indications sur l'éducation bilingue.
La représentante d'une organisation non gouvernementale a souligné la priorité qui doit être accordée à la mise sur pied d'un appareil statistique afin de pouvoir mettre en place des projets dignes de ce nom. Le Comité devra attirer l'attention de l'État-partie à cet égard. Jusqu'à présent, la population autochtone n'a jamais été prise en considération dans une aucune statistique, ni aucun recensement. En outre, les autorités prennent uniquement en compte les peuples mayas alors que le pays compte au moins deux autres ethnies. L'État ne souhaite pas organiser un recensement des peuples autochtones car cela l'obligerait à mettre en place des politiques publiques, alors que la question n'est pas prioritaire pour lui. La violence sexuelle est une question prioritaire, a enfin reconnu une intervenante qui a, là encore, souligné le caractère essentiel de disposer de statistiques fiables.
Pour ce qui concerne le Pérou, le représentant de la Coordinadora Andina de Organizaciones Indígenas – CAOI) a rappelé que la Cordillère des Andes était une région extrêmement vaste dont les ressources hydriques étaient convoitées de longue date, rappelant qu'en son temps par exemple, l'ancien Président péruvien Alberto Fujimori avait jeté son dévolu sur cette ressource. Il a rappelé que deux organes conventionnels dont le Comité des droits de l'homme avaient rappelé que cette exploitation devait être limitée dans le respect des droits des collectivités concernées, les peuples autochtones devant pouvoir saisir la justice. Tout projet, quel qu'il soit, ne peut être préjudiciable aux communautés vivant dans les régions affectées par les projets de développement. Malgré les rappels à l'ordre, l'État péruvien n'a jamais montré sa volonté de mettre un terme à ces pratiques, a rappelé le représentant.
La représentante du Centro de Culturas Indigenas del Perù - CHIRAPAQ) a dénoncé les discriminations et le racisme dont les femmes autochtones sont la cible. Elle a évoqué les stéréotypes véhiculés par des médias, citant une émission prétendument satirique diffusée par la télévision à une heure de grande écoute et qui caricature une femme de ménage amérindienne, demandant au Comité d'appeler l'État partie à y mettre un terme.
Un représentant de la Comisión Juridica para el Autodesarollo de los Pueblos Originarios Andinos – CAPAJ) a indiqué que le respect du principe de consultation préalable n'était pas respecté par l'État, particulièrement en ce qui concerne l'exploitation des ressources minières dans les Andes. Il est à craindre que les communautés paysannes soient privées de ce droit de consultation. Il a aussi évoqué la question du recensement, regrettant l'absence de progrès à cet égard, malgré les recommandations formulées par le Comité en 2009, afin qu'une base de données soit constituée.
Parmi les membres du Comité, un expert s'est interrogé sur les insuffisances de l'application du droit de consultation préalable, soulignant que si certaines populations étaient consultées, d'autres ne l'étaient pas du tout. Quant au bilinguisme dans l'éducation, il est clair, selon lui, que celui-ci tend à bénéficier à la langue dominante, à savoir l'espagnol. Il a enfin souhaité connaître le pourcentage d'analphabétisme chez les peuples autochtones, ainsi que chez les populations d'ascendance africaine. Un autre expert a demandé si les peuples autochtones du Pérou s'étaient adressés à la Commission interaméricaine des droits de l'homme.
Les représentants d'organisations non gouvernementales ont expliqué que les lacunes en matière de consultation préalable s'expliquaient par le fait que seules les communautés du lac Titicaca étaient reconnues comme peuples autochtones par le Ministère de la culture, les autres étant considérées comme simples «communautés paysannes» auxquelles ne s'appliquent pas l'exigence de consultations. Nier l'existence d'un peuple est aussi une forme de racisme, a-t-il été souligné. En ce qui concerne l'éducation, les concepts de la culture occidentale sont enseignés sous couvert d'éducation bilingue, ont-ils ajouté. Quant à l'apport culturel des populations d'ascendance africaine, il est particulièrement important dans les domaines de la musique et de la danse. Enfin, s'agissant de la Cour interaméricaine des droits de l'homme, celle-ci ne dispose pas d'organes conventionnels tels que ceux des Nations Unies, a expliqué un représentant pour justifier qu'aucun recours n'ait été tenté auprès de cette instance, qui ne serait pas armée pour répondre aux revendications des communautés affectées.
Un représentant du Centro de Culturas Indigenas del Perù a dénoncé le racisme et la discrimination dans la société péruvienne, soulignant que ces phénomènes étaient minimisés au Pérou quand ils ne sont pas tout simplement niés. L'État ne mène pas d'efforts suffisants pour qu'il y ait une prise de conscience à cet égard.
Le Président du Comité ayant souhaité savoir si l'émission satirique mentionnée était toujours diffusée, le représentant d'une organisation non gouvernementale a expliqué que son audience était très élevée, alors qu'elle fait l'apologie du racisme et de la discrimination, ce dont les auditeurs, et la société péruvienne au sens large, ne sont toutefois pas conscients, a-t-il admis.
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CERD14/017F