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COMITÉ POUR L'ÉLIMINATION DE LA DISCRIMINATION RACIALE: AUDITION D'ONG SUR LA MISE EN ŒUVRE DE LA CONVENTION AUX ÉTATS-UNIS

Compte rendu de séance

Le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale a auditionné, ce matin, des représentants d'organisations non gouvernementales au sujet de la mise en œuvre de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale aux États-Unis, dont le rapport doit être examiné à partir de mercredi après-midi.

Les organisations non gouvernementales ont présenté des exposés consacrés aux thèmes suivants: droits des travailleurs, droit de vote, environnement, violence du fait de l'État, droits de l'enfant, droit au logement, éducation, mise en œuvre de la Convention, immigration, droit à la santé et justice pénale. Un certain nombre de témoignages individuels ont aussi été apportés. La réunion a enfin consacré sa dernière partie à la situation des populations amérindiennes, dont des représentants ont présenté des témoignages.

Les exposés ont notamment souligné le hiatus entre les principes auxquels ont adhéré les États-Unis en matière de lutte contre la discrimination et leur application, notamment en matière de droit du travail, de droit à l'éducation et de droit à une justice équitable. Les intervenants ont dénoncé une application «minimale» de la Convention par ce pays, observant qu'elle était mal connue des responsables eux-mêmes. Des préoccupations ont été exprimées en particulier s'agissant de lois sur la légitime défense dans certains États, notamment les lois «Stand Your Ground» (défendez votre territoire), la discrimination exercée par les forces de l'ordre contre certaines communautés et la discrimination en matière d'accès à l'éducation.

Certains membres du Comité ont constaté pour leur part qu'en dépit des mesures prises, en matière de discrimination positive notamment, une discrimination raciale de fait demeurait et que celle-ci semblait enracinée dans les mentalités. Des membres du Comité ont fait part de leur émotion face aux témoignages entendus.


Le Comité entamera cet après-midi, à 15 heures, l'examen du rapport d'El Salvador (CERD/C/SLV/16-17), qui se poursuivra demain matin.


Exposés des organisations non gouvernementales

Les organisations non gouvernementales, organisées en groupes de travail chargés de différents thèmes, ont procédé en début de réunion à des exposés.

Ainsi, les ONG participant au groupe de travail sur les droits des travailleurs ont noté que la traite et le travail forcé étaient le lot commun de nombreux travailleurs migrants. Il s'agit d'une situation de servitude, a expliqué US Human Rights Network. Les travailleurs sans papiers ne peuvent prétendre à faire valoir leurs droits en cas de discrimination. Ce groupe de travail d'ONG a aussi dénoncé les atteintes aux droits de réunion et d'association. Entre un et trois millions de travailleurs migrants travaillent dans l'agriculture – hispaniques en majorité - dont un nombre non négligeable de mineurs. Des décès par insolation sont courants et les travailleurs sont exposés à des pesticides dangereux. Les conditions de logement sont souvent déplorables. Par ailleurs, il est très difficile d'avoir accès à ces travailleurs en raison des menaces de rétorsion des employeurs. Les États-Unis ne sont pas en mesure de les protéger adéquatement. Ils n'ont en effet guère d'accès à la justice.

S'agissant du droit de vote, la National Association for the Advancement of Colored People (NAACP) a dénoncé la privation des droits civiques des détenus, estimant que 5,8 millions de citoyens américains étaient concernés, dont un grand nombre d'Afro-Américains et de citoyens d'origine hispanique, même à l'issue de leur libération. C'est notamment le cas en Floride où des citoyens se voient de fait privés de leurs droits civiques à vie. Le cas de la Caroline du Nord aussi été cité; dans cet État, les listes électorales ont été «nettoyées», privant de nombreuses personnes de leur droit de vote et d'éligibilité. Les organisations non gouvernementales ont estimé que cet État devrait adopter une législation antidiscrimination.

En matière d'environnement, le New-Mexico Environment Law Center a affirmé que de nombreuses communautés minoritaires se voyaient privés d'accès à l'eau potable, en raison notamment d'activités minières et de la pollution. On estime que l'espérance de vie est diminuée de vingt ans dans certaines zones, le représentant citant la banlieue industrielle d'Albuquerque par exemple. Il a appelé au respect de la Déclaration sur les droits des peuples autochtones.

Sur le thème de la violence du fait de l'État, Black Womens' Blue Print a souligné que l'application de la justice est «à géométrie variable» en fonction de l'origine ethnique, voire du sexe. Elle a souligné qu'un contrôle plus efficace devrait régenter la circulation des armes. Elle a appelé au respect des conditions de garde à vue. Les États-Unis doivent être tenus responsables de leurs lacunes à cet égard, a-t-il été souligné.

Pour ce qui concerne les droits de l'enfant : les enfants de couleur sont particulièrement concernés par l'absence de respect de leurs droits, a souligné une représentante de la Correctional Association of New York. Elle a demandé que des budgets soient alloués à leur intention, à lutter contre le travail des enfants, d'origine hispanique, dans les exploitations agricoles et dont la santé est affectée par les pesticides. Elle a dénoncé le sort des enfants dont les parents sont incarcérés. Les États-Unis doivent effectuer un travail d'information auprès des institutions s'agissant de la Convention relative aux droits de l'enfant.

S'agissant du droit au logement, un représentant de la National Policy and Advocacy Council on Homelessness a dénoncé les atteintes au droit au logement décent, une grande disparité existant entre les communautés blanches et de couleur. Il a souligné la nécessité d'avoir accès à des conseils juridiques. Les villes de Chicago ou de Madison dans le Wisconsin ont mis en place des réglementations discriminatoires qui doivent être abrogées. De nombreuses personnes sont sans toit, alors que dans le même temps de nombreux logements restent vides. Il a demandé au Comité de demander la limitation des possibilités d'expulsion des logements.

En matière d'éducation, l'inégalité dans ce domaine a été dénoncé par la Leadership Conference on Civil and Human Rights. Elle a souligné que 74% des étudiants noirs et 79% des latinos fréquentaient des établissements où est pratiquée une ségrégation en fonction de l'origine raciale dans les classes. Elle a rappelé que le gouvernement fédéral était tenu de remédier à ces inégalités qui s'illustrent dans les résultats des élèves.

Pour ce qui est des mesures prises par les États-Unis en vue de la mise en œuvre de la Convention, US Human Rights Network a dénoncé le manque de respect du traité, constatant que vingt ans après sa ratification, les États-Unis n'avaient toujours pas mis en place de mécanisme pour veiller à la mise en œuvre du texte. Il a dénoncé les restrictions imposées par les États-Unis quant à la portée de la Convention, qui entraînent notamment des conséquences sur la lutte contre la discrimination à l'égard des Afro-Américains et de la majorité des communautés minoritaires. L'ONG a dénoncé le peu de publicité faite au sujet de la Convention, celle-ci étant largement ignorée par les collectivités locales. Il a appelé à la mise en place d'un processus de coordination entre autorités nationales et locales.

Sur les questions d'immigration, le représentant de Puente Human Rights Movement a témoigné de son cas personnel d'immigré arrivé très jeune aux États-Unis et a dénoncé les violations des droits de l'homme aux frontières, aujourd'hui militarisées. Le nombre de migrants victimes d'abus, voire tués, est considérable, et il faut dénoncer une véritable déshumanisation. L'ONG a aussi dénoncé l'octroi de primes pour les agents de l'immigration en fonction du nombre d'immigrants qu'ils placent en détention. Les conditions d'incarcération font aussi l'objet d'abus, y compris des viols. Le nombre d'expulsions des États-Unis, est estimé à un millier par jour, la plupart des personnes concernées n'étant pas en mesure de faire appel à un avocat.

Le groupe de travail sur la santé, l'accès aux soins et les droits à la santé génésique a dénoncé, par la voix de SisterSong Women of Color Reproductive Justice Collective, les discriminations dans ce domaine, alors que l'élimination des disparités est prévu par la loi. Les femmes noires meurent trois fois plus souvent en couche que les femmes blanches; dans certains cas, les statistiques sont pires qu'en Afrique subsaharienne. Dans la lutte contre le VIH/sida, les autorités sanitaires se sont montrées incapables d'en limiter la prévalence chez les Afro-Américains. Le groupe de travail recommande d'améliorer l'accès aux soins génésiques des femmes afro-américaines dans le sud du pays et la mise en place d'une stratégie de lutte contre le VIH/sida concernant tous les publics.

Dans le domaine de la justice pénale, les organisations non gouvernementales ont constaté les disparités en matière d'incarcération, alors que 60% de la population carcérale est constituée d'Afro-Américains et d'hispaniques. Au nom de ce Groupe de travail, la Leadership Conference on Civil and Human Rights a dénoncé le profilage racial, appelant le Comité à recommander une révision de la législation permettant ce genre de pratique. Elle a appelé à la mise en place de mesures alternatives à la détention, s'agissant particulièrement de parents ayant en charge des enfants mineurs. Un représentant du Malcolm X Center for Self Determination a souligné qu'un grand nombre de personnes incarcérées devraient immédiatement être libérées car elles ont été condamnées lors des mouvements contre la ségrégation raciale des années soixante et soixante-dix, un faible nombre de militants ayant été libérés depuis.

Échanges entre le Comité et les organisations non gouvernementales

Un expert, qui s'est félicité de l'abondance d'informations, a regretté l'impossibilité de prendre connaissance de toutes la documentation fournie qui représente un millier de pages. Il s'est dit particulièrement choqué par le fait que malgré que des mesures de discrimination positive aient été prises depuis des décennies, la ségrégation perdure néanmoins massivement quand elle n'est pas en augmentation.

Une organisation non gouvernementale a évoqué à cet égard les mesures de discrimination volontaire positive, constatant que les États pouvaient ou pas tenir compte des problèmes de discrimination raciale. Un autre intervenant a estimé possible de demander au gouvernement d'évaluer l'efficacité des politiques publiques dans ce domaine. Des mesures d'information sur la Convention peuvent être mises en place pour un coût modique, voire quasiment nul.

Un autre membre du Comité a évoqué une «discrimination structurelle» qui touche, selon lui, quelque 200 millions de personnes et qui constitue un legs de l'esclavage. Un experte a pour sa part estimé qu'au-delà de l'insuffisance des budgets, la situation aux États-Unis illustre un manque de volonté politique. Elle s'est interrogée sur la meilleure façon de sensibiliser les responsables à tous les niveaux. Elle s'est aussi préoccupée de l'accès à l'emploi et aux promotions dans l'emploi pour les femmes de couleur.

Une ONG a rappelé que la Cour suprême des États-Unis avait estimé qu'il n'existait pas de droit à l'éducation en tant que tel, ce qui a pour résultat de rendre très difficile la lutte contre cette inégalité, alors que le pays compte autant de systèmes éducatifs que d'États, soit une cinquantaine. Les autorités fédérales devraient pouvoir dénoncer les États qui ne se montrent pas à la hauteur dans ce domaine, d'autant que l'on se targue aux États-Unis de disposer par l'éducation d'un ascenseur social effectif.

Témoignages

Plusieurs intervenants ont apporté leur témoignage personnel. L'un d'entre eux, M. Leon Russell, de la National Association for the Advancement of Colored People, a attiré l'attention sur les lois discriminatoires en Floride en vue de limiter l'enregistrement électoral des communautés, qui ont un meilleur taux d'inscription électorale que la population blanche.

Ron Davies, de la Jordan Davis Foundation, a souligné que son fils a été tué par arme à feu pour avoir fait de la musique, et a dénoncé l'attitude de la police consistant à «tirer d'abord»; le Comité doit demander aux États-Unis de revenir sur les lois «Stand Your Ground» de légitime défense, qui violent les droits de l'homme. Mme Sybrina Fulton, de la Trayvon Martin Foundation et mère de Trayvon Martin, a dénoncé le droit illimité et sans restriction à la légitime défense. La majorité des victimes de ces meurtres sont des gens de couleur. Elle a elle aussi dénoncé la loi «Stand Your Ground», discriminatoire à l'égard des noirs.

Mme May Nguyen, de l'association Public Interest Law and Advocacy Resource of Coastal Louisiana, a attiré l'attention sur le fait que la communauté vietnamienne de Louisiane était touchée de manière excessive par la pollution chimique. Mme Theresa Martínez, de Justice Now, a évoqué les abus en milieu carcéral, en particulier la stérilisation des femmes afro-américaines et autochtones. Mme Nicole Patin, de Black Women's Blueprint, a déclaré avoir été violée à deux reprises avant l'âge de 25 ans, affirmant qu'elle avait compris très jeune que son corps, femme et noire, n'était pas valorisé dans son pays. Elle a appelé le Comité à demander au Gouvernement des États-Unis que les femmes victimes reçoivent les soins et la justice qu'elles méritent. Mme Johnetta Wilson d'Africa Community Development Corp. a dénoncé la pollution de l'environnement dans sa région en Alabama. Mme Crista Noel de Women's All Points Bulletin a cité les meurtres et viols commis par des membres des forces de l'ordre, citant nommément un certain nombre de victimes, y compris dans un cas faisant suite à un appel la police.

M. Toussaint Losier, de la Chicago Anti-Eviction Campaign, a témoigné des conséquences des pratiques locatives discriminatoires et racistes. Il a affirmé que sa famille risquait d'être expulsée de son logement du fait des pratiques de la société Fanny Mae. Mme Cindi Fisher, du Movement of Mothers ans Others Standing-Up Together, mère d'un garçon toxicomane, a dénoncé l'absence de soins pour de tels cas ou leur inadaptation, contrairement à ce qui se fait dans d'autres pays. Elle a demandé l'abrogation de l'internement obligatoire et la prohibition de traitements inadaptés.

Mme Amy Adams, de Freedom Inc., a souligné qu'un grand nombre de personnes étaient incarcérées pour des délits sans violence. Elle a appelé au respect des normes des droits de l'homme. Mme Julia Pérez, de US Human Rights Network, a témoigné du fait que les hispaniques étaient considérés comme des citoyens de seconde zone, y compris lorsqu'ils vivent aux États-Unis depuis plusieurs générations. Elle a dénoncé l'absence de protection sociale en particulier. M. Carlos García, également de US Human Rights Network, a demandé au Comité de demander aux autorités américaines de respecter les droits des migrants et mener des enquêtes sur les décès lors du franchissement de la frontière. Des mesures autres que carcérales doivent être envisagées. Les États-Unis doivent mettre un terme à toutes les explications, a-t-il estimé, appelant à la révision des lois sur l'immigration.

ONG autochtones

L'International Indian Treaty Council a souligné que les États-Unis avaient l'obligation d'amender les mesures qu'ils prennent visant à réduire les exigences d'un traité auxquels ils ont souscrit. L'ONG a notamment dénoncé l'exportation de déchets toxiques vers le Mexique.

L'Indigenous World Association et la Laguna-Acoma Coalition for a Safe Environment ont dénoncé le fait que les États-Unis refusent aux peuples autochtones un droit de veto sur l'exploitation sans restrictions de ressources sur leurs terres ancestrales, en particulier l'extraction de l'uranium et du gaz. Elle a demandé que les États-Unis adoptent des mesures efficaces pour protéger en particulier les zones considérées comme sacrées par les autochtones.

La National Native American Prisoners' Rights Coalition a dénoncé le fait que les populations autochtones soient passibles de peines plus lourdes que le reste de la population pour les mêmes délits. Rien n'est fait pour protéger les quelque 200 tribus de l'Alaska.

L'association Lipan Apache Women Defense s'est félicitée que le Comité ait critiqué l'érection du mur frontalier qui divise certaines tribus en deux. Elle a dénoncé elle aussi la militarisation des zones frontalières qui se fait au détriment des territoires autochtones

La National Indian Child Welfare Association, au nom également de la National Native American Boarding School Healing Coalition, a dénoncé les pratiques d'adoption d'enfants autochtones qui violent leurs droits. Il a dénoncé leur acculturation et une discrimination raciale de fait.

L'association Resistance of Federal Recognition and Sovereignty and the Effects of Occupation a rappelé qu'alors que l'archipel d'Hawaï n'avait jamais été formellement annexé par les États-Unis, celui-ci était néanmoins devenu un État fédéré, sans que les Nations Unies aient eu à se prononcer sur sa décolonisation. Il a rappelé le droit imprescriptible à l'autodétermination, qualifiant d'illégale l'occupation de Hawaï.

Le représentant du village autochtone Chickaloon, en Alaska, a critiqué le fait que la pêche sportive ait la priorité au détriment des communautés dont la survie repose sur cette activité. Il a aussi dénoncé l'acculturation linguistique des autochtones, évoquant un véritable génocide. Il a demandé le placement de l'Alaska sur la liste des territoires restant à décoloniser.

Le représentant du Conseil de la nation Navajo a fait part de sa préoccupation face à la violation des sites sacrés de son peuple en Arizona, sites qui assurent sa protection. Il a dénoncé en particulier la construction d'une station de sports d'hiver qui porte atteinte à une montagne considérée comme sacrée par son peuple. Le Comité doit demander des explications aux États-Unis à ce sujet, le consentement préalable s'imposant dans ce cas.

Une représentante de la nation Comanche a constaté que les femmes autochtones étaient trois fois plus victimes de violences sexuelles que le reste de la population, témoignant de son propre cas. Elle a dénoncé l'impunité prévalant à cet égard.

Le chef traditionnel et spirituel de la tribu Winnemem Wintu, en Californie, a affirmé que celle-ci s'était vue privée de ses droits, s'agissant en particulier de l'accès à ses sites sacrés. Les États-Unis doivent permettre aux Amérindiens d'être représentés à tous les niveaux.

Le Western Shoshone National Council a demandé au Comité d'exhorter les États-Unis à ouvrir une concertation avec son peuple, notamment en ce qui concerne l'exploitation minière, qui a entraîné la contamination des eaux au mercure. Il a dénoncé une menace vitale de par la pollution des sols du fait des armements et déchets nucléaires stockés sur le territoire shoshone. Il a constaté que les autochtones ne pouvaient même plus récolter les herbes médicinales.


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CERD14/018F