Fil d'Ariane
COMITÉ DES DROITS ÉCONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS: AUDITION DE LA SOCIÉTÉ CIVILE S'AGISSANT D'EL SALVADOR ET DE L'OUZBÉKISTAN
Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a entendu, ce matin, des représentants de la société civile qui ont témoigné de l'application des dispositions du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels en El Salvador et en Ouzbékistan, deux pays dont les rapports seront examinés cette semaine.
S'agissant d'El Salvador, l'attention du Comité a été attirée sur les limites à la liberté syndicale, les organisations non gouvernementales affirmant notamment que l'État ne veillait pas à l'application des dispositions du Pacte et des Conventions de l'Organisation internationale du travail, qu'il a pourtant ratifiées. Par ailleurs, les droits des peuples autochtones ne sont pas respectés. Les atteintes au droit au logement ont également été dénoncées, ainsi que le manque d'accès à la santé, en particulier pour les femmes. À cet égard, un intervenant a dénoncé l'interdiction totale et la pénalisation de l'interruption volontaire de grossesse, puni par de lourdes peines de prison, avec notamment pour conséquence un pourcentage élevé de décès des suites d'avortements clandestins. La Fundación de Estudios para la Aplicación del Derecho (FESPAD) et le Center for Reproductive Rights sont intervenus au sujet d'El Salvador.
En ce qui concerne l'Ouzbékistan, un groupe d'organisations non gouvernementales a affirmé que le pays était le seul pays au monde où ne sont pas respectées les recommandations de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) en matière de lutte contre le VIH/sida - notamment la recommandations sur les produits de substitutions - et a déploré que les autorités appuient leur stratégie sur le sevrage et l'abstinence, ce qui ne saurait prendre en compte les cas d'addictions les plus graves. La sévérité de cette politique a notamment pour conséquence la propagation du VIH/sida en prison.
Le rapport de l'Ouzbékistan (E/C.12/UZB/2) sera examiné demain, à partir de 10 heures.
Aperçu des débats
El Salvador
La Fundación de Estudios para la Aplicación del Derecho (FESPAD) a souligné que si des progrès avaient été enregistrés dans le pays dans la mise en œuvre des droits économiques, sociaux et culturels, plusieurs instruments internationaux étaient peu ou mal appliqués dans les faits, notamment en ce qui concerne en premier lieu le droit syndical et le droit à la santé, le système ne garantissant pas l'accès aux soins des secteurs les plus vulnérables de la société. La Fondation a aussi mis en cause les lacunes en matière de droit à l'eau et à l'alimentation, El Salvador étant considéré comme l'un des pays latino-américains les plus pollués et dont l'environnement est le plus dégradé. Le droit au logement continue également de poser problème: expulsions forcées et évictions de paysans se poursuivent. Il faut également dénoncer une reconnaissance insuffisante des droits peuples autochtones.
L'organisation régionale pour l'Amérique latine et les Caraïbes du Center for Reproductive Rights, qui s'exprimait aussi au nom de la Agrupación Ciudadana por la Despenalización del Aborto Terapéutico, Ético y Eugenésico, a signalé les atteintes aux droits des femmes avec la pénalisation absolue de l'avortement depuis 1998, qui prévoit la dénonciation des contrevenantes par le personnel hospitalier et à des poursuites en justice ou au minimum à la stigmatisation et à la discrimination. Elle a estimé qu'il s'agissait au bout du compte d'une atteinte au droit à la santé physique et mentale. Cette interdiction absolue de l'interruption volontaire de grossesse n'empêche pas un grand nombre d'avortements clandestins, dans des conditions pouvant entraîner la mort de la femme concernée. Entre 2000 et 2011, 129 femmes ayant avorté ont été condamnées à des peines de prison pour meurtre aggravé, les peines infligées pouvant atteindre jusqu'à 30 ans de réclusion. Près de sept sur dix étaient âgées de 18 à 25 ans. On estime qu'il y a eu entre 1995 et 2000, plus de 246 000 avortements, dont 11% ont entraîné le décès de la femme enceinte. Le Ministère de la santé lui-même a donné le chiffre de 19 290 avortements entre 2005 et 2008, dont plus de 27% concernaient des jeunes filles mineures. Selon les autorités elles-mêmes, le suicide de femmes enceintes a été la troisième cause de mortalité maternelle en 2011. L'ONG demande au Comité d'inviter El Salvador à abroger l'interdiction absolue de l'avortement ou, au minimum, de l'amender pour ce qui concerne le viol ou en cas de risques pour la santé de la femme enceinte.
Un membre du Comité ayant souhaité avoir des précisions sur le fonctionnement de la sécurité sociale, sur les droits syndicaux et sur la lutte contre la pauvreté, la FESPAD a expliqué que les employés domestiques et les travailleurs du secteur informel n'ont généralement pas de sécurité sociale car cela relève entièrement du bon vouloir des employeurs. S'agissant du droit syndical, si El Salvador a effectivement ratifié les Conventions n°87 et n°98 de l'Organisation internationale du travail qu'il a intégrées dans sa Constitution et si le travailleur est théoriquement protégé comme syndicaliste, ce droit n'est pas respecté dans la réalité. En cas de licenciement par exemple, il est très difficile de faire valoir ses droits en justice. Lorsqu'un patron apprend que certains de ses employés envisage de créer un syndicat, il y a de fortes chances qu'ils soient licenciés à titre préventif. Les employeurs ne sont pas contraints dans les faits par l'État à garantir le droit syndical, selon l'ONG. Par ailleurs, le Protocole facultatif est mal connu dans le pays. S'agissant des peuples autochtones, les progrès accomplis sont contradictoires, notamment à cause d'«incohérences statistiques» à cet égard résultant des recensements effectués en 1993 et en 2007. L'État affirme que la discrimination raciale est inexistante, les autochtones jouissant eux aussi du droit de propriété. Il s'agit d'une égalité purement formelle dans la mesure où leurs droits collectifs ne sont pas reconnus, notamment sur la terre.
Aux questions d'un expert qui a notamment qualifié d'«abominable» la législation réprimant l'avortement, le Center for Reproductive Rights a indiqué qu'avant 1997, des dérogations étaient prévues permettant l'avortement, mais pas depuis la loi de 1998. L'ONG a affirmé qu'une partie de l'opinion publique était favorable à ce que la loi interdisant l'avortement soit amendée. Elle a par ailleurs souligné que l'on estime que 15% des femmes sont privées de couverture santé, et que 41% n'ont pas de suivi post-natal. Il n'existe pas de politique en matière de contraception, avec pour conséquence un très fort taux de grossesses précoces. L'éducation sexuelle et génésique est peu développée, particulièrement dans les zones rurales. En conséquence, les méthodes contraceptives sont peu répandues. Le pays connaît un fort taux d'abandon scolaire et d'analphabétisme, ce qui explique en partie le contexte et l'ampleur du problème à cet égard, a-t-elle encore expliqué.
Ouzbékistan
Un groupe d'organisations non gouvernementales assistant les toxicomanes et luttant contre le VIH/sida a expliqué que l'Ouzbékistan était le seul pays au monde où n'étaient pas respectées les recommandations de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) pour la prévention du VIH/sida dans cette catégorie de la population. Le Gouvernement affirme qu'un programme de prévention existe bel et bien, mais ce programme repose essentiellement sur l'abstinence. Or tous les toxicomanes ne sont pas capables de renoncer à la consommation de stupéfiants si on ne leur fournit pas de produits de substitution. Lorsqu'ils sont identifiés, les toxicomanes qui ne se soignent pas sont jetés en prison où ils attrapent couramment le VIH/sida. Le Comité devrait appeler le Gouvernement ouzbek à reprendre le programme de substitution promu par l'OMS, celui-ci ayant montré son efficacité.
Un membre du Comité ayant souhaité connaître l'importance de la consommation de stupéfiants dans le pays, il a été indiqué que si, officiellement, quelque 6000 personnes seraient des usagers de drogue, ce chiffre est sujet à caution, comme dans d'autres États de l'espace post-soviétique. Les personnes concernées sont en effet réticentes à se signaler comme toxicomanes. Les estimations varient de un à cinq pour cent de la population concernée entre l'âge de 15 et de 55 ans. L'Asie centrale est largement touchée par l'addiction à l'héroïne, l'Afghanistan voisin étant la principale source d'approvisionnement. La dépendance à l'opium est répandue elle aussi.
À la question de savoir pourquoi certains gouvernements sont rétifs aux traitements de substitution, la réponse est malaisée même s'il est clair que des raisons idéologiques l'expliquent en partie. On prétend officiellement que c'est pour le bien de la société, sans prendre en compte que la dépendance aux stupéfiants est une maladie, une maladie chronique. Les organes conventionnels doivent rappeler à ces États qu'ils ont l'obligation de soigner les citoyens les plus vulnérables, dont font partie les toxicomanes.
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ESC14/012F