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LE CONSEIL DES DROITS DE L'HOMME EXAMINE DES RAPPORTS SUR LA CÔTE D'IVOIRE ET SUR HAÏTI

Compte rendu de séance

Le Conseil des droits de l'homme a examiné cet après-midi, au titre de l'assistance technique et du renforcement des capacités dans le domaine des droits de l'homme, des rapports concernant la situation des droits de l'homme en Côte d'Ivoire et en Haïti.

L'Expert indépendant sur la situation des droits de l'homme en Côte d'Ivoire, M. Doudou Diène, a déclaré que la Côte d'Ivoire était parvenue à réaliser des progrès majeurs dans trois domaines: la reconstruction démocratique institutionnelle, la sécurité nationale et le redressement économique. Pour autant, ces avancées sont fragilisées par la polarisation politique, l'absence de pluralisme politique inclusif, la prévalence de problèmes en matière d'équité de la justice et la prégnance de la question sociale. Dans ce contexte, l'expert indépendant a mis en garde contre le danger que représentent les ex-combattants non intégrés et toujours armés. Il a également déploré le blocage du dialogue politique et de la réconciliation nationale, en raison notamment d'une polarisation de la vie politique et du climat de stigmatisation. L'impunité qui persiste constitue un autre défi pour la Côte d'Ivoire. Pour l'expert indépendant, les élections présidentielles de 2015 représenteront un marqueur de la réconciliation nationale. Or, le calendrier électoral est à ce jour fragilisé, voire menacé par des questions lourdes, de nature à entacher la qualité démocratique des élections.

Les délégations ont globalement félicité le Gouvernement ivoirien pour les efforts consentis et les progrès enregistrés, notamment le renforcement du cadre institutionnel démocratique. Mais certaines ont également fait observer que la sécurité dans le pays demeure fragile et a des conséquences de fait sur les droits de l'homme. Ainsi, les violences qui se poursuivent dans certaines régions du pays, la polarisation de la vie politique ou encore l'impunité qui continue de régner risquent de mettre en cause ces acquis. Le Gouvernement doit faire avancer le dialogue politique amorcé, la réconciliation nationale et la lutte contre l'impunité, laquelle doit revêtir un caractère prioritaire, avec l'aide et l'appui de la communauté internationale.

Les délégations suivantes ont participé au débat interactif avec l'Expert indépendant sur la Côte d'Ivoire: Mali, Éthiopie (au nom du Groupe africain), Niger, Maroc, Union européenne, Togo, États-Unis, Australie, Belgique, Burkina Faso, Soudan, Sénégal, Niger, Algérie, Égypte, République centrafricaine, France, Italie, Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF), Organisation mondiale contre la torture (OMCT), Fédération internationale des ligues des droits de l'homme (FIDH), Action internationale pour la paix et le développement dans la région des Grands Lacs, Comité international pour le respect et l'application de la charte africaine des droits de l'homme et des peuples (CIRAC) et Franciscain international.

M. Gustavo Gallón, Expert indépendant sur la situation des droits de l'homme en Haïti, qui présentait son premier rapport au Conseil, a expliqué que ce pays bat des records en termes d'inégalité sociale, de manque de ressources, d'infrastructures, d'analphabétisme et d'inégalités entre hommes et femmes. Il a ainsi cité parmi les domaines prioritaires que devrait affronter le Gouvernement, l'analphabétisme, la détention provisoire prolongée et la surpopulation carcérale, la faiblesse de l'état de droit, la persistance de l'exploitation des enfants, les violences sexuelles ou les attaques contre les personnes LGBT, les violations des droits de l'homme commises dans le passé et les conséquences des catastrophes naturelles.

Les délégations qui ont participé au débat ont constaté des progrès en Haïti, même si beaucoup reste encore à faire, notamment en matière de consolidation de l'état de droit. Les défis existants, bien que complexes, ne sont pas insurmontables, ont–elles convenu, étant donné la bonne coopération des autorités haïtiennes avec l'Expert indépendant. La communauté internationale doit prendre part au relèvement d'Haïti, ont également plaidé certaines délégations.

Les délégations suivantes ont participé au débat interactif avec l'Expert indépendant sur Haïti: Union européenne, France, Chili, Mexique, États-Unis, Australie, Norvège, Costa Rica (au nom de la Communauté des États d’Amérique latine et des Caraïbes-CELAC), Cuba, Venezuela, Argentine, Algérie, Maroc, Togo, Brésil, Conectas Direitos Humanos (au nom également de Centro de Estudios Legales y Sociales (CELS) Asociación Civil), Association internationale des juristes démocrates et Amnesty International.


Demain, à partir de 9 heures, le Conseil sera saisi de rapports sur la situation des droits de l'homme au Mali, en République centrafricaine et à Sri Lanka.


Examen du rapport sur la situation des droits de l'homme en Côte d'Ivoire

Présentation du rapport

M. DOUDOU DIÈNE, Expert indépendant sur la situation des droits de l'homme en Côte d'Ivoire, a rappelé que la crise post-électorale de 2010, qui a provoqué plus de 3000 morts, est à la fois le point culminant et l'illustration de la tragédie humaine qu'a traversé le pays. Mais, aujourd'hui, trois progrès majeurs ont été accomplis: la reconstruction démocratique institutionnelle, la sécurité nationale et le redressement économique. Pour autant, ces avancées sont fragilisées par la polarisation politique, l'absence de pluralisme politique inclusif, la prévalence de la question de l'équité de la justice et la prégnance de la question sociale.

Pour l'Expert indépendant, la création d'une commission nationale des droits de l'homme, le déploiement de plusieurs organismes publics dans l'intérieur du pays, l'adoption de trois lois relatives à la nationalité, à l'apatridie et au foncier rural reflètent des dynamiques encourageantes. Cependant, la sécurité, même si elle s'est globalement améliorée, reste menacée par la culture de violence et la bombe à retardement que sont les ex-combattants non intégrés et toujours armés. Ces derniers se rendent dans certains cas coupables d'attaques et de braquages, a observé l'Expert indépendant. La question de l'utilisation des Dozos dans l'appareil sécuritaire, même si elle a diminué, reste également un problème, a encore observé M. Diène. Dans ce contexte, l'Expert indépendant recommande au Gouvernement d'encadrer juridiquement ces chasseurs traditionnels. Il invite par ailleurs les partenaires publics et privés de la Côte d'Ivoire à faire davantage pour l'intégration des ex-combattants, dans lesquels il voit une véritable menace de déstabilisation.

L'expert indépendant a également regretté le blocage du dialogue politique et de la réconciliation nationale, en raison notamment d'une polarisation de la vie politique et du climat de stigmatisation. Même si la récente libération de détenus liés à la crise post-électorale et l'amorce d'un dialogue entre le Gouvernement et l'ancien parti au pouvoir, le Front Patriotique Ivoirien, est un pas en avant, M. Diène a mis en garde contre toute tentative de stratégie électoraliste à court terme qui viserait uniquement la conquête ou la conservation du pouvoir au détriment de l'intérêt fondamental que représente pour le pays la réconciliation.

Pour l'Expert indépendant, la lutte contre l'impunité reste également un défi pour la Côte d'Ivoire. C'est ainsi qu'il a observé des lenteurs en ce qui concerne les dossiers emblématiques comme les enquêtes sur les massacres de Nahibly et le charnier de Torgueï. Il a en outre invité le gouvernement à prendre en compte la situation des victimes, à la considérer comme une cause nationale et à la traiter à égalité, en transcendant les clivages politiques partisans. Il faut aussi que les fruits de la croissance économiques soient équitablement distribués, faute de quoi l'inégalité économique risque de constituer un autre facteur de déstabilisation.

M. Diène a estimé en conclusion que la Côte d'Ivoire approche de son heure de vérité avec l'élection présidentielle de 2015, qui sera un marqueur de la réconciliation nationale. Or, a-t-il observé, le calendrier électoral est à ce jour fragilisé, voire menacé par des questions lourdes, de nature à entacher la qualité démocratique des élections.

Le rapport sur la situation des droits de l'homme en Côte d'Ivoire (A/HRC/25/73) fait état d'une situation sécuritaire qui s'améliore tout en demeurant fragile en raison de la persistance d'une culture de violence, du nombre important d'anciens combattants pas encore démobilisés et du fait que des groupes de Dozos continuent à assumer, dans certaines régions, des fonctions sécuritaires régaliennes de l'État. Le dialogue politique reste bloqué alors qu'on assiste à un retour de la violence verbale partisane et polarisante dans le discours politique, tendance inquiétante dans le contexte préélectoral des élections présidentielles de 2015. Persiste de manière inquiétante la perception d'une justice à deux vitesses, nourrie par le fait que seuls les auteurs de violations de droits de l'homme proches de l'ancien pouvoir ont été jusqu'ici poursuivis. Il faut accorder la plus haute priorité à la situation des victimes de la longue crise ivoirienne «afin qu'elles ne soient pas «sacrifiées sur l'autel des arrangements politiciens».


Pays concerné

La Côte d'Ivoire a fait part de sa reconnaissance à la communauté internationale pour les efforts déployés en faveur de la paix et de la réconciliation dans le pays. Elle s'est félicitée des recommandations émises par l'Expert indépendant, notant qu'il avait pris bonne note des progrès accomplis par les autorités. Elle a apporté des précisions au sujet du dialogue politique, en soulignant que les autorités ont institué un cadre permanent de dialogue avec l'opposition, qui constitue une excellente plate-forme d'échange. Le Gouvernement ivoirien est conscient de la fragilité de la situation sécuritaire. Des mesures pragmatiques ont été prises pour remédier à cette situation, notamment la mise sur pied de forces mixtes composées des forces nationales et onusiennes pour contrôler les frontières, la démobilisation d'anciens groupes armés et la récupération de milliers d'armes.

Le Gouvernement ivoirien réaffirme sa volonté de rendre la justice à toutes les victimes afin de réparer le tissu social du pays après la crise post-électorale. La Côte d'Ivoire souhaite qu'on permette à la justice ivoirienne de mener avec sérénité et dans des délais raisonnables les processus judiciaires pour réparer les préjudices causés aux victimes. Le mandat de la Commission dialogue, vérité et réconciliation, qui arrivait à échéance en septembre 2013, a été prorogé par le Président de la République, a rappelé la délégation. Dix nouveaux établissements pénitentiaires seront prochainement construits, afin de garantir les droits et la dignité des personnes incarcérées et améliorer les conditions de détention. Beaucoup de recommandations adressées au Gouvernement ivoirien dans le rapport du Rapporteur spécial sont déjà en cours de mise en œuvre, a affirmé la Côte d'Ivoire, qui a déclaré que la consolidation de l'état de droit fondé sur la justice et les droits de l'homme était la priorité du Gouvernement.

Débat interactif

Le Mali a estimé que le rapport de M. Diène permettait d'apprécier à sa juste valeur les progrès significatifs accomplis par le pays en matière de promotion et la protection des droits de l'homme. Il a félicité les autorités ivoiriennes pour les grands efforts fournis dans le cadre de la prise en charge des préoccupations de l'ensemble des populations. L'Éthiopie au nom du Groupe africain, s'est félicitée de l'amélioration de la situation dans le pays, de la prorogation du mandat de la Commission dialogue, vérité et réconciliation et de son engagement en faveur d'une renaissance authentique du processus de réconciliation. Face aux tentatives de replonger le pays dans l'instabilité, le Groupe africain réaffirme son soutien en faveur des principes démocratiques, l'accession au pouvoir ne pouvant se faire que par un processus électoral transparent, équitable et pacifique. Le Niger s'est félicité que le Gouvernement se soit attaqué aux causes profondes de la crise par l'adoption des lois sur la nationalité, l'apatridie et le foncier rural. Le Maroc a quant à lui observé qu'en dépit de l'embargo sur les armes, la Côte d'Ivoire a pu renforcer son système sécuritaire, tout en se félicitant de la très bonne reprise économique.

L'Union européenne a constaté que la sécurité dans le pays demeurait fragile et qu'elle influait directement sur la situation des droits de l'homme. Elle est aussi préoccupée par le nombre encore en augmentation des violences sexuelles, particulièrement dans l'ouest du pays. La résurgence d'un discours politique polarisant risque de mettre en échec les acquis démocratiques et institutionnels, a-t-elle averti. Le Togo a fait part de sa préoccupation face à la situation des albinos, qui font l'objet d'un rejet social et culturel, ainsi que par la persistance des violences sexuelles à l'égard des femmes et des filles. Les États-Unis, qui ont affirmé partager les préoccupations de M. Diène sur l'augmentation des violences sexuelles, se sont aussi inquiétés de la lenteur des progrès de la réforme du secteur de la sécurité, de la démobilisation, du désarmement et d'autres défis importants pour une réconciliation nationale authentique.

L'Australie, qui reconnaît les progrès récents survenus dans le pays, a souligné que l'amélioration des droits de l'homme était liée de manière étroite à la situation sécuritaire. Elle est fortement préoccupée par la prévalence de la violence sexuelle et par la résurgence des oppositions politiques frontales. La Belgique a déclaré que la culture de violence et d'impunité devait être combattue par des processus judiciaires. Mais pour que la réconciliation nationale soit totale, les causes profondes de la crise doivent être abordées. Les autorités ivoiriennes doivent poursuivre et maintenir le dialogue politique amorcé.

Le Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF) a estimé que le niveau des violences contre les enfants, et en particulier les filles, était toujours préoccupant. En outre, la situation des enfants en conflit avec la loi est elle aussi particulièrement préoccupante. L'UNICEF souligne que la réforme des textes et des institutions en matière de justice pour mineurs doivent être accélérés pour mise en conformité avec les standards internationaux.

Le Burkina Faso, le Soudan, le Sénégal et le Niger ont exhorté la communauté internationale à poursuivre son appui aux efforts du pays pour consolider des acquis obtenus de haute lutte. Au nom de leur communauté de destin, le Burkina Faso assure qu'il ne ménagera aucun effort pour poursuivre sa coopération avec la Côte d'Ivoire dans sa quête d'une paix durable.

L'Algérie a appuyé l'appel de l'Expert indépendant à la communauté internationale afin qu'elle consolide son engagement auprès de la Côte d'Ivoire en apportant un soutien approprié dans les domaines socio-économique, politique et sécuritaire. Elle réitère la nécessité de faire bénéficier le pays d'une assistance technique du Haut-Commissariat aux droits de l'homme. Pour l'Égypte, l'assistance internationale doit aider à la reconstruction démocratique et économique du pays. Elle doit aussi permettre de renforcer l'appareil sécuritaire d'État, a ajouté la République centrafricaine.

La France a souligné que si le pays était engagé dans la voie de la normalisation, que si les institutions étaient en cours de consolidation et que si la situation sécuritaire s'était améliorée considérablement tout en demeurant fragile, plusieurs domaines exigeaient une action prioritaire et déterminée, notamment dans le secteur judiciaire. «La France rappelle que la lutte contre l'impunité doit revêtir un caractère prioritaire : toutes les personnes qui se sont rendues coupables de violations des droits de l'homme, quelle que soit leur appartenance politique, doivent répondre de leurs actes». La France a demandé quelles mesures les autorités ivoiriennes avaient prises pour lutter contre les violences sexuelles et pour s'assurer que leurs auteurs ne demeurent pas impunis. L'Italie s'est félicitée des progrès réalisés par la Côte d'Ivoire dans le rétablissement des institutions démocratiques et de l'engagement affiché en faveur des droits de l'homme. Elle souligne néanmoins elle aussi la nécessité de traduire en justice les responsables de violations si l'on entend parvenir à une réconciliation digne de ce nom. Elle affirme aussi l'importance de promouvoir la cohésion sociale en intégrant droits de l'homme et valeurs traditionnelles.

Parmi les organisations non gouvernementales, l'Organisation mondiale contre la torture s'est dite très préoccupée par la persistance des violations des droits de l'homme, y compris des actes de torture, commises dans une impunité quasi générale, en dépit de l'amélioration de la situation sécuritaire globale. Il est fondamental d'inclure un volet justice au sein de la Commission réconciliation, vérité et réconciliation, a-t-elle plaidé, avant d'appeler les autorités ivoiriennes à remettre au plus vite son rapport initial au Comité contre la torture. La Fédération internationale des ligues des droits de l'homme a salué le transfert de Charles Blé Goudé au siège de la Cour pénale internationale, qui constitue un signal positif pour les victimes. Elle s'est félicitée de la création en janvier 2014 d'une Cellule spéciale d'enquête et d'instruction permanente, y voyant une structure essentielle à la lutte contre l'impunité, avant d'appeler les autorités ivoiriennes à mener une politique engagée, cohérente et impartiale dans ce domaine.

Le Comité international pour le respect et l'application de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples a souligné que la réconciliation nationale est aussi importante que la réforme institutionnelle. Le processus de réconciliation doit associer tous les acteurs concernés, y compris les chefs traditionnels et religieux. La lutte contre l'impunité est par ailleurs un défi sans précédent et il faut garantir que ce combat urgent ne soit pas entaché de sélectivité et de traitement discriminatoire. L'Action internationale pour la paix et le développement dans la région des Grands Lacs a affirmé que, malgré quelques avancées significatives, le retour à la paix et à la stabilité reste à construire. Au plan sécuritaire, une relative stabilité règne à la frontière avec le Ghana, mais il existe des allégations de meurtres ciblés contre des réfugiés politiques pro-Gbagbo réfugiés au Ghana. L'ONG a également dénoncé la persistance des violations des droits de l'homme commises par les Forces républicaines de Côte d'Ivoire.

Franciscain International a relevé que le problème de la séparation entre prévenus et détenus n'est pas encore résolu au sein du système carcéral ivoirien, tout comme le problème de la séparation des mineurs et des adultes. L'organisation a ainsi recommandé une amélioration substantielle des conditions matérielles des détenus et la construction urgente de prisons pour mineurs. Elle s'est également réjouie de l'adoption de la loi sur la Couverture médicale universelle, tout en s'interrogeant sur la mise en œuvre concrète de cette loi.

Conclusions

M. DIÈNE a estimé que la situation actuelle de la Côte d'Ivoire s'expliquait par «dix ans de crise, dix ans de violence, dix ans de non-droit», une décennie terrible qui «a profondément marqué la population ivoirienne». En conséquence de quoi, le rétablissement du pays s'inscrit dans la longue durée. Le retour à la démocratie, aux droits de l'homme et à la prospérité relève d'un effort collectif, a-t-il observé. Une crise comme celle-là doit certes avoir une réponse politique, puisque ce sont les hommes politiques qui en sont les auteurs et qu'ils ont agi comme ils l'ont fait afin de capter ou de conserver le pouvoir.

Au-delà de la politique, la soif de justice et d'équité doivent se concrétiser, a dit M. Diène, qui a averti que «le sentiment d'injustice est un poison lent». En outre, la question sociale est cruciale elle aussi : l'Ivoirien moyen doit savoir qu'il existe des hôpitaux fonctionnels pour soigner ses enfants, qu'on peut vivre de son travail alors que le pays connaît une nouvelle phase de développement. Mais, pour l'Expert indépendant, la politique, la justice et le droit ne sont pas suffisants. Il faut ce qu'il appelé une «catharsis morale» par laquelle les responsables politiques reconnaissent leurs responsabilités. Le pays approche de son «heure de vérité», alors que les élections sont prévues dans quinze mois. Or, les conditions pour cet apaisement sont des questions extrêmement lourdes qu'il est urgent de résoudre, a averti M. Diène. L'effort doit venir à la fois de la Côte d'Ivoire et de la communauté internationale. La crise centrafricaine montre l'extrême fragilité des sociétés pluriculturelles, a-t-il conclu.

Examen du rapport sur la situation des droits de l'homme en Haïti

Présentation du rapport

M. GUSTAVO GALLÓN, Expert indépendant sur la situation des droits de l'homme en Haïti, qui présentait son premier rapport au Conseil, a expliqué que comme ses prédécesseurs, il a trouvé une situation complexe en Haïti. Ainsi le pays bat des records en termes d'inégalité sociale, de manque de ressources, d'infrastructures, d'analphabétisme et des inégalités entre hommes et femmes. Pour remédier à cette situation, le Gouvernement a donné une priorité à la mise en œuvre d'importants programmes d'assistance sociale et a adopté un plan stratégique de développement axé sur cinq priorités, à savoir l'éducation, le développement humain. Mais pour l'Expert indépendant, l'État devrait adopter des traitements de choc quant aux cinq défis qu'il a identifié.

Pour M. Gallón, l'État doit mettre sur pied un plan à court terme pour déraciner les populations de l'analphabétisme qui touche la moitié de la population adulte. L'alphabétisation est urgente car elle est une condition nécessaire pour vivre dignement et un préalable à la réalisation d'autres droits, a expliqué l'Expert indépendant. M. Gallón a également estimé que le Gouvernement devrait se pencher sur le problème particulier de la détention provisoire prolongée. Dans l'ensemble du pays, la population carcérale dépasse dix mille personnes, alors que les capacités sont limitées à quatre mille places, a-t-il remarqué, observant par ailleurs que 80% des personnes incarcérées sont en détention provisoire, en attente de jugement. Cette situation exige également un traitement de choc, a plaidé l'Expert indépendant, qui s'est néanmoins félicité de la mise sur pied d'une commission pour y réfléchir en octobre dernier.

Autre sujet qui mérite l'attention du Gouvernement, la faiblesse de l'état de droit. Selon l'Expert indépendant, peu de personnes font confiance à l'État pour jouer un rôle en leur faveur. Cette fragilité rend difficile la réalisation des droits économiques, sociaux et culturels. Ceci est particulièrement visible dans le manque d'accès à la justice, la persistance de l'exploitation des enfants -notamment par le système des «restavèks»- les violences sexuelles ou les attaques contre les lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres, a poursuivi M. Gallón. Les violations des droits de l'homme commises dans le passé méritent également que le Gouvernement s'en saisisse, a encore plaidé l'Expert indépendant, qui s'est félicité de la décision de la Cour d'appel de mener des enquêtes complémentaires sur les accusations de crimes contre l'humanité dont fait l'objet l'ancien président Jean-Claude Duvalier, et non pas uniquement sur les accusations de crimes financiers.

Haïti devrait aussi se pencher sur les conséquences des catastrophes récemment subies par le pays, et en particulier sur la question des personnes déplacées. Pour l'Expert indépendant, il est en outre important de dépasser les difficultés diplomatiques et accorder toutes les réparations aux victimes de l'épidémie de choléra qui a frappé le pays. Enfin, la question des 4 500 000 Haïtiens vivant en République dominicaine qui pourraient devenir apatrides suite à la décision du Tribunal constitutionnel de ce pays reste un sujet de préoccupation que le Gouvernement devra résoudre, a conclu M. Gallón.

Le rapport sur la situation des droits de l'homme en Haïti (A/HRC/25/71) constate une situation «extrêmement grave, mais surmontable» pourvu que cinq conditions fondamentales soient remplies: une volonté politique forte du Gouvernement et de la communauté internationale, une participation active de la société civile, un consensus sur les problèmes à résoudre en priorité, une concentration et une coordination des efforts dans la même direction, et une solide persévérance de ces efforts pour atteindre les objectifs définis. Il propose une série de mesures à prendre d'urgence, «faute de quoi de graves violations des droits de l'homme continueront à être commises à chaque instant contre des milliers de personnes», pour transmettre à la population haïtienne et à la communauté internationale une volonté d'engagement pour le redressement de la situation des droits de l'homme, et pour paver la voie sur laquelle devront être menées à terme les autres recommandations en matière de droits de l'homme formulées pendant les trois dernières décennies.

Pays concerné

Remerciant l'expert indépendant, Haïti a mis l'accent sur les efforts entrepris par le Gouvernement en matière de lutte contre l'impunité, la criminalité et la pauvreté et de consolidation de l'état de droit. Pour Haïti, des causes historiques, sociologiques, culturelles, sociales et politiques expliquent la persistance des profondes inégalités sociales. Dès son accession au pouvoir en 2011, le Président Martelly s'est fixé quatre objectifs : la lutte contre la pauvreté, l'instauration de l'état de droit, l'éducation pour tous et la lutte contre l'impunité. En 2011, 76% de la population vivaient en situation de pauvreté et 56% dans la pauvreté extrême. Pour y remédier, le Gouvernement a notamment investi plus de 150 millions de dollars dans les programmes d'assistance sociale, créé diverses institutions et défini une politique nationale de sécurité alimentaire. La délégation haïtienne a déploré que ces avancées ne figurent pas dans le rapport du Rapporteur spécial.

Par ailleurs, Haïti a souligné les efforts accomplis par le Gouvernement pour lutter contre la «cacophonie humanitaire» qui règne dans le pays et qui a empiré depuis le tremblement de terre. S'agissant de l'éducation, le taux d'enfants scolarisés est passé de 49,6% en 2010 à 77% en 2013, notamment grâce au Programme de scolarisation universelle gratuit et obligatoire. L'état de droit reste une des priorités du Gouvernement et un Conseil supérieur du pouvoir judiciaire a été mis en place pour garantir l'indépendance des magistrats et de tous les juges de la Cour de cassation. De même, la professionnalisation de la police nationale se poursuit.

En dépit de tous ces progrès, beaucoup reste à faire dans d'autres domaines, en particulier concernant le système pénitentiaire, reconnaît Haïti. En effet, 85% de la population carcérale sont en détention provisoire prolongée au-delà des délais posés par la loi. Le Gouvernement s'engage à travailler à la résorption de cet épineux problème. Sur le plan de la santé, les défis sont considérables. Le tremblement de terre de 2010 a fragilisé ce secteur et l'apparition en octobre 2010 du choléra a pris de court les autorités du pays et aggravé la situation. Un plan global d'éradication du choléra sur une période de dix ans doté d'un budget de 2,2 milliards de dollars a été lancé en 2013 et la première phase est en cours de mise en œuvre. Haïti persiste à croire que les Nations Unies ont la responsabilité d'accompagner de manière soutenue les autorités haïtiennes dans leurs efforts inlassables visant à éradiquer définitivement ce fléau sur tout le territoire. Pour conclure, Haïti a affirmé être entré de manière irréversible «dans une nouvelle ère, celle du progrès social et économique».

Débat interactif

L'Union européenne a constaté qu'Haïti avait réalisé des progrès indéniables, ratifiant six des huit conventions principales des droits de l'homme des Nations Unies. Le vote d'une loi électorale est également la preuve de la normalisation en cours. Il est urgent toutefois que les autorités conviennent d'une date pour que le scrutin soit organisé au plus vite et que ces élections soient libres, transparentes et inclusives. Beaucoup reste à faire pour consolider l'état de droit. La France, qui a salué la tenue prochaine d'élections, se félicite en outre de la volonté des autorités de Port-au-Prince de travailler de concert avec l'Expert indépendant pour mettre en œuvre les recommandations figurant dans son rapport, en vue de mettre fin aux violations des droits de l'homme. Elle estime que «seule une volonté politique forte, accompagnée d'une participation active de la société civile, contribuera à améliorer la situation des droits de l'homme et la protection de tous les citoyens».

Le Chili a rappelé que, si la réalité haïtienne est complexe, il n'était pas impossible pour autant de faire preuve d'optimisme avec la conviction qu'il est possible de surmonter les obstacles auxquels le pays est confronté. Le Mexique a estimé que la situation des droits de l'homme est critique en Haïti mais que l'on peut l'améliorer, notamment par le renforcement de l'état de droit. Mais quelles mesures prendre pour améliorer l'efficacité du renforcement des capacités, a-t-il demandé. Les États-Unis sont convaincus eux aussi que des changements, institutionnels notamment, sont possibles, d'autant qu'Haïti a progressé en matière d'état de droit. Ils félicitent le gouvernement de Port-au-Prince pour son excellente coopération avec l'Expert indépendant. L'Australie constate qu'en dépit d'améliorations, la progression de l'état de droit demeure problématique, par exemple en matière de détention provisoire et de surpopulation carcérale. Elle appelle Haïti à agir en étroite collaboration avec l'Expert indépendant.

Le Costa Rica, au nom de la Communauté des États d'Amérique latine et des Caraïbes (CELAC), qui a réitéré l'engagement de ce groupe de pays à porter assistance à Haïti, a noté les domaines qui demeurent particulièrement préoccupants tels que la lutte nécessaire contre les inégalités sociales. Il s'est dit heureux de la coordination des efforts à laquelle participe l'Expert indépendant avec les autorités haïtiennes. La CELAC est favorable à la reconduction de son mandat. La Norvège se félicite que le rapport de l'Expert indépendant aborde la question des crimes passés et de l'impunité. Elle juge important que les Haïtiens soient confrontés à leur passé car les ères Duvalier et post-Duvalier ont laissé des blessures profondes. Pour qu'Haïti parvienne à une vision collective de son avenir, il doit nettoyer son passé.

Dans le cadre de l'assistance technique, Cuba a jugé fondamental de prendre en compte en effet les nécessités et priorités du peuple et du gouvernement haïtiens. Le Conseil des droits de l'homme doit ainsi respecter la volonté du pays concernant la coopération qu'il juge nécessaire et la manière de la concrétiser dans un contexte de défis importants et de carences matérielles. Pour Cuba, «nous avons tous l'obligation morale d'apporter des ressources additionnelles et une plus grande coopération avec Haïti, non seulement pour sa reconstruction mais aussi particulièrement pour son développement». Le Venezuela, qui envoie régulièrement de l'aide sous forme de dons au Gouvernement haïtien, a observé que la crise alimentaire menace gravement les droits de l'homme des Haïtiens. C'est pourquoi les acteurs concernés doivent prendre des mesures pour aider ce pays, y compris en allégeant le fardeau de son énorme dette. L'Argentine, qui coopère aussi avec le Gouvernement haïtien et lui fournit une aide matérielle et financière et qui est membre du groupe de soutien à Haïti au sein de l'ECOSOC, soutient le renouvellement du mandat de la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH).

L'Algérie a exhorté les Nations Unies et la communauté internationale de continuer à apporter tout son soutien à ce pays. Le Maroc a salué la mobilisation du Gouvernement haïtien à travers le lancement du programme national de lutte contre la faim et la malnutrition et du programme d'assistance sociale. Il soutient Haïti dans ses efforts visant à relever le défi de l'édification de l'état de droit. «Le Maroc, en tant que pays francophone, se tient prêt à partager son expérience de justice transitionnelle, pionnière en Afrique et dans le monde arabe». Quant au Togo, qui reste préoccupé par la fragilité institutionnelle du pays, il insiste sur la nécessité d'une coordination des différents acteurs sur le terrain en vue de répondre efficacement aux besoins d'ordre humanitaire des populations vulnérables.

Le Brésil a souligné que le renforcement de l'état de droit et la lutte contre la pauvreté étaient les deux priorités pour Haïti. Le Brésil a souligné qu'il est le seul pays de la région à avoir adopté une politique favorable aux migrants en provenance d'Haïti. À Port-au-Prince, l'attente des visas pour le Brésil a considérablement diminué, grâce à l'introduction de la possibilité d'en obtenir pour des raisons humanitaires et pour le regroupement familial. Le Brésil envisage de signer un accord avec l'Organisation internationale des migrations. Une fois accueillis au Brésil, les migrants sont pris en charge dans des centres d'accueil pour faciliter leur intégration rapide, en premier lieu en matière de logement et d'emploi.

Pour les organisations non gouvernementales, le Conectas Direitos Humanos (au nom également de Centro de Estudios Legales y Sociales (CELS) Asociación Civil) a appelé les pays d'accueil et de transit à respecter les droits des migrants haïtiens, notamment les pays d'Amérique du sud qui voient nombre d'Haïtiens arriver dans leurs pays. Amnesty international a observé que les personnes déplacées qui n'ont pas de logement sont victimes d'expulsions forcées et a appelé le Gouvernement à mettre en place une vraie politique du logement et à enquêter sur les allégations d'expulsion forcées.

Conclusion de l'expert indépendant

M. GALLÓN a appelé tous les États et la communauté internationale dans son ensemble à continuer d'appuyer les efforts déployés par Haïti. En réponse à la France, l'expert indépendant a relevé que la société civile haïtienne est dynamique, avant d'appeler la communauté internationale à contribuer à son développement. L'Office de protection du citoyen joue un rôle crucial dans la promotion et la protection des droits de l'homme, en particulier en raison de la faiblesse du système judiciaire. Pour ce qui est des moyens d'action à la disposition des autorités pour faire la lumière sur les violations des droits de l'homme commises par le passé, l'Expert indépendant a proposé de créer des commissions «vérité et réconciliation» pour établir les faits et réparer les préjudices causés aux victimes et au tissu social.

Réagissant à l'intervention du Chili, M. Gallón a expliqué qu'il est essentiel que la société civile participe à l'action du Gouvernement sur la base d'un dialogue constructif. En réponse aux États-Unis, l'Expert indépendant a dit que le renforcement de l'état de droit passe par l'harmonisation des lois avec les normes internationales des droits de l'homme reconnus au plan international. La création d'une institution nationale des droits de l'homme est un premier pas important dans ce sens, mais ce n'est pas la solution au problème. Pour ce qui est de la longueur excessive des détentions provisoires, elle est principalement due au manque de ressources à la disposition du pouvoir judiciaire haïtien. Certaines personnes attendent deux ou trois ans en prison avant de voir un juge. Une solution pourrait être de renforcer le système judiciaire et la capacité des juges de voir les personnes détenues préventivement. Enfin, en réaction aux commentaires du Mexique, M. Gallón a déclaré qu'il faudrait revoir la coopération internationale à destination d'Haïti et agir davantage de façon coordonnée et systématique.


Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas un document officiel

HRC14/049F