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LE COMITÉ POUR L'ÉLIMINATION DE LA DISCRIMINATION RACIALE EXAMINE LE RAPPORT DU CHILI

Compte rendu de séance

Le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale a examiné, hier après-midi et ce matin, le rapport présenté par le Chili sur les mesures prises par ce pays en application des dispositions de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale.

Le Ministre du développement social du Chili, M. Bruno Barranda Ferrán, a notamment souligné qu'avec ses neuf peuples autochtones, le Chili est un pays multiculturel. Il a attiré l'attention sur l'entrée en vigueur, en juillet 2012, de la loi sur la non-discrimination, qui définit la discrimination arbitraire comme toute distinction, exclusion ou restriction, sans justification raisonnable, causant une privation, un trouble ou une menace dans l'exercice légitime des droits fondamentaux établis dans la Constitution et les traités internationaux ratifiés par le Chili. Il a aussi souligné qu'un rapport présenté la semaine dernière contient les conclusions dégagées lors de la table ronde finale du processus de consultations menées durant trois ans entre les autorités gouvernementales et les peuples autochtones et reflète un consensus sur un nombre important de questions. Toutefois, un plein accord n'a pu être trouvé, notamment sur la manière de mener les consultations concernant des projets d'investissement dans le cadre du système d'évaluation de l'impact environnemental. Le ministre a par ailleurs fait valoir qu'entre janvier 2010 et juin 2013, 39 930 hectares de terres ont été transférés aux peuples autochtones. Il a enfin souligné que l'invocation de la loi antiterroriste n'est pas une pratique systématique, habituelle ni discriminatoire contre le peuple mapuche; bien au contraire, depuis 2009, sur un total de 42 affaires impliquant des crimes terroristes, seules 8 portaient sur des événements s'étant produits dans la région de l'Araucanie.

La délégation chilienne était également composée du Directeur général de la politique multilatérale du Chili, M. Pedro Oyarce; du Représentant permanent du Chili auprès des Nations Unies à Genève, M. José Luis Balmaceda; ainsi que d'autres représentants du Ministère des relations extérieures, du Ministère du développement social, du Ministère de l'intérieur, du Ministère de la justice, de la CONADI (Corporación Nacional de Desarrollo Indigena), de la gendarmerie (Carabineros) ou encore des Secrétariats généraux du Gouvernement et de la Présidence. La délégation a répondu aux questions soulevées par les membres du Comité s'agissant, notamment, de la législation antiterrorisme; de la loi sur la non-discrimination; du projet de loi visant à pénaliser l'incitation à la haine; du projet de loi sur les migrations et les étrangers; ou encore des questions relatives aux peuples autochtones et aux personnes d'ascendance africaine.

À l'issue du dialogue, le rapporteur du Comité pour l'examen du rapport du Chili, M. Régis de Gouttes, a salué les progrès législatifs et institutionnels accomplis depuis l'examen du précédent rapport, au nombre desquels figure la loi sur la non-discrimination. Il faudrait néanmoins que le Chili améliore le processus de consultation des peuples autochtones, qui n'est pas encore pleinement conforme aux instruments internationaux. Il conviendrait également de trouver des solutions pour les conflits entre le Gouvernement et les peuples autochtones au sujet des terres ancestrales et pour les problèmes posés par les activités extractives des sociétés transnationales. Le rapporteur a par ailleurs attiré l'attention sur l'application disproportionnée de la loi antiterroriste à l'encontre des autochtones, notamment des Mapuches et des Rapa Nui.

Le Comité doit encore adopter des observations finales sur le rapport du Chili qui seront rendues publiques après la clôture de la session, le vendredi 30 août prochain.


La prochaine séance publique du Comité se tiendra demain après-midi, 15 août, à 15 heures, pour l'examen du rapport du Venezuela (CERD/C/VEN/19-21). Initialement prévu pour cet après-midi et demain matin, l'examen du rapport du Tchad a été reporté à vendredi après-midi et lundi matin.


Présentation du rapport

Présentant le rapport périodique du Chili (CERD/C/CHL/19-21), M. BRUNO BARRANDA FERRÁN, Ministre du développement social du Chili, a réitéré l'engagement de son gouvernement en faveur de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale et a insisté sur la volonté absolue des autorités chiliennes de voir les valeurs sous-jacentes à cet instrument inspirer le développement social du Chili et de ses communautés, à savoir un développement basé sur le respect, l'inclusion et le multiculturalisme, qui garantisse la pleine réalisation et la jouissance des droits énoncés dans la Convention.

M. Barranda Ferrán a indiqué que, conformément à la recommandation du Comité, le Ministère chilien des affaires étrangères avait organisé un séminaire de travail, le 2 août 2012, afin de partager avec la société civile le travail préparatoire relatif au rapport qui est aujourd'hui examiné.

Le Ministre du développement social a ensuite présenté la structure institutionnelle mise en place par le Chili concernant la prévention de la discrimination raciale. Il a notamment insisté sur l'entrée en vigueur, en juillet 2012, de la loi sur la non-discrimination. Il était en effet important pour le Chili de disposer d'une loi contre la discrimination, a-t-il souligné. «Cette loi nous permettra de prévenir, sanctionner et corriger d'une manière beaucoup plus juste et effective toutes les formes de discrimination arbitraire qui continuent malheureusement d'exister dans notre société», a-t-il déclaré, admettant que la finalisation de cette loi avait été due à l'assassinat brutal et homophobe du jeune Daniel Zamudio, mort à cause de la discrimination, de l'intolérance, de la haine et des préjugés. Cette loi constitue un pas essentiel sur la voie de l'instauration d'une société plus tolérante, plus inclusive, plus respectueuse et plus équitable pour tout Chilien, quel que soient son âge, son origine ethnique, son statut économique, ses opinions politiques, ses croyances religieuses ou son orientation sexuelle.

La loi sur la non-discrimination établit l'obligation pour tous les organes de l'État d'élaborer et d'appliquer des politiques visant à assurer à chacun, sans aucune distinction, quelle qu'elle soit, la pleine reconnaissance et jouissance des droits de l'homme énoncés dans la Constitution, dans les lois et dans les traités internationaux ratifiés par le Chili, a précisé M. Barranda Ferrán. En outre, la loi définit la discrimination arbitraire comme toute distinction, exclusion ou restriction, sans justification raisonnable, pratiquée par des acteurs de l'État ou par des personnes privées et causant une privation, un trouble ou une menace dans l'exercice légitime des droits fondamentaux établis dans la Constitution et les traités internationaux ratifiés par le Chili. Par ailleurs, a souligné le Ministre, cette loi prévoit une action judiciaire et exécutive spéciale permettant à toute personne qui se considère comme victime d'une discrimination arbitraire de recourir aux tribunaux afin de mettre un terme à cette discrimination ou de chercher réparation si la plainte s'avère justifiée. Enfin, cette loi prévoit d'autres mesures comme l'élaboration d'une politique nationale sur la diversité et la non-discrimination et l'organisation d'une première consultation de la population sur la discrimination – actuellement en cours.

M. Barranda Ferrán a ensuite attiré l'attention sur la création, en 2010, de l'Institut national des droits de l'homme, conformément aux Principes de Paris.

Avec ses neuf peuples autochtones, le Chili est un pays multiculturel, a par ailleurs rappelé le Ministre, attirant l'attention sur les programmes spéciaux mis en place pour sauvegarder et favoriser les langues, les traditions, les coutumes et les formes d'organisation familiale et communautaire ancestrales. Le Chili appréhende la politique autochtone comme relevant d'une responsabilité intersectorielle et c'est pourquoi a été créé en 2010 le Comité des Ministres pour les affaires autochtones dont l'une des principales décisions consiste à favoriser l'acquisition de terres par des familles autochtones en situation de risque social et non pas seulement par celles qui peuvent se prévaloir d'une revendication valide de domaine ancestral. Le Comité a en outre pris des mesures concrètes en faveur de l'application effective de la loi portant création de zones côtières et marines des peuples autochtones.

Les peuples autochtones constituent une richesse que l'État respecte, reconnaît et valorise, a assuré M. Barranda Ferrán. Conformément aux prescriptions de la Convention n°169 de l'Organisation internationale du travail relative aux droits des peuples indigènes et tribaux, plus de 39 consultations ont été menées, non pas sans difficultés; en fait, a-t-il précisé, 11 de ces 39 consultations sont encore en cours. Suite à l'aboutissement du processus de consultations menées durant trois ans entre les autorités gouvernementales et les peuples autochtones ainsi qu'entre les peuples autochtones eux-mêmes, un rapport a été présenté la semaine dernière qui contient les conclusions dégagées lors de la table ronde de consensus finale et témoigne qu'un consensus a pu être trouvé sur un nombre important de questions, a poursuivi le Ministre. Un plein accord n'a pu être trouvé concernant trois questions, a-t-il précisé: le nombre de questions et de mesures susceptibles de faire l'objet de consultations; l'intensité de l'impact direct; et la manière de mener les consultations concernant des projets d'investissement dans le cadre du système d'évaluation de l'impact environnemental. Toutefois, s'agissant de cette dernière question, une nouvelle réglementation est récemment entrée en vigueur qui, en vertu de la Convention n°169 de l'OIT, prévoit pour la première fois une consultation autochtone spécifique, en dehors de la participation du grand public. Une fois qu'auront été établies les nouvelles règles de procédure applicables pour la consultation préalable, le Gouvernement du Chili appliquera ce mécanisme afin de respecter son engagement dans les trois domaines concernés par la réalisation d'une société multiculturelle plus inclusive: reconnaissance constitutionnelle des peuples autochtones; création du Conseil des peuples autochtones; et élaboration d'une nouvelle structure institutionnelle qui appliquera les politiques publiques en la matière.

S'agissant des questions de culture, d'identité et d'éducation, le ministre a assuré qu'elles constituent pour les autorités chiliennes une autre priorité s'agissant des peuples autochtones, essentiellement parce que des langues autochtones étaient sur le point de disparaître. Aussi, un plan de revitalisation des langues a-t-il été mis sur pied, a-t-il fait valoir. Entre 2009 et 2012, quelque 213 189 bourses ont été octroyées à des jeunes autochtones pour des études secondaires et universitaires. Entre 2011 et 2012, cinq établissements d'enseignement secondaire multiculturel de haut niveau ont été ouverts en Araucanie, a-t-il ajouté.

Entre janvier 2010 et juin 2013, 39 930 hectares de terres ont été transférées aux peuples autochtones, a d'autre part fait valoir M. Barranda Ferrán.

Le Gouvernement chilien doit assurer la protection et la sécurité de tous les habitants du pays, a ensuite souligné le ministre, avant de préciser que la nouvelle loi sur le terrorisme définit comme constituant une conduite terroriste certains crimes ordinaires lorsqu'ils sont commis dans le but de produire au sein de la population ou dans une partie de celle-ci une crainte justifiée de devenir victime de crimes de même nature. L'invocation de la loi antiterroriste n'est pas une pratique systématique, habituelle ni discriminatoire contre le peuple mapuche; bien au contraire, a déclaré M. Barranda Ferrán. Depuis l'année 2009, sur un total de 42 affaires impliquant des crimes terroristes, seules 8 portaient sur des événements s'étant produits dans la région de l'Araucanie, a-t-il précisé. Il a ensuite souligné que les autorités chiliennes s'efforcent d'améliorer le dialogue et de renforcer la confiance entre les communautés autochtones et les forces de police.

Le Chili est confronté au plus important flux migratoire de ces 40 dernières années, a poursuivi le ministre, précisant que ces flux proviennent essentiellement des pays frontaliers et de la région de l'Amérique latine et des Caraïbes. Aussi, le pays a-t-il appliqué dans ce contexte une politique claire d'accueil et d'insertion des immigrants par le biais de l'application du principe de promotion de la résidence régulière; dans ce but, des processus de régularisation migratoire ont été menés au bénéfice direct des immigrants en provenance du Pérou, de la Bolivie, de l'Équateur, de l'Argentine et d'autres pays d'Amérique latine et des Caraïbes, ce qui leur a permis de résider au Chili. S'agissant des questions migratoires, une attention toute particulière doit être portée au cas de l'île de Pâques; une consultation menée auprès du peuple autochtone Rapa Nui, qui s'est achevée au mois de février dernier, s'est soldée par la présentation, dans les semaines qui ont suivi, d'un projet de loi visant à réguler la résidence et le séjour dans ce territoire spécial, afin de mieux protéger l'environnement et le patrimoine culturel et archéologique du peuple Rapa Nui et de promouvoir la durabilité de la biodiversité de l'île.

Examen du rapport

Observations et questions des membres du Comité

M. RÉGIS DE GOUTTES, rapporteur du Comité pour l'examen du rapport du Chili, a félicité le pays pour la régularité avec laquelle il présente ses rapports. Il a ensuite souligné qu'au regard des droits de l'homme et de la lutte contre la discrimination raciale, trois grandes questions sont généralement mises en avant s'agissant du Chili: les questions des populations autochtones et des autres minorités; la question des migrants; et la question des violations des droits de l'homme commises pendant la période de la dictature militaire – cette dernière question ne relevant pas du mandat de ce Comité mais plutôt de celui du Comité des droits de l'homme.

M. de Gouttes a ensuite évoqué les nombreuses informations qu'il a eu à connaître et dont il a été saisi concernant la situation au Chili. Parmi elles, a-t-il précisé, figurent nombre d'informations émanant de rapports alternatifs qui concernent la situation des communautés mapuches ou encore celle des Chiliens d'ascendance africaine. Il a notamment ajouté que le Comité a été saisi d'une pétition d'urgence de la communauté autochtone aymara de Umirpa (région d'Arica y Parinacota) concernant les dommages causés au milieu ambiant et à l'écosystème aquatique andin par les activités d'exploitation minière d'or de l'entreprise transnationale BHP Billiton.

Le rapporteur a souhaité savoir ce qu'il en est du projet de plan national des droits de l'homme et de la création d'un sous-secrétariat aux droits de l'homme à cet effet. Il a également souhaité en savoir davantage sur le mandat de l'Institut national des droits de l'homme, sur sa composition et le mode de désignation de ses membres ou encore sur son financement et sa capacité à recevoir des plaintes individuelles. Qu'en est-il du projet de réforme constitutionnelle de l'institution de la Defensoría del Pueblo, a par ailleurs demandé M. de Gouttes?

Rappelant la ratification par le Chili, en septembre 2008, de la Convention n°169 de l'OIT, M. de Gouttes a fait état d'informations selon lesquelles le processus de consultation des autochtones serait insuffisant au regard des normes de la Convention et selon lesquelles il y aurait de fortes tensions entre les représentants de l'État et les représentants autochtones lors des consultations menées par les autorités chiliennes. Les peuples autochtones se plaignent de ne pas être considérés comme étant affectés directement par les activités extractives sur leurs terres, a relevé le rapporteur. La société civile fait état d'une insuffisance des moyens dont disposent les médiateurs compétents dans les domaines qui concernent les autochtones et du défaut d'accès effectif à la justice des autochtones, en particulier en cas de mauvais traitements policiers.

Selon le rapport, la population autochtone est évaluée à 7% de la population chilienne, a ensuite noté le rapporteur, relevant en outre que – toujours selon le rapport – la pauvreté de parmi les autochtones a augmenté depuis 2006. Quant à la population d'ascendance africaine, elle représenterait 3000 personnes, concentrées dans la région d'Arica et Parinacota.

M. de Gouttes a relevé avec satisfaction l'adoption, en 2012, d'une nouvelle loi contre la discrimination dont l'adoption a sans doute été accélérée par l'impact sur l'opinion publique de l'affaire de l'assassinat du jeune homosexuel Daniel Zamudio.

Pour ce qui est de l'incrimination des actes de discrimination raciale ou ethnique, le rapport présenté par le Chili ne permet pas de vérifier si la législation chilienne a incorporé correctement toutes les exigences de l'article 4 de la Convention, a ensuite fait observer M. de Gouttes, avant de se féliciter de l'introduction d'une circonstance aggravante pour les délits commis dont a motivation est fondée notamment sur la race, l'ethnie, le groupe social, la religion, le sexe.

Dans quelle mesure la justice autochtone traditionnelle est-elle reconnue par l'État, a d'autre part demandé le rapporteur?

M. de Gouttes a en outre évoqué des informations à sa disposition faisant état de la résistance que suscite la reconnaissance constitutionnelle des peuples autochtones, considérée par certains comme incompatible avec le caractère unitaire et indivisible du Chili.

Le rapporteur s'est ensuite enquis de la manière dont peut être évaluée l'application effective des mesures prises par les autorités chiliennes concernant les questions d'accès des autochtones à la terre et à l'eau. Des renseignements complémentaires seraient nécessaires sur les modalités juridiques des achats de terres par les autochtones, sur le régime de propriété ou de possession de ces terres, sur la nature des conflits qui sont signalés avec les autochtones au sujet des terres et sur les dispositions envisagées pour répondre aux plaintes des autochtones en cas d'atteinte à leurs droits à la terre ou de carences dans les processus de consultation.

Qu'en est-il du projet de loi consacrant la reconnaissance officielle de l'ethnie d'ascendance africaine, a par ailleurs demandé le rapporteur?

M. de Gouttes a ensuite relevé que, comme le reconnaît le rapport lui-même, les migrants peuvent être sujets à des situations d'exclusion, à des préjugés xénophobes dans la population et les médias, à des discriminations dans l'accès aux droits économiques et sociaux, à un manque d'information et à des situations de grande pauvreté.

Les enfants en situation irrégulière nés au Chili courent-ils le risque de rester apatrides, a en outre demandé le rapporteur?

M. de Gouttes a également souhaité obtenir des informations sur la situation préoccupante des Roms chiliens (Gitans), qui semblent être victimes de discrimination.

Un autre membre du Comité a notamment souhaité savoir si une personne peut se considérer comme autochtone sans maintenir de liens avec une communauté autochtone. Un expert a souhaité savoir si les traités de droits de l'homme et la Convention n°169 de l'OIT ont rang constitutionnel au Chili. Il est regrettable que le Chili – arguant que cela pourrait porter atteinte à son unité nationale – n'ait pas fait le pas de la reconnaissance de la diversité dans le cadre constitutionnel, alors qu'une telle reconnaissance est déjà un fait dans nombre d'autres pays de la région. La question du consentement des peuples autochtones n'est toujours pas réglée et il semblerait que les consultations en la matière piétinent, a par ailleurs souligné un membre du Comité.

Plusieurs membres du Comité se sont enquis des efforts déployés par les autorités pour promouvoir les médias autochtones et, partant, le droit des autochtones à la liberté d'expression et à l'information. De telles mesures sont propices à la préservation des langues autochtones, a-t-il été souligné.

Il a également été relevé que les groupes autochtones se disent préoccupés de l'invocation de la loi antiterroriste à leur encontre. La législation sur le terrorisme a certes été amendée, mais il semble que la pratique en la matière reste la même qu'auparavant, a fait observer un membre du Comité, déplorant que le juge n'intervienne qu'au dernier stade de la procédure. Il faudrait qu'un facteur de décision judiciaire intervienne plus tôt dans la procédure, a insisté cet expert.

Plusieurs experts ont appelé le Chili à veiller à ce que ses définitions dans le domaine de la discrimination soient conformes aux dispositions de la Convention; s'étonnant de la notion de «discrimination arbitraire» retenue par le pays, ils ont fait observer que l'adjectif «arbitraire» dans ce contexte est susceptible d'«édulcorer» la notion de responsabilité.

Déclaration d'un représentant de l'Institut national des droits de l'homme

Un représentant de l'Institut national des droits de l'homme a indiqué que cette institution, dont le financement est public, est composée de onze membres dont certains sont nommés par le Président de la République, d'autres par le Sénat, d'autres par la Chambre des députés, d'autres par les organisations de la société civile et un par les écoles de droit du pays. S'agissant des peuples autochtones, il est clair qu'il n'y a pas de reconnaissance constitutionnelle de ces peuples malgré la présentation de nombreux projets de loi, qui se sont tous heurtés à de fortes oppositions.

En ce qui concerne la législation antiterroriste, l'Institut national des droits de l'homme attire l'attention sur la pratique du Ministère public, qui invoque effectivement cette législation, ce qui lui permet d'avoir des avantages de procédure de manière tout à fait inappropriée. Elle permet notamment qu'un suspect ne soit présenté devant un juge que dix jours après son arrestation. Il est en outre frappé par le grand nombre d'accusations portées contre des Mapuches pour le délit d' «homicide frustré» – délit qui signifie que la personne a tout fait pour commettre un délit, mais que quelque chose à échoué. Ainsi, le fait de tirer en l'air est considéré comme un homicide frustré; or, quand ils participent à une manifestation, les Mapuches arrivent en tirant en l'air pour manifester leur présence.

Réponses de la délégation

Le Chili a pris note des préoccupations exprimées par le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la protection des droits de l'homme dans la lutte contre le terrorisme à l'issue de sa visite dans le pays. Mais le Chili regrette que certaines des importantes évolutions qu'a connues le pays ces dernières années n'aient pas été prises en compte par le Rapporteur. La délégation chilienne a rejeté la conclusion du Rapporteur spécial selon laquelle la loi antiterrorisme aurait été appliquée de manière discriminatoire au Chili, sachant notamment que sur 42 affaires relevant de cette loi, seules 8 portaient sur des actes violents commis dans la région de l'Araucanie. Il n'en demeure pas moins que le Chili tient à réitérer sa volonté de coopérer avec toutes les procédures spéciales des droits de l'homme.

La délégation a indiqué qu'en 2000, un nouveau système de justice assorti de garanties constitutionnelles a progressivement été mis en place au Chili, la première région qui en a bénéficié étant l'Araucanie. Il n'y a pas d'ingérence ou d'interférence dans ce système; les enquêtes sont dûment menées par le ministère public, y compris dans les affaires de terrorisme, et le juge est là pour apporter les garanties d'un pouvoir judiciaire indépendant et impartial, a indiqué la délégation. En outre, un contrôle de la légalité de la détention a été mis en place. Le Chili dispose d'un régime de détention préventive ainsi que d'une procédure de recours en amparo, a-t-elle ajouté. Dans la pratique, l'application de la loi antiterrorisme est donc entourée de garanties. Toutes les garanties existent pour assurer que la loi n'est pas appliquée de manière excessive, a insisté la délégation. La législation antiterroriste date de 1984 mais a été revue par trois fois depuis le retour du pays à la démocratie en 1991. Lors de la dernière de ces trois réformes, en 2010, afin de respecter les engagements pris auprès des dirigeants mapuches et les normes du droit international en la matière, cette législation a été remaniée de fond en comble, exigeant désormais davantage de conditions pour déterminer qu'il s'agit bien d'un acte de terrorisme, supprimant tous les éléments du droit pénal précédent qui auraient pu avoir un impact négatif, et excluant les mineurs du champ d'application de cette loi.

La loi sur la non-discrimination comptait parmi ses objectifs fondamentaux celui de créer un mécanisme judiciaire permettant de rétablir la primauté du droit en cas de comportement arbitraire. Cette Loi contient une définition de la «discrimination arbitraire»; au total, 29 procédures – dont 15 en 2013 – ont été engagées depuis l'entrée en vigueur de cette loi. Au Chili, le concept d'«arbitraire» s'applique au niveau de la Constitution, laquelle indique que la loi ne peut fixer une discrimination arbitraire – c'est-à-dire contraire à la raison et à la justice. Pour ce qui est des difficultés rencontrées dans l'exécution de cette loi, la délégation a notamment fait valoir qu'au Chili, la charge de la preuve n'incombe pas à la victime.

La délégation a indiqué qu'un projet de loi visant à pénaliser l'incitation à la haine était en préparation et devrait faire l'objet d'un débat au Sénat cette semaine. En l'état actuel, ce projet propose que l'incitation à la haine soit passible d'une peine pouvant aller jusqu'à trois ans d'emprisonnement et/ou d'une amende pouvant atteindre 8000 dollars.

La Constitution et la politique migratoire chiliennes garantissent le respect des droits des travailleurs, sans distinction ni considération du statut migratoire, a ensuite indiqué la délégation. Cela signifie donc que même les migrants en situation irrégulière voient leurs droits protégées, a-t-elle souligné. Le projet de loi sur les migrations et les étrangers qui va être présenté cette semaine au Congrès pour débat avec des experts réaffirme ces droits mais prévoit également la reconnaissance de droits spécifiques tels que le droit au regroupement familial. Des délits migratoires actuellement sanctionnés, comme celui d'entrée clandestine ou sans document dans le pays, sont supprimés dans le nouveau projet de loi, a ajouté la délégation. En outre, ce projet règlemente la rétention d'étrangers frappés d'une mesure d'expulsion. Il contient aussi des normes relatives aux mineurs non accompagnés et modifie la loi actuelle de manière, notamment, à ce que les mineurs ne puissent être expulsés du territoire national - ce qui était déjà le cas dans la pratique, mais sans base législative en la matière.

La délégation a indiqué que le Chili compte environ 3000 personnes d'ascendance africaine. Le Chili a décidé de mener à bien une enquête sur cette population afin d'adapter ses politiques publiques à son égard. En 2009, un projet de loi a été présenté qui prévoit notamment la reconnaissance officielle par l'État de la population chilienne d'ascendance africaine.

En ce qui concerne l'accès à la justice des peuples autochtones, la délégation a notamment attiré l'attention sur le service de défense mapuche dans la région de l'Araucanie. Les statistiques attestent d'une augmentation du nombre d'autochtones défendus par cet organisme de défense spécialisé.

La délégation a également rappelé qu'un programme de revitalisation des langues autochtones a été engagé en 2012 et qui sera renouvelé cette année.

Il convient de démystifier la vulnérabilité supposée dans laquelle se trouveraient les peuples autochtones au Chili car ils disposent désormais de garanties juridiques, y compris en matière de consultation, a par ailleurs fait valoir la délégation.

Ni le Gouvernement ni la société chilienne ne stigmatisent les Mapuches et ils ne les qualifient pas de terroristes, a assuré la délégation. Pour consolider la confiance qui doit être reconquise entre le Gouvernement et les peuples autochtones, le Gouvernement chilien a pris l'initiative d'un dialogue social avec tous les peuples autochtones. Tout cela ne signifie en aucun cas que l'État chilien soit pleinement satisfait de la situation et il se peut que toutes ces mesures soient insuffisantes et qu'il faille renforcer l'investissement dans ce domaine. L'État chilien est conscient du travail qui reste à faire mais est attaché au dialogue social. La reconnaissance constitutionnelle des peuples autochtones est une priorité du Gouvernement, a ajouté la délégation, qui a précisé qu'à la demande des peuples autochtones, il a été décidé de reporter la décision sur une telle initiative en attendant de nouvelles consultations.

La liste des communautés autochtones qui réclament des terres a diminué, a par ailleurs fait valoir la délégation, estimant que dans un délai de cinq ans, la question des revendications de terres ancestrales devrait être résolue. Des dispositions législatives permettent en outre aux populations autochtones de maintenir leurs usages coutumiers. C'est ainsi notamment que des espaces côtiers ont été octroyés en concession aux populations autochtones.

Répondant aux questions des experts sur la possibilité pour les autochtones de disposer de radios communautaires, la délégation a fait valoir qu'un projet vise à créer 30 radios autochtones supplémentaires entre 2014 et 2016.

La délégation a indiqué que lorsque le présent Gouvernement est entré en fonction, 12% des autochtones seulement comprenaient leur langue et la parlait; si le Gouvernement n'avait pas pris des mesures adéquates, certaines langues autochtones ne seraient plus parlées par personne aujourd'hui. La délégation a attiré l'attention sur les mesures prises en la matière, notamment le programme d'enseignement bilingue qui a été mis en place et qui va de la première à la quatrième année.

Conclusion du rapporteur

M. DE GOUTTES, rapporteur pour le rapport du Chili, a salué les progrès législatifs et institutionnels accomplis depuis l'examen du précédent rapport, au nombre desquels figure la loi sur la non-discrimination. Il serait néanmoins nécessaire pour le Chili d'améliorer le processus de consultation des peuples autochtones, qui n'est pas encore pleinement conforme aux instruments internationaux, et notamment à la Convention n°169 de l'OIT. Il conviendrait également de trouver des solutions pour les conflits entre le Gouvernement et les peuples autochtones au sujet des terres ancestrales et pour les problèmes posés par les activités extractives des sociétés transnationales.

Le rapporteur a en outre évoqué les obstacles que rencontrent en matière d'accès à la justice et de droits économiques, sociaux et culturels les minorités et les personnes d'ascendance africaine. Il a par ailleurs attiré l'attention sur l'application disproportionnée de la loi antiterroriste à l'encontre des autochtones, notamment des Mapuches et des Rapa Nui. Il s'est inquiété en particulier que tous les pouvoirs soient entre les mains du Procureur avant que n'interviennent ultérieurement les tribunaux.

M. de Gouttes a ensuite insisté sur la nécessité d'obtenir des statistiques sur les poursuites engagées et les réparations obtenues par les victimes s'agissant des actes de discrimination raciale. Le pays devra aussi fournir toutes informations utiles sur ce qu'il est advenu du projet d'amendement constitutionnel visant à consacrer la reconnaissance des peuples autochtones.


Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas un document officiel

CERD13/016F