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LE CONSEIL DES DROITS DE L'HOMME SE PENCHE SUR LA SITUATION DES DROITS DE L'HOMME EN CÔTE D'IVOIRE

Compte rendu de séance

Le Conseil des droits de l'homme a examiné, à la mi-journée, le rapport de l'Expert indépendant sur la situation des droits de l'homme en Côte d'Ivoire, M. Doudou Diène, dans le cadre des questions relatives à l'assistance technique et au renforcement des capacités dans le domaine des droits de l'homme.

M. Diène a notamment indiqué avoir perçu l'urgence d'un processus de dialogue politique chez tous les acteurs ivoiriens qu'il a rencontrés. Ce dialogue pourrait s'articuler autour du statut légal de l'opposition, de l'élaboration consensuelle d'une charte démocratique, de la réforme de la commission électorale ivoirienne et du règlement des questions rurales et foncières. La création récente d'une Commission nationale de droits de l'homme est une étape significative de la crédibilisation du processus de reconstruction démocratique en cours. Pour l'Expert indépendant, le temps est venu en Côte d'Ivoire d'initiatives fortes de nature à renverser, par l'éthique politique et la vision nationale, la fatalité du cours d'une histoire récente marquée par les conflits et les divisions.

La Côte d'Ivoire a salué l'engagement et le dévouement de l'Expert indépendant dans la conduite de son mandat, ainsi que la pertinence de ses observations. Elle a indiqué que le Gouvernement entendait poursuivre un dialogue politique ouvert et constructif avec l'opposition. Elle s'est dite consciente de l'urgence d'accélérer le processus de réforme du secteur de la sécurité. Les autorités ont créé une Commission nationale des droits de l'homme, procédé à une révision du Code de la famille et ratifié le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, en février dernier, a-t-elle notamment fait valoir.

Au cours du débat interactif qui a suivi, les délégations ont salué la coopération exemplaire de la Côte d'Ivoire avec l'Expert indépendant. Certaines ont invité le Gouvernement à intensifier ses efforts visant l'instauration d'un climat apaisé, par la participation inclusive de toutes les tendances politiques à la vie de la nation. Plusieurs délégations ont estimé que les autorités ivoiriennes devaient faire de la réconciliation et du dialogue leurs priorités. D'autres ont enfin relevé que la situation sécuritaire dans le pays reste fragile, avec notamment une recrudescence des violences sexuelles et contre les enfants en raison de la fragilité des institutions.

Les délégations suivantes sont intervenues dans le cadre du débat interactif: États-Unis, Togo, Union européenne, Argentine, Sénégal, Burkina Faso, Nigéria, France, Maroc, Algérie, Belgique, Algérie et Bénin. Le Fonds des Nations Unies pour l'enfance a également pris la parole, ainsi que les organisations non gouvernementales suivantes: Human Rights Watch, Amnesty International, East and Horn of Africa Human Rights Defenders Project, United Nations Watch, Fédération internationale des ligues des droits de l'homme (FIDH), Comité international pour le respect et l'application de la charte africaine des droits de l'homme et des peuples - CIRAC (au nom également de l'Action internationale pour la paix et le développement dans la région des Grands Lacs).


Le Conseil tiendra, cet après-midi à 15 heures, une réunion-débat sur les difficultés communes rencontrées par les États dans leurs efforts pour assurer la démocratie et l'état de droit dans l'optique des droits de l'homme. Il reprendra, demain matin, l'examen des questions relatives à l'assistance technique et au renforcement des capacités dans le domaine des droits de l'homme.


Examen du rapport sur la situation des droits de l'homme en Côte d'Ivoire

Présentation du rapport

M. DOUDOU DIÈNE, Expert indépendant sur la situation des droits de l'homme en Côte d'Ivoire, a indiqué avoir perçu l'urgence d'un processus de dialogue politique chez tous les acteurs ivoiriens qu'il a rencontrés. Ce dialogue pourrait s'articuler autour du statut légal de l'opposition, de l'élaboration consensuelle d'une charte démocratique, de la réforme de la commission électorale ivoirienne et du règlement de la question rural-foncier. Ce dialogue s'impose de par la proximité des élections présidentielles de 2015 et la montée des tensions dans la région sahélo-saharienne. Dans ce contexte, l'arrestation, la semaine dernière, du Secrétaire national de la jeunesse du Front populaire ivoirien, au siège de ce parti et sans mandat d'arrêt, est un message négatif qui n'est pas de nature à favoriser le dialogue. Par contre, la création récente de la Commission nationale ivoirienne de droits de l'homme est une étape significative de la crédibilisation du processus de reconstruction démocratique en cours, a relevé l'expert.

Un défi majeur demeure en Côte d'Ivoire, a observé M. Diène: l'engagement de poursuites judiciaires contre les responsables de violations des droits de l'homme et du droit international humanitaire, de toutes les tendances politiques. La nécessité urgente d'une justice impartiale et équitable constitue une recommandation récurrente du Conseil des droits de l'homme, de la Commission internationale d'enquête. C'est pour contribuer à une solution durable à cette exigence que l'Expert indépendant a organisé, en février 2013, une conférence internationale sur l'impunité et la justice équitable en Côte d'Ivoire, dont les principales recommandations figurent en annexe du rapport de M. Diène. L'Expert indépendant a aussi observé que la réforme du secteur de la sécurité est le facteur décisif du renouvellement du contrat social profondément ébranlé par les années de fragmentation et de vulnérabilité de la population ivoirienne. La réussite du programme de désarmement, de démobilisation et de réintégration est, dans ce contexte, particulièrement cruciale.

M. Diène a observé qu'un processus est en cours d'élaboration d'une nouvelle législation remplaçant celle de 1998 sur le rural foncier. Cette question doit faire l'objet d'un traitement holistique articulé autour de la prospérité économique conjointe, du vivre ensemble, de la réconciliation nationale et de la reconstruction démocratique. M. Diène a estimé d'autre part que la levée de l'embargo sur les armes imposé à la Côte d'Ivoire devrait faire l'objet d'une révision urgente pour conforter la sécurité intérieure et faire face aux risques de déstabilisation inhérents à la crise dans la région du Sahel et du Sahara. Pour l'Expert indépendant, le temps est venu en Côte d'Ivoire d'initiatives fortes de nature à renverser, par l'éthique politique et la vision nationale, la fatalité du cours d'une histoire récente marquée par les conflits et les divisions.

Le rapport sur la situation des droits de l'homme en Côte d'Ivoire sera publié sous la cote A/HRC/23/58 (une version préliminaire est disponible).

Pays concerné

La Côte d'Ivoire a salué l'engagement et le dévouement de l'Expert indépendant dans la conduite de son mandat, ainsi que la pertinence de ses observations. La délégation ivoirienne a fait valoir l'existence d'un cadre légal consensuel sur le fonctionnement des partis politiques et d'une loi qui régit leur financement. Au sortir de la crise, le Gouvernement a institué le Cadre permanent de dialogue, qui témoigne de la volonté des autorités de poursuivre un dialogue politique ouvert et constructif avec l'opposition.

Au regard des nombreux défis sécuritaires qui restent à relever dans le pays, le Gouvernement ivoirien est conscient de l'urgence d'accélérer le processus de la réforme du secteur de la sécurité. La mise en œuvre du programme de «Désarmement, démobilisation et réintégration» demeure une priorité pour le Gouvernement ivoirien. L'exécution de ce programme reste toutefois limitée par la faible capacité financière de l'État.

S'agissant de la lutte contre l'impunité, la délégation a noté que la justice ivoirienne a ouvert des procédures contre des éléments des Forces républicaines de Côte d'Ivoire en raison d'allégations de violations des droits de l'homme. Par ailleurs, un Groupe de travail a été mis en place pour mener des enquêtes non judiciaires sur les allégations de torture et de mauvais traitement. Le Gouvernement ivoirien est conscient de la nécessité de mettre en place un mécanisme de protection des témoins et des victimes dans les procédures judicaires en cours et dans les prochaines phases des auditions publiques de la Commission de dialogue, vérité et réconciliation.

Par ailleurs, plusieurs réformes ont été entreprises par le Gouvernement dans le cadre de la promotion et de la protection des droits de l'homme et de la mise en œuvre des recommandations des organes des Nations Unies. Entre autres, une Commission nationale des droits de l'homme a été créée en conformité avec les Principes de Paris; le Code de la famille a été révisé; et le Statut de Rome de la Cour pénale internationale a été ratifié, le 15 février 2013. En conclusion, la délégation ivoirienne s'est félicitée des efforts de l'Expert indépendant et de ses partenaires pour leur implication dans la gestion post-crise ainsi que pour leur soutien matériel et financier en vue d'en résorber les conséquences sur les populations.

Débat interactif

Les États-Unis ont salué la coopération exemplaire de la Côte d'Ivoire avec l'Expert indépendant. La délégation a demandé au Gouvernement de poursuivre ses efforts de refonte de l'appareil sécuritaire et de lutte contre l'impunité. L'Argentine a jugé pertinente la recommandation de l'Expert indépendant de modifier la mentalité des forces de sécurité ivoiriennes et donc de leur dispenser un enseignement aux droits de l'homme. Le Burkina Faso s'est félicité de la création par la Côte d'Ivoire d'un «Centre de commandement des opérations» pour coordonner la réaction aux attaques qui persistent dans certaines régions du pays. Le Togo a, lui aussi, invité le Gouvernement de la Côte d'Ivoire à intensifier ses efforts visant l'instauration d'un climat apaisé, par la participation inclusive de toutes les tendances politiques à la vie de la nation.

L'Union européenne a estimé, avec l'Expert indépendant, que les autorités ivoiriennes doivent faire de la réconciliation et du dialogue leurs priorités. Elle a relevé que l'Expert indépendant a fait état de progrès en Côte d'Ivoire, tout en soulignant que la situation sécuritaire dans le pays reste fragile, avec notamment une recrudescence des violences sexuelles. Le Fonds des Nations Unies pour l'enfance a mis en garde contre le caractère alarmant des violences contre des enfants en Côte d'Ivoire, plus de 500 cas étant recensés en 2012, en nette progression par rapport à 2011. Cette progression s'explique tant par des carences institutionnelles que par les séquelles de la violence passée.

La France a souligné qu'il demeure en Côte d'Ivoire plusieurs sujets de préoccupation, notamment le boycott des dernières élections locales et régionales par le principal parti d'opposition et la fragilité des libertés publiques. La France invite les autorités ivoiriennes à prendre des mesures pour protéger les femmes et les jeunes filles contre les violences sexuelles. La Belgique a soutenu les efforts de la communauté internationale en vue de constituer en Côte d'Ivoire un environnement propice à un prompt rétablissement de l'exercice des droits de l'homme et des libertés fondamentales. La Belgique estime que, pour lutter contre l'impunité, il conviendrait d'assurer un bon fonctionnement des mécanismes de justice transitionnelle qui ont été mis en place, surtout dans l'ouest du pays.

Pour sa part, le Sénégal a pris note de la dynamique démocratique en Côte d'Ivoire, marquée par les élections régionales et locales récentes, et les efforts en cours, y compris se rapportant à la justice transitionnelle, pour lutter contre l'impunité et renforcer l'État de droit. Le Nigéria a salué la création de la Commission nationale des droits de l'homme ivoirienne, estimant, avec l'Expert indépendant, que cette institution est un élément important de la reconstruction démocratique. Le Nigéria s'est félicité également des politiques ivoiriennes de renforcement de l'indépendance de la justice.

Le Maroc a félicité la Côte d'Ivoire pour les mesures prises pour garantir la relance économique et sociale, comme en témoigne son taux de croissance de 8%. Le Maroc félicite en outre les autorités de la Côte d'Ivoire de la mise en place d'une stratégie nationale de développement social, visant la création de filets sociaux accordant une place importante à la santé et à l'éducation. L'Algérie a espéré que ces progrès se traduiront de manière visible dans le quotidien de franges encore plus larges de la population ivoirienne. Elle a d'autre part indiqué avoir toujours été aux côtés de la Côte d'Ivoire dans la crise qu'elle a traversée. C'est à ce titre qu'elle suit avec intérêt les travaux de la Commission de dialogue, vérité et réconciliation, et qu'elle reprend à son compte l'appel de l'Expert indépendant pour la poursuite du dialogue national de façon franche et inclusive. Le Bénin a félicité la Côte d'Ivoire pour son investissement dans la mise en œuvre des recommandations qui lui ont été faites précédemment. La délégation a recommandé à la Côte d'Ivoire de s'investir davantage sur le volet de la justice et de la réconciliation, gage de sa stabilité.

Amnesty International a regretté que les responsables des violations des droits de l'homme commises pendant la crise ivoirienne ne fassent toujours pas l'objet de poursuites. Des mesures doivent être prises pour garantir la réconciliation et l'indépendance de la justice, a-t-elle déclaré. Human Rights Watch a demandé au Gouvernement de s'attaquer aux causes profondes du conflit, notamment l'impunité des forces de sécurité et le manque d'indépendance de la justice. La Fédération internationale des droits de l'homme a appelé les autorités ivoiriennes à poursuivre leurs efforts en faveur d'une justice indépendante. Les victimes doivent être placées au cœur du processus, conformément aux engagements des autorités. Une réforme rapide et efficace du secteur de la sécurité est en outre nécessaire. Ces mesures sont fondamentales pour la lutte contre l'impunité et la stabilisation à long terme du pays, a observé le représentant. L'organisation East and Horn of Africa Human Rights Defenders Project a, de même, encouragé la Côte d'Ivoire à intensifier les efforts consentis dans le domaine de la justice. Des procès impartiaux et équitables sont nécessaires afin de lutter efficacement contre l'impunité. En particulier, les témoins doivent être protégés et les victimes indemnisées.

Pour sa part, l'organisation United Nations Watch a dénoncé l'impunité dont jouissent les forces de sécurité impliquées dans des activités criminelles contre les civils. Un véritable réseau militaro-économique sévit dans le pays, se rendant coupable d'extorsion et de contrebande. Enfin, le Comité international pour le respect et l'application de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, au nom également de l'Action internationale pour la paix et le développement dans la région des Grands Lacs, a déclaré que la réconciliation nationale doit être la priorité de la Côte d'Ivoire. Il a recommandé aux autorités de décréter une amnistie générale, de désarmer les factions armées, de poursuivre le dialogue pour cimenter l'unité nationale et, enfin, de mettre un terme à l'impunité en poursuivant tous les responsables d'exactions.

Conclusion

M. DIÈNE a constaté que la reconstruction démocratique en cours en Côte d'Ivoire n'a pas empêché la recrudescence des violences sexuelles. Cela est un marqueur profond de la culture de violence qu'a subie la Côte d'Ivoire, alors même que ces actes sont contraires à la culture africaine, qui réprouve cette forme de violence à l'égard des femmes et des enfants. Il y a donc un besoin de reconstruction démocratique et de catharsis générale, a noté M. Diène, invitant les autorités ivoiriennes à porter une attention particulière à ces questions. L'expert indépendant a observé qu'il faudra longtemps pour trouver des réponses durables à cette culture de violence. Or, le délai est raccourci par les prochaines étapes à venir que sont les élections. Il ne faudrait pas que se reproduisent les événements qui ont plongé le pays dans la crise, a-t-il prévenu. Par ailleurs, les événements qui se déroulent dans la région sahélo-sahélienne font planer sur le pays l'ombre d'une contagion, a mis en garde l'Expert indépendant.


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HRC13/084F