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LE COMITÉ CONTRE LA TORTURE ENTAME L'EXAMEN DU RAPPORT DU GABON

Compte rendu de séance

Le Comité contre la torture a entamé, ce matin, l'examen du rapport du Gabon sur la mise en œuvre des dispositions de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

M. Éric Dodo Bounguendza, Directeur général des droits humains du Gabon, a affrimé que l'acception de la notion de torture dans le cadre juridique gabonais est conforme à l'esprit de la Convention; elle figure dans le Code pénal à propos des arrestations, des détentions ou de séquestrations et la Constitution stipule que nul ne peut être humilié, maltraité ou torturé, même lorsqu'il est en état d'arrestation ou d'emprisonnement. Bounguendza a par ailleurs fait valoir que le Gouvernement s'est lancé dans un processus de construction de nouvelles prisons modernes, de formations qualifiantes des détenus et de renforcement du dispositif du Code pénal s'agissant notamment des abus d'autorité, des devoirs de la police judiciaire, des sanctions applicables aux forces de l'ordre et des arrestations et séquestrations arbitraires. S'agissant du phénomène préoccupant, depuis quelques années, des traitements inhumains ou dégradants que subissent les veuves et les orphelins, le Directeur général des droits humains a indiqué que plusieurs textes de lois interdisant notamment l'expulsion du conjoint survivant du domicile familial, ont été initiés et que certaines dispositions du Code civil inhérentes à cette problématique ont été revues, afin de protéger juridiquement le conjoint survivant et les descendants en matière de droits successoraux. M. Bounguendza a par ailleurs indiqué que la garde à vue s'inscrivait désormais dans un régime juridique mieux encadré.

La délégation gabonaise était également composée de la Directrice de la promotion des droits de l'homme et du Directeur de la protection des droits de l'homme, ainsi que de représentants de la Mission permanente du Gabon auprès des Nations Unies à Genève.

La rapporteuse du Comité pour l'examen du rapport du Gabon, Mme Essadia Belmir, a relevé que le Code pénal ne reprend pas à la lettre la définition de la torture énoncée à l'article premier de la Convention. Elle a ajouté que des informations font état de phénomènes de torture de la part des forces de l'ordre, en dépit de l'interdiction constitutionnelle de la torture; ces tortures et mauvais traitements seraient perpétrés dans le but d'extorquer des aveux et les victimes seraient souvent des migrants et des réfugiés. La rapporteuse a aussi attiré l'attention sur le grave problème de la traite des personnes, soulignant que le Gabon reste un pays de transit et de destination de la traite, notamment d'enfants exploités à des fins économiques. Le corapporteur, M. Satyabhoosun Gupt Domah, a souligné l'importance de sensibiliser le grand public ainsi que tous les personnels concernés par les cas de torture. Il s'est notamment interrogé sur les dispositions qui sont prévues pour qu'une déclaration obtenue sous la torture ne puisse être retenue comme élément de preuve. Le corapporteur s'est par ailleurs vivement inquiété que les autorités gabonaises puissent maintenir des témoins en détention. Plusieurs membres du Comité ont fait part de leurs préoccupations s'agissant en particulier des conditions de détention au Gabon, jugées en deçà des normes exigées, d'après les informations disponibles.

Le Comité entendra demain après-midi, à 15 heures, les réponses de la délégation du Gabon aux questions des experts.


Cet après-midi, à 15 heures, le Comité entendra les réponses de la délégation du Tadjikistan aux questions qui lui ont été posées hier matin.


Présentation du rapport

Présentant le rapport initial du Gabon (CAT/C/GAB/1), M. ÉRIC DODO BOUNGUENDZA, Directeur général des droits humains du Gabon, a exprimé le regret de son pays pour le retard dans la présentation de ce rapport qui aurait dû être soumis en 2001. C'est en considération de ce retard qu'en 2010, le Président de la République, Ali Bongo Ondimba, a instruit les instances en charge de l'élaboration des rapports nationaux sur les droits humains de travailler dans le sens des engagements du Gabon en matière de soumission des rapports auprès des Nations Unies et de l'Union africaine. Le Gabon s'est depuis efforcé de soumettre trois rapports aux Nations Unies, dans le cadre de la Convention contre la torture, du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et de l'Examen périodique universel. Il soumettra le mois prochain son le rapport sur l'application de la Convention relative aux droits de l'enfant et, au printemps prochain, sur l'application de la Convention relative aux droits des personnes handicapées.

M. Bounguendza a ensuite souligné que «même si la notion de torture ne se présente dans la Constitution que sous forme adjectivale, elle est bien présente à l'article 253 du Code pénal à propos des arrestations, des détentions ou de séquestrations, lorsque des victimes ont été soumises à des actes de tortures corporelles». L'acception de la torture dans le cadre juridique gabonais est conforme à l'esprit de la Convention, a ajouté le Directeur général des droits humains. Le titre préliminaire de la Constitution, en son article premier, alinéa 1, stipule que «chaque citoyen a droit au libre développement de sa personnalité dans le respect des droits d'autrui et de l'ordre public. Nul ne peut être humilié, maltraité ou torturé, même lorsqu'il est en état d'arrestation ou d'emprisonnement», a précisé M. Bounguendza.

Le Gabon a pris des mesures législatives, administratives et judiciaires d'importance à l'effet d'empêcher des actes de torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants sur son territoire, a poursuivi M. Bounguendza. En l'espèce, onze lois ont été adoptées, quatre ordonnances sont prises en compte, quinze décrets sont en application et cinq arrêtés, et deux décisions sont en vigueur. En complément, le Gouvernement s'est lancé dans un processus de construction de nouvelles prisons modernes, de formations qualifiantes des détenus et de renforcement du dispositif du Code pénal avec «la circonspection dans les abus d'autorité, les devoirs de la police judiciaire, les sanctions applicables aux forces de l'ordre et les arrestations et séquestrations arbitraires».

Le Gabon accueille sur son sol tous les peuples d'Afrique et du monde, a en outre souligné le Directeur général des droits humains. Les réfugiés ont accès aux tribunaux, à l'emploi, au logement, à la santé et à l'éducation, a-t-il fait valoir. Pour ce qui est de la rétention des personnes en situation irrégulière avant leur rapatriement dans leur pays d'origine, le Gouvernement a inauguré en 2010 un centre d'accueil moderne, en attendant la construction d'un autre plus grand et plus moderne dans la banlieue de Libreville.

M. Bounguendza a attiré l'attention sur un projet de loi instituant un régime judiciaire de protection des mineurs et comprenant des dispositions et des organes judiciaires autonomes concourant à l'administration de la justice pénale pour mineurs et des mesures de protection favorisant leur réhabilitation ainsi que leur réinsertion sociale. Il a ajouté qu'il est déjà procédé à la séparation en milieu carcéral des mineurs et des adultes et au traitement particulier réservé aux mineurs pour plus de célérité.

Par ailleurs, il est interdit au Gabon qu'un enfant en âge scolaire, gabonais ou étranger, soit exploité de quelque manière que ce soit, a poursuivi le Directeur général des droits humains. Des peines sont prévues à cet effet, y compris pour les parents qui s'adonnent à cette pratique. Tout trafic d'enfants est strictement interdit au Gabon et un comité de suivi est chargé d'y veiller. Depuis 2011, les poursuites initiées par le Gouvernement, ainsi que la prévention de ce fléau et la protection des victimes ont permis une nette amélioration dans le renforcement de la lutte contre le trafic de personnes.

Attirant l'attention sur «un phénomène qui a préoccupé les plus hauts responsables et la société civile au Gabon ces dernières années», à savoir celui des «traitements inhumains ou dégradants que subissent les veuves et les orphelins», M. Bounguendza a souligné que grâce à la volonté de la Première Dame, Sylvia Bongo Ondimba, un centre dénommé Mbandja a été créé en tant qu'espace de solidarité et d'échanges au profit des veuves. De plus, outre l'initiation de plusieurs textes de lois interdisant notamment l'expulsion du conjoint survivant du domicile familial, certaines dispositions du Code civil inhérentes à cette problématique ont été revues afin de protéger juridiquement le conjoint survivant et les descendants en matière de droits successoraux.

Enfin, a indiqué M. Bounguendza, «la garde à vue a acquis ses lettres de noblesse, à travers un régime juridique mieux encadré». Prévue pour 48 heures, sa prolongation est conditionnée à une autorisation écrite du Procureur de la République. Lors d'arrestations administratives et judiciaires, un dispositif légal permettant d'empêcher qu'un inculpé subisse la torture, a souligné le Directeur général des droits humains du Gabon.

Questions et observations des membres du Comité

MME ESSADIA BELMIR, rapporteuse du Comité pour l'examen du rapport du Gabon, s'est félicitée que plusieurs initiatives aux fins de la mise en œuvre de la Convention ont été prises ou sont en cours. Évoquant la question de la définition de la torture, elle a relevé que le Code pénal ne reprend pas à la lettre la définition de la torture énoncée à l'article premier de la Convention et s'est demandée ce qui empêche le pays de le faire. Le Code pénal s'intéresse davantage aux questions de procédure, a-t-elle fait observer.

Mme Belmir a par ailleurs demandé quel était le statut de la Convention dans le droit interne gabonais et si elle peut être directement invoquée par les juges.

La rapporteuse a rappelé que lors de l'Examen périodique universel, le Gabon a été encouragé à aller de l'avant s'agissant du projet de loi sur l'abolition de la peine de mort, adopté en Conseil des ministres en 2008; elle a voulu savoir si le Gabon de facto aboli la peine de mort.

Mme Belmir a demandé des précisions à la délégation au sujet de certaines informations, difficilement vérifiables, concernant des «privations illégales de la vie»: décès de civils dus aux agissements de membres des forces de sécurité, meurtres rituels, par exemple.

La rapporteuse a par ailleurs souhaité être renseignée sur le mandat, le fonctionnement, la composition, l'indépendance, les ressources et la conformité avec les Principes de Paris de la Commission nationale des droits de l'homme.

Mme Belmir s'est en outre interrogée sur les mesures prises par le Gabon pour assainir le pouvoir judiciaire, rappelant qu'il s'agit du dernier rempart pour la protection des droits de l'homme». Absence d'efficacité, sensibilité à l'influence du Gouvernement et corruption sont autant de fléaux à combattre dans ce contexte, a-t-elle souligné.

L'article 2 de la Convention dispose que l'ordre d'un supérieur ne peut être invoqué comme justification pour commettre un acte de torture, a rappelé la rapporteuse, qui a voulu savoir si les autorités gabonaises comptent modifier les dispositions du Code pénal afin de se conformer pleinement à cette disposition; l'article 15 du Code de procédure pénale gabonais paraît en effet insuffisant de ce point de vue.

Des informations font état de l'existence de phénomènes de torture de la part des forces de l'ordre, en dépit de l'interdiction constitutionnelle de la torture; ces tortures et mauvais traitements seraient perpétrés dans le but d'extorquer des aveux et leurs victimes seraient souvent des migrants et des réfugiés, a poursuivi Mme Belmir. Elle a voulu savoir si des poursuites ont été engagées, de condamnations prononcées et de sanctions infligées pour des actes de torture perpétrés par policiers. Elle a aussi demandé si Commission nationale des réfugiés était opérationnelle.

Mme Belmir a fait état d'informations selon lesquelles la durée de la détention préventive serait assez longue et que le placement en détention préventive ne serait pas toujours dûment justifié, à quoi s'ajoutent des problèmes d'accès à un avocat et de contact avec la famille.

Le Code pénal criminalise-t-il les tentatives de commission d'acte de torture, a en outre demandé Mme Belmir?

La rapporteuse a relevé que le projet de décret relatif à la justice pour mineurs évoque des centres de détention pour mineurs, mais s'est demandé s'il ne vaudrait pas mieux envisager des peines de substitution à la détention de mineurs.

L'emprisonnement pour dettes civiles existe-t-il toujours au Gabon, a demandé la rapporteuse?

Enfin, Mme Belmir a attiré l'attention sur le problème «important, vital et grave» de la traite. À l'issue de sa récente visite dans le pays, un titulaire de mandat de procédure spéciale a fait observer que le Gabon appréhende essentiellement la traite sous l'angle de l'exploitation par le travail. Le fait est que le Gabon reste un pays de transit et de destination de trafic, notamment pour les enfants exploités à des fins économiques, a déclaré la rapporteuse, avant de souligner que des adultes souffrent également de ce fléau de la traite des personnes.

M. SATYABHOOSUN GUPT DOMAH, corapporteur du Comité pour l'examen du rapport gabonais, a rappelé que l'article 10 de la Convention requiert que l'État partie sensibilise le grand public à l'importance de lutter contre la torture et, à cette fin, lance des campagnes d'information à l'intention du public mais aussi des autorités. Il ne suffit pas de proposer des formations aux agents de l'État; il faut aussi sensibiliser le grand public ainsi que tous les personnels concernés (corps médical, corps judiciaire, etc..), a insisté le corapporteur. Il est certes bon de dispenser des formations, mais il est également important de les évaluer afin de s'assurer qu'elles portent leurs fruits, a-t-il souligné.

Le Gabon a-t-il cherché à améliorer les règles et techniques d'interrogatoire durant la garde à vue, a par ailleurs demandé M. Domah?

Quel mécanisme a-t-il été mis en place pour permettre aux autorités compétentes de donner effet aux dispositions de la Convention en matière d'enquête impartiale et rapide, a en outre demandé le corapporteur, s'agissant notamment des cas où les actes visés sont imputables à des policiers ou à des militaires. Comment l'impartialité et l'indépendance de ces enquêtes sont-elles garanties?

Que prévoit la loi gabonaise pour faire en sorte qu'une déclaration obtenue sous la torture ne puisse être invoquée comme élément de preuve, a demandé M. Domah?

Le corapporteur a ensuite jugé «étonnant» voire «incompréhensible» que les autorités gabonaises puissent maintenir des témoins en détention.

Un autre membre du Comité a préconisé qu'en révisant sa législation relativement à la définition de la torture, le Gabon prenne en compte la torture mentale. Après avoir signé en 2004 le Protocole facultatif se rapportant à la Convention et l'avoir ratifié en septembre 2010, où en est le Gabon quant à son obligation d'établir un mécanisme national de prévention, ce qui aurait dû intervenir dans un délai d'un an après la ratification de cet instrument, c'est-à-dire en septembre 2011 au plus tard.

Relevant que, selon ce qu'affirme le Gabon, des autorités sont habilitées à procéder à des visites régulières dans les établissements pénitentiaires gabonais, l'expert a demandé quels avaient été les résultats de ces visites: des prisonniers ont-ils porté plainte et un rapport assorti de recommandations a-t-il été présenté suite à ces visites? L'expert s'est en outre enquis des conditions de détention au Gabon, que ce soit dans le contexte de la garde à vue ou dans les établissements pénitentiaires, notamment en ce qui concerne l'espace disponible, l'hygiène et les services médicaux disponibles. L'expert s'est enquis des mesures prises pour réduire le problème de la surpopulation carcérale, alors que la prison centrale de Libreville, construite en 1956 et prévue pour 300 personnes, comptait plus de 1500 détenus en 2009, entraînant une mutinerie des prisonniers en janvier 2009. Le Gouvernement a-t-il honoré l'engagement qu'il a pris après cette mutinerie de construire un nouvel établissement pénitentiaire près de Libreville? Les informations disponibles sur les conditions de détention au Gabon «ne sont pas positives, c'est le moins que l'on puisse dire», a souligné cet expert.

Un membre du Comité s'est inquiété que non seulement il n'existe pas de définition de la torture dans le Code pénal, mais qu'en plus, il ne semble pas que la torture soit incriminée par des peines spécifiques.

Quelle est l'autorité qui est chargée du contrôle de la garde à vue, dès le début, a en outre demandé cet expert? La désignation d'office d'un avocat est-elle prévue pour les personnes qui n'ont pas les moyens de s'en payer un, a-t-il également demandé? Les organisations de la société civile ont-elles accès aux lieux de détention, a-t-il voulu savoir? Existe-il une durée maximale de la détention provisoire au Gabon, a-t-il ajouté?

Que doit-on comprendre par «mariages coutumiers», a demandé un autre expert, avant de rappeler que les mariages forcés relèvent de la protection des groupes vulnérables? Évoquant la question des autochtones, et notamment des pygmées, l'expert a en outre souhaité savoir si le Gabon avait envisagé de ratifier la Convention n°169 de l'Organisation internationale du travail sur les droits des peuples autochtones et tribaux.

D'après plusieurs informations reçues, a pour sa part souligné un expert, il semblerait que les conditions de détention au Gabon soient bien en deçà des normes exigées, notamment pour ce qui est de l'alimentation des détenus et de traitements médicaux à leur disposition; en outre, la surpopulation carcérale est un problème grave dans le système pénitentiaire. L'expert s'est également inquiété des discriminations dont souffrent les réfugiés et autres étrangers au Gabon, notamment pour ce qui est de l'accès aux soins médicaux, qui sont particulièrement chers dans ce pays.

S'agissant des «meurtres rituels», qui consistent par exemple à tuer des enfants par amputation de leurs membres, un expert a souhaité savoir si des actions en justice ont été intentées et si les coupables ont été envoyés en prison.


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CAT12/037F