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LE CONSEIL DES DROITS DE L'HOMME TIENT UNE RÉUNION-DÉBAT SUR L'ACCÈS DES PEUPLES AUTOCHTONES À LA JUSTICE

Compte rendu de séance

Le Conseil des droits de l'homme a tenu, à la mi-journée, une réunion–débat sur l'accès des peuples autochtones à la justice. Cinq experts ont présenté des exposés en début de séance et répondu aux questions des délégations: Mme Ramy Bulan, Directrice du Centre des études autochtones de Malaisie; Mme Megan Davis, membre de l'Instance permanente sur la question des peuples autochtones; M. Vladmir Kryazhkov, Professeur à l'Université de Moscou; Mme Casilda de Ovando Gómez Morín, Directrice de la Commission mexicaine pour le développement peuples autochtones; et M. Abraham Korir Sing'oei, du Centre pour le développement des droits des minorités au Kenya.

Ouvrant le débat au nom de la Haut-Commissaire aux droits de l'homme, Mme Mona Rishmawi a notamment souligné que les adultes autochtones ont 13 fois plus de risque d'emprisonnement, et que 60% des femmes détenues dans le monde sont d'origine autochtone. Les problèmes auxquels sont confrontés les peuples autochtones pour obtenir l'accès à la justice ne se limitent pas aux affaires pénales, mais sont étroitement liés à d'autres questions relatives aux droits de l'homme, notamment la pauvreté, l'analphabétisme, le faible niveau d'éducation, la question de la reconnaissance de leurs terres et territoires et la question de l'autodétermination.

Les femmes autochtones subissent une discrimination à double titre, a fait observer Mme Davis: parce qu'elles sont autochtones et qu'elles sont des femmes. En particulier, les violences commises par les hommes autochtones à l'égard de leurs femmes ne font souvent pas l'objet de plaintes. L'élimination des pratiques discriminatoires pourrait améliorer l'accès à la justice pour les peuples autochtones, a-t-elle conclu.

Mme Bulan a déclaré que la demande mondiale de bois, d'huile de palme et d'autres ressources naturelles a entraîné en Malaisie des vulnérabilités, notamment des cas d'exploitation sexuelle des femmes et des filles autochtones. Mais les tribunaux coutumiers n'ont aucune juridiction sur ces cas; les plaignants doivent en effet s'adresser à la justice ordinaire, dont l'accès est rendu difficile notamment par l'isolement géographique et le manque de connaissance et d'information des communautés autochtones.

Bien que la Constitution russe garantisse des droits aux peuples autochtones, la prise en compte de la culture autochtone reste un défi dans les procédures judiciaires. En effet, il y a parfois conflit avec les besoins et intérêts de ces peuples, a expliqué M. Kryazhkov, qui a estimé qu'il fallait réviser la Constitution pour permettre de régler cette question.

Au Mexique aussi une loi prévoit que les autochtones soient assistés d'interprètes et de défenseurs connaissant leur langue et leur culture. Cependant, la grande majorité des détenus d'origine autochtone affirme ne pas avoir eu accès à un interprète-traducteur lorsqu'ils ont affaire aux autorités, a relevé Mme de Ovando Gómez Morín.

Pour M. Korir Sing'oei, les systèmes juridiques modernes et leurs règles de procédure empêchent les communautés autochtones de jouir de recours juridiques effectifs. Les gouvernements africains devraient mettre sur pied des systèmes juridiques pluralistes qui prennent en compte les mécanismes traditionnels, a-t-il plaidé.

Au cours du débat qui a suivi, des délégations ont présenté les structures et mécanismes juridiques nationaux en faveur de l'accès des peuples autochtones à la justice. Ces structures incluent la prise en compte des cultures, langues et structures juridiques traditionnelles des peuples autochtones. Cependant, il faut se garder d'assimiler les pratiques judiciaires des peuples autochtones à de simples «us et coutumes» de rang inférieur aux juridictions ordinaires, a prévenu une délégation. Plusieurs délégations ont souligné la situation particulièrement difficile des femmes autochtones, victimes de discriminations au sein même de leur communauté. Pour une délégation, les droits collectifs des peuples ne sauraient prévaloir sur les droits individuels des femmes.

Les délégations suivantes ont participé aux échanges avec les cinq panélistes: Mexique, au nom du Groupe des pays d'Amérique latine et des Caraïbes, Pérou, Canada, États-Unis, Union européenne, Équateur, Autriche, Suède, Finlande, Autriche, La Fédération de Russie, Guatemala, Norvège, Chili, Iran, Salvador, Venezuela, Bolivie, Suède, Australie, Venezuela. Les institutions malaisienne et canadienne des droits de l'homme ont également participé aux débats, ainsi que les organisations non gouvernementales suivantes: Commission internationale des juristes, Minority Rights Group International, Conseil indien d'Amérique du Sud, et France Libertés-Fondation Danielle Mitterrand.


Le Conseil reprend cet après-midi son débat interactif entamé ce matin avec le Rapporteur spécial sur les droits des peuples autochtones et le Mécanisme d'experts. Il se penchera ensuite sur les travaux de son Comité consultatif avant de tenir un débat général au titre du point de l'ordre du jour relatif aux organismes et mécanismes de protection des droits de l'homme.


Réunion-débat sur l'accès des peuples autochtones à la justice

MME MONA RISHMAWI, du Haut-Commissariat aux droits de l'homme, intervenant au nom de la Haut-Commissaire aux droits de l'homme, Mme Navi Pillay, a souligné que depuis l'adoption de la Déclaration sur droits des peuples autochtones il y a cinq ans, celle-ci reste un instrument précieux de protection des droits des peuples autochtones. L'accès à la justice demeure une question universelle; les statistiques révèlent que les adultes autochtones courent 13 fois plus de risque d'emprisonnement que le reste de la population et que 60% des femmes détenues dans le monde sont d'origine autochtone. Par ailleurs, les difficultés d'accès à la justice revêtent de multiples facettes, d'ordre structurel et pratique. Parmi ces facteurs: le manque d'accès au conseil juridique, l'insensibilité culturelle, l'insuffisance dans l'accent mis sur la réinsertion, ou encore l'inexistence de l'interprétation du droit dans les langues indigènes.

Les problèmes auxquels sont confrontés les peuples autochtones pour obtenir l'accès à la justice ne se limitent pas aux affaires pénales, mais sont étroitement liés à d'autres questions relatives aux droits de l'homme, notamment la pauvreté, l'analphabétisme, le faible niveau d'éducation, la question de la reconnaissance de leurs terres et territoires et la question de l'auto-détermination. La compréhension de leurs droits par les autochtones dépend principalement de la manière dont ils comprennent leur façon de vivre et leur passé. Ainsi, le système de responsabilité collective qui prévaut dans certaines sociétés, en lieu et place de la responsabilité individuelle, en vigueur dans le reste de la société. Par ailleurs, les peuples autochtones restent préoccupés par l'impunité pour les actes qui les affectent, notamment lorsqu'ils sont commis par les acteurs étatiques ou le secteur privé et en particulier les industries extractives. Le Haut-Commissariat, quant à lui, explore la valeur des droits et principes associés à la justice transitionnelle pour les peuples autochtones.

MME RAMY BULAN, Professeur associée de droit, Directrice du Centre des études autochtones en Malaisie, a déclaré que leurs propres systèmes de justice coutumière constituaient le premier point d'accès des peuples autochtones à la justice. La Malaisie est un bon exemple de pays doté d'une base constitutionnelle reconnaissant le droit coutumier. En effet, dans la législation fédérale, les usages et coutumes ont force de loi et il existe des tribunaux spéciaux pour juger, par exemple, des cas de violation du droit coutumier. Toutefois, ceux-ci ont une juridiction limitée et ne sont pas autorisés à juger des parties non autochtones.

Mme Bulan a notamment souligné que la demande mondiale accrue de bois, d'huile de palme et autres ressources naturelles a entraîné l'irruption d'individus et de sociétés sur les territoires traditionnels, ce qui a accentué les relations des autochtones avec le monde extérieur. Des vulnérabilités sont apparues, particulièrement pour les femmes. Des cas d'exploitation sexuelle des femmes et des filles autochtones ont été signalés au cours des dernières années. Or, les tribunaux coutumiers n'ont aucune juridiction sur ces cas. Les plaignants doivent s'adresser à la justice ordinaire, alors que l'accès à celle-ci est rendu difficile par l'isolement géographique, auquel s'ajoute le manque de connaissance et d'information des communautés autochtones. En réponse à ce défi, certains groupes de femmes ont adopté une approche globale visant à l'autonomisation des femmes grâce à l'éducation.

Le contrôle des terres ancestrales soulève un autre dilemme puisque les autorités sont préoccupées, en priorité, par le développement économique du pays, a poursuivi la panéliste. Elle a également évoqué la question de la détérioration de l'environnement par l'exploitation minière. Il existe aussi des cas où les compagnies obtiennent l'autorisation de certains membres de la communauté qui omettent d'en informer leur communauté. Face à ce genre de problèmes, de nombreuses communautés autochtones choisissent de porter l'affaire devant la justice.

En guise de conclusion, Mme Bulan a souligné le rôle d'arbitrage qu'est appelé à jouer l'État dans la protection des communautés face à un déséquilibre de pouvoir et de capacités systémiques entre les acteurs économiques et les peuples autochtones.

MME MEGAN DAVIS, Directrice du Centre de droit autochtone de la Faculté de droit de l'Université de Nouvelle-Galles du Sud (Australie) et membre de l'Instance permanente sur la question des peuples autochtones, a déclaré que les femmes autochtones subissent une discrimination à double titre: parce qu'elles sont autochtones et qu'elles sont des femmes. Ceci est particulièrement vrai en ce qui concerne l'accès à la justice. Les défis rencontrés par les femmes autochtones en la matière sont multiples et dépendent aussi bien de la juridiction que du contexte, a-t-elle noté.

En premier lieu, le manque d'éducation quant à l'existence même de recours juridiques est manifeste. Les peuples autochtones ne connaissent souvent pas la loi de la majorité. En outre, des conflits peuvent survenir entre droit autochtone et droit majoritaire, a-t-elle souligné, ce qui risque de restreindre la volonté de recourir à la justice de la majorité. En particulier, les violences commises par les hommes autochtones sur leurs femmes ne font souvent pas l'objet de plaintes car cela signifierait que la femme battue manque de loyauté vis-à-vis de sa communauté. Il existe en outre une méfiance généralisée à l'égard des autorités, notamment en raison des violences policières et de l'insensibilité culturelle à tous les niveaux de la justice. L'accès à la justice pour les femmes autochtones doit faire partie des discours sur les droits des peuples autochtones car c'est une question importante, a-t-elle plaidé. L'élimination des politiques discriminatoires participera également à l'amélioration de l'accès à la justice pour les peuples autochtones. Enfin, la collecte de données est nécessaire en vue d'une élaboration des stratégies appropriées en la matière, a-t-elle conclu.

M. VLADMIR KRYAZHKOV, Professeur de droit à l'Université de Moscou, Fédération de Russie, a souligné que la quarantaine de peuples autochtones de Russie représentent un peuple multiethnique de 280 000 personnes, vivant dans leurs territoires depuis plus de quatre siècles. La Constitution du pays leur garantit une protection spécifique au titre des engagements internationaux du pays, y compris le droit de défendre leur mode de vie, ou la participation de leurs représentants dans les procédures judiciaires. Il n'en reste pas moins que la prise en compte de la culture autochtone dans les procédures représente encore un défi à relever du fait que l'intérêt général de la société est en porte-à-faux avec les besoins et intérêts de ces peuples, a-t-il poursuivi. Un réexamen de la Constitution est susceptible d'aider à résoudre ce dilemme, même s'il existe déjà des bases satisfaisantes, qui nécessitent cependant une amélioration, a-t-il indiqué.

MME CASILDA DE OVANDO GÓMEZ MORÍN, Directrice de la Commission nationale mexicaine pour le développement peuples autochtones, a indiqué qu'en 2010, le Mexique comptait plus de quinze millions d'autochtones, soit 14% de la population totale. Sur ce nombre, plus de six millions sont allophones ou dialectophones. Il existe soixante-huit peuples autochtones qui parlent autant de langues. Parmi leurs 364 variantes répertoriées, le Nahuatl est le plus usité. À partir des années 1990, un processus juridique et législatif fut lancé en vue de la reconnaissance de cette diversité et d'une gamme de droits, linguistiques notamment. Une loi fédérale a ensuite été adoptée, en 2003, tendant à la prévention et à l'élimination de la discrimination. En ce qui concerne l'accès à la justice, les coutumes et spécificités culturelles doivent être pris en compte, a-t-elle souligné. La loi prévoit que les autochtones peuvent bénéficier, en toutes circonstances, de l'assistance d'interprètes et de défenseurs connaissant leur langue et leur culture.

Selon les statistiques carcérales disponibles auprès de la Commission nationale pour le développement des peuples autochtones, en octobre 2011, 4% des 231 500 détenus dans les prisons mexicaines étaient des autochtones, soit 9142 personnes. Sur ce chiffre, 4% étaient des femmes. Par ailleurs, 89% des autochtones privés de liberté sont des primo-délinquants et, plus de 85% des détenus avec lesquels la Commission a pu s'entretenir affirment ne pas avoir eu accès à un interprète ou traducteur lorsqu'ils ont affaire aux autorités, a relevé Mme de Ovando Gómez Morín.

M. ABRAHAM KORIR SING'OEI, Cofondateur du Centre pour le développement des droits des minorités au Kenya, a déclaré que les peuples autochtones d'Afrique souffrent de nombreuses violations de leurs droits fondamentaux, ajoutant que l'accès à la justice pour porter plainte demeure limité par les discriminations, l'analphabétisme et le manque d'information sur les procédures juridiques. De même, les moyens financiers pour saisir les organes judiciaires manquent cruellement.

La justice pour les personnes appartenant aux peuples autochtones est souvent rendue par l'intermédiaire d'institutions traditionnelles qui appliquent des normes coutumières. Bien que l'importance des systèmes juridiques traditionnels pour l'histoire et la culture des pays africains soit reconnue, les agences multilatérales font la promotion d'un système juridique unique, unifié, qui offre aux investisseurs étrangers un système prévisible et connu. Trop souvent, ces systèmes juridiques modernes et leurs règles de procédure empêchent les communautés autochtones de jouir de recours juridiques effectifs. Parfois, la nature historique de certaines demandes concernant les terres ancestrales des peuples autochtones achoppe sur certains principes, tels la non-rétroactivité. Même lorsque les peuples autochtones obtiennent des décisions en leur faveur, les États ne font rien pour les appliquer, a-t-il constaté. La plupart des membres des communautés autochtones sont pauvres et ne bénéficient d'aucune aide juridique. En outre, leurs terres sont souvent très éloignées de la capitale nationale ou régionale, où se trouvent les institutions judiciaires. À l'inverse, des barrières culturelles s'opposent à l'accès à la justice, comme le soutien culturel dans la lutte contre la mutilation génitale féminine ou encore le mariage forcé. Les gouvernements africains devraient mettre sur pied des systèmes juridiques pluralistes qui prennent en compte les mécanismes traditionnels. Des mesures spécifiques devraient également être envisagées en matière d'héritage, de succession et de droit foncier. Il s'agit également de définir des normes applicables à toutes les situations qui impliquent des peuples autochtones, afin de ne pas se limiter à réagir à des cas particuliers, a enfin proposé le panéliste.

M. JAMES ANAYA, Rapporteur spécial sur les droits des peuples autochtones, a relevé la difficulté de faire respecter les systèmes de justice traditionnelle parallèlement aux juridictions officielles, quand ils ne sont pas totalement éliminés. Il a énuméré d'autres problèmes encore allant du traitement discriminatoire des autochtones par les systèmes officiels de justice à l'éloignement géographique des tribunaux en passant par l'absence d'application des droits au plan juridique et la difficulté d'application des décisions judiciaires favorables aux peuples autochtones.

Débat

Plusieurs pays ont fait valoir les mesures qu'ils ont prises pour favoriser l'accès des autochtones à la justice. Le Mexique, au nom du Groupe des pays d'Amérique latine et des Caraïbes, a souligné le caractère multiethnique de ces pays, qui se distinguent également par une forte présence des peuples autochtones. La région a accompli des progrès importants dans l'accès à la justice des autochtones, bien que des difficultés demeurent s'agissant de l'accès des autochtones détenus à la justice et de la formation des forces de police. Le Pérou a fait valoir que sa Constitution prévoit que les autochtones exercent des fonctions juridictionnelles traditionnelles dans leurs régions à condition que celles-ci n'enfreignent pas le droit international. Tant le Pérou que le Mexique ont souligné la nécessité de doter les tribunaux d'interprètes pour faciliter la communication avec les justiciables autochtones. Compte tenu de sa dette historique envers les peuples autochtones, l'Équateur reconnaît la justice traditionnelle, à condition qu'elle soit conforme aux grands principes du droit international. La loi nationale favorise la recherche de solutions au niveau de la communauté. Pour sa part, le Canada a déclaré que ses stratégies portent sur l'accès des autochtones à la justice au niveau local. L'État a mis sur pied des services alternatifs de médiation, ainsi que des services d'aide directe destinés aux personnes en conflit avec la loi. Des modèles égalitaires permettent de garantir les droits de tous les justiciables. Les États-Unis ont indiqué avoir pris des initiatives juridiques et sociales en vue d'une meilleure formation et de l'amélioration de l'état de santé des personnes autochtones. Les États-Unis œuvrent également à la recherche de réponses au problème de la violence à l'égard des femmes autochtones. D'ailleurs, le Congrès est saisi d'un projet de loi qui autoriserait les peuples autochtones à juger certains cas de violence à l'égard des femmes.

L'Union européenne a souligné l'importance de répondre aux besoins des femmes autochtones, victimes de discriminations multiples. D'autre part, il faut veiller à ce que le renforcement des systèmes coutumiers soit conforme aux normes internationales relatives aux droits de l'homme. Il convient également de concilier les mécanismes réparateurs traditionnels avec les juridictions nationales. La Suède a souligné que les droits collectifs des peuples ne sauraient prévaloir sur les droits individuels des femmes. Les normes internationales imposent des obligations aux États afin que tous les citoyens jouissent de leurs droits sur un pied d'égalité. La Finlande a noté que les femmes autochtones laissées pour compte dans les systèmes de justice traditionnelle se tournent souvent vers les juridictions civiles, lesquelles devront être prêtes à répondre à leurs besoins. L'Autriche a souligné que la marginalisation sociale des autochtones, notamment leur taux disproportionné d'incarcération, les rendait vulnérables à plusieurs violations des droits de l'homme. Elle a aussi demandé aux panélistes des propositions sur la façon de traiter les problèmes particuliers rencontrés par les femmes autochtones en matière d'accès à la justice.

Le Guatemala a relevé que certaines mesures concrètes facilitent l'accès à la justice, notamment la mise à disposition de traducteurs, la nomination d'opérateurs de justice bilingues et le rapprochement des tribunaux des justiciables. La Fédération de Russie a indiqué garantir l'accès égal et gratuit de tous les citoyens au système judiciaire. Les justiciables ont le droit de choisir la langue de communication avec les tribunaux, des interprètes étant fournis, le cas échéant. Les peuples autochtones disposent de juridictions dans leurs propres langues. Au Chili, le Défenseur des droits est chargé de veiller au respect des droits juridiques des autochtones. Les Mapuche peuvent ainsi compter sur un dispositif complet de soutien et d'accompagnement dans les procédures judiciaires. En Norvège, la connaissance de la culture et de la langue des Sami est un facteur déterminant de l'accès des autochtones à la justice. Les tribunaux simplifient les procédures en demandant au préalable aux justiciables dans quelle langue ils souhaitent comparaître.

Pour favoriser l'accès des autochtones à la justice, l'Australie met l'accent sur les facteurs sous-jacents qui désavantagent les communautés concernées et entraînent un cycle de victimisation puis de délits. Les autorités ont ancré l'importance de l'inclusion sociale dans le système de justice par le biais d'un cadre stratégique d'accès à la justice qui sous-tend une approche intégrale de l'accès à la justice. Le Venezuela a fait valoir que sa Constitution garantit pleinement les droits des peuples autochtones, conformément à la tendance internationale qui consacre la reconnaissance formelle du caractère pluriculturel des États. Le Venezuela a créé des tribunaux spéciaux au fait des litiges entre autochtones et qui mettent l'accent sur deux dimensions importantes pour eux: la médiation et la réparation. La Bolivie a mis en garde contre l'assimilation des pratiques judiciaires des peuples autochtones à de simples «us et coutumes» de rang inférieur aux juridictions ordinaires. Ce pays accorde aux juridictions autochtones un statut égal à celui de la justice ordinaire, son système juridique étant caractérisé par le pluralisme.

Pour l'Iran, l'accès limité à la justice découle d'autres violations des droits de l'homme des personnes autochtones. En dépit de l'adoption d'instruments internationaux, la discrimination perdure dans l'accès des peuples autochtones à la justice, une situation qui s'explique par le manque de volonté des États concernés. L'Iran estime qu'il faut favoriser le fonctionnement des structures de justice traditionnelle.

Suhakam (Commission nationale des droits de l'homme de Malaisie) a recommandé l'organisation de consultations élargies avec les communautés autochtones en vue de la création de tribunaux traditionnels. La Commission des droits de l'homme du Canada a déclaré que le bon fonctionnement de la justice pour les autochtones dépend de la prise en compte des traditions réparatrices qui sont souvent le sceau des systèmes traditionnels. Le Gouvernement du Canada devrait affecter les ressources suffisantes à la création d'institutions conformes aux principes de la Déclaration des droits des peuples autochtones.

La Commission internationale des juristes a déploré les violations des droits de l'homme et des droits économiques, sociaux et culturels des autochtones vivant dans la province de Petén, au Guatemala. La militarisation de la région, l'exploitation pétrolière et le mépris du principe de consultation n'ont sont que quelques exemples. Le représentant a sollicité une surveillance internationale de la situation et l'adoption, par le Guatemala, d'une législation conforme au droit international qui garantisse le respect des droits de la communauté autochtone. Le Minority Rights Group International a recensé plusieurs obstacles à l'accès des autochtones à la justice, en particulier les lacunes dans la formation des fonctionnaires de la justice et le déséquilibre dans les moyens à disposition des autochtones et des multinationales impliquées dans l'extraction de leurs ressources naturelles.

Le Conseil indien d'Amérique du Sud a regretté que la jurisprudence des États-Unis soit fondamentalement entachée d'un préjugé anti-autochtone, une attitude que l'on retrouve également au Canada. France Libertés-Fondation Danielle Mitterrand a déploré l'accaparement des terres des Ogoni, au Nigéria, à des fins économiques. Le Programme des Nations Unies pour l'environnement a procédé à une évaluation complète des conséquences désastreuses pour les Ogoni de l'exploitation pétrolière sur leurs terres. Le Conseil doit enjoindre le Gouvernement du Nigéria de garantir l'accès à la justice des Ogoni en quête de réparations.

Réponses et conclusions des conférenciers

M. ANAYA a indiqué que les titulaires de mandats, tels que les rapporteurs spéciaux du Conseil des droits de l'homme, pouvaient être auditionnés par les instances internationales, citant son propre cas devant la Commission interaméricaine de justice. Le Rapporteur spécial sur les droits des peuples autochtones a conclu qu'au fil du temps, les systèmes de justice traditionnelle se sont révélés très fonctionnels. Les peuples autochtones ont intérêt à préserver ces mécanismes dans le cadre de l'exercice de leur droit à l'autodétermination. Dans un contexte marqué par le multiculturalisme, le Rapporteur spécial a insisté que la nécessité de reconnaître les droits coutumiers des peuples autochtones. En somme, il incombe aux États d'entreprendre une action résolue en vue de garantir la jouissance effective de tous les droits collectifs et individuels des autochtones.

MME BULAN a expliqué qu'il fallait interpréter les droits coutumiers dans leur propre contexte. Il est fréquent que les autochtones présentent les éléments de preuves sous forme de récit oral que les instances judiciaires se doivent de prendre en considération. La Directrice du Centre des études autochtones de Malaisie s'est par la suite dite encouragée par les témoignages des représentants de nombreux pays ayant mis en place des systèmes reconnaissant le droit coutumier. Elle a toutefois rappelé que des titres de propriété sont souvent utilisés pour spolier des communautés. Il conviendrait d'envisager une formation spécifique des avocats et enseigner les concepts de propriété et de terre autochtone dans les facultés de droit. Mme Bulan a constaté que la plupart de ses étudiants n'avaient aucune connaissance des notions autochtones de propriété en vertu du droit coutumier. Elle a souligné la difficulté pour les autochtones de comprendre les textes officiels et jugé essentielles des traductions adaptées à leur langue.

MME DAVIS a estimé que l'absence d'évaluation risquait de constituer un obstacle à la définition de bonnes pratiques. S'agissant des femmes autochtones, l'experte de l'Instance permanente sur la question des peuples autochtones a expliqué qu'elles étaient souvent réticentes à porter plainte dans les cas de violences conjugales, comme c'est le cas des aborigènes à Sydney. Un traitement général des causes de cette violence permettrait de résoudre ce problème individuel, a souligné l'experte australienne. Elle a aussi expliqué que l'Australie avait progressé dans l'accès des femmes autochtones à la justice mais que, faute d'évaluation, il n'était pas possible de dresser un bilan des expériences dans ce domaine, même s'il apparaît clairement que celles-ci ont été positives. Elle a attiré l'attention, par ailleurs, sur la méfiance des autochtones à l'égard de la justice de leur pays. Des services juridiques pour les femmes autochtones pourraient permettre le rétablissement de cette confiance, selon elle.

M. KRYAZHKOV a constaté qu'il ressortait des interventions que la question de l'accès des autochtones à la justice demeurait un problème général. En Russie, la barrière linguistique n'existe plus, un interprète devant être obligatoirement fourni, a fait valoir l'universitaire moscovite, qui a ajouté que dans leur majorité, les peuples autochtones du pays avaient adopté la langue russe. Dans une deuxième série de réponses, il a estimé qu'il serait judicieux que les universités consacrent des cours aux droits des autochtones, particulièrement dans les régions qu'ils habitent. Ce serait un précédent positif pour le respect de la culture et des coutumes de ces populations, et pour la protection de leurs droits et de l'administration équitable de la justice.

MME DE OVANDO GÓMEZ MORÍN a souligné que le droit à l'autodétermination était garanti aux peuples autochtones du Mexique. L'accès de ces populations à la justice a entraîné la création de tribunaux spécifiques relevant du droit coutumier dans plusieurs États. Toutefois, des défis restent à relever en matière de validation des décisions de justice, a ajouté la Directrice de la Commission nationale mexicaine pour le développement des peuples autochtones. Elle a aussi souligné que l'un des problèmes dans l'accès à la justice au Mexique provenait du fait que les autochtones ne comprennent pas l'espagnol et qu'ils ne disposent souvent pas d'interprètes. Le Mexique a entrepris un effort important de formation d'interprètes dans les différentes langues du pays, y compris leurs variantes. Il importe que ces interprètes maîtrisent non seulement la langue mais qu'ils aient des connaissances juridiques.

M. KORIR SING'OEI a souligné que dans le contexte africain, l'un des défis majeur tenait au caractère multiethnique du continent, ce qui rend d'autant plus complexes l'établissement de procédures judiciaires spécifiques. En outre, le droit coutumier est généralement considéré comme inférieur au droit classique par les autorités, ce qui rend d'autant plus difficile la conciliation des normes coutumières et des normes juridiques formelles. Cette contradiction est souvent due à l'ignorance, les États ayant une compréhension limitée des normes traditionnelles. L'expert kenyan a cité l'exemple de la propriété foncière des femmes qui n'est pas nécessairement mieux protégée par l'État qu'elle ne l'est par le droit coutumier. Il a aussi partagé l'avis selon lequel l'échec des systèmes judiciaires en Afrique reflétait l'incapacité des gouvernements à investir dans des dispositifs capables de répondre aux besoins des communautés traditionnelles. Les États africains ont là une occasion unique de se doter de moyens de répondre aux besoins très spécifiques d'une grande partie de leur population.


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HRC12/109F