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LE COMITÉ POUR L'ÉLIMINATION DE LA DISCRIMINATION RACIALE TIENT UN DÉBAT THÉMATIQUE SUR LES DISCOURS HAINEUX ET RACISTES

Compte rendu de séance

Le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale a tenu aujourd'hui un débat thématique sur les discours haineux et racistes dans le cadre de trois tables rondes, portant respectivement sur «Le discours de haine raciste et son évolution dans le temps», «Le discours de haine raciste dans la vie politique et dans les médias, y compris Internet» et «Discours de haine raciste et liberté d'opinion et d'expression».

L'objectif de ce débat thématique, a déclaré le Président du Comité, M. Alexei Avtonomov, consiste à stimuler la réflexion et améliorer la compréhension sur les causes et les conséquences des discours de haine raciste et d'examiner comment les ressources de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale peut servir dans la lutte contre ce phénomène. Le Comité poursuivra sa réflexion sur les résultats de ce débat à sa prochaine session et décidera des autres mesures à prendre, y compris sur la possibilité de lancer la préparation d'une recommandation générale sur les discours de haine raciste.

Les intervenants étaient M. Doudou Diène, expert indépendant sur la situation des droits de l'homme en Côte d'Ivoire et ancien Rapporteur spécial sur les formes contemporaines de racisme; Mme Nazila Ghanea, Maître de conférences à l'Université d'Oxford; M. Mark Lattimer, directeur exécutif du Minority Rights Group International; M. Heiner Bielefeldt, Rapporteur spécial sur la liberté de religion ou de conviction; M. Marc Leyenbergerer, membre de la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance; M. Mutama Ruteere, Rapporteur spécial sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l'intolérance qui y est associée; M. Tarlach McGonagle, maître de conférences à l'Université d'Amsterdam; M. Frank La Rue, Rapporteur spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté d'opinion et d'expression (par liaison audio); et Mme Agnès Callamard, Directrice exécutive d'Article 19.

Outre des membres du Comité, les délégations suivantes ont participé aux débats: Sénégal, Union européenne, Fédération de Russie, Arménie, États-Unis et Australie. Plusieurs organisations non gouvernementales ont également pris la parole: Amnesty International, Mouvement international contre la discrimination et le racisme, Indigenous Peoples and Nations Coalition, Réseau irlandais contre le racisme et Centre pour l'égalité des chances.

M. Patrick Thornberry, membre du Comité et rapporteur pour ce débat thématique, a résumé les discussions en soulignant qu'il fallait traiter de front, dans le droit international, la question du discours de haine, en particulier en tenant compte du droit à la liberté d'expression et d'opinion. Il a relevé que plusieurs intervenants ont souligné qu'il fallait contrer la parole raciste par la parole. Certains ont mis en garde contre le recours au seul droit pénal et ont souligné l'importance de l'éducation et de codes de conduite professionnels.


La prochaine réunion publique du Comité se tiendra demain à 10 heures, pour un échange de vues avec le Président de la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples.


Le discours de haine raciste et son évolution dans le temps

Présentations des panélistes

M. DOUDOU DIÈNE, expert indépendant sur la situation des droits de l'homme en Côte d'Ivoire et ancien Rapporteur spécial de l'ONU sur le racisme, a souligné que le discours de haine raciste se trouve aujourd'hui au cœur de nombreux conflits. L'indicateur le plus visible de la montée du racisme, de la discrimination raciale et la xénophobie est bien le discours de haine raciste, qui se manifeste clairement dans trois domaines, à savoir dans le contexte du terrorisme, du choc des civilisations et de la crise d'identité dans de nombreuses sociétés. Ainsi, le multiculturalisme est souvent perçu comme une menace pour l'identité de la société. M. Diène a attiré l'attention sur le contexte politique du racisme et de la xénophobie dans certains pays et sur «l'efficacité électorale» de programmes politiques racistes pour la propagation du racisme et des discours de haine raciste dans ces sociétés. Il y est question de protéger l'identité nationale et la sécurité contre les immigrants et autres et on assiste à des cas de violence physique visant à détruire des individus ou groupes considérés comme des ennemis intérieurs dans certaines sociétés. Les sociétés modernes sont confrontées à une contradiction entre le concept profondément enraciné d'État-nation et le processus dynamique de multiculturalisme. Cela exige que les mesures juridiques de lutte contre le racisme et l'incitation à la haine raciste s'accompagnent de changements durables dans les sociétés. En conclusion, l'expert a rappelé que le discours haineux met en lumière les trois principaux défis des sociétés multiculturelles modernes, à savoir, la nécessité d'une vigilance démocratique contre le détournement de ses principes et la légitimation des programmes racistes et xénophobes, la complémentarité des droits de l'homme fondamentaux et la promotion juridique et culturelle d'un multiculturalisme démocratique, égalitaire et interactif. Le discours de haine raciste n'est que le début d'un processus profondément enraciné et il faut réfléchir à la façon dont il est utilisé par les forces politiques.

MME NAZILA GHANEA, maître de conférences à l'Université d'Oxford, s'est félicitée de l'attention accordée par le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale à la question du discours de haine raciste. Elle a souligné la complexité croissante des discours de haine, qui représente un nouveau défi pour les travaux du Comité, notamment du fait des différentes formes de discrimination qui se recoupent, par exemple la race, le sexe ou l'origine ethnique. Une méthodologie tenant compte de ces recoupements peut convenir à l'analyse des discours de haine raciste. Il semble en outre que les auteurs de discours haineux reçoivent aujourd'hui des conseils juridiques très pointus qui leur permettent de «naviguer dans les eaux juridiques». Mme Ghanea a aussi souligné que les migrants sont la cible de discrimination raciale en particulier en raison de leur statut migratoire. Il faut entendre les signaux d'alarme et s'assurer que tous les efforts menés dans la lutte contre le discours de haine raciste se fondent sur les normes relatives aux droits de l'homme. Elle a ajouté que les critères définissant la discrimination raciale sont différents de ceux qui définissent la haine raciale. Mme Ghanea s'est félicitée de la prise en compte des recoupements entre les différentes formes de discrimination dans les travaux du Comité en ce qui concerne le discours de haine raciste. Ella a estimé que le Comité devrait poursuivre dans cette voie en portant une attention particulière aux droits spécifiques qui sont en jeu.

M. MARK LATTIMER, Directeur exécutif de Minority Rights Group International, a porté l'attention sur les méthodes de contrôle par les gouvernements du discours de haine raciste. Les dispositions relatives au discours haineux tendent depuis quelque temps à faire taire les dissidents. Il est essentiel, pour les besoins du débat d'aujourd'hui, d'examiner certains des cas extrêmes d'incitation à des crimes contre l'humanité ou d'incitation au génocide, par exemple dans l'Allemagne d'avant guerre ou dans le Rwanda des années 1990. La Convention sur le génocide comportait une lacune en ne pénalisant pas le discours d'incitation qui précède toujours un génocide. La propagande haineuse est un précurseur des crimes les plus graves contre l'humanité et doit être considérée comme telle. L'article 4 de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale prévoit une protection contre les discours de haine raciste, notamment des sanctions pénales pour les auteurs de discours de haine. Les sanctions pénales pour incitation à la haine, si elles sont essentielles et nécessaires dans la lutte contre le phénomène, présentent aussi des difficultés car elles peuvent notamment être utilisées pour pénaliser les dissidents. Il y existe un risque de conflit avec le droit à la liberté d'expression. En outre, les nouveaux moyens de communication globalisés peuvent rendre inopérantes les poursuites pénales. Et les poursuites pénales ont peu de chances d'être utilisées dans la pratique pour la forme la plus dangereuse des discours de haine, celle qui est pratiquée par un gouvernement et des représentants de l'État. C'est pourquoi l'alinéa 4 (c) de la Convention, pourtant négligé, est le plus important de l'article 4: il faut en faire la promotion pour lutter contre le soutien des autorités aux discours de haine raciste.

M. ION DIACONU, membre du Comité, a déclaré que le Comité devait examiner la question des discours de haine tout au long de ses activités et surveiller la mise en œuvre de l'article 4 de la Convention qui oblige les États à prendre des mesures immédiates pour éliminer toute incitation ou actes de discrimination raciale. En 1985, le Comité a adopté la recommandation générale n°7 demandant aux États de prendre des mesures pour satisfaire aux exigences impératives de l'article 4. En 1993, le Comité a noté dans sa recommandation générale n°15 l'importance croissante de la mise en œuvre de l'article 4 au vu des violences qu'il a pu constater fondées sur l'origine ethnique et l'exploitation politique de la différence ethnique. Le Comité avait estimé que l'interdiction de toute idée fondée sur la supériorité ou la haine raciale était compatible avec le droit à la liberté d'opinion et d'expression. Le Comité avait exprimé ses préoccupations au sujet de la diffusion d'idées fondées sur la supériorité raciale de la part des partis politiques ou de hauts fonctionnaires publics et avait a recommandé que les États renforcent leurs mesures pour prévenir et combattre la xénophobie et les préjugés raciaux parmi les hommes politiques et accordent l'attention voulue à ces manifestations. Le Comité avait aussi noté l'utilisation des médias dans l'incitation à l'intolérance et à la haine raciale et demandé aux États de les encourager à élaborer leurs propres codes de conduite visant à prévenir la propagation de discours de haine. La plupart des législations nationales, principalement en Europe, criminalisent les propos racistes et haineux, mais l'article 4 n'est pas compris de la manière par tous. Il a ensuite souligné que de nombreux États qui avaient émis des réserves à l'article 4 dans les années 1960 avaient mis en place des législations nationales à cet effet et entamé le processus de retrait de leurs réserves.

M. RÉGIS DE GOUTTES, membre du Comité, a pour sa part attiré l'attention sur les plaintes reçues par le Comité en ce qui concerne le discours de haine raciste ou xénophobe. La plupart de ces plaintes émanent de non-ressortissants avec l'assistance d'avocats et concernent quatre pays d'Europe, à savoir le Danemark, la Norvège, la Russie et l'Allemagne. Les cas portent sur des allégations de racisme et de xénophobie contre les musulmans et les Roms, allant de discours de haine à l'interdiction des coutumes. Les enseignements tirés de ces communications mettent en évidence l'équilibre délicat entre le racisme et la liberté d'expression, et la responsabilité qui incombe aux États pour garantir les droits de l'homme et assurer l'harmonie interculturelle dans les sociétés. La meilleure stratégie contre la propagande haineuse consiste à la combattre par la parole, l'éducation et la sensibilisation.

M. HEINER BIELEFELDT, Rapporteur spécial du Conseil des droits de l'homme sur la liberté de religion ou de conviction, a souligné l'importance de tenir compte du fait que beaucoup de gens souffrent de nombreuses formes de discrimination qui se chevauchent et se combinent. Il a ajouté que le mépris et la paranoïa menaient à des formes agressives de racisme et de xénophobie. M. Bielefeldt a aussi mis en garde contre le risque de tirer des conclusions erronées et d'omettre de tenir compte des spécificités du droit à la liberté de religion ou de conviction. La conception des stratégies de lutte contre le racisme et la haine raciale doit aussi tenir compte de la coexistence de différentes formes de discrimination, notamment celle fondée sur la religion ou la conviction.

Débat

Le Sénégal a estimé que les événements contemporains montrent clairement qu'il y a des limites à la liberté d'expression. Il a aussi souligné que les efforts pour lutter contre le racisme doivent être renforcés et placés à l'ordre du jour de la communauté internationale. La Fédération de Russie a également estimé que la liberté d'expression et d'opinion ne saurait être absolue et qu'aux libertés de chacun doivent correspondre les libertés des autres. L'Union européenne a souligné l'importance de tenir des débats publics et ouverts sur le sujet et a salué la clarification conceptuelle et les précisions fournies par les panélistes, qui sont nécessaires dans l'élaboration d'une législation visant à lutter contre les phénomènes. L'Arménie a attiré l'attention sur les progrès technologiques qui fournissent de nouveaux moyens de diffusion de propagande raciste et de la haine. La communauté internationale doit conjuguer ses efforts avec la communauté des droits de l'homme pour combattre ces phénomènes.

Amnesty International a pour fait part des travaux qu'elle a menés sur le discours de haine raciste et a recommandé que le Comité définisse clairement les mesures de lutte contre le discours raciste, conformément à l'article 4. Les États devraient utiliser toute la gamme des mesures prévues par la Convention et recourir à d'autres mesures, notamment à l'éducation et non pas s'appuyer uniquement sur des mesures répressives. Le Mouvement international contre la discrimination et le racisme a souligné la difficulté de définir le discours de haine raciste en raison de ses nombreuses formes et a demandé aux experts de contribuer à fournir quelques définitions. La Indigenous Peoples and Nations Coalition d'Alaska a noté que les États utilisent les procédures pour réduire au silence les victimes et empêcher les peuples autochtones de porter plainte contre des États ou des sociétés privées.

Réponses et conclusions

M. DIÈNE a mis en garde contre la répétition des mêmes discussions tenues il ya dix ans et a réitéré la nécessité de rappeler le contexte dans lequel s'est produit le génocide au Rwanda. Il est important de ne pas rester prisonniers de discussions juridiques et de favoriser la capacité des organes de droits de l'homme à agir sur ces questions. M. Diène a par la suite souligné que les questions suscitées par les événements en Norvège où 77 personnes avaient été tuées doivent trouver des réponses. Il faut en outre analyser les normes complémentaires car aucun domaine juridique ne dure pour toujours et doit être adaptée en continu. L'expert a estimé qu'il fallait adopter une approche de la question englobant les mesures juridiques, la vie sociale et les processus culturels. Les discours de haine tendent à s'en prendre à la démocratie tout en utilisant intelligemment les principes démocratiques pour exprimer leurs programmes et lentement gagner des votes et accéder au pouvoir. Il est très important de comprendre qu'il faut d'urgence s'occuper de la banalisation et de la normalisation des discours de haine.

M. DIACONU a souligné qu'il y avait un lien direct entre la discrimination raciale et la xénophobie. Il a par ailleurs rappelé aux États qui ont adopté des législations nationales contre la propagande racistes qu'ils devraient envisager de lever leurs réserves à l'égard de l'article 4. Il a aussi souligné la nécessité d'adopter les normes complémentaires et d'adapter les normes existantes aux nouvelles formes de discours de haine raciste. La prise en compte de formes simultanées de discrimination est une idée très importante, ainsi que la responsabilité et l'action des gouvernements et des partis politiques dans le traitement du problème de la haine raciale. Il a ajouté que les règlements et mesures concernant l'interdiction de propos racistes ne devraient pas affecter les droits des groupes vulnérables. Le droit pénal n'est pas le seul moyen de lutter contre les discours de haine raciste; d'autres moyens sont disponibles et devraient être examinés.

MME GHANEA a déclaré que les normes existantes étaient suffisantes mais qu'il fallait les utiliser avec plus de détermination. Reconnaître que les individus peuvent être victimes de discrimination choisis pour de multiples raisons fournirait suffisamment d'outils pour lutter contre le discours de haine. Mme Ghanea a souligné que les gouvernements utilisent cyniquement le discours de haine d'une autre partie du monde afin de détourner l'attention des griefs qui pourraient être exprimés dans leurs propres sociétés.

M. LATTIMER a souligné que la difficulté dans ce domaine ne vient pas des normes, mais des contextes particuliers dans lesquels les discours de haine sont prononcés. En ce qui concerne les déclarations publiées sur Internet, où le contexte est immédiatement perdu, le défi consiste à évaluer le contexte et établir l'intention criminelle. Plus de temps devrait être consacré à comprendre qui sont les principaux coupables: les membres des autorités locales et des maires en Europe orientale et méridionale font des déclarations incendiaires contre les Roms, les minorités et les autres groupes et individus pour atteindre leurs propres objectifs politiques. Il a par la suite déclaré qu'il fallait se concentrer sur les maux les plus pressants, à savoir les processus conduisant à la légitimation des discours de haine. Les minorités à travers le monde ne sont souvent pas trop préoccupées par les discours de haine contre elles, ce qu'elles considèrent comme un problème, c'est la négation de leur propre droit à la parole et à la liberté d'expression.

M. DE GOUTTES a de nouveau souligné la nécessité de mettre l'accent sur les mesures d'éducation contre le racisme, la discrimination raciale et la xénophobie, y compris à l'intention des fonctionnaires. Les religions ont aussi un rôle à jouer dans la protection de la dignité des personnes. En outre, il ne faut pas oublier que les États n'agissent pas seuls dans la lutte pour les droits de l'homme.

M. ALEXEI AVTONOMOV, Président du Comité, a déclaré que l'article 4 ne prévoit pas que l'adoption de lois mais fait aussi référence à des mesures visant à éradiquer le racisme et les discours de haine. Il faut que cessent les expressions de haine car elles peuvent conduire à l'incitation de sentiments tels que ceux qui ont conduit au nazisme.

Le discours de haine raciste dans la vie politique et dans les médias, y compris Internet

Présentations des panélistes

M. MARC LEYENBERGERER, membre de la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance, a souscrit aux interventions précédentes pour exprimer sa préoccupation au sujet du discours de haine raciste dans le discours des dirigeants politiques qui abusent de la liberté d'opinion et d'expression pour diffuser la haine et humilier les exclus de nos sociétés. La difficulté consiste à trouver un équilibre entre les exigences légitimes du droit d'être protégé contre le racisme, d'une part, et d'autre part du droit de s'exprimer librement. La liberté d'expression n'est pas une liberté absolue et certaines restrictions peuvent être apportées à l'exercice de ce droit, les restrictions doivent toutefois être justifiées et ce droit peut être limité en cas d'incitation à la haine. M. Leyenbergerer est préoccupé par la normalisation et l'acceptation des discours de haine par des personnalités politiques. Les nouveaux moyens de communication contribuent à une plus large diffusion de ce type de discours extrémistes. Il faut maintenant dépasser le stade de la préoccupation et formuler des recommandations concrètes aux États afin qu'ils criminalisent la propagande haineuse. M. Leyenberger a ajouté que l'éducation joue un rôle crucial et essentiel dans la lutte contre le racisme, la haine et l'intolérance, et les partis politiques sont des acteurs clés qui peuvent jouer un rôle important en informant le public.

M. MUTAMA RUTEERE, Rapporteur spécial sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de la xénophobie et de l'intolérance qui y est associée, a déclaré que la crise économique mondiale, l'incertitude économique et la hausse du chômage dans de nombreuses régions du monde ont accentué les angoisses sociales et créé un environnement propice à la xénophobie et aux attitudes racistes et politiques et pratiques discriminatoires. Cette tendance négative s'est accompagnée d'une montée des discours de haine dans le discours politique. Par ailleurs, de nombreux mouvements et groupes extrémistes ont recours à Internet pour recruter des membres. Il a été estimé qu'en 2008, il y avait près de 8000 sites web propageant une idéologie extrémiste. Les nouvelles technologies de la communication favorisent la diffusion des idées racistes. Le Rapporteur spécial a présenté un rapport à l'Assemblée générale sur le thème du racisme et de l'Internet dans lequel les questions clés et les défis posés par l'utilisation croissante de l'Internet pour diffuser des idées racistes et inciter à la haine raciale et à la violence sont examinés. Le rapport propose des mesures qui pourraient être prises et ces mesures sont en cours de discussion entre les États.

M. TARLACH MCGONAGLE, Maître de conférences à l'Université d'Amsterdam, a déclaré que le discours de haine n'est pas défini de façon définitive en droit international ou en milieu universitaire. Derrière une apparence simple se cache une complexité quant à la portée réelle du phénomène. Il est important de saisir la notion de discours de haine et de l'aligner sur la Convention afin de définir ce qui est et ce n'est pas compatible avec ses dispositions. M. McGonagle a encore parlé de l'influence des médias, qui peuvent être utilisés de façon positive ou négative et a noté que les médias sont des vecteurs importants de la culture et de la langue. Les médias ont une fonction vitale pour les sociétés démocratiques et il est également un véhicule pour la parole qui soit l'antidote le plus efficace au discours de haine. Les médias fournissent une information de plus en plus instantanée, internationale et interactive. Le contenu de l'Internet est aussi divers que la pensée humaine. La technologie a changé de plusieurs manières la façon de diffuser des propos racistes et haineux et les progrès technologiques ont donné lieu à des contestations juridiques et réglementaires, regroupés autour de questions de responsabilité et de compétence, et autour de facteurs qui influent sur les victimes de la propagande haineuse.

Débat

L'Union européenne a déclaré que le principal problème auquel est confrontée la communauté internationale est lié aux nouveaux défis que posent à la lutte contre le racisme l'utilisation des médias modernes, notamment du fait de l'effacement des frontières, de la vitesse de transmission des messages, ainsi que de la délimitation entre les sphères privée et publique. De plus, il faut porter une attention particulière à la question des discours de haine dans la vie politique. La Fédération de Russie a noté que le monde a fondamentalement changé au cours des 20 dernières années a rappelé que si un code de déontologie régit le fonctionnement des médias et des journalistes, ce n'est pas le cas pour l'Internet qui était tout à fait incontrôlé.

Réponses et conclusions des panélistes

M. LEYENBERGERER a souligné le rôle crucial de la formation pour les journalistes et le développement des attitudes professionnelles respectueuses des droits de l'homme et de l'éthique. Mais les médias ne sont pas le seul problème; les États posent aussi un problème en ne mettant que partiellement en œuvre les recommandations formulées par la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance.

M. McGONAGLE a ajouté que le contenu de certains discours de haine est en effet tel que le moyen de communication utilisé n'a pas d'importance. Des efforts devraient viser à développer l'autorégulation des structures et l'éducation aux questions qui concernent les médias. Bien conçue et avec la volonté politique aux niveaux national et international, cette approche pourrait permettre de s'attaquer aux causes de la propagande haineuse sur Internet et pas seulement à ses conséquences.

M. RUTEERE s'est associé à la proposition d'élargir la référence aux partis politiques par rapport aux discours de haine et inclure d'autres groupes et individus qui diffusent des messages haineux.

Discours de haine raciste et liberté d'opinion et d'expression

Présentations des panélistes

M. FRANK LA RUE, Rapporteur spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté d'opinion et d'expression, intervenant par liaison audio depuis le Guatemala, a exprimé sa vive préoccupation à propos du discours de haine raciste et de diverses formes de discrimination. La liberté d'expression est l'un des éléments les plus importants dans la lutte contre la discrimination raciale et d'autres formes de haine par la construction d'une meilleure compréhension entre les peuples du monde. Dans le même temps, l'abus de la liberté d'expression doit être une préoccupation. Différentes formes d'expression sont protégées, en particulier celles qui sont liées à l'expression publique, tandis que les paroles interdites entrent dans la catégorie de l'article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et les interdictions par la législation nationale en vue de protéger les droits des personnes. Les États ont la responsabilité primordiale d'empêcher les discours haineux et il faut traiter la question des discours des responsables publics.

MME AGNÈS CALLAMARD, Directrice exécutive d'Article 19, a attiré l'attention sur la banalisation des discours de haine raciste. La liberté d'expression est essentielle à la démocratie, aux droits de l'homme et à la dignité humaine. Le cadre et la définition des discours de haine manquent de cohérence et il n'existe pas de définition de la propagande haineuse dans le droit international. Le discours de haine pouvait être appréhendé par l'intermédiaire de plusieurs sources de droit, notamment l'article 19 et l'article 20 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et l'article 4 de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale. La notion de gravité doit être au cœur des débats sur le discours de haine, tous les discours ne pouvant être mis sur un pied d'égalité. Mme Callamard a déclaré que son organisation non gouvernementale a mis au point un test pour déterminer la gravité du discours, qui comprend plusieurs critères tels que l'intention de l'orateur à inciter à la discrimination ou à la violence; le contenu du discours, qui est particulièrement important dans le cas de l'utilisation de discours de haine par des personnalités publiques ou par les États, la position du porte parole, qu'il s'agisse de dirigeants politiques, civiques ou religieux, et les moyens utilisés pour transmettre le message, ainsi que l'imminence d'un dommage causé et la probabilité de discrimination ou de violence.

Débat

Le Réseau irlandais contre le racisme a souligné l'importance de disposer d'une législation en tant que pierre angulaire de la prévention du racisme. Aucun État n'est à l'abri de l'extrême droite, comme en témoigne l'émergence de ces partis dans certains pays «improbables». Le Centre pour l'égalité des chances a déclaré que l'un des problèmes auxquels il était confronté était de savoir comment allier la théorie à l'action dans un domaine où un mot, utilisé dans le contexte du droit à la liberté d'expression, est devenu un acte dans le contexte de discours de haine et de la discrimination raciale.

Les États-Unis ont réitéré leur position ferme selon laquelle la réponse à des propos haineux offensifs, l'interdiction n'est pas la bonne approche parce qu'interdire les idées ne les a jamais fait disparaître. L'antidote le plus efficace au discours offensant est la parole. Les États-Unis se demandent s'il est sage pour le Comité de consacrer son temps et ses ressources sur le thème de discours de haine raciste, quand il pourrait faire beaucoup plus pour aider à éliminer la discrimination raciale. L'Australie a remercié les participants qui ont contribué à définir la notion de discours de haine et a exprimé l'espoir que le Comité les prendra en considération dans ses travaux. Il faut trouver le juste équilibre entre la lutte contre le discours de haine raciste et le respect du droit à la liberté d'opinion et d'expression. L'Australie encourage le Comité à identifier les bonnes pratiques du monde entier dans la prévention plutôt que seulement de réagir au racisme.

Conclusion

M. PATRICK THORNBERRY, expert du Comité et rapporteur pour le débat thématique, a résumé les discussions d'aujourd'hui et déclaré qu'il fallait traiter de front, dans le droit international, la question du discours de haine, en particulier en tenant compte du droit à la liberté d'expression et d'opinion. L'importance de l'article 4 (c) de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale a été soulignée, ainsi que la nécessité de contrer la parole raciste par la parole. D'autres intervenants ont mis en garde contre le recours au seul droit pénal, et ont réitéré l'importance de l'éducation et de codes de conduite professionnels. La façon d'aborder le discours de haine raciste par le biais de la Convention est complexe; l'interprétation des dispositions de la Convention doit toujours tenir compte du contexte. Le rapporteur a aussi relevé l'importance accordée à la ligne de démarcation entre public et privé et que cette question mérite un examen plus approfondi. Plusieurs autres concepts qui pourraient influer sur l'interprétation de la Convention ont été évoqués, comme celui de la proportionnalité. La question des normes complémentaires a également été abordée, et les orateurs sont convenus que le défi était de rendre les normes existantes plus efficaces dans le contexte contemporain. Le débat d'aujourd'hui a exposé les failles potentielles dans la Convention et le Comité examinera les recommandations qui lui ont été faites par les participants aujourd'hui pour ses travaux sur le discours de haine raciste.


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CRD12/030F