Fil d'Ariane
LE CONSEIL DES DROITS DE L'HOMME EXAMINE DES RAPPORTS SUR LA LIBERTÉ DE RÉUNION ET SUR LES DROITS DE L'HOMME DANS LA LUTTE ANTITERRORISTE
Le Conseil des droits de l'homme a examiné cet après midi les rapports présentés par le Rapporteur spécial sur le droit à la liberté de réunion pacifique et d'association, M. Maina Kiai, et le Rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste par M. Ben Emmerson. Il a en outre conclu un débat interactif entamé hier avec les Rapporteurs spéciaux sur la liberté d'opinion et d'expression et sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires.
M. Kiai s'est dit stupéfait par la fréquence à laquelle les États violent le droit de réunion pacifique et d'association. Il propose, sur la base des bonnes pratiques présentées dans son rapport, une série de recommandations relatives à l'exercice du droit à la liberté de réunion pacifique et d'association. M. Kiai a également rendu compte de la mission qu'il a effectuée en Géorgie. La Géorgie est ensuite intervenue à titre de pays concerné.
M. Emmerson a quant à lui attiré l'attention sur les victimes du terrorisme, soulignant que les États ont le devoir de prendre des mesures positives pour protéger la population du terrorisme et de traduire les auteurs de ces actes devant la justice. Il a par ailleurs souligné que les victimes du terrorisme ne souhaitent pas les abus dans la lutte antiterroriste; leur appel va dans le sens de la reconnaissance de leurs droits et de leur souffrance. La Tunisie est intervenue pour réagir au rapport qui avait été préparé par le prédécesseur de M. Emmerson, M. Martin Scheinin.
Dans le débat qui a suivi, plusieurs délégations se sont déclarées inquiètes face aux atteintes au droit de manifester dans de nombreux pays. Dans ce contexte, certaines ont rappelé les obligations des États à cet effet, avant d'inviter les pays concernés à les respecter. S'agissant de la lutte antiterroriste, la menace que fait peser le terrorisme sur la paix et la sécurité mondiales a été souligné. Pour autant, la lutte contre ce phénomène ne saurait se faire en dehors des règles internationales, en violation des droits de l'homme. Par ailleurs, les victimes du terrorisme doivent bénéficier d'un statut et d'une reconnaissance, y compris par le biais d'un instrument international, ont estimé certaines délégations.
Les délégations suivantes se sont exprimées dans le cadre du débat: Jordanie (au nom du Groupe arabe), Union européenne, Espagne, Cuba, Pakistan (au nom de l'Organisation pour la coopération islamique), France, Sri Lanka, Royaume-Uni, Chili, Malaisie, Sénégal (au nom du Groupe africain), Chine, Maldives, Brésil, Algérie, Allemagne, Australie, Lituanie, Maroc, Turquie, Kirghizstan, Norvège et Équateur.
En début de séance, le Conseil a conclu le débat interactif avec les Rapporteurs spéciaux sur la liberté d'opinion et d'expression, M. Frank La Rue, et sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, M. Christof Heyns, qui ont présenté des conclusions et répondu aux questions qui leur ont été adressées. M. La Rue a notamment souligné que les journalistes comme les défenseurs des droits de l'homme assuraient un service particulier à la société, ce qui justifie qu'ils doivent bénéficier d'une protection particulière. Il faut en outre défendre le droit de chacun de recueillir des informations et de les diffuser dans la société. M. Heyns a pour sa part souligné qu'il est important que les autorités prennent position lorsqu'un journaliste est assassiné sur leur territoire. Le Rapporteur spécial convient avec de nombreuses délégations qu'il n'est pas nécessaire de concevoir de nouveaux instruments internationaux dans ce domaine.
Les quatre derniers orateurs dans le cadre du débat interactif avec les deux Rapporteurs spéciaux étaient la Fédération internationale des journalistes, Reporters sans frontières, Asian Legal Resource Center et Presse Emblème Campagne.
Le Conseil poursuivra demain matin, à partir de 9 heures, son débat interactif avec le Rapporteur spécial sur la liberté de réunion pacifique et d’association et le Rapporteur spécial sur les droits de l'homme dans la lutte antiterroriste. Il devrait par la suite être saisi du rapport de la Rapporteuse spéciale sur l'extrême pauvreté.
Fin du débat sur les rapports relatifs à la liberté d'expression et d'opinion et aux exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires
Organisations non gouvernementales
La Presse Emblème Campagne (PEC) a relevé que le Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, aborde, dans son rapport, la question très importante de la définition du statut de journaliste; de l'avis du PEC, la définition de 2000 du Conseil des Ministres du Conseil de l'Europe, complétée par certains des éléments fondamentaux de la Charte de Munich de 1971 relatifs aux droits et devoir de la profession, semble pertinente. Si la responsabilité de la protection des journalistes incombe aux États, les causes de l'impunité des auteurs de violences et menaces contre les journalistes tiennent au manque de volonté politique des mêmes États. La Fédération internationale des journalistes déplore, elle aussi, la culture d'impunité qui constitue le principal facteur de la violence mortelle visant les journalistes. Elle estime pour sa part que les Nations Unies ont un rôle important à jouer dans la protection des droits de l'homme et donc du droit à la liberté d'expression. Les Nations Unies doivent en particulier prendre position de manière très ferme contre les États qui violent systématiquement leurs propres lois et les traités internationaux auxquels ils sont partie, cautionnant ainsi la pratique des assassinats de journalistes. La délégation a par ailleurs prié le Conseil de se pencher sur la situation à Sri Lanka, où la situation de plusieurs journalistes n'est toujours pas réglée.
Reporters sans frontières (RSF) a souligné que, depuis le 1er janvier 2012, un acteur de l'information est tué tous les cinq jours. Depuis le début de l'année, 29 journalistes, douze net-citoyens et citoyens-journalistes ont ainsi perdu la vie. RSF a demandé aux deux Rapporteurs spéciaux d'indiquer quels mécanismes ils préconisent afin d'inciter les États à respecter les normes internationales en matière de protection des journalistes, y compris les blogueurs et les citoyens-journalistes auxquels les nouvelles technologies ont permis de jouer un rôle complémentaire à celui des professionnels des médias. RSF se félicite par ailleurs des mesures que vient de prendre le Mexique pour protéger les journalistes. Le Asian Legal Resource Center s'est pour sa part félicité de la décision du Gouvernement du Pakistan d'accepter la visite du Rapporteur spécial sur la liberté d'expression. En effet, ce pays est l'un des plus dangereux au monde pour les journalistes: seize journalistes y ont été tués en 2011 et 46 autres blessés, dont cinq par des agences de renseignements officielles. M. Saleem Shazhad, journaliste expérimenté ayant dévoilé l'infiltration de la Marine pakistanaise par le réseau Al-Qaïda, a ainsi été enlevé le 29 mai 2011 avant d'être assassiné. En dépit de la création d'une commission d'enquête par la Cour suprême en juin 2011, les responsables de cette affaire n'ont été ni identifiés ni punis. Cette situation illustre un schéma général d'arrestations et d'exécutions arbitraires, de disparitions forcées et de tortures au Pakistan. L'organisation a également déploré la situation des journalistes en Thaïlande, en Indonésie et aux Philippines.
Conclusions des Rapporteurs spéciaux
M. FRANK LA RUE, Rapporteur spécial sur la liberté d'opinion et d'expression, a souligné que les journalistes comme les défenseurs des droits de l'homme assuraient un service particulier à la société, ce qui justifie qu'ils doivent bénéficier d'une protection particulière. Il s'agit de défendre le droit de chacun de recueillir des informations et de les diffuser dans la société. L'État ne saurait définir lui-même des principes de déontologie ni imposer sa conception du journalisme; c'est aux journalistes eux-mêmes de le faire. Il n'est pas non plus question de créer de nouveaux droits pour garantir la liberté d'expression sur Internet, estime le Rapporteur spécial. Il est des moments où les citoyens jouent un rôle d'informateur auprès de la société, dans les situations de catastrophe naturelle ou pour révéler des phénomènes de corruption, d'où la notion de «citoyen journaliste». Quant au brouillage éventuel de la télévision syrienne qui serait envisagé par certaines puissances et dont la menace a été évoquée par certains orateurs, il s'agit d'une violation grave de la liberté d'expression, a-t-il estimé. D'éventuelles attaques militaires contre les médias constituent une atteinte extrêmement grave à la liberté d'informer, selon M. La Rue.
M. CHRISTOF HEYNS, Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, a évoqué la question de la protection des sources des journalistes, estimant qu'il s'agissait d'un élément fondamental de la liberté de la presse. Il a indiqué l'existence d'un groupe de travail ONU-Union africaine sur la question des exécutions arbitraires, s'agissant notamment de journalistes. Il a donné un autre exemple de bonne pratique, évoquant une commission britannique chargée de réfléchir à la protection des journalistes. D'une manière générale, il est important que les autorités prennent position lorsqu'un journaliste est assassiné sur leur territoire. M. Heyns estime que les journalistes localiers devraient bénéficier d'une formation spécifique en matière de sûreté. Il a répondu à une question qui lui avait été posée sur les institutions nationales des droits de l'homme, estimant qu'elles étaient bien placées pour agir et intervenir auprès des États. Leur tâche est évidemment plus ardue dans les États où la liberté d'expression est sévèrement encadrée. M. Heyns estime que l'article 6 du Pacte international relatifs aux droits civils et politiques, qui stipule que «nul ne peut être arbitrairement privé de la vie», répond aux besoins de protection en matière juridique. Il convient par conséquent avec de nombreuses délégations qu'il n'est pas nécessaire de concevoir de nouveaux instruments internationaux à cet égard.
Examen de rapports sur la liberté de réunion pacifique et d’association et sur les droits de l'homme dans la lutte antiterroriste
Présentation des rapports
Le Rapporteur spécial sur la liberté de réunion pacifique et d’association, M. MAINA KIAI, a présenté son rapport annuel (A/HRC/20/27 en anglais) ainsi qu'un rapport sur sa mission en Géorgie (les commentaires du Gouvernement figurent au document A/HRC/20/27/Add.4). Un autre additif (A/HRC/20/27/Add.3) présente les observations et communications adressées par le Rapporteur spécial à certains États et les réponses reçues.
Le Rapporteur spécial a indiqué que son rapport rend compte des meilleures pratiques recensées dans le monde qui favorisent et protègent les droits à la liberté de réunion pacifique et d'association. Il a fait observer que les meilleures pratiques reflètent non seulement les exigences du droit international des droits de l'homme, mais aussi les principes qui transcendent ces obligations contraignantes du point de vue juridique. L'un des éléments fondamentaux du droit de réunion et d'association pacifiques est qu'il s'applique à tout un chacun, sans aucune distinction d'aucune sorte, y compris aux groupes qui professent des opinions controversées ou qui sont victimes de discrimination fondée sur leur orientation sexuelle, a-t-il souligné. Ainsi, personne ne doit être pénalisé pour avoir seulement exercé ce droit, ni subir de discrimination pour ce motif. Le droit international impose que le droit de réunion et d'association pacifiques soit considéré comme une règle et ne puisse être limité que de manière exceptionnelle, a insisté le Rapporteur spécial.
Les personnes exerçant le droit de réunion et d'association pacifiques ont l'obligation de rester pacifiques, a poursuivi M. Kiai. Il s'agit d'une exigence fondamentale, a-t-il ajouté. Le caractère pacifique réside ici dans l'intention des organisateurs de la manifestation et des personnes qui y participent, a-t-il précisé. Autrement dit, le comportement violent d'un petit groupe d'individus ne confère pas de caractère violent à une manifestation qui – hormis ce comportement marginal – se déroulerait dans le calme, a expliqué le Rapporteur spécial. M. Kiai s'est dit stupéfait par la fréquence avec laquelle les États violent le droit de réunion et d'association pacifiques en s'attaquant au droit des individus à la vie et à leur droit de ne pas être soumis à la torture – qui sont des droits auxquels il ne saurait être dérogé. La participation à une manifestation pacifique est, en tant que moyen d'expression et instrument de changement, une alternative à la violence et à l'utilisation de la force et c'est à ce titre qu'elle doit être vigoureusement défendue, a souligné le Rapporteur.
M. Kiai propose, sur la base des bonnes pratiques figurant dans son rapport, une série de recommandations relatives à l'exercice du droit de réunion et d'association pacifiques. Il faut d'abord poser une attitude explicite d'approbation du droit de réunion et d'association pacifiques, y compris pour ce qui est des manifestations spontanées sans autorisation préalable, a-t-il indiqué. Les États doivent ensuite protéger les manifestations pacifiques, y compris, le cas échéant, par la négociation et la médiation. Autant que possible, les forces de l'ordre ne doivent pas recourir à la violence et, si elles sont amenées à y recourir, elles doivent alors le faire de manière justifiée, proportionnée et sans discrimination. Les États ont même l'obligation de protéger par des mesures actives les manifestations pacifiques des actes d'agents provocateurs et autres personnes ayant l'intention de perturber ces manifestations ou de provoquer leur dispersion. Les organisateurs des manifestations ne doivent pas être tenus pour responsables du comportement violent de tiers, a insisté le Rapporteur.
Le Rapporteur spécial a expliqué que les recommandations qu'il présente s'adressent tant aux États qu'aux organisations de la société civile. Ces recommandations portent, notamment, sur l'instauration d'un simple mécanisme de notification – et non pas d'enregistrement – pour la création d'une association en tant qu'entité juridique et sur la liberté pour les associations d'un pays donné de pouvoir bénéficier de financements provenant non seulement du pays lui-même, mais aussi de l'étranger. Les lois relatives à la liberté d'association doivent être rédigées de manière aussi claire et concise que possible, a en outre souligné le Rapporteur spécial, ajoutant que les textes destinées à contrôler les activités d'une seule personne ne sont pas conformes aux normes internationales.
M. Kiai a enfin rendu compte de la mission qu'il a effectuée en Géorgie en février dernier. Depuis sa «révolution rose», ce pays a réalisé de grands progrès dans de nombreux aspects de la vie publique, a-t-il affirmé. La Géorgie ne s'en trouve pas moins à la croisée des chemins: les choix qu'elle fera détermineront si elle progressera ou non sur la voie des droits de l'homme, a-t-il déclaré. M. Kiai a indiqué que pendant sa visite, il avait constaté avec préoccupation la manière dont le Parlement a amendé la loi sur l'organisation politique des citoyens (décembre 2011). Néanmoins, a ajouté le Rapporteur, la loi a été révisée en mai dernier, après des consultations avec la société civile, et ce fait mérite d'être souligné. En revanche, M. Kiai a indiqué rester toujours préoccupé par les pouvoirs d'enquête discrétionnaires accordés à la Chambre de contrôle, avec un risque de dérive politique. Compte tenu des échéances électorales proches, les autorités géorgiennes devront veiller au respect des droits civils et politiques de tous les citoyens, a souligné le Rapporteur. Tous les partis politiques doivent être en mesure de faire jeu égal, a-t-il insisté. M. Kiai a enfin demandé qu'une enquête indépendante soit réalisée au sujet des manifestations du 26 mai 2011 en Géorgie.
M. BEN EMMERSON, Rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste, a présenté son rapport annuel (A/HRC/20/14 en anglais), qui traite en particulier de principes-cadres pour la reconnaissance des droits de l'homme des victimes du terrorisme. Le Conseil était également saisi du rapport sur la mission effectuée en Tunisie par le précédent titulaire, M. Martin Scheinin. Un autre additif (A/HCR/20/14/Add.2, en anglais et espagnol seulement) traite du suivi des visites effectuées par M. Scheinin en Égypte, en Israël et dans les territoires palestiniens occupés, en Espagne, en Turquie et aux États-Unis.
Le Rapporteur spécial s'est attaché à faire le décompte des victimes du terrorisme au cours de la semaine écoulée: depuis samedi dernier, 125 personnes ont été tuées et 324 autres grièvement blessées dans 14 attaques terroristes en divers endroits du globe. Pour la seule journée de samedi dernier, une bombe a explosé à un arrêt de bus dans la localité de Landi Kotal, dans l'ouest du Pakistan, faisant deux morts et 80 blessés; une autre bombe a tué 18 pèlerins et en a blessés 35 autres à Kadhimiya, dans la proche banlieue de Bagdad; et un attentat à Afgoye, près de Mogadiscio a fait un nombre encore inconnu de victimes. Lundi dernier, a poursuivi le Rapporteur spécial, ce sont trois églises qui ont été la cible d'attaques suicides dans des villes du Nigéria, alors que 22 personnes sont mortes et 50 autres blessées suite à une explosion lors de funérailles au sein d'une communauté chiite en Iraq. M. Emmerson a cité d'autres exemples d'actes terroristes survenus également à la frontière israélo-égyptienne ou encore au Yémen. La communauté internationale connaît ces chiffres et statistiques, mais le monde sait peu de chose sur la tragédie que vivent les personnes victimes de ces actes: la peine et l'horreur, le carnage, l'odeur de la mort, de la poussière et du sang, sans parler des dommages psychologiques infinis, a ajouté M. Emmerson, avant de rappeler que les Nations Unies elles-mêmes ont payé un lourd tribut au terrorisme, avec l'attaque en 2003 de leurs bureaux de Bagdad – attaque qui a coûté la vie à 21 hommes et femmes, parmi lesquels M. Sergio Vieira de Mello.
Le terrorisme a un réel impact sur les droits de l'homme, avec des conséquences dévastatrices sur les vies, a insisté le Rapporteur spécial. Par conséquent, les États ont le devoir de défendre les droits humains de leurs ressortissants et autres personnes, en prenant des mesures positives pour les protéger contre le terrorisme et en traduisant les auteurs de ces actes devant la justice, a-t-il souligné. Ces dernières années, a poursuivi le Rapporteur spécial, certains États, y compris ceux qui s'enorgueillissent de défendre les droits de l'homme, ont – sous prétexte de vouloir défendre ces droits – abandonné les valeurs centrales qui leur sont inhérentes en utilisant l'argument selon lequel leurs abus dans le cadre de la lutte contre le terrorisme servent à protéger les générations futures. Le Rapporteur spécial a expliqué que son rapport essaie de faire la lumière sur ces mensonges et d'identifier les responsabilités des États dans ce domaine. Indiquant s'être entretenu, entre autres, avec les victimes, le Rapporteur spécial a souligné que leur souhait n'est pas qu'il y ait davantage de torture, davantage d'abus, dans le cadre de la lutte antiterroriste, mais plutôt que soient reconnus leurs droits humains à travers l'adoption d'un cadre normatif unique qui reconnaisse leurs souffrances, les protège d'autres abus et leur fournisse un appui et des réparations adéquats. Il est frappant de constater qu'en dépit de la prolifération de normes relatives à la lutte antiterroriste, aucune de ces normes ne se préoccupe des victimes, a insisté M. Emmerson. Les victimes du terrorisme souhaitent entendre les États s'exprimer sur ce point au cours du débat d'aujourd'hui, a-t-il déclaré.
M. Emmerson a insisté sur le cadre juridique existant en matière de prévention, d'enquête et de responsabilité, avant de présenter les recommandations contenues dans son rapport. Il convient notamment de définir une nouvelle obligation internationale contraignante obligeant les États à indemniser les victimes d'actes terroristes, a-t-il souligné. Il est injuste que la charge de la preuve incombe aux victimes, a-t-il indiqué. Tout en reconnaissant que l'aspect financier de la question n'est pas négligeable, M. Emmerson a souligné que des alternatives existent, notamment les fonds souverains, avant de se dire disposé à aider les États sur les aspects techniques de cette question. Le Rapporteur spécial a en outre invité tous les États à reconnaître les attentats dans lesquels des personnes ont été tuées ou blessées comme des violations des droits de l'homme en tant que telles. Enfin, il faudra tenir compte de cette problématique dans le cadre de l'examen de la stratégie antiterroriste mondiale des Nations Unies qui aura lieu les 28 et 29 juin prochain à l'Assemblée générale, a conclu le Rapporteur spécial.
Pays concernés
La Géorgie a indiqué avoir pris des mesures importantes ces dernières années afin de garantir le droit de rassemblement pacifique ainsi que pour faciliter le fonctionnement des partis politiques. Elle considère que le rapport préparé sur son pays par le Rapporteur spécial sur le droit à la liberté de réunion pacifique et d'association ne reflète pas les amendements à la législation adoptés dernièrement. Il ne reflète pas non plus un certain nombre de décisions prises depuis la visite du Rapporteur spécial, certaines remarques de sa part étant désormais tout à fait caduques. Les amendements apportés répondent aux exigences et critères internationaux et européens. C'est particulièrement vrai s'agissant du droit de manifester. Concernant la liberté syndicale, la Géorgie a fait remarquer qu'elle connaît l'un des plus forts taux de syndicalisation dans le monde.
La Tunisie, pays concerné par le rapport du Rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste, s'est félicitée que le Rapporteur spécial ait relevé la volonté du Gouvernement tunisien de lutter contre le terrorisme dans le plein respect des droits de l'homme, comme en témoignent les réformes de grande ampleur engagées pour rompre avec les pratiques du passé. La Tunisie a décidé en particulier de réviser la loi du 10 décembre 2003 en vue de l'harmoniser avec les dispositions des instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme et aux garanties d'une justice équitable. Elle a aussi entrepris, en collaboration avec des organisations internationales concernées, la réforme de l'appareil de sécurité en vue d'instaurer une police républicaine au service du citoyen. Cette réforme du système de sécurité, conjuguée à la réforme du système judiciaire et du processus de justice transitionnelle, permettra de traduire en justice les auteurs d'abus ou de violations des droits de l'homme, de mettre fin à l'impunité et de fournir les réparations adéquates aux victimes. Dans le domaine de la torture également, les autorités tunisiennes ont déjà pris une série de mesures complémentaires prévoyant, notamment, l'annulation du décret relatif à la prescription du crime de torture après quinze ans et la nullité des aveux obtenus sous la torture.
Dialogue interactif
En ce qui concerne la liberté de réunion pacifique et d'association, l'Union européenne a fait part de sa préoccupation face aux dispersions violentes de manifestations auxquelles on assiste de plus en plus fréquemment dans un certain nombre de pays. Le Royaume-Uni a fait part de sa préoccupation, à l'instar du Rapporteur spécial, face à la répression envers des individus organisant des manifestations par le biais des médias sociaux; il a exprimé à cet égard sa préoccupation au sujet du Tibet, en particulier en ce qui concerne la situation au monastère de Kirti. Le Chili a observé que la responsabilité des organisateurs de manifestations ne saurait être engagée lors de violences dans une manifestation. Il revient en effet aux forces de police de maintenir l'ordre. Reste que ce principe pose la question de la responsabilité sociale des citoyens en matière d'ordre public, a nuancé la délégation chilienne.
L'Allemagne s'est dite préoccupée, comme le Rapporteur spécial, par les restrictions apportées à l'exercice du droit de réunion et d'association pacifiques en tant qu'il sert de moyen d'exercer d'autres droits civils, culturels, économiques et sociaux; sa mise en garde contre des interprétations arbitraires pour justifier des restrictions de ce droit doit être prise au sérieux. L'Allemagne a demandé à la Russie de revoir sa législation très restrictive dans ce domaine et au Bélarus de mettre un terme à l'arrestation arbitraire de manifestants pacifiques. L'Allemagne souligne, d'autre part, que le droit de réunion et d'association pacifiques s'applique à tous, y compris les personnes victimes de la discrimination du fait de leur orientation sexuelle et de leur identité de genre.
Le Pakistan, au nom de l'Organisation de la coopération islamique, a demandé au Rapporteur spécial quels acteurs devaient être considérés comme responsables lorsque des manifestations pacifiques dégénèrent. La France s'est pour sa part félicitée que le Rapporteur spécial rappelle l'obligation incombant aux États de s'assurer de la sécurité des manifestants. S'agissant de la proposition d'élaborer des principes directeurs, la France souhaiterait que le Rapporteur spécial développe ce point. Elle apporte par ailleurs son plein soutien aux deux mandats. La Norvège a salué le travail réalisé par M. Kiai sur le plan interrégional.
Cuba a pour sa part souhaité avoir l'avis de M. Kiai sur la répression des manifestations dans les pays occidentaux, alors que dans le même temps le monde est témoin d'un abus de la liberté d'association avec la prolifération d'organisations racistes et xénophobes. Cuba se félicite des commentaires positifs du rapporteur à son sujet et fait valoir que les organisations de masse cubaines comptent plusieurs millions de membres, et que les étudiants et les jeunes peuvent se rassembler librement sans craindre d'être réprimés.
Plusieurs délégations ont fait état des mesures prises par leurs pays pour favoriser le droit de réunion et d'association pacifiques. Ainsi, l'Algérie a rappelé qu'elle a levé, en février 2011, l'état d'urgence instauré depuis 1993 après la sensible amélioration de la situation sécuritaire dans le pays. La loi de janvier 2012 a pour objectif de conforter la liberté d'association en obligeant l'administration à se prononcer sur une demande d'agrément, son silence valant approbation. Au Maroc, les rassemblements se déroulent dans les conditions fixées par la loi et en toute coopération avec les manifestants et les forces de sécurité, en accord avec les engagements internationaux y relatifs pris par le pays, a expliqué son représentant.
Les Maldives ont indiqué que la nouvelle Constitution nationale donne aux citoyens le droit de manifester de manière pacifique sans demande d'autorisation préalable. Cette disposition a eu des effets tant positifs que négatifs, notamment des tensions sociales dans la mesure où l'exercice du droit de manifester risque d'empiéter sur les droits d'autrui. Pour sa part, la Malaisie a indiqué avoir lancé une réforme de grande ampleur de sa loi relative à la liberté de réunion, en vue de l'adoption d'un mécanisme ouvert. La mention, dans le rapport du Rapporteur spécial, de l'interdiction ou de la répression en Malaisie des manifestations pacifiques, est erronée pour plusieurs raisons. Ainsi, la loi adoptée en 2012 ne fait plus obligation aux participants et organisateurs de demander ni permis ni approbation préalable à leur démarche; plusieurs manifestations et rassemblements se sont tenus ces derniers mois, la plupart dans le calme et la police n'est intervenue que lorsque la foule s'est montrée violente. La Malaisie a ajouté que tous les droits, y compris le droit de manifester, suppose aussi des responsabilités: aussi estime-t-elle que les participants et organisateurs d'une manifestation doivent être tenus pour responsables de tout comportement violent dans ce contexte.
Pour la Lituanie, la liberté d'assemblée et d'association est un vrai socle de la démocratie et l'État alors que sa situation ne cesse de se détériorer dans de nombreux pays, notamment par le biais de restrictions. Dans ce contexte, la communauté internationale doit continuer à mettre en lumière les violations de ces droits partout où elles ont lieu. Les libertés d'assemblée et d'association ouvrent la voie à d'autres droits, a lancé le Kirghizstan, ajoutant que la communauté internationale devrait envisager l'élaboration de principes directeurs et examiner les meilleurs pratiques. L'Australie est d'accord pour dire que le droit à la liberté de réunion pacifique et d'association joue un rôle fondamental dans l'établissement de la démocratie. L'Australie s'est félicitée des exemples de bonnes pratiques présentées par le Rapporteur spécial. Pour l'Équateur, les manifestations sont une expression pacifique et doivent devenir des instruments de renforcement des sociétés et être des espaces exempts de violence et de discrimination, notamment à l'égard des femmes. Comment le Rapporteur spécial compte-t-il lutter contre les violences sexistes dans les manifestations, a demandé la représentante?
S'agissant du rapport sur la protection des droits de l'homme dans la lutte antiterroriste, la Jordanie, au nom du Groupe arabe, a souligné l'importance de fournir un travail collectif face au terrorisme, aucun pays ne pouvant mener seul la lutte contre ce fléau. Ces efforts doivent respecter les libertés et droits fondamentaux, ainsi que le stipule la Stratégie antiterroriste mondiale des Nations Unies. Il convient de prendre garde de pratiquer l'amalgame, notamment en confondant telle ou telle religion avec la pratique du terrorisme, amalgame qui alimente lui-même le terrorisme.
En ce qui concerne le thème retenu par le Rapporteur spécial cette année, qui porte sur des principes-cadres pour la reconnaissance de droits de l'homme des victimes du terrorisme, la Norvège a souligné que la reconnaissance de la souffrance des victimes est essentielle. L'Espagne a dénoncé une violence systématique et imprévisible portant atteinte aux droits des personnes et soulignant qu'évoquer le terrorisme impliquait aussi de prendre en compte les victimes. La représentante a indiqué qu'elle avait à ses côtés Mme Maite Pagazaurtundua, présidente de la Fédération des victimes du terrorisme, qui a étroitement collaboré avec l'État pour définir la législation espagnole en la matière; les victimes doivent bénéficier de l'appui de l'État. La France a pour sa part souligné qu'elle avait mis en place dès 1986 un Fonds de garantie pour les victimes d'actes de terrorisme, qui prévoit une indemnisation des victimes. Sri Lanka a rappelé qu'elle avait été confrontée à l'une des pires organisations terroristes ayant sévi dans le monde. Le pays a fait le maximum pour réinstaller et secourir les victimes directes et indirectes du terrorisme et il est disposé à mettre son expérience en matière de protection des droits de l'homme dans ce domaine au service de tout pays qui le souhaite.
L'Union européenne a toutefois demandé au Rapporteur spécial quel serait l'intérêt d'un nouvel instrument juridique. Le Royaume-Uni a également indiqué qu'il n'était pas convaincu de la nécessité d'un tel instrument.
Le Sénégal, au nom du Groupe africain, a déclaré que, dans la lutte contre le terrorisme, le respect des obligations des États à l'égard des victimes de ce fléau reste un défi majeur. En effet, eu égard aux conséquences multiples du terrorisme sur les populations, les États doivent s'employer à définir les voies et moyens les plus appropriés afin d'apporter l'aide et l'assistance nécessaires aux victimes du terrorisme. Il reste entendu que cette assistance aux victimes pourrait nécessiter plus d'efforts dans le cadre de la solidarité et de la coopération internationales.
Pour le Brésil, l'adoption d'un instrument international dans le domaine de la protection des droits des victimes du terrorisme pourrait constituer un objectif motivant, surtout dans un contexte où, en dépit de longues consultations, la communauté internationale n'a toujours pas été en mesure d'adopter une convention contre le terrorisme. Le Brésil se déclare par ailleurs très préoccupé par l'utilisation de drones à des fins d'exécutions extrajudiciaires. Cuba a pour sa part demandé au Rapporteur spécial s'il comptait réaliser une étude au sujet de l'utilisation de drones. Par ailleurs, il a mis en cause le non-respect du code de conduite des titulaires de mandat des procédures spéciales, rappelant une fois encore qu'il s'agissait d'une obligation et non pas d'une option.
La Chine a remercié le Rapporteur spécial de son rapport, estimant avec l'expert que les États doivent tout faire pour protéger le droit à la vie des personnes vivant sur leur sol. Le recours aux mesures antiterroristes qui violent les droits fondamentaux des personnes doit être interdit. Le recours à la force aveugle, en particulier les assassinats extrajudiciaires et le recours à des drones, entraîne des morts injustifiables parmi les populations civiles et ne fait ainsi qu'exacerber les problèmes. La Charte des Nations Unies précise dans quelles conditions il est possible de recourir à la force armée, a rappelé la Chine.
L'Algérie a accueilli favorablement les analyses du rapport sur les acteurs non-étatiques comme auteurs de violations des droits de l'homme et sur l'adoption d'une perspective orientée sur les victimes du terrorisme. L'attention de la délégation a été retenue par les recommandations du rapport visant une meilleure prévention des violations des droits de l'homme à travers la lutte contre le terrorisme, plus particulièrement les recommandations relatives à la protection du droit à la vie, à la nécessité de protéger les victimes et de poursuivre les coupables en leur accordant les garanties judiciaires nécessaires.
Pour le Maroc et le Kirghizstan, le terrorisme fait peser des menaces permanentes sur le monde et contredit les buts et principes des Nations Unies. De même, la lutte antiterroriste doit respecter des valeurs fondamentales. Il faut en outre reconnaître les familles des auteurs d'actes de terrorisme comme victimes, en ce qu'elles subissent elles aussi des pressions et le regard de la société, a encore plaidé le Maroc. Pour la Turquie une réflexion est nécessaire au niveau international en ce qui concerne les victimes du terrorisme. Au plan national, la Turquie a d'ores-et-déjà adopté des mesures de compensation à l'endroit des victimes.
Droit de réponse
La Chine a estimé que la déclaration de la Fondation Helsinki constituait une véritable attaque contre son gouvernement. Les incidents de 2003 mentionnés par cette organisation n'étaient pas des manifestations pacifiques mais bien des émeutes, qui ont justifié la réaction des autorités chinoises, a expliqué la Chine. Les événements au Tibet, également mentionnés, ont entraîné une réaction légitime des autorités, soucieuses de protéger les droits fondamentaux des citoyens.
La Thaïlande a déploré la déclaration faite par une organisation non gouvernementale au sujet du Code pénal thaïlandais et a assuré que le pays garantit le droit et la liberté d'expression de la population. Toutes les procédures judiciaires se déroulent en conformité avec le Code de procédure pénale, qui garantit le droit à un procès équitable. Les deux cas évoqués par l'organisation non gouvernementale en question sont certes attristants, mais les deux personnes concernées ont eu droit à des traitements médicaux, que l'une d'elle a refusés.
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HRC12/067F