Fil d'Ariane
LE CONSEIL DES DROITS DE L'HOMME EXAMINE LE RAPPORT DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE INTERNATIONALE SUR LA LIBYE
Le Conseil des droits de l'homme a examiné, cet après-midi, le rapport final de la Commission internationale d'enquête établie pour enquêter sur toutes les violations présumées du droit international des droits de l'homme en Libye.
Le Président de la Commission internationale d'enquête, le juge Philippe Kirsch, a indiqué que des crimes contre l'humanité et crimes de guerre ont été commis par les forces du Colonel Mouammar Kadhafi en Libye. Il s'avère que, de la même manière, ses opposants ont également commis de graves violations des droits de l'homme, y compris des crimes de guerre. «Ces exactions, courantes pendant le conflit, ont perduré par la suite et on est fondé à penser qu'elles se poursuivaient même lors de la visite des membres de la Commission d'enquête», a affirmé M. Kirsch. Les membres de la Commission n'ont pu parvenir à des conclusions définitives sur l'impact de la campagne militaire menée par l'OTAN et recommandent des enquêtes complémentaires à ce sujet. La Commission souligne la difficulté de comprendre la situation actuelle sans prendre en compte les dégâts causés à la société par des décennies de corruption, de violations des droits de l'homme et de répression de toute opposition, ainsi que la destruction d'institutions qui sont essentielles au fonctionnement de tout régime démocratique. M. Kirsch a conclu que le Gouvernement libyen aura besoin d'un appui considérable des Nations Unies et de la communauté internationale pour relever les défis de l'avenir et donner effet à son engagement en faveur des droits de l'homme.
Réagissant à la présentation du rapport, M. Wael Najem, Vice-Ministre libyen de la justice, a déploré qu'il ne reflète pas suffisamment la situation des droits de l'homme qui prévalait sous l'ancien régime, qui a impunément tué les Libyens, leur a infligé des souffrances indescriptibles durant plus de quatre décennies. Il a néanmoins formulé des garanties quant à la comparution de tous les présumés coupables devant la justice dans le cadre de procès justes et équitables, conformément au droit international. Il a appelé les États ayant accueilli des personnalités et partisans de l'ancien régime de les extrader vers la Libye et a plaidé en faveur d'un retour des avoirs et biens libyens à l'étranger car le pays manque de ressources en cette période délicate de transition.
Au cours du dialogue, plusieurs délégations se sont félicitées des conclusions et recommandations du rapport, ainsi que des mesures engagées par les autorités libyennes en matière de promotion et la protection des droits de l'homme et de justice transitoire. D'autres ont appelé tant la communauté internationale que le Conseil des droits de l'homme à demeurer saisi de la question. Certaines ont regretté que la Commission n'ait pu faire la lumière sur les actions menées par l'OTAN et ses conséquences sur la population civile libyenne.
Les pays suivants ont participé au débat: Mauritanie (Groupe arabe), Union européenne, France, Mexique, Belgique, Soudan, Indonésie, Italie, Cuba, Qatar, Maldives, Uruguay, Royaume-Uni, Turquie, République tchèque, Chili, brésil, Venezuela, Koweït, Australie, États-Unis et Fédération de Russie.
À la reprise des travaux, lundi matin à 9 heures, le Conseil conclura le débat sur le rapport de la Commission internationale d'enquête ainsi que son débat général sur la promotion et la protection de tous les droits de l'homme. Il examinera ensuite les situations des droits de l'homme en République populaire démocratique de Corée, au Myanmar et en République islamique d'Iran avec les trois experts chargés respectivement de ces questions. Il soit également être saisi du rapport de sa commission d'enquête sur la situation en Syrie.
Examen du rapport de la Commission internationale d'enquête sur la Libye
Présentation du rapport
M. PHILIPPE KIRSCH, Président de la Commission d'enquête internationale sur la Libye établie par le Conseil des droits de l'homme, a constaté que des crimes de guerre ont été commis par les forces de Mouammar Kadhafi, voire des crimes contre l'humanité dans la mesure où de nombreux civils non combattants n'ont pas épargnés dans les centres de détention du régime. Il est établi par ailleurs que les thuwar (militants anti-Kadhafi) ont eux-mêmes exécuté et torturé à mort des loyalistes présumés de Kadhafi, ainsi que des mercenaires présumés. Ces exactions, courantes pendant le conflit, ont perduré par la suite. On est fondé à penser qu'elles se poursuivaient même lors de la visite des membres de la Commission d'enquête. Les victimes étaient soit des combattants désarmés, soit des civils: les crimes commis pendant le conflit sont des crimes de guerre, les crimes commis après le conflit relevant, eux, de la privation arbitraire du droit à la vie.
Par ailleurs, la Commission a établi que les thuwar de Misrata avaient tué, arrêté arbitrairement et torturé des membres de la communauté des Tawerghan, considérés comme loyaux à l'ancien régime et accusés d'avoir commis des crimes contre la population de Misrata. La localité de Tawergha elle-même a été détruite de manière à la rendre inhabitable. Cette destruction s'est accompagnée de meurtres, de tortures et d'exactions assimilables à des crimes de guerre. Compte tenu du caractère systématique de ces actes, il pourrait s'agir de crimes contre l'humanité.
S'agissant de la violence sexuelle, la culture du silence qui prévaut, l'absence de statistiques fiables, l'application manifeste de la torture pour obtenir des aveux et la sensibilité politique de la question font de ce problème l'un des plus difficiles à cerner. Mais il est clair que la violence sexuelle était couramment utilisée par les forces pro-Kadhafi. En ce qui concerne la conduite des hostilités, la Commission a établi que les forces gouvernementales, tout comme les thuwar, avaient pris pour cible de manière indiscriminée les zones habitées, y compris à l'arme lourde. Pour ce qui regarde l'usage de la force par l'Organisation du traité de l'Atlantique nord, celle-ci a mené une campagne militaire ciblée en tâchant d'épargner au maximum la population civile. La Commission n'est pas en mesure d'affirmer toutefois que toutes les précautions ont été prises lorsque des civils ont péri dans des bombardements de l'OTAN.
La Commission considère qu'il est essentiel que les autorités libyennes créent les mécanismes appropriés pour établir les responsabilités des crimes constatés, de sorte que les responsables des méfaits les plus graves n'échappent pas à la justice. La Commission reconnaît toutefois qu'il n'est pas possible de comprendre la situation actuelle sans prendre en compte les dégâts causés à la société libyenne par des décennies de corruption, de violations des droits de l'homme et de répression de toute opposition, ainsi que par la destruction des institutions essentielles au fonctionnement de tout État démocratique.
Les événements récents ont laissé un lourd héritage au pays, en premier lieu la prolifération de milices. Les nouvelles autorités elles-mêmes reconnaissent la fragilité de la situation sécuritaire: la police est faible et la justice, inexistante jusqu'il y a peu, n'a pas les moyens de faire appliquer les mandats d'arrêt. Ces autorités sont préoccupées par la situation et souhaitent améliorer le respect des droits de l'homme. Elles ont commencé à agir en ce sens mais les problèmes persistent. Se pose notamment le problème de l'absence de personnel compétent à la disposition du pouvoir judiciaire. Le Conseil national de transition a nommé un Conseil national des libertés civiques et des droits de l'homme; il a aussi adopté une loi sur la justice de transition, qui devrait aboutir à la création d'une Commission de réconciliation et d'établissement des faits.
La Commission n'a ménagé par ailleurs aucun effort pour éclaircir les conditions de l'arrestation et de la mort de l'ancien dirigeant et de son fils Moutassim, sans pouvoir aboutir à une conclusion incontestable quant aux circonstances exactes de leur décès. La Commission recommande que l'enquête se poursuive à ce sujet.
Parmi ses principales recommandations, la Commission demande au Gouvernement provisoire de tout faire pour traduire en justice les responsables de violations des droits de l'homme. Pour ce faire, il a besoin d'une assistance ciblée. Le Conseil doit maintenant décider ce qu'il convient de faire en matière de suivi des recommandations de la Commission.
Le rapport de la Commission internationale d'enquête sur la Libye figure au document A/HRC/19/68, disponible en anglais et en arabe. Il contient les conclusions des enquêtes menées dans le cadre de son mandat.
Pays concerné
M. WAEL NAJEM, Vice-Ministre de la justice de la Libye, a regretté que le rapport de la Commission d'enquête ne reflète pas la situation des droits de l'homme qui prévalait sous l'ancien régime, qui a impunément tué les Libyens, leur a infligé des souffrances indescriptibles durant plus de quatre décennies et érigé des potences dans les enceintes universitaires et sur la place publique. Dans la prison d'Abou Salim, 1270 jeunes ont été tués en un seul jour, en 1996 déjà; les massacres se sont intensifiés en 2011 après que le peuple libyen tout entier se soit soulevé dans des manifestations pacifiques. L'ancien régime a procédé à des viols massifs et systématiques et à des exécutions sommaires, créant un climat de chaos et mettant le pays à feu et à sang. Le Vice-Ministre a réaffirmé que tous les présumés coupables seront jugés dans le cadre de procès justes et équitables.
Malheureusement, la Commission d'enquête ne met pas assez l'accent sur les raisons profondes qui dressent encore certaines franges de la population les unes contre les autres, notamment à Misrata: il s'agit souvent d'anciennes querelles ravivées par le conflit, dont ile ne faut pas se préoccuper outre mesure. Des solutions seront progressivement trouvées à ces problèmes dans les mois à venir, a assuré M. Najem. Le Vice-Ministre a catégoriquement condamné les individus ou groupes coupables d'actes de vengeance et de torture. D'autre part, la Libye est un pays africain: il respecte donc les personnes d'origine subsaharienne vivant sur son sol. Par contre, les personnes qui ont soutenu la campagne militaire de l'ancien régime et qui ont commis des atrocités contre des civils devront rendre compte de leurs actes lors de procès équitables.
Le Vice-Ministre a souligné le sérieux des mesures législatives et juridiques prises par le Conseil national de transition. Le pays a ainsi adoptée une nouvelle Constitution fondée sur le respect et l'application des droits de l'homme, conformément aux obligations de la Libye en vertu des instruments internationaux auxquels elle est partie. Un Institut national des droits de l'homme a été créé. M. Najem a demandé aux États qui accueillent des personnalités et partisans de l'ancien régime de les extrader. Elles seront traitées correctement et auront droit à des procès équitables, a assuré le Vice-Ministre. Ces États sont aussi priés d'assurer le rapatriement des biens et avoirs des partisans de l'ancien régime, ressources qui serviront, durant cette délicate phase de transition, au bien-être de tout le peuple libyen. Le Vice-Ministre a assuré que son Gouvernement entend garantir aux Libyens et Libyennes la jouissance de tous leurs droits, y compris le droit à réparations.
Débat interactif
Au cours des échanges, de nombreuses délégations se sont félicitées des conclusions du rapport et des recommandations qu'il contient. S'agissant des actions à mener par le Conseil et la communauté internationale pour aider les nouvelles autorités libyennes, certaines délégations ont souligné le rôle de l'assistance technique et le renforcement des capacités. Pour la France, après quarante-deux ans de dictature, la culture de la démocratie et des droits de l'homme ne sera certes pas facile à instaurer. Aussi, la communauté internationale doit-elle créer un mécanisme de suivi pour aider le gouvernement à appliquer les recommandations de la Commission. Le Conseil doit également identifier le moyen le plus approprié pour donner suite aux recommandations de sa Commission d'enquête et appuyer les processus sur le terrain, a plaidé le Mexique. Du point de vue de l'Indonésie, la communauté internationale doit adopter une démarche globale et à long terme, visant la satisfaction des besoins du peuple libyen, y compris en matière de réconciliation et de justice.
La délégation des États-Unis se félicite des recommandations de la Commission et appelle à leur mise en œuvre dans le cadre de l'édification d'une Libye nouvelle où les droits de l'homme, la responsabilité et l'état de droit sont respectés. Les États-Unis appellent les autorités à ouvrir des enquêtes sur les violations des droits de l'homme. Ils soutiennent la fourniture d'une assistance technique et de conseils par le Haut-Commissariat, en vue de la mise sur pied de la justice transitionnelle et pour répondre aux recommandations de la Commission.
D'autres délégations ont exprimé leur vive préoccupation s'agissant de certaines conclusions du rapport, à savoir les violations des droits de l'homme qui se poursuivent et les crimes commis par les partisans de Kadhafi. Pour l'Union européenne, les crimes commis par ces derniers méritent des enquêtes complémentaires, les nouvelles autorités libyennes devant pour leur part tenir leurs engagements s'agissant des exactions qui se poursuivent aujourd'hui encore. En tout état de cause, ont souligné les délégations, la lutte contre l'impunité est une priorité pour l'instauration d'un état de droit en Libye.
Pour la Belgique et le Royaume-Uni, il faudra faire preuve de vigilance en matière de réalisation des droits civils et politiques. L'un des critères d'appréciation à cet égard sera le respect des droits des minorités et des femmes. Pour aider la Libye, le Haut-Commissaire devra présenter des rapports intérimaires sur la situation des droits de l'homme, a ajouté le représentant de la Belgique. Le Soudan a demandé des éclaircissement sur la méthode qui a conduit la Commission à déterminer la nationalité soudanaise des combattant qualifiés de «mercenaires» et ayant combattu avec les forces de Kadhafi.
Le Turquie a souligné que les progrès de la Libye ne seront guère aisés après plus de quarante ans de tyrannie. Elle s'attend toutefois à ce que les élections prévues en juin 2012 se fassent de manière juste et libre, et qu'elles marqueront un progrès dans la transition actuelle. La Turquie s'est engagée à hauteur de 300 millions de dollars dans l'assistance humanitaire aux nouvelles autorités. Le Koweït a dit prier pour le repos des âmes des martyrs, indiquant que son pays était disposé à apporter son assistance dans la reconstruction de la Libye. Le représentant a appelé les autorités à prendre les mesures nécessaires contre la prolifération des armes dans tout le pays.
La Mauritanie, au nom du Groupe arabe, et le Qatar ont salué les mesures initiées par les autorités libyennes en matière de promotion et la protection des droits de l'homme, notamment l'adoption de la loi sur la promotion de la justice transitoire. Le Royaume-Uni s'est dit satisfait des conclusions du rapport indiquant que l'OTAN n'a pas délibérément attaqué de civils. La République tchèque salue l'engagement des nouvelles autorités en faveur de la mise sur pied d'un système de justice transitoire. Le Chili a fait part de la préoccupation de son pays face à la situation de nombreux ressortissants de pays tiers, notamment de migrants d'Afrique subsaharienne, de réfugiés, de demandeurs d'asile qui sont exposés à des abus et violations de leurs droits.
La représentante de l'Australie a rappelé que son pays avait soutenu l'action internationale visant à assister le peuple libyen dans son combat démocratique. Elle reconnaît que la transition actuelle sera délicate et qu'elle exigera patience et détermination. Elle se tient aux côtés de la communauté internationale dans son appui indéfectible à la transition de la Libye vers une société libre et stable respectant les droits fondamentaux.
La Fédération de Russie, tout en reconnaissant la difficulté de sa tâche, considère comme insuffisamment équilibrés les constats de la Commission sur l'action militaire de l'OTAN. Plusieurs «bavures» ne sont même pas mentionnées dans le rapport: on peut donc douter de la justesse de l'expression utilisée par la Commission pour décrire les bombardements de l'Alliance atlantique - «campagne très précise». La Russie est aussi perplexe quant aux commentaires prudents de la Commission sur la mort de Mouammar Kadhafi, alors que les images de son lynchage ont fait le tour du monde. Néanmoins, la Fédération de Russie considère que la poursuite des travaux de la Commission serait utile. Elle a souhaité que la Commission enquête sur les cas de disparitions d'étrangers, en particulier de celle de deux ressortissants russes.
Le Brésil a rappelé que sa délégation avait soulevé des questions sur la mise en œuvre de la résolution 1973 du Conseil de sécurité, le mandat originel visant à protéger les civils s'étant mué en intervention militaire et en guerre civile. Le Conseil de sécurité n'a pas exercé pleinement son rôle de contrôle de l'application de la résolution dans les limites du mandat fixé, regrette le Brésil.
Le Venezuela craint un retour aux politiques bellicistes du passé. Il dénonce les dépenses astronomiques de certaines puissances pour fomenter des guerres au nom des droits de l'homme. Pour sa part, Cuba a rappelé avoir condamné dès le départ l'agression de l'OTAN – ce qu'il continue de faire: cette intervention n'a jamais eu pour but de protéger les civils, mais bien de faire main-basse sur les richesses libyennes.
Conclusion du Président de la Commission internationale d'enquête
M. KIRSCH a jugé très encourageantes les déclarations du Vice-Ministre de la justice et salué ses engagements quant à la responsabilité des auteurs et au droit à un procès équitable. Le premier rapport était consacré dans une très large mesure à l'histoire de l'époque Kadhafi, alors que ce rapport final se concentre sur les violations présumées durant la période révolutionnaire. Les recommandations ont été formulées d'abord au Gouvernement libyen, qui, par la force des choses, en est le premier destinataire puisqu'il s'agit d'un État souverain. Certaines recommandations exigeront une assistance extérieure, notamment pour la reconstruction du système judiciaire. À titre d'exemple, M. Kirsch a souligné que tous les ministères avaient sollicité une assistance en matière de formation.
Le Président de la Commission internationale d'enquête a formé le vœu que l'action des Nations Unies soit pleinement coordonnée pour garantir l'efficacité de ses interventions auprès de la Libye. Le Conseil des droits de l'homme devra, quant à lui, demeurer saisi de la question et agir d'une manière suivie. La Commission n'a pas à intervenir dans les choix du Conseil sur les mécanismes qu'il entend établir pour ce faire. Parmi les autres priorités, il faut assurer la remise en liberté de toute personne détenue qui n'a pas été inculpée. Enfin, la Commission n'a pas constaté la présence de mercenaires en Libye mais des combattants étrangers recrutés par les forces libyennes. Pour l'instant la Commission, qui travaille dans la confidentialité, ne peut divulguer ses sources, dont plusieurs ont fait état de combattants soudanais sur le sol libyen, a-t-il expliqué en réponse à la question du Soudan.
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HRC12/028F