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LE CONSEIL DES DROITS DE L'HOMME SE PENCHE SUR LA PROTECTION DES DROITS DE L'HOMME DANS LE CONTEXTE DES MANIFESTATIONS PACIFIQUES

Compte rendu de séance
Il entend dans ce cadre le Président des Maldives, qui témoigne de sa propre expérience à cet égard

Le Conseil des droits de l'homme a tenu cet après midi une réunion-débat sur la promotion et la protection des droits de l'homme dans le contexte de manifestations pacifiques. Dans ce cadre, il a entendu plusieurs experts qui se sont exprimés sur la question, en particulier le Président des Maldives, M. Mohamed Nasheed, qui a déclaré que c'était «plutôt en tant que contestataire» qu'il s'adressait au Conseil.

«Je me tiens devant vous, a déclaré le Président maldivien, comme une personne qui a passé l'essentiel de sa vie d'adulte à s'insurger contre les dirigeants qui mettent en avant leur intérêt personnel au détriment de celui de leur population, contre les dirigeants en quête du pouvoir pour le pouvoir». Cela lui a valu d'être arrêté et emprisonné lors de manifestations pour avoir exigé que les choses changent. Désormais, il n'est plus possible d'écraser les protestations dans l'œuf, a observé le Président. Les gouvernants n'ont plus d'autre option que d'entendre les doléances du peuple: aujourd'hui, la seule manière acceptable de gouverner est de le faire avec la confiance et le consentement des gouvernés.

Les panélistes pour la réunion-débat de cet après-midi étaient M. Maina Kiai, Rapporteur spécial sur le droit de réunion et d'association pacifiques; M. Santiago Canton, Secrétaire exécutif de la Commission interaméricaine des droits de l'homme; M. Michael Hamilton, Secrétaire du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l'homme de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe; Mme Lake Tee Khaw, Vice-présidente de la Commission des droits de l'homme de la Malaisie; et M. Bahey El-Din Hassan, directeur du Cairo Institute for Human Rights Studies.

Ouvrant les débats, Mme Kyung-Wha Kang, Haut-Commissaire adjointe des Nations Unies aux droits de l'homme, a déploré que, trop souvent, les manifestations pacifiques sont brutalement réprimées par des exécutions sommaires et extrajudiciaires, des détentions arbitraires ou des actes de torture. Or, le recours à la force contre des manifestants pacifiques est illégal et incompatible avec le principe du droit à la vie. Les gouvernements devraient, au contraire, engager un dialogue avec les manifestants et écouter leurs revendications, surtout lorsque ces derniers réclament, légitimement, que l'État les protège et se mette à leur service.

M. Kiai a déclaré que ses vingt-cinq années d'expérience en tant que défenseur des droits de l'homme, au Kenya et à l'échelle internationale, lui ont permis de constater le caractère fondamental du droit de chacun d'exprimer ses griefs ou ses aspirations au changement, y compris politique, par des manifestations pacifiques et d'autres moyens non violents. Ce droit est au cœur de toute société démocratique: c'est par son biais que les citoyens ordinaires peuvent, de manière pacifique, influencer et alerter les Gouvernements. Pour sa part, M. Canton a estimé que les gouvernements ne doivent pas adopter de mesures arbitraires mais, au contraire, des mesures positives en vue de faciliter le plein exercice du droit de manifester pacifiquement, y compris en prenant les mesures nécessaires pour que les manifestants ne soient pas victimes d'actes de violence.

M. Hamilton a indiqué que son Bureau avait publié des «lignes directrices sur la liberté de rassemblement pacifique», reconnaissant toutefois que la difficulté consistait à traduire ces principes sur le terrain. Il a recommandé au Conseil d'établir et de promouvoir un réseau de partenaires internationaux et régionaux qui se réuniraient régulièrement pour discuter des défis et partager les meilleures pratiques dans le domaine de la liberté d'assemblée. Mme Khaw a indiqué que la Commission des droits de l'homme de la Malaisie a été chargée d'enquêter sur les allégations d'atteintes aux droits de l'homme et d'usage excessif de la force par la police, et de faire des recommandations aussi bien aux autorités qu'aux organisateurs de manifestations.

M. Hassan a enfin observé que les mouvements qui ont délogé les dictatures arabes ont fait plus pour la lutte contre Al-Qaida que la mort d'Oussama Ben Laden ou les milliards de dollars employés dans la lutte antiterroriste. M. Hassan a également déclaré que des preuves existent des crimes contre l'humanité commis par les forces de sécurité du Bahreïn et du Yémen: il a regretté qu'elles soient délibérément ignorées.

Au cours du débat, les délégations qui ont pris la parole sont toutes convenues de l'importance de permettre à la population de s'exprimer pacifiquement dans la rue, certaines insistant toutefois plus que d'autres sur les nécessaires limitations à cette liberté. Pour plusieurs délégations, toute restriction à l'exercice de la liberté fondamentale de manifester doit être prévue par la loi et respecter le principe de proportionnalité: les restrictions doivent être réduites au strict minimum.

Les délégations des pays suivants ont pris part aux débats: Suisse, Égypte (au nom du Groupe arabe), Chine, Union européenne, Fédération de Russie, Brésil, Sénégal (au nom du Groupe africain), Costa Rica, Indonésie, Australie (au nom également du Canada et de la Nouvelle-Zélande), Turquie, Nigéria, Palestine, États-Unis, Norvège, Cuba, Thaïlande et Royaume-Uni. Les organisations non gouvernementales suivantes ont aussi fait des déclarations: Forum asiatique pour les droits de l'homme et le développement, Fédération internationale des Ligues de droits de l'homme et Press Emblem Campaign.

Demain à 10 heures, le Conseil examinera les rapports du Représentant spécial sur les formes contemporaines d'esclavage et du Rapporteur spécial sur les conséquences néfastes des mouvements et déversements illicites de produits et déchets toxiques et nocifs pour la jouissance des droits de l'homme.


Réunion-débat consacrée à la promotion et à la protection des droits de l'homme dans le contexte de manifestations pacifiques

Présentation

MME KYUNG-WHA KANG, Haut-Commissaire adjointe des Nations Unies aux droits de l'homme, a déclaré que ce débat se tenait avec, en toile de fond, le tournant historique des événements des dix derniers mois écoulés, au cours desquels des femmes et des hommes courageux sont descendus dans les rues de plusieurs pays du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord, ainsi que dans d'autres régions, guidés par le désir profond du respect de leurs droits fondamentaux. Ces personnes aspiraient à s'exprimer librement, à se rassembler et à s'associer de manière pacifique, ainsi qu'à participer aux affaires publiques qui affectent leurs existences, sans crainte ni représailles. Or, trop souvent, ces manifestations pacifiques ont été brutalement réprimées par des exécutions sommaires, extrajudiciaires ou arbitraires, des détentions arbitraires, des disparitions forcées, des actes de torture ou des traitements cruels, inhumains ou dégradants. Ces violations des droits de l'homme ont été dénoncées par la Haut-Commissaire dans ses rapports et ses déclarations sur la situation des droits de l'homme dans un certain nombre de pays, notamment au Bahreïn, au Bélarus, en Côte d'Ivoire, dans la République islamique d'Iran, en Égypte, dans la Jamahiriya arabe libyenne, au Malawi, dans la République arabe syrienne, en Tunisie et au Yémen. La Haut-Commissaire adjointe a ajouté que, lors de manifestations pacifiques, il est du devoir des États de promouvoir et de protéger les droits de l'homme, et de veiller à la prévention de violations de ces droits. Ainsi, le recours à la force contre des manifestants pacifiques est-il illégal et incompatible avec le principe du droit à la vie; il exacerbe les tensions et donne lieu à une culture de la violence. Les gouvernements devraient, au contraire, engager un dialogue avec les manifestants et écouter leurs revendications, surtout lorsque ces derniers réclament, légitimement, que l'État les protège et se mette à leur service.

Témoignage de l'intérêt qu'il porte à cette question, le Conseil des droits de l'homme a adopté sa résolution 15/21, par laquelle il appelle les États à respecter et à protéger les droits de tous les individus à la réunion pacifique et à la libre association, y compris dans le contexte d'élections, et notamment les droits des personnes appartenant à une minorité ou ayant des opinions ou des convictions différentes, les défenseurs des droits de l'homme, les syndicalistes et d'autres encore, tels les migrants, qui cherchent à exercer ces droits. Les États sont également invités à prendre les mesures nécessaires pour que les restrictions qu'ils apportent au libre exercice des droits et libertés fondamentaux au rassemblement et à l'association pacifiques soient conformes à leurs obligations en vertu du droit international. La Haut-Commissaire adjointe a ajouté que le Conseil avait, ultérieurement, créé le mandat du Rapporteur spécial sur le droit au rassemblement et à l'association pacifiques. D'autres mécanismes des droits de l'homme de l'ONU, les organisations et traités régionaux, les institutions nationales des droits de l'homme et les organisations non gouvernementales jouent également un rôle dans la promotion et la protection des droits de l'homme dans le contexte de manifestations pacifiques, ainsi que dans la prévention et la réponse aux atteintes à ces droits, a affirmé Mme Kang, qui s'est félicitée de la présence de tous ces acteurs dans la salle.

Déclaration liminaire

M. MOHAMED NASHEED, Président des Maldives, a déclaré que s'il avait été invité à titre de chef d'État, c'était plutôt en tant que contestataire qu'il s'adressait au Conseil. «Je me tiens devant vous, a-t-il dit, comme une personne qui a passé l'essentiel de sa vie d'adulte à s'insurger contre les dirigeants qui mettent en avant leur intérêt personnel au détriment de celui de leur population, contre les dirigeants en quête du pouvoir pour le pouvoir». Cela lui a valu d'être arrêté et emprisonné lors de manifestations pour avoir exigé que les choses changent, a-t-il expliqué. M. Nasheed a ajouté qu'il s'exprimait aujourd'hui en solidarité avec le Tunisien Mohamed Bouazizi, avec les Égyptiens Asmaa Mahfouz et Wael Ghonim, avec le Libyen Fathi Terbil et avec les milliers de personnes descendues dans la rue dans le monde musulman, ces derniers mois, inspirant des manifestations qui ont changé le cours de l'histoire. La portée géopolitique de ces événements est comparable à la chute du mur de Berlin: l'année 2011 sera vue par les historiens comme un tournant dans les manifestations de protestation, un moment de basculement où l'équilibre du pouvoir est passé de manière irréversible de l'État à la rue.

La mondialisation a apporté de nombreux changements, certains positifs, d'autres négatifs. L'un des plus importants a été la démocratisation de l'information: l'utilisation de l'internet, Facebook, des téléphones mobiles pour échapper au garrot que l'État impose aux médias. Dans le passé, les faits et les vérités pouvaient être fabriqués et contrôlés par une poignée de personnes. Aujourd'hui, ils peuvent être découverts et appris par tout un chacun. Les manifestations de cette année montrent que le pouvoir des États de contrôler l'information a été brisé pour toujours. Ceux d'entre nous qui croient en la liberté de l'individu devraient s'en réjouir parce que cela change tout simplement les règles du jeu. Désormais, il n'est plus possible d'écraser les protestations dans l'œuf. Les gouvernants n'ont plus d'autre option que d'entendre les doléances du peuple: aujourd'hui, la seule manière acceptable de gouverner est de le faire avec la confiance et le consentement des gouvernés.

Il est dommage que les gouvernements de la Libye puis de la Syrie aient choisi de nier ce fait, a regretté le Président Nasheed. Celui-ci a rappelé qu'il y a huit ans, le peuple des Maldives avait lancé un mouvement de protestation, comparable à ceux auxquels on assiste cette année, et qui avait changé le cours de l'histoire de l'archipel. La consolidation de la démocratie aux Maldives ne s'est pas conclue avec les élections de 2008, qui ont permis un changement de gouvernement, mais elle a plutôt commencé cette année-là. Bien que la transition de chaque pays soit différente, il est possible d'identifier des défis communs. L'un d'entre eux est d'établir et de renforcer des institutions indépendantes afin que la démocratie et les droits de l'homme soient garantis indépendamment du pouvoir en place. Un deuxième défi est celui de la justice transitionnelle et de la réconciliation: comment gérer le passé sans compromettre l'avenir? S'il ne fait aucun doute que de graves violations des droits de l'homme ont été commises aux Maldives et que les victimes méritent justice, on doit néanmoins tracer une limite très claire entre réconciliation et vengeance. Pour aller de l'avant, la quête de vérité et de justice doit être placée dans le cadre global de la réconciliation nationale, a affirmé le Président: «Il faut regarder devant, pas en arrière». Le troisième défi consiste dans la reconstruction du tissu économique national, le développement étant la condition nécessaire à la démocratie.

Les manifestations pacifiques ne doivent pas être vues comme une menace mais plutôt comme une chance d'entendre la voix du peuple, a conclu M. Nasheed, estimant que ceux qui n'accepteraient pas ce fait étaient condamnés à disparaître.

Panélistes

M. MAINA KIAI, Rapporteur spécial sur le droit de réunion et d'association pacifiques, a indiqué avoir été mandaté par le Conseil pour étudier des tendances, des évolutions et des défis, et pour faire des analyses et formuler des recommandations sur ces questions. La création de son mandat en octobre 2010 est venue à point nommé, à la lumière des récents événements survenus au Moyen-Orient, en Afrique du Nord et dans d'autres régions, a observé le Rapporteur spécial. Depuis sa prise de fonction en mai 2011, M. Kiai a d'ores et déjà été saisi de quarante communications alléguant de violations des droits de l'homme dans le contexte de manifestations pacifiques dans vingt États, ce qui démontre, s'il le faut, l'urgence d'une telle question. Le Rapporteur spécial a affirmé qu'il considérait ces communications comme le moyen d'établir un dialogue constructif sur ces questions pressantes tant avec les États qu'avec d'autres parties prenantes.

M. Kiai a déclaré que ses vingt-cinq années d'expérience en tant que défenseur des droits de l'homme, au Kenya et à l'échelle internationale, lui ont permis de constater le caractère fondamental du droit de chacun d'exprimer ses griefs ou ses aspirations au changement, y compris politique, par des manifestations pacifiques et d'autres moyens non violents. Ce droit est au cœur de toute société démocratique: c'est par son biais que les citoyens ordinaires peuvent – pacifiquement – influencer et alerter les Gouvernements. Qui plus est, la participation à des manifestations pacifiques est une alternative à la violence et à la force armée en tant que moyens d'expression et de changement. C'est pourquoi le droit de manifester de manière pacifique doit être protégé résolument.

Énumérant les principales obligations des États, soit la nécessité de s'abstenir de commettre des violations des droits par l'usage excessif de la force; protéger les individus exerçant ces droits; et prendre des mesures de prévention de toute violation, le Rapporteur spécial a rappelé que les organes conventionnels, notamment le Comité des droits de l'homme, émettent déjà des recommandations à ce sujet aux États parties. Toutefois, il demeure que le droit à la liberté d'assemblée, d'expression et d'association peut être limité dans les strictes limites de la loi et dans le cadre des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sauvegarde de la sécurité nationale ou de la sûreté publique, de l'ordre public, de la protection de la santé publique ou encore à la protection des droits et libertés d'autrui. Le Rapporteur spécial a précisé que ces restrictions devaient être proportionnelles à l'objectif recherché. Les gouvernements ont aussi la possibilité de limiter ce droit en cas d'état d'urgence. Par contre, les États sont tenus de garantir, dans le contexte des manifestations pacifiques, d'autres droits tels que le droit à la vie et le droit à ne pas subir d'actes de torture ou de traitement cruel, inhumain ou dégradant. Le Rapporteur spécial a, par ailleurs, constaté l'utilisation d'Internet et d'autres moyens d'information et de communication – y compris les téléphones mobiles – en tant qu'outils à la disposition des citoyens pour organiser des manifestations et des assemblées pacifiques. Dans certains cas, des États ont tenté de couper l'accès à ces moyens technologique. À cet égard, le Rapporteur spécial a renvoyé au rapport du Rapporteur spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté d'opinion et d'expression (A/HRC/17/27, à paraître en français). Dans ses recommandations, M. Kiai suggère aux États de s'inspirer des directives de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe relatives à la liberté d'assemblée pacifique; il recommande en outre aux États de favoriser l'accès de tous les individus à Internet et aux médias sociaux, avec le moins de restrictions possible.

M. SANTIAGO CANTON, Secrétaire exécutif de la Commission interaméricaine des droits de l'homme, a déclaré que le droit de participer à une manifestation pacifique est un outil essentiel pour la protection des droits de l'homme et de la démocratie. Toute personne a le droit de participer à une manifestation pacifique, les États ayant la responsabilité de veiller à ce que personne ne soit empêché de le faire, a ajouté M. Canton. En particulier, les gouvernements ne doivent pas adopter de mesures arbitraires mais, au contraire, des mesures positives en vue de faciliter le plein exercice de ce droit, y compris en prenant des mesures de protection pour que les manifestants ne soient pas victimes d'actes de violence de la part d'autres personnes. La Commission considère, par ailleurs, que les États ont le devoir d'autoriser l'exercice de ce droit, dès lors que les autorités administratives sont informées. Ils doivent, en outre, enquêter en cas de violation des droits des manifestants ou d'actes de violence commis contre eux, surtout s'ils sont commis par des agents étatiques. De plus, le droit de réunion pacifique exige que les manifestants puissent se réunir dans des conditions satisfaisantes. La Commission estime, à cet égard, que les États doivent réglementer l'espace public et s'abstenir d'imposer des restrictions excessives qui empêcheraient la jouissance de ce droit. Dans ce cadre, la Commission a jugé excessive une loi qui exige l'obtention d'un permis de police dix jours avant l'organisation d'une manifestation: les règles concernant les préavis ne doivent avoir d'autre objet que d'informer les autorités, et non de perturber le déroulement de manifestations.

M. Canton a estimé que le droit de tenir des manifestations publiques ne peut être limité que dans le but de protéger les manifestants d'un risque imminent ou pour garantir leur sécurité; et ce, après que d'autres mesures aient été envisagées, par exemple un changement de modalités ou de date de la manifestation. De plus, les États doivent veiller à ce que les forces de police reçoivent un entrainement professionnel adéquat, leur permettant de gérer des situations impliquant une forte concentration de personnes. Les États doivent en outre fournir aux forces de police non seulement un équipement, des appareils de communication et des véhicules, mais aussi des instructions claires: à savoir que leur travail est de protéger les manifestants et de respecter le droit à la vie. Dans ce contexte, M. Canton a indiqué que son rapport contient une série de recommandations que devraient appliquer les États visant l'utilisation exceptionnelle des forces de police dans les manifestations. La Commission considère, par ailleurs, que lorsqu'il devient nécessaire d'imposer des restrictions à la liberté de manifester, les États doivent mener une analyse minutieuse de l'intérêt de restreindre de droit. En conclusion, M. Canton s'est déclaré préoccupé par l'usage intensif de lois pénales contre des manifestants, accusés de perturber l'ordre public ou même de commettre des crimes, alors que ceux-ci ne font rien d'autre que de réclamer des droits.

M. MICHAEL HAMILTON, Secrétaire du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l'homme de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), a expliqué que l'OSCE a décidé de placer la liberté de rassemblement en tête de son ordre du jour suite à la détérioration de la situation dans un certain nombre d'États membres: arrestations arbitraires, harcèlement d'organisateurs de manifestations, recours excessif à la force par les forces de l'ordre pour disperser des rassemblements pacifiques et impact négatif sur la liberté de rassemblement des lois antiterroristes. De manière plus subtile, c'est souvent le cadre législatif relatif à la réglementation de la liberté de rassemblement qui entraîne une protection inappropriée des droits, a-t-il constaté. Face à cette situation, un panel d'experts sur la liberté de rassemblement a été créé en 2004 au sein de l'OSCE. Il comprend actuellement dix universitaires et praticiens représentant les régions couvertes par l'Organisation, aucun de ces membres n'apparaissant toutefois en tant que représentant d'une institution quelconque. Leur mandat est de quatre ans.

Leur premier rôle consiste à recueillir des informations sur les tendances et derniers développements liés à la protection de la liberté de rassemblement. Il s'agit aussi d'aider les États à s'assurer que leur législation et leurs pratiques cadrent avec leurs engagements en tant que membres de l'OSCE et avec les critères internationaux. À cette fin, ont été publiées, en anglais et en russe, des «lignes directrices sur la liberté de rassemblement pacifique». Ce document, dont la deuxième édition vient de sortir, donne des exemples de bonnes pratiques mises en œuvre par les États. La difficulté consiste à traduire ces principes et exemples sur le terrain, a reconnu M. Hamilton. Il a relevé que ce document avait inspiré un certain nombre de réformes non seulement dans plusieurs pays en transition mais aussi dans des démocraties plus enracinées. Il constitue un outil utile pour le législateur, ainsi que pour les avocats et les magistrats, contribuant positivement, on peut l'espérer, à l'élargissement de la jurisprudence dans ce domaine.

Le but de toute législation spécifique doit être de faciliter la jouissance du droit d'assemblée. Les États doivent éviter de créer un système bureaucratique de règles excessivement contraignantes. Il est aussi souhaitable que les organisateurs d'une manifestation informent les autorités de leur intention; par contre, il ne doit pas être nécessaire de déposer une demande d'autorisation en tant que telle. En conclusion, M. Hamilton a souligné le rôle crucial de la présence systématique, lors de rassemblements publics, d'organisations non gouvernementales et de défenseurs des droits de l'homme jouant le rôle de témoins des événements. Dans ses recommandations au Conseil, M. Hamilton a estimé utile d'établir et de promouvoir un réseau de partenaires internationaux et régionaux qui se réuniraient régulièrement pour discuter des défis et partager les meilleures pratiques dans le domaine de la liberté de rassemblement.

MME LAKE TEE KHAW, Vice-présidente de SUHAKAM, Commission des droits de l'homme de la Malaisie, a présenté un témoignage sur les circonstances qui ont conduit à la manifestation du 9 juillet 2011, conjointement organisée avec la Coalition pour des élections justes et propres. Cette manifestation publique était organisée à Kuala Lumpur en faveur de la tenue d'un scrutin national transparent. Il s'agissait de la deuxième manifestation organisée par la Coalition, après celle du 10 novembre 2007. Mme Khaw a indiqué que c'est dans ce contexte qu'elle a été invitée à prendre la parole avant, durant et après la manifestation du 9 juillet et de formuler des recommandations. Entre le 26 mai et le 7 juillet, le Gouvernement et la police ont fait plusieurs déclarations annonçant que le rassemblement ne serait pas autorisé. Le 28 juin, SUHAKAM publiait un communiqué de presse appelant les autorités à autoriser la manifestation et rappelant aux organisateurs la nécessité d'exercer leurs droits d'une manière pacifique et responsable. La Commission a également adressé une lettre formelle à l'Inspecteur général des services de police, lui demandant d'autoriser cette assemblée pacifique. L'adjoint de l'Inspecteur a répondu que les autorités campaient sur leur position. C'est alors que le Roi est intervenu, par le biais d'un communiqué demandant une résolution pacifique de ce problème, tandis que le Premier ministre déclarait que le Gouvernement était disposé à fournir un stade pour la tenue de la manifestation. SUHAKAM a ensuite joué un rôle de médiateur entre les organisateurs et la police. Finalement, le rassemblement a eu lieu dans plusieurs points au centre de Kuala Lumpur. À cette occasion, la police a procédé à 1667 arrestations. SUHAKAM a été chargée d'enquêter sur les allégations d'atteintes aux droits de l'homme et d'usage excessif de la force par la police et de faire des recommandations aussi bien aux autorités qu'aux organisateurs de la manifestation.

M. BAHEY ELDIN HASSAN, Directeur du Cairo Institute for Human Rights Studies, a observé que les mouvements qui ont délogé les dictatures arabes ont fait plus pour la lutte contre Al-Qaida que la mort d'Oussama Ben Laden ou les milliards de dollars employés dans la lutte antiterroriste. M. Hassan a accusé les États arabes d'avoir, depuis décembre 2010, abondamment eu recours à la violence, y compris les exécutions extrajudiciaires, les arrestations, la torture ou la disparition forcée, en guise de réponse aux manifestations pacifiques. Dans certains cas, a-t-il ajouté, des tireurs ont été postés sur les toits d'écoles ou d'universités pour tirer sur des manifestants. Plusieurs personnes, dont des enfants, ont été torturées, mutilées ou jugées devant des tribunaux d'exception, au mépris des règles existantes. Des mercenaires ou des milices ont aussi été déployés, notamment en Libye, en Égypte, en Syrie ou au Yémen. Les graves violences auxquelles nous avons assisté sont profondément ancrées dans la culture d'impunité qui structure les pays du Moyen-Orient, a ajouté l'expert, accusant les puissances occidentales de favoriser cette culture. La partialité et l'ambigüité qui caractérisent les réactions de la communauté internationale, soit la Ligue arabe, l'Organisation de la Conférence islamique, l'Union européenne et les États-Unis, aboutiront à un accroissement de ces violences, a mis en garde l'intervenant.

M. Hassan a également déclaré que des preuves existent des crimes contre l'humanité commis par les forces de sécurité du Bahreïn et du Yémen: il a regretté qu'elles soient délibérément ignorées. Les cas de la Libye et de la Syrie ont reçu des réponses différentes de la part de la communauté internationale: cette réalité inacceptable appelle à la recherche de solutions globales au problème de la répression des manifestations pacifiques: la communauté internationale doit réfléchir à la mise en place d'un cadre global, avec des principes directeurs et des politiques que devront appliquer tous les gouvernements confrontés à des manifestations. Le Conseil des droits de l'homme doit adopter, pour sa part, une déclaration sur les principes et lignes directrices pour la promotion et la protection des droits de l'homme dans le contexte de manifestations pacifiques, qui serait adoptée par l'Assemblée générale, a plaidé M. Hassan. Ce dernier a dédié son intervention aux défenseurs des droits de l'homme qui se sont sacrifiés dans les manifestations de ces derniers mois.

Débat

Les délégations qui ont pris la parole sont toutes convenues de l'importance de permettre à la population de s'exprimer pacifiquement dans la rue, certaines insistant toutefois plus que d'autres sur les nécessaires limitations à cette liberté. Mais pour la Suisse par exemple, toute restriction à l'exercice de la liberté fondamentale de manifester doit être prévue par la loi et respecter le principe de proportionnalité: les restrictions doivent être réduites au plus strict minimum, a déclaré le représentant.

Quant à la Chine (au nom d'une trentaine de pays), elle a souligné que tout un chacun avait le droit de s'exprimer et de se rassembler, même si celui-ci peut être encadré par un certain nombre de limitations légales. Si les gouvernements doivent être à l'écoute des populations, l'État se doit aussi d'assurer l'ordre. Les événements récents montrent que certaines manifestations pacifiques peuvent dégénérer. Pour les autorités, la question est de savoir comment empêcher les contestataires de violer les droits de l'homme et comment réagir de manière proportionnée, a relevé le représentant chinois. Ce dernier a noté aussi l'utilisation à mauvais escient des réseaux sociaux peut s'avérer problématique, en entraînant une vague de criminalité par exemple.

Le représentant de la Fédération de Russie a estimé que l'État devait chercher de nouveaux moyens d'être en interaction avec la société et d'entendre la voix du peuple. Toutefois, toute manifestation n'est pas nécessairement révélatrice de la volonté populaire – c'est même parfois le contraire, a-t-il observé. Ce genre d'événements peut parfois entraîner des pogromes et l'anarchie, a-t-il mis en garde. La liberté de parole et d'assemblée ne doit pas entraîner de tels actes. Le Sénégal (au nom du Groupe africain) a souligné que les droits de l'homme et les libertés fondamentales devaient être respectés en toute circonstance, particulièrement s'agissant des jeunes et des femmes, en raison de leur vulnérabilité. Il convient néanmoins de faire preuve de vigilance afin d'empêcher des fauteurs de trouble de semer la perturbation. Le Nigéria a souligné qu'il était nécessaire de distinguer entre les groupes adeptes de la violence, du désordre et de la criminalité, voire du terrorisme, et ceux en quête de changement populaire au travers de protestations pacifiques. Estimant légitimes certaines limitations imposées par la menace terroriste, la Turquie a cependant jugé que l'usage de pouvoirs discrétionnaires, hors de tout contrôle, par les forces de sécurité ne se justifie jamais.

À l'instar de plusieurs délégations, dont celles du Brésil et de l'Australie (au nom également du Canada et de la Nouvelle-Zélande), l'importance de la formation des forces de l'ordre et de leur encadrement a été soulignée. Il est en outre essentiel que des canaux de communication soient établis entre les autorités et les organisateurs. La Thaïlande a suggéré, dans ce même ordre d'idées, que les lois nationales soient assorties de filets de sécurité contre les abus des deux côtés. Cela pourrait se faire en établissant une autorité indépendante chargée de la reddition de comptes, a proposé ce pays, en recommandant également un partage des responsabilités et des mécanismes de contrepoids entre les branches administrative, législative et judiciaire du gouvernement.

Avec la flambée de manifestations populaires pacifiques dans plusieurs pays du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord au cours des mois écoulés, les États-Unis se sont constamment opposés à l'utilisation de la violence contre les manifestants pacifiques, a déclaré la déléguée de ce pays. Dénonçant la brutalité et les tueries qui se poursuivent à l'encontre du peuple syrien qui a courageusement demandé des réformes en manifestant pacifiquement, la représentante américaine a affirmé que leur action courageuse pour le respect des droits universels a mis au jour le mépris pour la dignité des Syriens du régime du Président Al Assad.

Le Royaume-Uni a déclaré que la liberté d'expression et d'opinion était une composante essentielle du travail du Conseil dans le domaine de la promotion et la protection des droits de l'homme et de la démocratie de par le monde. Le représentant britannique a souligné que les médias sociaux sont également un véhicule important pour la liberté d'expression et s'est érigé contre le blocage ou les restrictions d'accès à ces outils technologiques. La Norvège a observé que la question de la protection juridique est certes fondamentale, mais a ajouté que la loi n'a pas de valeur si elle n'est pas dûment appliquée. La représentante norvégienne a estimé que l'un des buts du panel réside dans la formulation de recommandations sur les moyens de renforcer de facto la protection du droit à manifester pacifiquement, et elle a invité les panélistes à faire des recommandations sur la manière de garantir à tous les membres de la société – indépendamment du contenu de leur message et de l'identité des personnes qui désirent se réunir et manifester – leur droit d'assemblée.

Quant à l'Indonésie, elle a souligné la nécessité de former les personnes des deux côtés – appareil de sécurité et population au sens large – afin que soit respecté l'ordre public lors des manifestations, lesquelles doivent se dérouler de manière pacifique. L'Indonésie estime souhaitable que la communauté internationale fournisse une assistance technique à cette fin. L'Égypte (au nom du Groupe arabe) s'est dite convaincue, pour sa part, que l'ouverture du dialogue est la seule réponse à apporter aux manifestations pacifiques. Le Groupe arabe affirme l'obligation de respecter les droits fondamentaux, conformément au Pacte international sur les droits civils et politiques.

Certains intervenants ont évoqué des situations concrètes, déplorant des excès commis par des forces de l'ordre. Ainsi, la Palestine a fait état de manifestations pacifiques, non violentes, organisées du côté arabe du «mur de séparation», déplorant que les forces de l'ordre israéliennes répliquaient couramment par des jets de grenades lacrymogènes et, parfois, avec de l'eau contenant des produits chimiques. Les Israéliens qui participent à ces manifestations savent bien, eux, que leurs camarades arabes revendiquent simplement le droit de mener une vie normale et qu'ils acceptent le voisinage d'Israël, à condition que celui-ci n'empiète pas sur leur autonomie, a relevé la représentante palestinienne. La représentante de l'Union européenne a regretté la répression exercée contre des manifestations pacifiques au Moyen-Orient mais aussi dans certains pays d'Europe. Si la liberté de manifester n'est pas absolue et a des limites, la répression brutale au nom du rétablissement de l'ordre, la paix et la sécurité, comme on le constate par exemple au Bélarus, ne peut être une solution valable à long terme, a-t-elle observé.

Abordant la problématique sous l'optique de l'exercice des droits et des responsabilités par les individus, Cuba a renvoyé au Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui prévoit la possibilité de fixer par la loi des restrictions à la jouissance de plusieurs libertés concernées par cet instrument. Son représentant a cependant déclaré qu'il ne faut pas s'attendre à ce que Cuba «souscrive à la farce que les puissances occidentales tentent d'imposer dans ce débat», alors même qu'elles ont largement recours aux mercenaires, à l'espionnage et aux technologies de l'information et de la communication pour faire avancer leurs intérêts spécifiques.

De son côté, l'organisation non gouvernementale Forum asiatique pour les droits de l'homme et le développement a évoqué la répression de manifestations ou la limitation au droit de se rassembler dans plusieurs pays dont Sri Lanka, le Myanmar, Singapour et la Malaisie. Forum Asia a appelé les États à respecter leurs obligations en matière de droits de l'homme. La Fédération internationale des Ligues de droits de l'homme a condamné les mauvais traitements subis par de nombreuses femmes dans les manifestations ayant eu lieu dans plusieurs pays arabo-musulmans, déplorant que les auteurs de ces exactions demeurent impunis. La FIDH demande aux autorités concernées de remédier à cet état de choses. Enfin, le représentant de Press Emblem Campaign a estimé qu'on ne pouvait dissocier la liberté d'expression et d'assemblée de la liberté de presse, les journalistes étant présents partout où l'actualité se déroule. Son organisation a suivi avec beaucoup de préoccupation les soulèvements arabes, beaucoup de journalistes ayant été harcelés, détenus arbitrairement voire tués dans ce contexte.

Réponses de panelistes

M. KIAI a déclaré qu'il avait constaté que dans les pays concernés, les manifestations pacifiques sont interdites dans la mesure où les revendications qu'elles portent indisposent les gouvernements. Il faut donc trouver un moyen pour que les gens puissent s'exprimer, que cela plaise ou non aux autorités, a conclu le Rapporteur spécial sur le droit de réunion et d'association pacifiques.

M. CANTON a souligné que les États ont des obligations négatives et positives en matière de gestion des manifestations pacifiques: d'une part, ils doivent renoncer à la force et à la violence; d'autre part, ils doivent veiller à ce que les manifestations se déroulent dans les meilleures conditions. Le Secrétaire exécutif de la Commission interaméricaine des droits de l'homme a aussi souligné que la société civile doit dialoguer avec les gouvernements.

M. HAMILTON a notamment déclaré que personne ne doit renoncer à manifester à cause de la présence d'éléments perturbateurs. Les forces de police doivent pouvoir faire la différence entre manifestants et perturbateurs, a déclaré le représentant de l'OCDE.

M. KHAW a déclaré que, trop souvent, on doit déplorer un manque de transparence dans l'octroi des autorisations de manifester: les autorités sollicitées doivent agir de bonne foi et de façon impartiale. Des directives devraient être édictées relativement à la maîtrise de la violence dans les manifestations pacifiques, a souligné la Vice-présidente de la Commission malaisienne des droits de l'homme.

M. HASSAN a observé que si tous les pays arabes ont ratifié le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, cela n'a pas empêché dans ces pays le déchaînement de violence dont le monde a été témoin. Cela confirme bien la nécessité de mettre en place un mécanisme global de protection du droit de manifester, a conclu le Directeur du Cairo Institute for Human Rights Studies.


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HRC11/108F