Fil d'Ariane
LE CONSEIL DES DROITS DE L'HOMME DÉBAT EN SESSION EXTRAORDINAIRE DE LA SITUATION DES DROITS DE L'HOMME EN SYRIE
Le Conseil des droits de l'homme a ouvert, aujourd'hui, les travaux de sa dix-septième session extraordinaire, consacrée à la situation des droits de l'homme en République arabe syrienne dans le contexte des événements récents. Le Conseil a entendu dans ce cadre la Haut-Commissaire aux droits de l'homme, Mme Navi Pillay, ainsi que le Rapporteur spécial contre la torture, M. Juan Méndez, qui intervenait par vidéoconférence au nom de tous les titulaires de mandats de procédures spéciales du Conseil. Sont ensuite intervenues une quarantaine de délégations membres du Conseil, ainsi que des pays observateurs et des organisations non gouvernementales.
Mme Pillay a souligné que la mission d'établissement des faits mandatée lors de la session extraordinaire d'avril dernier pour enquêter sur les allégations de violations des droits de l'homme en Syrie a fait état de violations systématiques et généralisées des droits de l'homme en Syrie par les forces militaires de sécurité. Il existe des indications selon lesquelles ces violations se poursuivent à ce jour, a-t-elle ajouté. Le Haut-Commissariat aux droits de l'homme estime que ces actes, de par leur nature et leur portée, pourraient constituer des crimes contre l'humanité, a indiqué Mme Pillay, appelant le Conseil de sécurité à transmettre le dossier syrien à la Cour pénale internationale. Mme Pillay a regretté qu'en dépit de nombreuses demandes, les autorités syriennes n'aient pas autorisé la mission à se rendre dans le pays. Malgré cela, la mission a recueilli des récits dignes de foi, concordants et cohérents de victimes et de témoins des violations, lesquels ont fait état des tentatives des forces de sécurité de camoufler des tueries, notamment par l'inhumation des victimes dans des fosses communes. En outre, le Gouvernement syrien a informé le Haut-Commissariat de réformes qu'il a adoptées; mais le bain de sang dont ont été témoins, ces trois dernières semaines, les villes de Hama et Lattaquié notamment, réduisent à néant la crédibilité de ces réformes, a déclaré Mme Pillay. Elle a appelé les autorités syriennes à cesser immédiatement et complètement la répression des manifestations pacifiques et à libérer sans délai ni condition toutes les personnes détenues pour y avoir participé. En outre, les autorités doivent autoriser la réalisation d'enquêtes approfondies sur les violations des droits de l'homme, a-t-elle ajouté, avant de préciser que plus de 2200 personnes ont perdu la vie depuis le début des manifestations à la mi-mars.
On peut dire que le seuil à partir duquel on peut dire que des violations systématiques se produisent a été atteint, a pour sa part déclaré M. Méndez, au nom de tous les titulaires de mandats de procédures spéciales. Tout en promettant des réformes, le Gouvernement syrien n'a cessé d'accroître sa répression contre les manifestants, a-t-il souligné, dénonçant notamment la torture pratiquée dans les lieux de détention, les décès en détention et les détentions au secret. La communauté internationale ne saurait fermer les yeux face à de tels actes et doit évaluer s'il s'agit de crimes contre l'humanité, a-t-il souligné. Il a appelé la Syrie à choisir la voie de réformes démocratiques de toute urgence.
Intervenant en tant que pays concerné, la Syrie a affirmé que son gouvernement avait répondu de manière précise aux demandes d'information du Haut-Commissariat et regretté que ces réponses n'aient pas été prises en compte dans le rapport, ce qui discrédite ce document. Il a déploré les propos mensongers de la Haut-Commissaire «qui ne reflètent que sa soumission à certains grands pays». La Syrie fait l'objet d'une campagne mensongère en vue de susciter en son sein un clivage communautaire et de passer sous silence les exactions commises par des bandes armées. La délégation a aussi dénoncé les mensonges des médias, notamment en ce qui concerne la situation à Lattaquié, où les forces de sécurité ont, en réalité, été contraintes d'intervenir pour protéger les citoyens contre des agressions commises par des bandes armées. La Syrie est résolument engagée dans un processus de réformes destinées à assurer un avenir radieux au peuple syrien, a assuré le représentant. La Syrie autorisera la visite de la mission du Haut-Commissariat aussitôt que la commission indépendante syrienne aura terminé sa propre enquête.
Condamnant pour la plupart les violations des droits de l'homme perpétrées par les forces de sécurité syriennes et demandant leur cessation immédiate, les délégations ont apporté leur soutien à la mise sur pied d'une mission d'enquête indépendante internationale sur ces violations, telle que prévue dans le projet de résolution dont est saisi le Conseil pour la présente session. Plusieurs délégations ont toutefois insisté sur la nécessité de respecter la souveraineté et l'intégrité territoire de la Syrie, l'une d'elle renvoyant la responsabilité du blocage actuel de la situation au refus de l'opposition syrienne d'engager tout dialogue.
Les délégations des États membres suivants ont pris la parole: Pologne (au nom de l'Union européenne), Italie, Thaïlande, Suisse, Indonésie, Chine, Espagne, Pérou, Chili, Costa Rica, Norvège, États-Unis, Koweït, Arabie saoudite, Fédération de Russie, Malaisie, Nigéria, Autriche, Qatar, République tchèque, Guatemala, Bostwana, Belgique, Cuba, Mexique, Roumanie, Maldives, et Inde. Sont également intervenus les représentants des pays suivants: France, Allemagne, République de Corée, Pays-Bas, Turquie, Sri Lanka, Irlande, Australie, Brésil, Égypte, Nouvelle-Zélande, Israël, Canada, Bulgarie, République populaire démocratique de Corée, Slovénie, Iran, Venezuela, Japon, Suède, Islande, Royaume-Uni, Portugal, Danemark, Paraguay, Iraq, Slovaquie et Croatie.
Plusieurs organisations non gouvernementales ont également participé au débat: Agence des cités unies pour la coopération Nord-Sud, CIVICUS: Alliance mondiale pour la participation des citoyens, Cairo Institute for Human Rights, Fédération internationale des ligues des droits de l'homme (FIDH), Presse Embleme Campagne, United Nations Watch, Commission internationale de juristes, Human Rights Watch, Reporters sans frontières - international, Amman Center for Human Rights Studies, Amnesty International, Badil Resource Center for Palestinian Residency and Refugee Rights, Rencontre africaine pour la défense des droits de l'homme (RADDHO), Commission arabe des droits de l'homme et Mouvement indien «Tupaj Amaru».
Le Conseil poursuivra les travaux de sa dix-septième session extraordinaire demain matin, à 10 heures, en vue de se prononcer sur un projet de résolution relatif à la situation des droits de l'homme en République arabe syrienne.
Déclarations d'ouverture
MME NAVI PILLAY, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme, a rappelé aux membres du Conseil des droits de l'homme qu'ils avaient, à leur session extraordinaire du 29 avril dernier, demandé l'envoi d'une mission du Haut-Commissariat aux droits de l'homme chargée d'enquêter sur les allégations de violations des droits de l'homme et de faire rapport sur la situation des droits de l'homme en Syrie à la session de septembre prochain. Cette mission a publié son rapport le 18 août dernier. Elle y fait état de violations systématiques et généralisées des droits de l'homme en Syrie par les forces de sécurité et militaires: meurtres, disparitions forcées, torture, privation de liberté et persécutions. Le rapport couvre la période du 15 mars au 15 juillet: or, il existe des indications selon lesquelles ces violations systématiques se poursuivent à ce jour. Le Haut-Commissariat estime que ces actes, de par leur nature et leur portée, pourraient constituer des crimes contre l'humanité. Mme Pillay a regretté qu'en dépit de nombreuses demandes, les autorités syriennes n'aient pas autorisé la mission à se rendre dans le pays. Malgré cela, la mission a recueilli des récits dignes de foi, concordants et cohérents de victimes et de témoins des violations, y compris de militaires ayant fait défection et de réfugiés syriens installés dans des pays voisins. La mission a conclu que tandis que les manifestations ont été dans l'ensemble pacifiques, les forces militaires et de sécurité ont adopté une politique de «tirer à vue»: des francs-tireurs embusqués ont pris pour cibles des civils, des passants, des ambulances. Victimes et témoins ont fait état des tentatives des forces de sécurité de camoufler les tueries, notamment par l'inhumation des victimes dans des fosses communes.
Dans leurs communications avec le Haut-Commissariat, les autorités de la Syrie réfutent toutes les allégations de violations des droits de l'homme. Si elles reconnaissent la mort de 1900 personnes depuis la mi-mars, elles déclarent que la majorité de ces victimes étaient des éléments des forces de sécurité tués par des «bandes armées». Elles déclarent en outre que les manifestations sont organisées en sous-main par des «terroristes» et des «extrémistes». Or, les récits des victimes et des témoins indiquent que les personnes visées l'ont été pour avoir exercé leurs droits légitimes de réunion et d'expression, et non pour des faits de terrorisme. Le Gouvernement de la Syrie a aussi informé le Haut-Commissariat de réformes qu'il a adoptées: levée de la législation d'exception, abolition de la Cour suprême de sûreté de l'État, amnistie de plusieurs milliers de détenus, autorisation des manifestations pacifiques et des partis politiques, adoption de nouvelles lois électorales et sur l'information. Toutefois, ces décisions ont été suivies de nouveaux actes de violence, arrestations, tortures et autres abus. Le bain de sang dont ont été témoins, ces trois dernières semaines, les villes de Hama et Lattaquié notamment, réduisent à néant la crédibilité de ces initiatives de réforme.
Mme Pillay a appelé les autorités syriennes à cesser immédiatement et complètement la répression des manifestations pacifiques et à libérer sans délai ni condition toutes les personnes détenues pour y avoir participé. Le Gouvernement doit en outre assurer le retour volontaire et dans la sécurité des réfugiés et des personnes déplacées à l'intérieur du pays. Mme Pillay s'est félicitée de la conduite de la première mission d'évaluation humanitaire en Syrie, le 20 août dernier, et a appelé les autorités à ouvrir le pays aux travailleurs humanitaires internationaux. En outre, les autorités doivent autoriser la réalisation d'enquêtes approfondies sur les violations des droits de l'homme.
Plus de 2200 personnes ont perdu la vie depuis le début des manifestations à la mi-mars, dont 350 tuées depuis le début du ramadan. Les forces militaires et de sécurité continuent d'user d'une force excessive, y compris le recours à l'artillerie lourde, pour maîtriser les manifestations et reprendre le contrôle de plusieurs villes, dont Hama, Homs, Lattaquié et Deir al-Zour. À Lattaquié, la semaine dernière, le bombardement à l'arme lourde du camp de réfugiés palestiniens d'Al-Ramel a entraîné la mort d'au moins quatre personnes et la fuite de quelque 7500 personnes. Dans ce contexte, il importe de traduire en justice les auteurs de crimes contre l'humanité. La mission du Haut-Commissariat a établi que de tels crimes ont été commis en Syrie. C'est pourquoi le Haut-Commissariat a appelé le Conseil de sécurité à transmettre le dossier syrien à la Cour pénale internationale, a conclu la Haut-Commissaire.
S'exprimant par vidéoconférence, M. JUAN MÉNDEZ, Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, au nom des titulaires de mandats des procédures spéciales du Conseil des droits de l'homme, a indiqué que les procédures spéciales ont été alertées de la possibilité que les pires violations de droits de l'homme aient pu être commises en Syrie. Les procédures spéciales ont déjà eu l'occasion de dénoncer la répression qui s'est abattue sur les manifestants en Syrie, où 2000 morts ont été dénombrés depuis la mi-mars, l'artillerie ayant été utilisée contre eux, alors qu'ont également agi des francs tireurs et qu'il y a aussi eu de nombreuses disparitions forcées. On peut dire que le seuil à partir duquel on peut dire que des violations systématiques se produisent a été atteint, a déclaré M. Méndez. Il n'a pas été facile de recueillir des informations sur la situation sur le terrain, car les journalistes n peuvent enquêter sur place, a-t-il rappelé.
Tout en promettant des réformes, le Gouvernement n'a cessé d'accroître sa répression contre les manifestants, a poursuivi le Rapporteur spécial. Au-delà des progrès que peuvent constituer les quelques réformes engagées par les autorités syriennes, ces dernières doivent mettre fin immédiatement aux violences, a déclaré M. Méndez, dénonçant, entre autres, la torture pratiquée dans les lieux de détention, les décès en détention et les détentions au secret. La communauté internationale ne saurait fermer les yeux face à de tels actes et doit évaluer s'il s'agit de crimes contre l'humanité, a-t-il souligné.
Les détenteurs de mandats déplorent que la mission d'établissement des faits n'ait pu avoir accès au pays et demandent aux autorités syriennes d'accorder cet accès sans restrictions, ce qui ferait passer un message fort montrant qu'elles sont disposées à coopérer avec les Nations Unies. Ils regrettent en outre que le Gouvernement ne dialogue pas réellement avec les titulaires de mandats. Les détenteurs de mandats expriment leur solidarité avec le peuple syrien et les victimes de cette répression injustifiée, appelant la Syrie à choisir la voie de réformes démocratiques de toute urgence.
Pays concerné
M. FAYSAL KHABBAS HAMOUI (Syrie), s'exprimant à titre de pays concerné, a exprimé sa profonde préoccupation quant à la politisation et à la partialité des travaux du Conseil des droits de l'homme, dont témoigne la convocation précipitée de la présente session extraordinaire. Le Gouvernement syrien a répondu précisément aux demandes d'information de la Haut-Commissaire: il est regrettable que ces réponses n'aient pas été prises en compte dans son rapport, ce qui discrédite ce document, a estimé le représentant. Il a déploré «les propos mensongers de la Haut-Commissaire qui sont des contrevérités et ne reflètent que sa soumission à certains grands pays». La Syrie fait l'objet d'une campagne mensongère en vue de susciter en son sein un clivage communautaire et de passer sous silence les exactions commises par des bandes armées, a déploré le représentant. Comment expliquer en effet la mort de 600 membres des forces armées, ainsi que les nombreuses destructions de biens privés et publics? Le représentant a fait état des mesures de réformes prises par son gouvernement, notamment la création d'un Comité chargé de jeter les bases d'un dialogue national, dont les premières consultations ont montré que le dialogue est la seule solution pour venir à bout de la crise. Le Gouvernement s'est engagé par décret à autoriser les manifestations pacifiques, à octroyer la citoyenneté syrienne aux Kurdes, parmi d'autres mesures visant à transformer la Syrie en un exemple à suivre en matière de libertés publiques.
L'un des mensonges le plus flagrants des médias concerne la situation à Lattaquié, où les forces de sécurité ont, en réalité, été contraintes d'intervenir pour protéger les citoyens contre des agressions commises par des bandes armées, comme cela se produit dans de nombreux États. Les prétendues «attaques à l'artillerie lourde» ne sont que des mensonges et tentatives évidentes de porter un coup aux réformes lancées par le Gouvernement syrien et menacer l'unité de la nation syrienne, autant de violations flagrantes du droit international, a jugé le représentant. Les États qui ont appelé la tenue de cette session ont préparé un projet de résolution extrêmement négatif et tendancieux, a dénoncé le représentant syrien, leur langage étant empreint de la même haine et de la même violence que ces États prétendent combattre. La résolution ne fera que compliquer et prolonger cette crise. Aussi la Syrie appelle-t-elle les membres du Conseil à rejeter un texte qui nuira à sa propre crédibilité. La Syrie est résolument engagée dans un processus de réformes destinées à assurer un avenir radieux au peuple syrien, a assuré le représentant syrien. La Syrie autorisera la visite de la mission du Haut-Commissariat aussitôt que la commission indépendante syrienne aura terminé sa propre enquête.
Déclarations d'États membres
M. CEZARY LUSIÑSKI (Pologne au nom de l'Union européenne) a déclaré que, face à la tragédie qui frappe le peuple syrien, le devoir du Conseil est de réagir sans retard aux souffrances et aux graves violations des droits de l'homme du peuple syrien. Ainsi que l'indique le rapport du Haut-Commissariat, dès lors qu'un État est manifestement incapable de remplir son devoir de protection de sa population, il appartient à la communauté internationale d'assumer ce rôle en agissant de manière proactive, opportune et décisive. Compte tenu de la détérioration de la situation en Syrie depuis la dernière session extraordinaire et l'utilisation d'armes lourdes contre les populations civiles, le Conseil doit maintenant intensifier son action.
L'Union européenne condamne la campagne brutale exercée par le régime syrien contre son propre peuple. Conformément aux recommandations de la mission d'enquête, l'Union européenne appelle la Syrie à mettre fin immédiatement aux violations des droits de l'homme, notamment l'utilisation d'une force excessive contre les manifestants, le massacre de manifestants, la torture, les mauvais traitements de personnes détenues et les disparitions forcées. L'Union européenne regrette qu'en dépit de nombreux appels de la communauté internationale, les autorités syriennes n'aient pas rempli leurs promesses de réformes authentiques et complètes qui autoriseraient la transformation pacifique de la vie politique et sociale en Syrie. L'Union européenne estime que seul un dialogue national véritablemen