Fil d'Ariane
LE COMITÉ POUR L'ÉLIMINATION DE LA DISCRIMINATION RACIALE EXAMINE LE RAPPORT INITIAL DU KENYA
Le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale a examiné, hier après-midi et ce matin, le rapport initial du Kenya sur les mesures prises par ce pays pour se conformer aux dispositions de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale.
Présentant le rapport de son pays, le Ministre kenyan de la justice, de la cohésion nationale et des affaires constitutionnelles, M. Mutula Kilonzo, a attiré l'attention sur les progrès significatifs faits depuis 2003 par le Kenya en matière de respect des droits de l'homme, attirant l'attention en particulier sur l'adoption en août 2010 d'une nouvelle Constitution approuvée par référendum national. L'inégalité au Kenya se manifeste sous différentes formes, a poursuivi le Ministre, qui a reconnu des différences dans la répartition des revenus et des services sociaux entre les régions, en matière d'égalité entre les sexes et entre des groupes spécifiques de population. Le Kenya reconnaît l'existence d'inégalités et la volonté d'y remédier a présidé au lancement d'un processus de développement appelé Vision 2030, dont l'objectif est de faire du Kenya un pays prospère à revenu intermédiaire assurant une vie de haute qualité à toute sa population. Ce processus a été lancé suite aux violences postélectorales que le pays a connues en 2008, a rappelé M. Kilonzo, qui a déclaré que l'appartenance ethnique ou tribale négative a été la principale menace pour l'unité nationale du Kenya. Il a regretté à cet égard une politisation de l'identité culturelle qui suscite de vives tensions interethniques dans le pays.
La délégation kényane était également composée de M. Tom Mboya Okeyo, Représentant permanent du Kenya auprès des Nations Unies à Genève, ainsi que d'autres représentants du Ministère des affaires étrangères et des fonctionnaires de divers autres ministères, du Bureau du Procureur général et de la Commission nationale des droits de l'homme. Elle a fourni des compléments d'information en ce qui concerne, notamment, la représentation politique des 42 groupes ethniques que compte le pays; les questions de nationalité; la question foncière; les travaux de la Commission Vérité et Réconciliation et l'incrimination des crimes internationaux; la place du droit coutumier; l'action affirmative en faveur des groupes marginalisés; les conséquences au Kenya de la stigmatisation des albinos dans des pays voisins; la situation des communautés nubienne, somali et arabe; ou encore la situation des réfugiés. À cet égard, la délégation a notamment indiqué que plus de 500 000 réfugiés se trouvent au Kenya et rappelé que le camp de Dadaab est le plus grand camp de réfugiés du monde.
Le rapporteur du Comité pour l'examen du rapport du Kenya, M. Chris Maina Peter, a estimé qu'à maints égards, la Constitution kényane de 2010 est actuellement «la meilleure de la région». Il s'est par ailleurs félicité de constater que les affaires en souffrance, comme celle des enfants nubiens, retiennent toute l'attention du Gouvernement et a exprimé l'espoir qu'elles seront donc résolues. Il a toutefois noté que le Code pénal kényan ne semble pas sanctionner comme il se doit l'incitation à la haine entre communautés. Il faudrait en outre accorder une plus grande priorité aux personnes déplacées, a estimé M. Peter. Alors que de nouvelles élections sont prévues pour l'an prochain, les personnes déplacées à l'intérieur du pays suite aux élections de 2007 se trouvent encore dans des camps, a également souligné le rapporteur. Il s'est par ailleurs inquiété de la discrimination dont seraient victimes certaines catégories de personnes pour ce qui de l'acquisition de la nationalité. Le rapporteur a en outre exprimé sa préoccupation s'agissant de l'expulsion de leurs terres de certains groupes ethniques.
Le Comité adoptera ultérieurement ses observations finales sur le rapport du Kenya, qui seront rendues publiques à la clôture de la session, le vendredi 2 septembre prochain.
Cet après-midi à 15 heures, le Comité entamera l'examen du rapport périodique de la Géorgie (CERD/C/GEO/4-5).
Présentation du rapport
M. MUTULA KILONZO, Ministre de la justice, de la cohésion nationale et des affaires constitutionnelles du Kenya, a souligné que le peuple kenyan était fier de sa diversité ethnique, culturelle et religieuse et était déterminé à vivre en paix et dans l'unité. Il a insisté sur l'importance que son pays accorde à la dignité de chaque individu et au droit de chacun à ne pas être soumis à la discrimination. Comme le stipule la Constitution, a-t-il ajouté, les valeurs et principes de gouvernance du Kenya incluent la dignité humaine, l'équité, la justice sociale, l'intégration, l'égalité, la non-discrimination, les droits de l'homme et la protection des personnes marginalisées.
M. Kilonzo a attiré l'attention sur les progrès significatifs faits depuis 2003 par le Kenya en matière de respect des droits de l'homme, reconnaissant que ces progrès s'accompagnent aussi de défis à relever. Le principal progrès a trait à l'adoption, le 4 août 2010, d'une nouvelle Constitution approuvée par 67% des votants à l'issue d'un référendum national.
L'inégalité au Kenya se manifeste sous différentes formes, a poursuivi le Ministre de la justice. Des différences en termes de répartition des revenus et des services sociaux entre les régions, entre les sexes voire entre des groupes spécifiques de population sont observées, a-t-il précisé. Certaines formes de ces inégalités constituent des discriminations, en particulier lorsqu'elles touchent à la capacité des groupes marginalisés et vulnérables d'exercer leur droit à participer aux prises de décision affectant leur bien-être. Ainsi, le Kenya reconnaît-il officiellement l'existence d'inégalités et la volonté d'y remédier a présidé à la Stratégie de redressement économique 2003-2007, ainsi qu'à la Vision 2030, dont l'objectif est de faire du Kenya un pays prospère à revenu intermédiaire assurant une vie de haute qualité à toute sa population. Les trois piliers de la Vision 2030 – dont le premier Plan d'application à moyen terme pour les années 2008-2012 a déjà été lancé – consistent à assurer une croissance durable dans le domaine économique, à instaurer une société juste et cohérente par le biais d'un développement social équitable et à produire un système politique démocratique protégeant tous les droits et libertés de chaque individu, a indiqué le Ministre.
M. Kilonzo a précisé que, parmi les priorités qui ont animé la première année de mise en œuvre du Plan pour 2008-2012, figurent les programmes visant l'apaisement et la réconciliation nationale, ainsi que la reconstruction rapide de l'économie afin de réparer les dommages et reculs engendrés par les violences postélectorales que le pays a connues en 2008. La priorité accordée aux mesures visant à promouvoir l'équité devrait contribuer au processus de réconciliation et à la croissance économique globale du pays, a insisté M. Kilonzo. Parmi les questions critiques qu'aborde le Plan à moyen terme pour les années 2008-2012 et qui ont un grand impact sur la réalisation des droits de l'homme, figurent la création de nouvelles possibilités d'emploi, en particulier pour les jeunes, ainsi que la réalisation de l'équilibre entre les sexes dans les programmes nationaux, a précisé le Ministre de la justice.
Au Kenya, le niveau de la pauvreté varie grandement selon les régions et son incidence est particulièrement élevée dans les régions semi-arides du pays, a poursuivi M. Kilonzo. D'une manière générale, les Kényans pauvres se trouvent surreprésentés dans les zones rurales, parmi les foyers dirigés par des veuves et par les personnes les moins éduquées, parmi les foyers de grande taille et chez les personnes occupant certains emplois, tels les petits paysans de l'agriculture de subsistance, les travailleurs non qualifiés ou encore les travailleurs familiaux non rémunérés. Aussi, l'adoption de mesures visant à assurer un développement équitable de toutes les régions du pays constitue-t-elle l'un des objectifs prioritaires du Plan à moyen terme pour 2008-2012.
L'appartenance ethnique ou tribale négative a été la principale menace pour l'unité nationale du Kenya, a poursuivi M. Kilonzo. La politisation de l'identité culturelle a suscité de vives tensions interethniques dans de nombreuses parties du pays, a-t-il ajouté. Ces conflits ont notamment été alimentés par des différenciations historiques résultant du principe «diviser pour régner» appliqué par les anciennes puissances coloniales. Par exemple, des différences dans l'accès à la modernisation par le biais de l'éducation et de l'emploi ont servi à opposer les communautés les unes aux autres et ont exacerbé le sentiment de marginalisation de certaines communautés, a expliqué le Ministre. Ces facteurs ont largement précipité la crise et la violence sans précédent qui ont entraîné la mort de quelque 1500 Kényans et des centaines de milliers de personnes déplacées après les élections présidentielles contestées de 2007.
Depuis, a fait valoir M. Kilonzo, un nouveau débat public sur la diversité du Kenya a été engagé; il s'agit de rappeler que supprimer et nier la diversité, laisser des minorités et d'autres membres vulnérables de la société dans la pauvreté et dans la marginalisation politique ne peut que nourrir des conflits. Le Ministre a rappelé que la Constitution, dans son article 21, oblige les organes et fonctionnaires de l'État à répondre aux besoins des groupes vulnérables de la société – notamment des femmes, des personnes âgées, des personnes handicapées, des enfants, des jeunes, des membres de minorités ou de communautés marginalisées et des membres de communautés ethniques, religieuses ou culturelles particulières.
M. Kilonzo a souligné que le Kenya s'est doté d'une importante législation pour garantir l'égalité devant la loi, l'égale protection en vertu de la loi et la non-discrimination. La législation interdit de manière générale la discrimination directe, la discrimination indirecte, la victimisation et le harcèlement; elle interdit la discrimination fondée sur la race, le sexe, la grossesse, le statut marital, l'état de santé, l'origine ethnique ou sociale, la couleur, l'âge, le handicap, la religion, la conscience, la croyance, la culture, la tenue vestimentaire, la langue ou la naissance dans les domaines de l'emploi, de l'éducation, de la fourniture de services et de biens, de l'appartenance à un parti politique et de l'exercice des fonctions publiques.
En conclusion, le Ministre de la justice a souligné que, comme nombre d'autres pays qui connaissent des réformes rapides, le Kenya continue d'être confronté à de nombreux défis pour lutter contre la pauvreté, laquelle est à l'origine de nombreuses inégalités que le Kenya est déterminé à éliminer durablement. Le Kenya doit accélérer et soutenir sa croissance économique. Néanmoins, comme d'autres, le pays réalise que les efforts d'atténuation de la pauvreté sont plus fructueux s'ils s'accompagnent non seulement de politiques de croissance mais aussi de politiques de redistribution afin de réduire les inégalités.
Le rapport initial du Kenya (CERD/C/KEN/1-4) souligne que le Kenya est une société multiraciale, multiethnique, pluriculturelle et plurireligieuse. La langue nationale est le kiswahili tandis que la langue officielle est l'anglais, mais de nombreuses autres langues locales sont en usage. Les personnes d'ascendance africaine constituent environ 90 % de la population, qui se répartit en 42 groupes ethniques principaux. Ces groupes appartiennent à trois familles linguistiques: bantoue, couchitique et nilotique. Les principaux groupes comprennent: les Bantous- Kikuyus (22 %), les Luhyas (14 %), les Kambas (11 %), les Merus (6 %), les Embus (1,20 %), les Kisiis (6 %), les Mijikendas (4,7 %), les Taitas (0,95 %), les Pokomos (0,27 %), les Banjunis (0,20 %), les Bonis-Sanyes (0,05 %), les Tavetas (0,07 %); les Kurias (0,52 %), les Mbeeres (0,47 %); les Nilotes-Luos (13 %), les Kalenjins (12 %), les Turkanas (1,32 %), les Tesos (0,83 %), les Samburus (0,50 %), les Basubas (0,50 %) et les Massaïs (1,8 %); les Couchites-Somalis (0,21 %), les Oromos (0,21), les Rendiles (0,12 %), les Borans (0,37 %) et les Gabras (0,17 %). Au Kenya, l'ethnicité est fortement politisée, ce qui a engendré des problèmes en termes d'insécurité, de conflits ethniques, d'exclusion, de marginalisation et de gouvernance. Au Kenya, les principales religions sont le christianisme (78 %), l'islam (10 %), les religions traditionnelles africaines (10 %), l'hindouisme et le sikhisme (1 %), indique en outre le rapport, avant d'ajouter que la religion est de plus en plus perçue par certaines minorités du Kenya comme un facteur majeur dans la détermination de la citoyenneté et l'acquisition de droits liés à la citoyenneté. En dehors du système judiciaire, les tribunaux des anciens, qui traitent des affaires relatives aux Africains, existent parallèlement au système judiciaire officiel. Certains clans islamiques disposent de leurs propres tribunaux qui tranchent les litiges privés. Cela vaut également pour les hindous. Ils ne saisissent la justice qu'en dernier ressort, explique par ailleurs le rapport.
La question des terres demeure l'une des questions les plus sensibles dans le pays et attise régulièrement les animosités interethniques. Le Kenya ne s'est pas doté, depuis son indépendance, d'une politique foncière clairement définie. Suite aux mesures massives d'aliénation des terres prises au début de la période coloniale, nombre de populations qui s'adonnaient jusque-là à l'agriculture ont été poussées dans des réserves autochtones improductives dont les terres étaient impropres à la culture. Les populations déplacées comprenaient des ouvriers agricoles, des travailleurs occasionnels, des locataires et des squatters. Le processus d'aliénation des terres s'est également étendu aux groupes ethniques de pasteurs tels que les Massaïs, les Samburus, les Nandis, les Pokots et d'autres communautés parlant les langues kalenjin. À l'instar des paysans, les éleveurs ont été chassés vers les réserves aux terres les plus infertiles. Pendant la période du nationalisme et de la décolonisation, les revendications foncières étaient au cœur des aspirations de tous les groupes ethniques qui avaient activement participé à la lutte pour l'indépendance. Au cours de la guerre d'indépendance, les Kényans espéraient que les terres seraient distribuées gratuitement à la population puisqu'on les en avait unilatéralement privés. Cela ne s'est cependant pas produit car le prêt consenti au Kenya par les Britanniques pour faciliter cette acquisition a eu pour effet de faire flamber le prix des terres, qui sont devenues très chères pour la majeure partie de la population. C'est à ce moment précis que le régime de propriété foncière a commencé à se fonder sur l'ethnicité, attisant de ce fait l'animosité interethnique. Pour remédier aux injustices ayant conduit à la distribution inégale des terres sur la base de considérations liées à la race, le Gouvernement a pris plusieurs décisions, dont celle d'adopter une politique foncière nationale globale approuvée par le Cabinet et transmise pour examen et adoption au Parlement.
Examen du rapport
Observations et questions des membres du Comité
M. CHRIS MAINA PETER, rapporteur du Comité pour l'examen du rapport du Kenya, a souligné que le Kenya excelle dans certains domaines, notamment dans celui des affaires et dans celui des sports. Il a rappelé que le Kenya avait ratifié la Convention en 2001 sans y apporter la moindre réserve. Il a toutefois relevé que le pays n'avait pas reconnu la compétence du Comité, en vertu de l'article 14 de la Convention, pour recevoir et examiner des plaintes individuelles (communications). Il a souligné que le présent rapport comprend le rapport initial et les rapports subséquents jusqu'au quatrième rapport périodique du pays et a déploré que le Kenya n'ait pas soumis au Comité de document de base concernant le pays.
Après de nombreuses tentatives et après des années de lutte, le pays dispose désormais d'une nouvelle Constitution – celle de 2010 – qui remplace la vieille Constitution de l'indépendance de 1963, a poursuivi M. Peter. À maints égards, a-t-il estimé, la Constitution kényane de 2010 est la meilleure de la région à cette heure. Pour autant, pour ce qui est de la place de la Convention dans l'ordre juridique interne, la situation mérite d'être éclaircie, a souligné M. Peter, relevant qu'il ressort du rapport que le Kenya est un pays dualiste, alors que la Commission nationale des droits de l'homme du Kenya affirme catégoriquement que le Kenya est un pays moniste. Le rapporteur a demandé des éclaircissements à cet égard. Relevant que certaines dispositions de la Constitution, comme celle ayant trait à l'égalité et à la non-discrimination, semblent exiger des lois de mise en œuvre, M. Peter a insisté sur la nécessité pour le Kenya de se doter d'une définition claire du terme de discrimination.
M. Peter a par ailleurs souhaité en savoir davantage au sujet des droits des minorités et des groupes autochtones au Kenya. Il s'est également enquis de la position du Gouvernement s'agissant de la mise en œuvre de la décision de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples dans l'affaire concernant la communauté des Endorois, leur reconnaissant le droit de réintégrer leurs terres ancestrales du lac Bogoria.
M. Peter s'est également enquis des dispositions pénales spécifiques relatives à l'interdiction de la ségrégation raciale ou ethnique et à la considération de la motivation raciale ou ethnique d'un crime comme circonstance aggravante. Le Code pénal ne semble pas sanctionner comme il se doit la promotion des sentiments de haine entre différentes races et communautés.
Le rapporteur a par ailleurs souhaité en savoir davantage sur les mesures prises en matière de prévention des violences interethniques et plus particulièrement sur les mesures prévues à long terme pour lutter contre les tensions dans les bidonvilles de Nairobi. Le Kenya est le pays où se trouvent quelques-uns des plus grands et moins sûrs bidonvilles urbains du continent, a souligné M. Peter.
Le rapporteur a d'autre part relevé que selon le rapport publié en octobre 2008 par la Commission d'enquête sur la violence qui s'est abattue sur le pays après les élections de 2007, le bilan de cette violence a été de 1133 morts, 3561 blessés et plus de 350 000 Kényans déplacés, essentiellement dans les provinces de la vallée du Rift et de Nyanza. Alors que de nouvelles élections sont prévues pour l'an prochain, les personnes déplacées à l'intérieur du pays suite aux élections de 2007 se trouvent encore dans des camps, a fait observer le rapporteur.
M. Peter s'est par ailleurs inquiété de la discrimination dont seraient victimes certaines catégories de personnes au Kenya pour ce qui de l'acquisition de la nationalité kényane. En effet, le processus d'enregistrement exige que soient fournies la preuve de l'âge, généralement apportée par un certificat de naissance, ainsi que la preuve de citoyenneté; or, cette seconde exigence a été critiquée parce qu'elle crée de grands obstacles pour certaines minorités comme les Somalis, les Nubiens et les Arabes de la côte.
Tout en se disant conscient que des minorités et des groupes vulnérables peuvent être marginalisés dans un pays, M. Peter a estimé que l'unité nationale doit se voir accorder plus de valeur que la diversité culturelle car l'Afrique ne sait que trop bien où a pu la mener l'ethnicité. Il n'en demeure pas moins que le fait que certains groupes ethniques aient été expulsés de leurs terres est préoccupant, a déclaré le rapporteur, avant de s'enquérir de la situation qui prévaut au Kenya en matière de politique foncière.
M. Peter s'est par ailleurs enquis des mesures prises pour améliorer les conditions de vie dans le camp de réfugiés de Dadaab, en particulier à la lumière de la sécheresse qui frappe actuellement la région.
Le rapporteur a également souhaité en savoir davantage au sujet des moyens de recours disponibles, en vertu de la nouvelle Constitution, pour les victimes de discrimination raciale et ethnique. La question du renforcement de la protection des témoins revêt une importance particulière pour le Kenya du fait des procès en cours à La Haye en rapport avec la violence postélectorale de 2007, a ajouté M. Peter.
Un autre membre du Comité a relevé que le statut des Nubiens semble ne jamais avoir été réellement établi, et a relevé que nombre d'entre eux vivent dans le bidonville de Kibera, à Nairobi.
Un expert a souhaité savoir si le Kenya est en mesure de réunir tous les acteurs politiques du pays autour d'un consensus afin que les affaires dont est saisie la Cour pénale internationale s'agissant des violences qui ont suivi les élections de 2007 soient traitées dans le pays même; ainsi, le Kenya pourrait-il signifier à la Cour pénale internationale de La Haye qu'il est disposé à prendre en main cette affaire et n'a donc pas besoin d'elle pour ce faire.
Un expert a souligné que le fait que chaque citoyen n'est pas en possession d'une carte nationale d'identité pose problème. En outre, la question foncière n'est pas résolue et il semble qu'il existe en la matière une discrimination de longue date à l'encontre de certaines minorités. L'expert a aussi voulu savoir comment les 42 groupes ethniques sont représentés au Parlement et dans les autres organes de l'État. Il s'est également enquis des mesures prises pour assurer le retour des personnes déplacées.
Un membre du Comité a jugé très dense, riche et complet le rapport initial soumis par le Kenya. Les informations qu'il contient révèlent avec franchise les nombreux défis auxquels est confronté le Gouvernement. S'agissant de la place de la Convention dans l'ordre juridique interne, l'expert a souhaité savoir pourquoi les dispositions de la Convention n'ont pas été intégrées au droit national par le biais d'une loi interne - comme cela a été fait, par exemple, pour la Convention relative aux droits de l'enfant. Il s'est par ailleurs enquis de ce qu'il est advenu du recours devant la Haute Cour introduit par les Nubiens kényans.
L'expert a demandé des précisions s'agissant de l'information figurant dans le rapport selon laquelle les dispositions relatives au mariage divergent selon qu'il s'agisse de Britanniques, d'Asiatiques ou de musulmans. Il a par ailleurs relevé que les dispositions légales au Kenya ne couvrent pas toutes les exigences énoncées à l'article 4 de la Convention relatif à l'adoption de mesures positives destinées à éliminer toute incitation à la discrimination raciale et dont les dispositions sont impératives.
Un autre expert s'est dit persuadé que si on organisait des élections aujourd'hui au Kenya, il y aurait de nouveau une recrudescence de la violence. La construction et la défense de l'unité nationale et la lutte contre le tribalisme constituent des défis pour l'ensemble du continent africain, a-t-il souligné. La solution est bien, comme cela ressort de la déclaration faite devant le Comité par le chef de la délégation, d'envisager un développement qui prenne en compte toutes les populations du pays afin d'éviter toute frustration, a déclaré l'expert. Il s'est enquis des mesures spéciales que le Kenya envisage en faveur des populations marginalisées.
Un membre du Comité a déclaré que le Kenya est le pays le plus avancé dans cette région d'Afrique pour constituer un pôle de promotion des droits de l'homme, voire de développement; en effet, le Kenya dispose à cet égard des moyens et de la volonté, a-t-il fait observer. Il a demandé des précisions sur les dispositions de la Constitution de 2010 relatives à la volonté politique de construire l'unité nationale. Dans quelle mesure le droit coutumier, sur lequel s'appuient les communautés du Kenya pour régler leurs litiges, s'oppose-t-il à la volonté politique de construire l'unité nationale, a par ailleurs demandé l'expert?
Un expert a rappelé que par le passé, le Comité a eu l'occasion de faire part de sa préoccupation face à la situation des albinos dans des pays voisins du Kenya où ils faisaient l'objet de persécutions voire d'assassinats et étaient confrontés à des problèmes, notamment s'agissant de l'accès à l'éducation. Aussi, étant donné qu'il semble s'agir d'un problème régional, l'expert a souhaité connaître la situation à cet égard au Kenya.
Déclaration d'un représentant de la Commission nationale des droits de l'homme du Kenya
M. LAWRENCE MUTE, membre de la Commission nationale des droits de l'homme du Kenya, a relevé que depuis son adhésion à la Convention en 2001, le Kenya n'a pas adopté de politique globale complète ni de législation afin de se conformer aux dispositions de cet instrument. L'article 27 de la Constitution garantit certes l'égalité et le droit de ne pas être soumis à la discrimination; néanmoins, le Kenya devrait donner effet à cet article en adoptant une législation contenant des dispositions de fond en matière d'égalité et de non-discrimination et couvrant tous les motifs sur la base desquels une discrimination peut avoir lieu, tant en termes de discrimination directe que de discrimination indirecte.
Après avoir souligné que la carte d'identité est un élément crucial aux fins de la jouissance des droits et libertés chaque citoyen, M. Mute a rappelé qu'au mois de mars dernier, le Comité africain d'experts sur les droits et le bien-être des enfants a adopté une décision estimant que le Kenya se trouvait en violation du droit des enfants nubiens à la non-discrimination. Aussi, le Gouvernement kényan devrait-il harmoniser ses lois relatives à l'acquisition de la nationalité avec sa Constitution et abroger les dispositions discriminatoires qui existent en la matière. Les lois sur la citoyenneté et sur l'enregistrement devraient s'appliquer de manière égale et globale dans tout le Kenya et pour tous les Kényans - y compris les personnes appartenant aux communautés somali, nubienne et arabe.
D'autre part, tensions et conflits ont tendance à se produire de manière cyclique au Kenya, en particulier dans les périodes d'élections générales, a poursuivi M. Mute. L'État kényan devrait donc incriminer les discours haineux en adoptant une seule et unique loi globale en matière de protection contre l'incitation à la haine.
M. Mute a par ailleurs rappelé qu'en ce qui concerne la communauté autochtone des Endorois, la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples a estimé que le Kenya se trouvait en violation de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples; M. Mute a donc recommandé que le Kenya applique la recommandation de la Commission en la matière.
L'État kényan est d'autre part invité à s'assurer de l'existence de lois et politiques protégeant les minorités sexuelles contre toute forme de discrimination, en particulier en matière d'accès aux services de soins de santé. Enfin, M. Mute a recommandé que le pays fasse la déclaration prévue à l'article 14 de la Convention, de manière à reconnaître la compétence du Comité pour recevoir et examiner des plaintes individuelles (communications).
Réponses de la délégation kényane
Répondant aux questions des experts sur le cadre général d'application de la Convention au Kenya, la délégation a déclaré que le Kenya est un État démocratique dans lequel règne le multipartisme. Un projet de loi sur les partis politiques sera examiné en troisième lecture par le Parlement cet après-midi même; ce texte propose que la composition des partis politiques ne comporte pas plus de deux tiers de membres d'un même sexe, de manière à promouvoir la parité entre les sexes dans ce domaine, a indiqué la délégation.
Le pays a pris un certain nombre de mesures de discrimination positive, a par ailleurs fait valoir la délégation, notamment en faveur des personnes marginalisées au nombre desquelles figurent en particulier les femmes, les enfants, les personnes âgées et les personnes handicapées. Le Kenya dispose donc d'un cadre juridique solide contenant des dispositions de discrimination positive inspirées des articles 27 et 10 de la Constitution, a insisté la délégation.
La délégation a d'autre part souligné que la Commission Vérité et Réconciliation n'a toujours pas achevé ses travaux. Le Parlement kényan devrait se prononcer dans les dix prochains jours sur une proposition de proroger son mandat soit. Les autorités kényanes se fonderont sur le rapport définitif de la Commission pour prendre des mesures de réconciliation et de réparation en faveur des victimes dont les droits ont été violés.
La délégation a par ailleurs fait valoir que le Kenya entend respecter pleinement ses obligations en tant que partie au Statut de Rome de la Cour pénale internationale. Le pays a adopté la loi de 2008 sur les crimes internationaux – qui a une portée encore plus grande que le Statut de Rome lui-même, a-t-elle ajouté. Le cas échéant, si de tels crimes internationaux ont été commis, ils pourront être poursuivis par la justice kényane, a précisé la délégation.
Il n'y a pas de région au Kenya qui soit réservée à une ethnie quelconque, a assuré la délégation. Ce que l'on constate, a-t-elle ajouté, c'est que dans certaines grandes villes, certaines communautés se concentrent dans certains quartiers, comme cela est le cas à New York où on trouve, par exemple, un quartier chinois ou un quartier juif.
Le droit coutumier ne peut être appliqué que s'il n'est pas contraire à la Constitution ou à une quelconque autre loi écrite, a par ailleurs souligné la délégation. Le recours au droit coutumier se fait particulièrement en matière de mariage ou de succession, a-t-elle précisé. En effet, les tribunaux kényans ont une compétence limitée en ce qui concerne les mariages, les divorces ou la succession – les diverses communautés étant autorisées à appliquer leurs propres lois dans ces domaines, a ajouté la délégation. Ainsi, coexistent cinq régimes différents applicables aux questions de mariage, par exemple. La délégation a précisé qu'un projet de loi sur le mariage, élaboré cette année, entend consolider toutes les dispositions relatives au mariage en abrogeant les différents régimes distinctifs existant jusqu'ici.
Quant à savoir si le Kenya est un système moniste ou dualiste du point de vue de la transposition de ses obligations internationales, la délégation a indiqué qu'aux termes de l'article 2, paragraphe 6 de la Constitution, il est clair que tous les traités internationaux ratifiés par le Kenya font partie intégrante du droit interne kényan. Ainsi, le Kenya est-il un pays de tradition moniste, a insisté la délégation. Il n'en demeure pas moins qu'il peut arriver que des lois soient nécessaires pour mettre en place des mécanismes destinés à la mise en œuvre desdits traités. Ce n'est qu'une fois que la loi relative à la ratification d'un traité aura été adoptée par le Parlement que les autorités kényanes se pencheront sur ce qu'il convient de faire pour mettre en œuvre les différentes dispositions dudit traité, y compris pour ce qui a trait à la procédure de plaintes prévue à l'article 14 de la Convention. Un expert ayant demandé si la Convention peut-elle être invoquée directement devant les tribunaux kényans, la délégation a souligné que tous les traités ratifiés par le Kenya peuvent être appliqués directement par les tribunaux. La question subsiste de savoir en vertu de quelle procédure on peut s'adresser aux tribunaux, a ajouté la délégation.
Un expert ayant demandé comment était vérifiée la constitutionnalité des lois, la délégation a fait savoir qu'une commission a été créée à cet effet en janvier dernier, qui s'ajoute à un comité de contrôle du Parlement. En dernier recours, c'est la Cour suprême qui est chargée de veiller à la constitutionnalité des lois et autres actions des organes étatiques.
Répondant aux questions des experts sur la persécution que peuvent subir les albinos, la délégation a reconnu que l'influence importante, sur la situation de ces personnes au Kenya, des pratiques dans les pays voisins. Elle a mentionné une affaire récente dans laquelle un homme albinos avait été transféré vers un pays voisin où la pratique de l'assassinat et de la vente d'organes d'albinos est répandue. La police kényane est désormais consciente de ce type de trafic et veille à y remédier. Par ailleurs, il est prévu d'amender la loi sur les handicaps et de prendre des mesures politiques en faveur des albinos, en reconnaissant, notamment, les besoins des albinos pour assurer leur protection contre l'exposition au soleil.
S'agissant des questions des experts relatives à l'application de l'article 4 de la Convention, la délégation a indiqué qu'au Kenya, des personnes, dont des membres du Parlement, ont été arrêtées et poursuivies pour des discours d'incitation à la haine.
Répondant à des questions sur la discrimination en matière d'emploi, en particulier celle de savoir s'il est vrai que les Asiatiques au Kenya n'emploient jamais d'Africains, la délégation a réfuté une telle allégation, expliquant que la plupart des Asiatiques ont des entreprises familiales et vont donc employer de préférence des membres de leurs familles pour les diriger, mais embaucher des Africains pour les autres postes; une telle attitude n'a rien de choquant et n'est d'ailleurs pas propre aux Asiatiques, a commenté la délégation.
Suite aux violences postélectorales de 2008, le Kenya a souffert du déplacement de quelque 630 000 personnes à l'intérieur du pays, dont une partie est revenue sur ses terres, a déclaré la délégation. Elle a précisé que le Kenya comptait au total 118 camps d'accueil pour ces personnes déplacées et qu'un programme a été mis en œuvre afin d'être en mesure d'en fermer un certain nombre. Le Gouvernement kényan a racheté des terres pour réinstaller les personnes déplacées restantes, a ajouté la délégation.
La propriété foncière est à l'origine de nombreuses tensions au Kenya, a réitéré la délégation. Aussi, les autorités kényanes ont-elles reformulé leur politique en la matière et cette nouvelle politique a été approuvée par le Parlement en 2009 et mise en œuvre à compter de l'année suivante. La Constitution de 2010 renforce la politique foncière de l'État en vue de permettre au pays de régler les contentieux épineux dans ce domaine, a insisté la délégation. La délégation a par la suite expliqué qu'il existe trois régimes dans ce domaine: celui de terres publiques, celui de terres communautaires et celui de terres privées.
Interrogée sur «le droit foncier des populations autochtones», la délégation a expliqué que d'une certaine façon, toutes les communautés vivant dans le pays, y compris les Somalis, les Arabes de la côte et même les Britanniques, sont considérées comme des communautés autochtones. Aussi, plutôt que de parler de communautés autochtones, la Constitution parle-t-elle de groupes marginalisés. Aucune communauté ne doit craindre d'être assimilée au Kenya et personne n'est soumis à une assimilation forcée dans ce pays, a d'autre part assuré la délégation.
En ce qui concerne certains groupes minoritaires, la délégation a notamment souligné que
Nubiens, Somalis et Arabes de la côte sont des communautés qui rencontrent de nombreuses difficultés au Kenya, a d'autre part reconnu la délégation. La question des migrations, qui remonte à l'époque coloniale, ainsi que la question sécuritaire touchent de plein fouet ces communautés, a-t-elle souligné. En 2006, la communauté nubienne s'est plainte auprès de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples que le Gouvernement kényan violait les droits des Nubiens en ne leur délivrant pas de carte d'identité. Le Kenya attend la décision de la Commission à ce sujet. Dans leur majorité, les Nubiens ne se sont pas fait enregistrer comme Kenyans au moment de l'indépendance, en 1963, car ils se considéraient alors comme des migrants et pensaient rentrer chez eux dans les monts de Nubie, ce qui ne s'est pas fait. Pour ce qui est des Somalis, plusieurs milliers d'entre eux ont trouvé refuge au Kenya. Mais certains demandeurs d'asile sont des combattants et il difficile d'établir une distinction entre les migrants sincères et les autres, a expliqué la délégation. Quant aux Arabes de la côte, la délégation a déclaré qu'il était difficile de faire la distinction entre les nouveaux migrants et ceux qui vivent le long des côtes depuis longtemps. Le système de quota, prévu dans la Constitution, permet de traiter de la représentation politique des 42 groupes ethniques que compte le Kenya, a en outre indiqué la délégation.
La délégation a par ailleurs indiqué que plus de 500 000 réfugiés se trouvent au Kenya et que le camp de Dadaab – qui accueillait 389 000 réfugiés au 7 août 2011 – est le plus grand camp de réfugiés du monde. Le Kenya accueille mille nouveaux réfugiés chaque jour, a ajouté la délégation. Le Kenya et la Corne de l'Afrique sont confrontés à l'une des pires sécheresses de ces 70 dernières années, a par ailleurs rappelé la délégation.
Tout enfant de moins de 18 ans sans parent au Kenya obtient automatiquement la nationalité kényane, a par ailleurs assuré la délégation. Toute personne apatride ayant vécu au Kenya depuis plus de 40 ans peut également prétendre à la nationalité kényane, a-t-elle ajouté. Une nouvelle loi sur la citoyenneté doit être adoptée dans un avenir proche, a indiqué la délégation.
Observations préliminaires
M. PETER, rapporteur du Comité pour l'examen du rapport du Kenya, a remercié la délégation pour les informations et commentaires qu'elle a fournis aux membres du Comité. Il a rappelé que certains experts ont attiré l'attention sur les confrontations incessantes dans le contexte africain et la nécessité d'y remédier. Il y a des domaines sur lesquels le Kenya va devoir continuer à réfléchir, notamment pour ce qui est du respect de la Constitution elle-même – dont il va falloir s'assurer de la pleine et entière mise en œuvre, a poursuivi le rapporteur. M. Peter s'est par ailleurs dit heureux de constater que les affaires en souffrance, comme celle des enfants nubiens, retiennent toute l'attention du Gouvernement et a exprimé l'espoir qu'elles seront donc résolues. Il a en revanche exprimé des doutes quant à la nécessité de créer de nouvelles commissions, coûteuses, alors qu'il en existe déjà un nombre conséquent. D'autre part, il faudrait accorder une plus grande priorité aux personnes déplacées, a estimé M. Peter.
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CERD11/027F