Fil d'Ariane
LE COMITÉ POUR L'ÉLIMINATION DE LA DISCRIMINATION RACIALE EXAMINE LE RAPPORT DU PARAGUAY
Le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale a examiné, hier après-midi et ce matin, le rapport initial du Paraguay sur les mesures prises par ce pays pour se conformer aux dispositions de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale.
Présentant le rapport, M. Federico González, Représentant permanent du Paraguay auprès des Nations Unies à Genève, a rappelé que son pays avait accepté toutes les recommandations issues de l'examen périodique universel auquel il s'est soumis cette année. M. González a fait valoir que le Paraguay est le seul État d'Amérique latine à posséder deux langues officielles: l'espagnol et le guarani. Il a en outre rappelé que l'État paraguayen reconnaît aussi 20 peuples autochtones et a commencé à promouvoir l'éducation dans les langues maternelles de ces peuples. Depuis août 2010, l'obligation de solliciter l'intervention de l'Institut paraguayen des autochtones (INDI) a été établie pour tous les processus de consultation prévus conformément à la Convention n°169 de l'Organisation internationale du travail (OIT) sur les droits des peuples indigènes et tribaux. En outre, le budget de l'INDI pour l'achat de terres a été augmenté. Le représentant a également fait valoir qu'en 2010 et 2011, le Paraguay a octroyé des titres de propriété à 18 communautés autochtones. Le pays s'est par ailleurs engagé à respecter tous les jugements émanant des juridictions internationales relativement aux communautés autochtones. Enfin, le Parlement est saisi d'un avant-projet de loi prévoyant des garanties et des sanctions en cas de violation des dispositions constitutionnelles en matière d'interdiction de la discrimination.
La délégation paraguayenne était également composée de représentants du Ministère des relations extérieures et du Secrétariat de la femme de la Présidence de la République. Elle a répondu aux questions soulevées par les membres du Comité en ce qui concerne, notamment, la population d'ascendance africaine, la langue guarani et la situation des populations autochtones, en particulier pour ce qui a trait aux plaintes déposées par des autochtones pour travail forcé dans la région du Chaco, à la santé des autochtones, à la délivrance des cartes d'identité ethnique.
Le rapporteur du Comité pour l'examen du rapport du Paraguay, M. Régis de Gouttes, a relevé que le groupe de population le plus pauvre et le plus souvent victime de discrimination est celui des autochtones. Si les droits des autochtones sont bien reconnus juridiquement, c'est la mise en œuvre pratique de ces dispositions qui apparaît insuffisante, a-t-il insisté. Le rapporteur a aussi exprimé sa préoccupation face aux taux de mortalité et d'illettrisme particulièrement élevés qui sévissent parmi les femmes autochtones. Il a également attiré l'attention sur les problèmes que rencontrent les autochtones en matière de droit d'accès à la terre et à l'eau et s'est inquiété d'informations faisant état de cas de travail forcé voire de servitude dans la région du Chaco. Il a notamment estimé qu'il convenait de satisfaire plus complètement les revendications formulées par les autochtones sur leurs terres ancestrales. Devront aussi être abordées, dans les observations finales du Comité, la question de l'information et du consentement éclairé des autochtones dans les négociations concernant leurs droits ainsi que la question de la sauvegarde de la langue guarani et plus largement de la défense de la culture autochtone. La question des droits de la population d'ascendance africaine fera également l'objet d'observations de la part du Comité s'agissant des mesures à prendre pour assurer le respect de ses droits.
Le Comité adoptera, à huis clos, ses observations finales sur le rapport du Paraguay, qui seront rendues publiques à la clôture de la session, le vendredi 2 septembre prochain.
Le Comité entamera l'examen du rapport des Maldives (CERD/C/MDV/5-12) cet après-midi à 15 heures.
Présentation du rapport
M. FEDERICO GONZÁLEZ, Représentant permanent du Paraguay auprès des Nations Unies à Genève, a rappelé que son pays s'était soumis cette année à l'examen périodique universel du Conseil des droits de l'homme et qu'il avait accepté toutes les recommandations issues de ce processus d'examen. Il a en outre rappelé qu'en 2009, l'État paraguayen avait créé le Réseau des droits de l'homme du pouvoir exécutif, dont la coordination est assurée par le Vice-Ministère de la justice et des droits de l'homme. Actuellement, a-t-il précisé, ce réseau est occupé à l'élaboration du premier Plan national des droits de l'homme. M. González a par ailleurs indiqué que son pays avait engagé le processus d'adhésion à la Convention de 1961 sur la réduction des cas d'apatridie, que le Congrès devrait avoir ratifiée d'ici le mois de décembre prochain.
Le Paraguay est un État social de droit, unitaire, indivisible et décentralisé, a poursuivi le Représentant permanent. Conformément à l'article 137 de la Constitution, a-t-il souligné, les conventions et accords internationaux dûment approuvés et ratifiés par le Congrès occupent le deuxième rang dans l'ordre de préséance des lois, après la Constitution elle-même. Cette dernière stipule que les traités internationaux approuvés par le Congrès et dûment ratifiés font partie de l'ordre juridique interne, avec la hiérarchie susmentionnée découlant de l'article 137 de la Constitution. Ainsi, la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale, approuvée par la loi du 7 juillet 2003, peut-elle être directement invoquée devant les tribunaux.
S'agissant du projet de loi interdisant toute forme de discrimination, M. González a tout d'abord rappelé que l'interdiction de la discrimination a rang constitutionnel au Paraguay, puisque l'article 46 de la Constitution reconnaît le principe intangible d'égalité en stipulant que tous les habitants de la République sont égaux en dignité et en droit et qu'aucune discrimination n'est admise. Pour autant, l'État paraguayen reconnaît que cette interdiction constitutionnelle de la discrimination requiert une législation réglementaire spécifique qui prévoie des garanties et des sanctions en cas de violation, qui énonce les motifs pour lesquels la discrimination est interdite et qui met en place des mécanismes de sanction et de réparation. Le Congrès est actuellement saisi d'un avant-projet de loi contre toute forme de discrimination qui a été présenté par divers organismes non gouvernementaux, avec l'appui du système des Nations Unies. Ce projet de loi interdit de manière explicite toute forme de discrimination fondée sur la race, la couleur, l'ascendance, l'origine nationale ou ethnique, la langue, la religion, l'opinion politique ou tout autre motif, y compris l'affiliation à un parti ou à un mouvement politique, l'origine sociale, le statut économique, l'âge, le sexe, l'orientation sexuelle, l'état civil, la naissance, la filiation, l'état de santé, le handicap, l'aspect physique ou toute autre condition sociale. De l'avis du Gouvernement, cet avant-projet de loi est conforme aux exigences des instruments internationaux de droits de l'homme, a déclaré M. González.
Pour ce qui est de la situation des populations autochtones, le Représentant permanent a souligné que l'État paraguayen se reconnaît comme étant un pays pluriculturel et bilingue dont les langues officielles sont l'espagnol et le guarani. Comme l'a relevé le Rapporteur spécial sur le droit à l'éducation, M. Vernor Muñoz Villalobos, le Paraguay est le seul État d'Amérique latine ayant deux langues officielles, a fait valoir M. González. Il a en outre rappelé que l'État paraguayen reconnaît aussi 20 peuples autochtones appartenant à cinq branches linguistiques et a commencé à promouvoir l'éducation dans les langues maternelles respectives de ces peuples, en sus de l'une des deux langues officielles. Ces dernières années, a poursuivi M. González, le pouvoir exécutif a promulgué d'importants décrets présidentiels établissant des lignes d'action relatives aux peuples autochtones. Ainsi, a-t-il été établi un Programme national de prise en charge intégrale des peuples autochtones (PRONAPI, selon l'acronyme espagnol). Cette année, a en outre été mise en place une Commission multisectorielle pour la revendication des droits des peuples autochtones, en tant qu'instance de coordination interinstitutionnelle et multisectorielle chargée d'accompagner l'exécution des politiques relatives à ces peuples. En août 2010, a également souligné le Représentant permanent, l'Institut paraguayen des autochtones (INDI) a adopté la résolution n°2039 par laquelle est établie l'obligation de solliciter l'intervention de l'INDI pour tous les processus de consultation prévus conformément à la Convention n°169 de l'Organisation internationale du travail (OIT) relative aux droits des peuples indigènes et tribaux.
Durant la période 2010-2011, le Paraguay a octroyé des titres de propriété communautaire à 18 communautés autochtones, a d'autre part fait valoir M. González. En outre, le budget de l'INDI pour l'achat de terres a été augmenté, passant de 4 à 22 millions de dollars. De plus, a-t-il poursuivi, l'État s'est engagé à respecter tous les jugements émanant des juridictions internationales relativement aux communautés autochtones. Ainsi, le 3 août dernier, a été signé l'acte portant transfert de terres (8748 hectares au total) en faveur de la communauté autochtone Kelyenmagategma – l'un des cas portés à l'attention de la Commission interaméricaine des droits de l'homme. La Présidente de cette Commission a d'ailleurs déclaré, à l'occasion de la signature, que le Paraguay commençait à être un modèle au sein du système interaméricain des droits de l'homme en matière de respect des droits des peuples autochtones, a fait valoir M. González. En 2012, a d'autre part indiqué le Représentant permanent, le Paraguay engagera un recensement de tous les autochtones vivant dans le pays.
M. González a souligné que les personnes d'ascendance africaine au Paraguay vivent essentiellement dans les départements Central, de la Cordillera et de Paraguarí; ils se disent Afro-Paraguayens, maintiennent leur histoire et leurs traditions et participent à la société tant au niveau individuel que sous forme collective.
En conclusion, le Représentant permanent a assuré que le Gouvernement paraguayen est conscient qu'il reste au pays des défis à relever pour pouvoir prétendre respecter pleinement la Convention. Il n'en demeure pas moins que de grands efforts en ce sens sont déployés et que pour consolider ce processus, la collaboration et les conseils de chacun des membres du Comité sont nécessaires, a-t-il souligné.
Le rapport initial du Paraguay (CERD/C/PRY/1-3) - établi par l'Institut paraguayen des autochtones (INDI) avec la participation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, de la Direction des droits des communautés ethniques du Ministère public et du Défenseur du peuple – a été élaboré en menant des consultations auprès d'organisations représentant des personnes visées par la Convention, à savoir des organisations de défense des droits des femmes, des autochtones et des Paraguayens d'ascendance africaine. Il rappelle que le Paraguay est un pays pluriculturel et bilingue, dont les deux langues officielles sont le guarani et l'espagnol. D'après le recensement de la population de 2002, le Paraguay comptait alors 5 163 198 habitants. La population est multiculturelle; 18 peuples originels reconnus par la Constitution en tant que peuples autochtones y sont représentés et contribuent à la richesse culturelle du pays. Le recensement montre que la population se compose également de groupes de migrants venus d'Europe, d'Asie et d'autres régions du monde. Ceux-ci pratiquent librement leur langue, leur religion et leurs traditions culturelles. Selon le recensement national des peuples autochtones effectué dans le cadre du recensement général de 2002, les autochtones étaient à cette date au nombre de 87 099, répartis en cinq familles linguistiques différentes (guarani, maskoy, mataco, zamuco, toba-guaicurú). Les Ayoreos n'ont pas été comptabilisés dans le recensement de 2002 car ils vivent en isolement volontaire et ne participent donc pas aux recensements de population, précise le rapport. Le recensement de la population d'ascendance africaine a été organisé par les intéressés eux-mêmes avec le soutien de la Direction générale des statistiques, enquêtes et recensements; on a ainsi recensé 7637 personnes réparties en trois communautés qui vivent dans la partie centrale du sud du pays, indique en outre le rapport, avant de préciser qu'une rubrique spécifique concernant les Afro-Paraguayens va être introduite dans le recensement national de 2012.
La discrimination raciale n'est pas définie en tant que telle dans la législation nationale et n'est pas punie par la loi, reconnaît le rapport. Toutefois, un projet de loi porté par le Réseau de lutte contre toutes les formes de discrimination, qui regroupe plusieurs organisations non gouvernementales, est pendant depuis plusieurs années devant le Congrès, souligne-t-il. Il ajoute que le chapitre V du titre I de la Constitution, consacré aux peuples autochtones, reconnaît à ces derniers des droits spéciaux fondés sur le droit coutumier autochtone. Le chapitre III, relatif à l'égalité, consacre le principe selon lequel la discrimination n'est pas admise dans le pays. Il fait obligation à l'État de supprimer les obstacles à l'égalité et interdit tous les facteurs qui entretiennent ou favorisent la discrimination. Il dispose en outre que les mesures de protection mises en place pour remédier à des situations d'injustice et d'inégalité ne sont pas considérées comme des facteurs de discrimination, mais comme des facteurs d'égalité. D'après le Plan d'action stratégique de l'INDI, l'un des objectifs à atteindre d'ici à 2013 est faire en sorte que 90% des peuples autochtones soient en possession des titres de propriété des terres sur lesquelles ils sont installés. D'après le recensement national de 2002, 45% des communautés autochtones recensées possèdent un titre de propriété foncière, indique le rapport.
Examen du rapport
Questions et observations des membres du Comité
M. RÉGIS DE GOUTTES, rapporteur du Comité pour l'examen du rapport du Paraguay, a souligné que le rapport initial du Paraguay couvre en réalité les premier, deuxième et troisième rapports périodiques du pays qui étaient respectivement dus en 2004, 2006 et 2008 puisque le Paraguay a ratifié la Convention en 2003.
En 2010, a rappelé M. de Gouttes, le Comité s'était adressé au Gouvernement paraguayen, au titre de sa procédure d'alerte rapide et d'action urgente, au sujet du sort des communautés indigènes, en particulier dans la région du Chaco; une réponse a été fournie par le pays en février 2011, a-t-il souligné. Il a en outre relevé que le Gouvernement paraguayen n'a pas jugé nécessaire de faire la déclaration prévue à l'article 14 de la Convention reconnaissant la compétence du Comité pour examiner des plaintes individuelles (communications).
En ce qui concerne la situation politique générale, M. de Gouttes a rappelé que le Paraguay est indépendant depuis 1911 et qu'après la longue période dictatoriale du Général Stroessner (1954-1989), le pays a pu sortir de son isolement et devenir membre fondateur du MERCOSUR. Il a ensuite rappelé que le pays compte un peu plus de 6 995 000 habitants et a relevé que cette population est en forte croissance. Quant aux peuples autochtones, le plus important d'entre eux est de loin celui des Guarani, a-t-il poursuivi. Le nombre de personnes d'ascendance africaine, d'après les chiffres officiels, est d'environ 7600, a-t-il ajouté. Il s'est enquis du nombre actuel et de l'origine des immigrés se trouvant actuellement sur le territoire paraguayen
Le niveau de vie reste très faible dans la population rurale, qui représente environ 40% de la population totale, a poursuivi M. de Gouttes. En 2008, a-t-il souligné, 35% de la population vivaient sous le seuil de pauvreté et 19% en dessous du seuil de pauvreté extrême. En outre, 85% des terres appartiendraient à seulement 2,6% de la population. Reste que le groupe de population le plus pauvre et le plus discriminé est celui des autochtones, ce qui appelle de la part des autorités un renforcement des mesures de protection en leur faveur dans tous les domaines, a déclaré le Rapporteur. Si les droits des autochtones sont bien reconnus juridiquement, c'est la mise en œuvre pratique de ces dispositions qui apparaît insuffisante et qui appelle une action accrue de la part du Gouvernement, a-t-il en outre affirmé. Il a par ailleurs souhaité obtenir davantage de renseignements concernant la mise en œuvre concrète et pratique des droits des personnes d'ascendance africaine.
M. de Gouttes a par ailleurs souhaité savoir où en était l'élaboration d'un plan national global d'action pour la mise en œuvre du Programme et du Plan d'action de Durban et a demandé si le Gouvernement paraguayen entendait mettre en place une autorité qui serait chargée de la mise en œuvre d'un tel plan national global contre le racisme.
La législation du Paraguay n'inclut pas de référence à la notion de discrimination raciale, ni même d'ailleurs à la notion de race, a par ailleurs relevé M. de Gouttes. Le projet de loi contre toute forme de discrimination dont est saisi le Congrès inclut-il désormais la référence à la discrimination raciale, a-t-il demandé? Quels sont les obstacles auxquels s'est heurté ce projet de loi qui est pendant depuis plusieurs années? Les textes de lois existants au Paraguay ne répondent pas aux exigences d'incriminations prévues à l'article 4 de la Convention, a d'autre part souligné l'expert. Il a en outre rappelé que le Comité exige de tous les États parties à la Convention qu'ils lui fournissent des statistiques sur les plaintes, les poursuites et les jugements suite à des actes de racisme; en outre, le Comité estime que l'absence ou la rareté de plaintes en la matière ne doit pas nécessairement être considérée positivement car elle peut être révélatrice d'une insuffisance de recours disponibles, d'une mauvaise connaissance des victimes quant à leurs droits, d'une peur de représailles voire de difficultés à établir la preuve de la discrimination raciale, par exemple.
Le rapport reconnaît avec franchise que les autochtones souffrent de conditions de vie particulièrement difficiles, a par ailleurs relevé M. de Gouttes. Aussi, a-t-il souhaité obtenir des informations plus précises sur les nouveaux efforts déployés par les autorités paraguayennes pour lutter contre la discrimination dont continuent de souffrir les autochtones et pour réaliser pleinement le consentement libre et éclairé dans les négociations concernant les droits réels des autochtones, tel que prévu par la Convention n°169 de l'OIT. Force est en effet de relever que la situation des autochtones est très préoccupante, a déclaré le Rapporteur, rappelant que le pays a été condamné à trois reprises par la Cour interaméricaine des droits de l'homme à ce sujet. Face à des expulsions de leurs terres, les autochtones considèrent que l'indemnisation n'est pas suffisante car c'est le retour sur leurs terres qu'ils revendiquent. M. de Gouttes a par ailleurs exprimé sa préoccupation face aux taux de mortalité et d'illettrisme particulièrement élevés qui sévissent parmi les femmes autochtones; il a également attiré l'attention sur les problèmes que rencontrent les autochtones en matière de droit d'accès à la terre et à l'eau et s'est inquiété d'informations faisant état de cas de travail forcé voire de servitude dans la région du Chaco.
S'agissant enfin des personnes d'ascendance africaine, M. de Gouttes a souhaité en savoir davantage sur la manière dont est recueillie l'auto-identification de ces populations. Il s'est en outre enquis des mesures prises, en cette Année internationale des populations d'ascendance africaine, pour promouvoir le droit au travail, le droit au salaire égal et le droit à la sécurité sociale de ces populations. Des mesures spéciales ont-elles été prise en faveur de l'accès des personnes d'ascendance africaine à la justice, a-t-il également demandé? Évoquant la situation pénitentiaire du pays, M. de Gouttes a souhaité en savoir davantage sur les types de délits pour lesquels sont détenus des autochtones et a relevé que le rapport ne contient aucune information sur le nombre de personnes d'ascendance africaine se trouvant en prison au Paraguay.
Un autre membre du Comité s'est enquis des mesures prises pour combattre les violations graves et systématiques des droits de l'homme dont sont victimes les peuples autochtones au Paraguay et dont se font l'écho de nombreux rapports. Qu'en est-il des processus de consultation menés auprès des autochtones conformément à la Convention n°169 de l'OIT?
Un autre expert a relevé que selon les statistiques officielles, environ 87 000 personnes sont reconnues comme autochtones alors que le nombre de personnes parlant le guarani s'établit à plus de trois millions. Y aurait-il une honte à se reconnaître comme autochtone? Relevant que le guarani est parlé ou compris par la majorité de la population, une experte a estimé qu'il conviendrait de rehausser le statut de cette langue.
Un expert s'est enquis des mesures concrètes prises par les autorités paraguayennes pour prévenir la disparition de langues autochtones.
Combien de fonctionnaires proviennent-ils du groupe de population que constituent les autochtones, a demandé un autre membre du Comité? Il s'est en outre inquiété d'informations laissant apparaître que tous les enfants ne seraient pas enregistrés au Paraguay, ce problème touchant en particulier des enfants autochtones. Toutes les mesures utiles devraient être prises pour assurer une connaissance des langues autochtones parmi les personnels de justice, a également souligné l'expert.
Le fait que, comme cela a été indiqué par la délégation, le Congrès national du Paraguay ait refusé d'entériner une loi sur la restitution des terres autochtones ne doit pas être pris à la légère, a déclaré un membre du Comité. Cela dénote en effet qu'il existe au sein de l'opinion publique et de la classe politique une mentalité contraire au droit des populations autochtones de se voir restituer leurs terres ancestrales. Il convient donc de rechercher une solution pour résoudre ce problème, d'où la nécessité pour le pays de se doter d'une stratégie globale en la matière, a souligné cet expert. Les autorités paraguayennes envisagent-elles le recours à une médiation internationale à cet égard, a demandé un autre membre du Comité?
Soulignant que la population d'ascendance africaine représentait à la fin du XVIIIe siècle quelque 11% de la population du Paraguay, un expert s'est enquis de l'évolution historique de ce groupe de population. L'expert s'est aussi enquis de la situation actuelle de la communauté afro-paraguayenne expulsée en 1957 de ses terres de Camba Cua.
Réponses de la délégation
Interrogée sur les obstacles qui s'opposent à l'adoption du projet de loi contre la discrimination, la délégation a expliqué qu'ils relèvent essentiellement de divergences entre certaines commissions du Sénat, même s'il n'y a pas de manifestation officielle de ces divergences. Le Secrétariat de la femme et le Réseau des droits de l'homme appuient ce projet de loi dans l'ensemble de son contenu et de son énoncé, a précisé la délégation.
La délégation a indiqué que selon certaines données, le guarani serait parlée par 80% de la population paraguayenne et constitue donc incontestablement un ciment de la société. C'est pour cette raison qu'il y a quelques années, il fut décidé d'adapter à l'écriture cette langue qui était à l'origine uniquement orale, a souligné la délégation. À l'initiative du Paraguay, le guarani a été reconnu comme langue nationale (mais non comme langue officielle) du MERCOSUR. Entre le guarani et l'espagnol, on trouve une troisième langue issue d'un mélange de ces deux langues officielles du pays, a précisé la délégation.
La population paraguayenne dans son ensemble se considère comme descendante des Espagnols et des Guarani, a insisté la délégation. Les Guarani, quant à eux, ne considèrent pas les métis paraguayens comme faisant partie intégrante de leur communauté, a-t-elle ajouté.
D'après le dernier recensement, le Paraguay compterait quelque 107 000 autochtones, a par ailleurs indiqué la délégation.
En ce qui concerne la question des terres autochtones, la délégation a souligné que les autorités paraguayennes se sont attelées avec beaucoup d'intérêt à appliquer les jugements des instances internationales – et notamment de la Cour interaméricaine des droits de l'homme – concernant les terres des populations autochtones du Paraguay. Une commission interinstitutionnelle a été mise en place à cette fin. La Constitution stipule que la propriété privée est garantie et les terres visées par les jugements d'instances internationales peuvent donc être restituées aux populations concernées, a indiqué la délégation. Concernant plus précisément les trois cas sanctionnés par la Cour interaméricaine des droits de l'homme, le pouvoir exécutif a présenté à deux reprises des demandes d'expropriation qui ont été rejetées par le Congrès national. Face à ce rejet du Congrès, l'État n'a donc d'autre solution que d'acquérir les terres visées; c'est la raison pour laquelle le budget de l'INDI pour l'achat de terres a été sensiblement augmenté, comme cela a déjà été indiqué. Mais à ce jour, les autorités paraguayennes ne sont pas encore parvenues à convaincre les propriétaires des terres visées de les vendre, bien que les fonds disponibles pour les payer existent.
La délégation a précisé que la loi en vigueur reconnaît la personnalité juridique des communautés autochtones, lesquelles revendiquent donc elles-mêmes leurs terres ancestrales.
Pour ce qui est de la communauté Yakye Axa, la délégation a indiqué que l'acquisition d'une terre alternative appartenant à l'entreprise PASTORIL S.A. n'a pas abouti car cette communauté a rejeté cette option et a maintenu sa revendication ancestrale, tout en révisant à la baisse ses prétentions qui portent désormais non plus sur 15 000 mais sur 8000 hectares. Répondant à une question complémentaire, la délégation a assuré que la communauté Yakye Axa avait refusé toute option d'acquisition de terres alternatives en insistant sur sa revendication ancestrale.
Pour ce qui est de la communauté Sawhoyamaxa, les négociations se poursuivent pour l'acquisition de terres alternatives, dans le cadre de l'offre présentée par M. Heribert Roedel, un ressortissant allemand propriétaire terrien dans le Chaco, a fait savoir la délégation. Quant à la communauté autochtone Xákmok Kásek, tous les obstacles existants ont été surmontés et 1500 hectares déjà restitués à cette communauté, ce qui ne représente qu'une partie du territoire revendiqué, sont en cours de titularisation. Ces progrès ont été salués par la communauté concernée, a ajouté la délégation.
S'agissant de la santé des communautés autochtones, la délégation a notamment souligné que le Ministère de la santé a entrepris le recrutement de promoteurs de la santé autochtone pour chacune des communautés autochtones du pays. En outre, le Ministère a adopté en janvier dernier une résolution portant création d'un Conseil de santé autochtone. Quant aux communautés autochtones de Yakye Axa et Sawhoyamaxa, de Puerto Colón et de Riacho San Carlos, un plan interdépartemental d'assistance sanitaire a été élaboré en 2009, a précisé la délégation.
Interrogée sur les critères de délivrance de la carte d'identité ethnique, la délégation a indiqué que c'est l'INDI qui délivre ces cartes qui portent mention de l'appartenance de la personne à sa communauté. La délivrance de ces cartes ne se fait que sur demande des autochtones eux-mêmes et c'est à la personne concernée qu'il appartient de dire à quelle communauté elle appartient. En réponse à des questions complémentaires, la délégation a précisé que ces cartes ne sont distribuées qu'aux seuls adultes autochtones et sur leur demande. La carte d'identité ethnique est une carte d'identité supplémentaire qui vient s'ajouter à la carte d'identité nationale, laquelle est obligatoire pour nombre de démarches administratives. La carte d'identité ethnique est nécessaire, elle, pour bénéficier de certains avantages comme, par exemple, l'exonération d'impôt, a indiqué la délégation.
En ce qui concerne les plaintes pour travail forcé déposées par des autochtones dans la région du Chaco, la délégation a indiqué que, bien que le Vice-Ministère du travail et de la protection sociale s'occupe des travailleurs et des employeurs sans discrimination aucune, des mesures affirmatives ont été adoptées suite à la présentation de ces plaintes. Fin 2008, une Direction générale du travail a été créée dans la région occidentale du Paraguay, où avaient été déposées des plaintes faisant état de situations de travail forcé autochtone. Une Commission sur les droits fondamentaux au travail et la prévention du travail forcé a par ailleurs été créée pour examiner en particulier la situation des travailleurs dans la région du Chaco et qui est en train d'élaborer un plan d'action.
Pour ce qui est de la portée de l'application du droit coutumier autochtone dans le droit pénal, la délégation a notamment indiqué que le Code de procédure pénal prévoit une procédure spéciale pour les faits punissables liés aux peuples autochtones. Ainsi, par exemple, si la détention préventive est ordonnée à l'encontre d'un autochtone, le juge peut exiger que soient examinées les conditions de vie de la personne visée et qu'il soit tenu compte de ses caractéristiques culturelles afin d'éviter son aliénation culturelle.
En ce qui concerne la population d'ascendance africaine, la délégation a indiqué que le recensement réalisé en 2006-2007 par la Fondation interaméricaine et par l'Association afro-paraguayenne de Camba Cua auprès de trois communautés d'ascendance africaine avait enregistré 7637 personnes. L'année 2011 étant l'Année internationale des populations d'ascendance africaine, les efforts pour mener des activités visant à accroître la visibilité de ces populations et à en reconnaître les droits ont été renforcés.
Apportant des précisions sur la communauté de Camba Cua, la délégation a précisé qu'elle vit sur des terres qui ne couvrent pas le territoire qui lui revient à titre historique; elle revendique une partie des terres qui se trouve aujourd'hui entre les mains d'un organisme public. Depuis longtemps, cette communauté est en pourparlers avec les municipalités qui exercent la juridiction sur les terres visées. Comme certains l'ont suggéré, l'État central pourrait effectivement se saisir de la question aux côtés des collectivités locales concernées afin de faire avancer ces négociations qui durent depuis si longtemps. L'État reconnaît sans réserve les valeurs culturelles de la communauté Camba Cua, a poursuivi la délégation.
S'agissant des questions relatives à l'immigration, la délégation a indiqué que jusqu'à la fin du XIXe siècle voire jusqu'au début du XXe siècle, différents contingents d'immigrants, issus des continents européen et américain, sont arrivés au Paraguay; à partir du XXe siècle, s'y sont ajoutés des immigrants asiatiques, en particulier japonais, coréens, chinois, syriens et libanais, entre autres. La part des immigrants dans la population totale paraguayenne est restée stable, se situant à 3,4% tant en 1972 qu'en 2002, même si en chiffres absolus la population immigrante comptait 81 100 personnes en 1972 et 173 176 en 2002, a précisé la délégation. L'immigration internationale est essentiellement composée de ressortissants du Brésil et de l'Argentine, lesquels représentaient en 2002 84,2% de la population étrangère totale au Paraguay, a-t-elle souligné.
La Commission Vérité et Justice fut créée par la Loi n°2225/2003 afin d'enquêter sur les faits constituant ou pouvant constituer des violations de droits de l'homme qui se sont produits entre le mois de mai 1954 et la date de promulgation de ladite Loi et de recommander l'adoption de mesures susceptibles d'éviter que de tels faits ne se reproduisent, a indiqué la délégation. Les peuples autochtones, en particulier le peuple Aché et le peuple Ayoreo, ont eu la possibilité de présenter leurs plaintes devant cette Commission, a-t-elle précisé. Désormais, a ajouté la délégation, cette Commission s'est convertie en Direction générale de Vérité, Justice et Réparation, par l'adoption de la Résolution 1979/2009 du Défenseur du peuple; cette Direction générale assure le suivi de toutes les plaintes déposées.
La délégation a fait valoir qu'un recensement serait mené l'an prochain au Paraguay qui permettra de disposer de données complètes et à jour. Elle a par ailleurs indiqué que le pays comptait actuellement 71 autochtones détenus.
Observations préliminaires
M. DE GOUTTES, rapporteur du Comité pour l'examen du rapport du Paraguay, a remercié la délégation pour les réponses qu'elle a apportées aux questions soulevées par les membres du Comité et s'est réjoui que le dialogue avec le Paraguay commence dans un esprit de coopération. Dans ses observations finales, qui seront adoptées ultérieurement, le Comité aura à l'esprit les questions ayant trait à l'adoption du plan national de lutte contre le racisme; à l'aboutissement du nouveau projet de loi contre toute forme de discrimination - qui doit inclure la discrimination raciale pour être pleinement conforme à la Convention; ou encore au recueil de données concernant les plaintes, poursuites et jugements intervenus pour des actes de racisme.
En ce qui concerne les autochtones, des mesures doivent être prises pour aider l'INDI, dont les ressources et les moyens doivent être renforcés, a poursuivi M. de Gouttes. Il convient en outre de satisfaire plus complètement les demandes de terres ancestrales des autochtones, a-t-il ajouté. Il faut aussi assurer la pleine exécution effective des arrêts rendus par la Cour interaméricaine des droits de l'homme. Devront aussi être abordées la question de l'information et du consentement éclairé des autochtones dans les négociations concernant leurs droits ainsi que la question de la sauvegarde de la langue guarani et plus largement de la défense de la culture autochtone. Les observations finales devront également aborder la question de la population d'ascendance africaine, alors qu'est célébrée, cette année, l'Année internationale des personnes d'ascendance africaine.
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CERD11/024F