Fil d'Ariane
LE CONSEIL DES DROITS DE L'HOMME TIENT UNE RÉUNION-DÉBAT SUR LES DROITS DE L'HOMME ET LES PRISES D'OTAGES PAR DES TERRORISTES
Le Conseil des droits de l'homme a tenu ce matin une réunion-débat consacrée à la question des droits de l'homme dans le cadre des mesures adoptées pour faire face aux prises d'otages par des terroristes.
Dans une déclaration liminaire, la Haut Commissaire adjointe aux droits de l'homme, Mme Kyung-Wha Kang, a souligné que le terrorisme ne sera pas vaincu par le seul recours à des techniques militaires ou à la force mais aussi par une action sur les facteurs qui le facilitent, avec une prise en compte des conditions sociales, de la marginalisation et de la discrimination sociale. De même, la lutte antiterroriste doit respecter les droits de l'homme, à la fois des preneurs d'otages et des victimes.
Des exposés ont ensuite été présentés par cinq panélistes: M. Martin Scheinin, Rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste; M. Kamel Rezzag Bara, conseiller du Président de l'Algérie; Mme Cecilia R.V. Quisumbing, membre de la Commission nationale des droits de l'homme des Philippines; M. Soumeylou Boubèye Maïga, Président de l'Observatoire sahélo-saharien de géopolitique et de stratégie; et M. Federico Andreu, membre de la Commission colombienne de juristes.
M. Scheinin a souligné que la prise d'otage ne saurait avoir de justification morale; elle constitue une atteinte aux droits de l'homme. En même temps, les droits de l'homme doivent s'appliquer en toute circonstance dans la cadre de la lutte antiterroriste. Il a aussi souligné que si la Convention internationale contre la prise d'otages n'interdit pas le versement de rançons, les instruments internationaux contre le financement du terrorisme peuvent être considérés comme en interdisant le paiement.
M. Bara a pour sa part souligné que les actes de terrorisme et la prise d'otage, notamment dans le Golfe d'Aden et le Sahel, menacent la sécurité internationale. La lutte contre ce fléau est rendue difficile par ses ramifications internationales et l'importance des capacités financières des groupes concernés. Il faut donc renforcer la coopération internationale dans ce domaine et envisager de nouvelles législations.
Mme Quisumbing a souligné le manque des ressources et de compétences des pays en développement dans la lutte antiterroriste, tout en insistant sur la nécessité d'une approche fondée sur les droits de l'homme et une attention à accorder aux groupes les plus vulnérables à la prise d'otage.
M. Maïga a pour sa part décrit la situation de «sanctuarisation» de l'activité terroriste au Sahel où Al-Qaida au Maghreb islamique dispose désormais de moyens financiers importants et exploite la misère des populations locales en devenant le principal pourvoyeur de ressources et en déstructurant les cadres sociaux existants.
M. Andreu a souligné que la prise d'otage est un crime qui doit être combattu dans le strict respect des droits de l'homme et la préservation de l'intégrité physique et de la vie des otages. Il a ajouté que les États ne doivent pas combattre le terrorisme par des méthodes terroristes et inhumaines.
Au cours du débat interactif qui a suivi, les délégations ont beaucoup débattu de la question du versement de rançons, soulignant son rôle dans le renforcement des capacités des groupes terroristes et l'incitation que cela peut représenter en favorisant de nouvelles prises d'otage. Les fonds ainsi récoltés seraient aujourd'hui la première source de financement du terrorisme. Plusieurs ont appelé les États à ne plus verser de rançons. Ils ont également reconnu qu'il est de la responsabilité des États de libérer les otages.
Les délégations suivantes ont participé aux échanges: France, Iraq (au nom du Groupe arabe) Algérie, Russie, Chine, Burkina Faso, Iran, Nigéria (au nom du Groupe africain), Maroc, Colombie, États-Unis, Royaume-Uni, Espagne et Syrie.
Cet après-midi, à 15 heures, le Conseil doit brièvement reprendre son débat général sur la promotion et la protection de tous les droits de l'homme afin d'entendre des organisations non gouvernementales et des interventions qui seront faites dans l'exercice du droit de réponse.
Réunion-débat sur la question des droits de l'homme dans le cadre des mesures adoptées pour faire face aux prises d'otages par des terroristes
Introduction
MME KYUNG-WHA KANG, Haut-Commissaire adjoint des Nations Unies aux droits de l'homme, a indiqué que le débat de ce matin sera axé sur la responsabilité des États de promouvoir et protéger les droits de l'homme pour tous, sur le renforcement de la coopération internationale en matière de prévention et de lutte contre le terrorisme et sur la protection des droits de toutes les victimes du terrorisme. Mme Kang a déclaré que les prises d'otages sont des crimes et doivent être réprimées comme telles. La Convention internationale contre la prise d'otages (1979), ratifiée par 168 États, définit la prise d'otages comme l'acte de «quiconque s'empare d'une personne, ou la détient et menace de la tuer, de la blesser […] afin de contraindre […] un État, une organisation internationale intergouvernementale, une personne physique ou morale ou un groupe de personnes, à accomplir un acte quelconque ou à s'en abstenir en tant que condition explicite ou implicite de la libération de l'otage (art.1)». La prise d'otages est aussi interdite par le droit international humanitaire et par la Cour pénale internationale. Ce cadre juridique ne contient cependant pas de définition universelle et complète du terrorisme. On peut se référer à cet égard au rapport de 2004 du Panel de haut niveau sur les menaces, défis et changements, qui estime que la définition du terrorisme doit inclure toute action tendant à causer la mort de civils afin d'intimider une population ou d'inciter un gouvernement ou une organisation internationale à s'abstenir d'agir d'une manière ou d'une autre. La prise d'otages est un acte terroriste dans la mesure s'il est perpétré pour cette raison.
Dans leur réaction à une prise d'otages, à caractère terroriste ou non, les États doivent respecter les normes du droit international. Les États doivent veiller à ce que leurs systèmes juridiques soient dotés des moyens de réprimer les prises d'otages. Ce faisant, les États doivent veiller à ce que les personnes soupçonnées de prises d'otages à des fins terroristes soient traitées selon les normes internationales des droits de l'homme, en particulier s'agissant du principe d'égalité devant la loi. Cela étant, les États ne sauraient lutter efficacement contre les prises d'otages par des terroristes en se contentant de réagir aux crimes. Le Conseil de sécurité, dans sa résolution 1963 (2010), constate que le terrorisme ne sera pas vaincu par la seule force militaire, par l'action de police ou celle de services de renseignements: la lutte contre le terrorisme doit passer par une action sur les facteurs qui le favorisent. Les États devront donc promouvoir le respect de l'état de droit, la protection des droits de l'homme et des libertés fondamentales, favoriser la bonne gouvernance et la tolérance, afin d'ouvrir des modes d'expression alternatifs aux personnes vulnérables au recrutement par des organisations terroristes et à la radicalisation. De même, la lutte contre le terrorisme doit tenir compte des conditions sociales, de la marginalisation et de la discrimination sociale, ainsi que de la déshumanisation des victimes du terrorisme.
Les besoins de protection des droits des personnes victimes des prises d'otages par des terroristes doivent être couverts par des mécanismes de soutien s'appuyant sur les principes et normes consacrés par le droit international des droits de l'homme, en particulier le droit au recours utile (article 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques). Les instruments internationaux des droits de l'homme soulignent que les victimes doivent être traitées dans le respect de leur dignité et avec compassion. Elles doivent avoir accès à la justice et bénéficier d'une assistance juridique si nécessaire; elles doivent aussi obtenir des compensations supérieures au préjudice subi. Il faut en outre que les victimes aient la possibilité de participer aux procédures judiciaires engagées contre les auteurs des violations. Enfin, les États doivent prendre des mesures concertées en vue de la réintégration sociale des victimes, de manière à leur permettre de reconstruire leur vie. À cet égard, leurs besoins matériels, médicaux, psychologiques et sociaux doivent être couverts.
Exposés
M. MARTIN SCHEININ, Rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste, a souligné que la prise d'otage était une forme atroce de terrorisme réduisant la victime à un simple moyen d'obtenir quelque chose. Il s'agit d'une pratique n'ayant aucune justification morale, quels que soient les objectifs affichés des preneurs d'otage. Il a rappelé que la pratique faisait l'objet d'un instrument international séparé, datant de 1979 et ratifié par 168 États, la Convention internationale contre la prise d'otages. De nombreuses définitions du terrorisme, même les plus restrictives, mentionnent de manière séparée la prise d'otage comme une forme de terrorisme. Elle prend en effet en compte la prise d'otage commise avec l'intention de susciter la peur, de «terroriser» au sens propre, la population en général, a observé M. Scheinin. Elle ne couvre pas, en revanche, le délit de prise d'otage dans l'intention de procéder à un chantage ou de contraindre des familles ou d'autres acteurs privés. Ces actes sont incontestablement délictueux mais ils ne constituent pas des actes de terrorisme en tant que tels, a-t-il estimé.
M. Scheinin a fait quatre observations sur la dimension de la prise d'otage en tant qu'atteinte aux droits de l'homme. Tout d'abord, en réduisant la victime à un simple moyen, elle est l'antithèse de plusieurs droits humains: droit à la dignité humaine, à l'autonomie personnelle et à la liberté individuelle, et très souvent droit à la vie; elle tombe aussi sous le coup de l'interdiction de la torture ou toute forme de traitement inhumain. En deuxième lieu, l'approche fondée sur les droits de l'homme face à la prise d'otage considère néanmoins que l'auteur de la prise d'otage est un être humain et a droit à un traitement équitable. En troisième lieu, une approche des droits de l'homme face à la prise d'otage prend en compte les droits des otages et de leur famille, ce qui comprend le droit à la vie de la victime. C'est ce qui doit guider la politique et la pratique des États face au phénomène de la prise d'otage. Cela suppose d'œuvrer sans relâche pour obtenir la libération de l'otage. Le renseignement et la coopération des services de renseignement est l'une des dimensions de cette question. Enfin, le Rapporteur spécial attire l'attention sur la prévention de nouvelles prises d'otage, ce qui suppose de traiter les «causes» du terrorisme. À cet égard, la Stratégie mondiale contre le terrorisme de l'Assemblée générale en 2006 constitue un bond en avant de par le fait qu'elle souligne que les violations des droits de l'homme entraînent le développement du terrorisme.
Pour M. Scheinin, «assurer la pleine jouissance de tous les droits de l'homme pour tous est la pierre angulaire de toute stratégie durable permettant d'éradiquer le terrorisme». S'agissant enfin de la question du versement de rançons, la Convention de 1979 ne dit pas si leur versement par les États ou d'autres acteurs est interdit. Toutefois, les instruments internationaux contre le financement du terrorisme peuvent être considérés comme en interdisant le paiement de rançons.
M. KAMEL REZZAG BARA, Conseiller adjoint du président algérien, a déclaré que les actes de terrorisme, y compris les nombreux cas de prise d'otage dans le golfe d'Aden et la région saharienne compromettent lourdement la stabilité de ces régions et au-delà, la sécurité internationale. La menace terroriste représentante un défi mondial qui nécessite la mobilisation de tous les acteurs, États, organes des Nations Unies et organisations non gouvernementales. Constatant l'absence de définition consensuelle du terrorisme, le représentant a néanmoins estimé que le terrorisme demeure une violation des droits de l'homme et une négation totale de ces droits, dont la pire forme est la prise d'otage. Par les nouveaux modes opératoires et la recrudescence de cas, cette forme de violence est particulièrement dévastatrice et constitue un nouveau genre de menace contre les droits de l'homme.
La lutte contre le terrorisme ne devrait pas être la somme de toutes les actions menées dans les cadres nationaux, mais l'expression d'une volonté globale, a en outre estimé le conseiller algérien. Dans ce contexte, il a souligné la nécessité d'une coopération internationale fondée sur le respect des normes de droit international. Mais force est de constater que l'unité d'action dans ce domaine est menacée par le nombre croissant des enlèvements. Les États, dans le but légitime de protection de leurs ressortissants, sont souvent poussés à adopter des comportements dommageables, comme le paiement de rançons. Selon les estimations en Algérie, dans la région du Sahel africain, et notamment dans les régions où opère Al-Qaida, ces enlèvements ont permis à ces groupes de recueillir près de 150 millions de dollars. En raison de l'extrême pauvreté des communautés vivant dans ces zones, il existe aujourd'hui un phénomène de sous-traitance où les populations sont utilisées pour fournir des renseignements. Le climat devenu dangereux dans ces zones a en outre fait fuir les touristes et les organisations non gouvernementales qui y travaillaient. Dans ce contexte, le conseiller a plaidé pour la mise en œuvre de véritables politiques et législation, y compris l'élaboration d'un protocole additionnel à la convention internationale sur la prise d'otage. Il faut en outre qu'une étude approfondie soit menée par les organes appropriés des Nations Unies, y compris les procédures spéciales, afin de qualifier les actes d'enlèvement comme attentatoires aux droits de l'homme et pour que les victimes bénéficient des dispositions pertinentes en la matière. Ces actions ne sont pas dissociables des politiques actuelles, a conclu M. Bara.
MME CECILIA QUISUMBING, membre de la Commission des droits de l'homme des Philippines, a d'abord observé que, pour les terroristes preneurs d'otages, certaines cibles sont plus intéressantes que d'autres, soit du fait de leur nationalité – touristes occidentaux par exemple – soit de par leur métier – marins notamment. On constate en outre que les travailleurs migrants sont particulièrement vulnérables à cette forme de violence. Les États sont tenus d'assurer la protection des personnes appartenant à des groupes à risques, comme les y enjoint notamment la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale. D'un autre côté, il existe une tendance à un profilage racial et religieux dans le cadre des mesures prises par les États contre le terrorisme. C'est pourquoi les lignes directrices préparées par le Haut-Commissariat aux droits de l'homme sur la formulation de plans d'action nationaux de lutte contre le terroriste insistent sur ce point.
Mme Quisumbing a souligné l'importance du renforcement des capacités des acteurs concernés. Cet aspect est particulièrement important étant donné que de nombreuses organisations terroristes ont leurs racines et opèrent dans des pays en voie de développement, des pays où il faut chercher les raisons profondes du mécontentement, soit les conflits et les inégalités sociales et politiques. Or, ces pays manquent des ressources et de compétences qui leur permettraient de prévenir les actes de terrorisme et d'en sanctionner les auteurs. Les programmes d'aide aux pays en voie de développement dans la lutte contre le terroriste doivent toujours s'appuyer sur une approche fondée sur les droits de l'homme. Mme Quisumbing a observé que cette approche ne doit pas être assimilée à l'approche policière ou sécuritaire. Elle exige qu'une attention soit accordée à deux groupes importants: les victimes et les secteurs vulnérables. La difficulté réside dans l'identification des secteurs sociaux vulnérables aux prises d'otages par des terroristes.
S'agissant de la réponse aux besoins des victimes et témoins, Mme Quisumbing a recommandé de suivre le modèle du Statut de Rome de la Cour pénale internationale. Les institutions nationales de droits de l'homme doivent pour leur part compléter l'action des forces de sécurité en rédigeant des lignes directrices en matière de protection.
M. SOUMEYLOU MAÏGA, Président de l'Observatoire sahélo-saharien de géopolitique et de stratégie (OSGS), a évoqué la dimension socio-économique de la multiplication des prises d'otages. Il a expliqué qu'en 2008, après la libération d'otages autrichiens, l'organisation Al-Qaida au Maghreb islamique avait fait savoir dans tout le Sahel qu'elle était disposée à racheter tout otage occidental à hauteur de plusieurs dizaines de milliers de dollars par tête, ce qui indique qu'elle disposerait désormais d'un trésor de guerre estimé à 150 millions. M. Maïga a parlé d'une situation de «sanctuarisation», notant que des portions importantes de territoire étaient soustraites à la souveraineté réelle des États de la région.
En outre, des «mariages de convenance» ont eu lieu afin de bénéficier de l'hospitalité des populations locales. Parmi les autres revenus générés par les activités délictueuses, des droits de passage sont prélevés. Et souvent ceux qui procèdent aux enlèvements sont aussi ceux qui sont impliqués dans les négociations ultérieures. Al-Qaida devient ainsi peu à peu le principal pourvoyeur de ressources avec la disparition de la puissance publique et des acteurs humanitaires, la population n'ayant guère d'autre choix que de se soumettre à ces groupes criminels. L'ensemble de ce processus contribue à faire émerger de «nouveaux riches» qui s'octroient de nouveaux territoires, avec privatisation des points d'eau ou des zones de pâturage par exemple, qui sont traditionnellement communautaires. M. Maïga a en outre souligné que ces événements avaient lieu dans des zones très homogènes sur le plan humain.
On débouche sur un émiettement du territoire avec effet d'entraînement sur l'ensemble de la société, des groupes autochtones devenant des filiales de l'organisation terroriste, avec contrôle du trafic de drogue et des flux migratoires, a poursuivi M. Maïga. Les revenus ainsi générés entraînent des activités de blanchiment alors que les représentants de l'État sont isolés et impuissants. Or, le blanchiment ne fait l'objet d'aucune approche judiciaire, a-t-il constaté. On constate aussi des transferts de certains éléments de la population vers les centres urbains qui y trouvent un milieu correspondant à la jouissance de leur nouvelle opulence.
M. FEDERICO ANDREU, Commission colombienne des juristes, a déclaré qu'il ne fait désormais aucun doute que l'interdiction des enlèvements est une nécessité. De la même manière, il n'y a pas de doute sur le caractère criminel de la prise d'otages. De nombreux textes internationaux et des instances comme la Cour pénale internationale, le Tribunal pénal pour le Rwanda ou le Tribunal pénal pour la Yougoslavie considèrent l'enlèvement et la prise d'otages comme des crimes, voire comme un crime contre l'humanité. M. Andreu a jugé qu'il est primordial de préserver, avant tout, la vie des otages. Depuis la perspective latino-américaine, en particulier en Colombie, la garantie de l'intégrité physique et psychique des otages devrait être l'un des éléments cruciaux dans les opérations de sauvetage des forces de l'ordre. Or, ces opérations visent bien souvent la neutralisation, l'élimination des preneurs d'otages et il est rare que les forces de l'ordre s'occupent de préserver la vie des otages. Aucune des résolutions des Nations Unies ne prévoit une telle obligation, a déploré le représentant. La Commission colombienne de juristes s'est prononcée à bien des reprises pour demander aux États de prendre toutes les mesures pour retrouver les otages mais aussi préserver et garantir leur intégrité physique et psychique.
M. Andreu a aussi estimé que cette obligation va de pair avec l'obligation de lutter contre le terrorisme dans le cadre du droit international et du droit international humanitaire. De nombreux instruments internationaux, dont la charte interaméricaine, ainsi que le droit coutumier, insistent notamment sur cet aspect. L'État n'a pas carte blanche dans le cadre de la violence. Les États n'ont pas le droit de pratiquer la torture, la détention secrète, les exécutions extrajudiciaires. La lutte contre la barbarie du terrorisme n'exclue pas que l'on respecte les droits de l'homme et l'éthique, au risque de se placer sur le même plan que les auteurs d'actes terroristes. Le représentant a aussi souligné l'obligation des États à l'égard des preneurs d'otages, qui doivent bénéficier d'un traitement humain et de procès équitables. C'est une dimension très importante, a-t-il souligné. Nous avons des cadres pour faire en sorte que la lutte antiterroriste ne devienne pas du terrorisme, a conclu M. Andreu.
Débat
Des délégations ont déclaré que la lutte contre le terrorisme, notamment sous la forme de prises d'otages, ne peut porter ses fruits à long terme qu'en adoptant une approche judiciaire. L'ensemble des activités de la communauté internationale dans le domaine de la lutte contre le terrorisme doit tendre vers une appropriation par les autorités locales et la société civile de ce combat. Une délégation a appelé à la ratification universelle de la Convention internationale contre la prise d'otages de 1979. Il a été déploré que de nombreux États n'aient pas adapté leurs lois internes aux exigences du droit international. Des délégations ont souligné que l'intensification de l'assistance financière et technique en faveur des pays en voie de développement est primordiale. Une délégation a insisté sur la nécessité d'adopter des approches mixtes dans la lutte contre le terrorisme, combinant respect des droits de l'homme, mesures policières et, s'agissant des pays pauvres, mesures d'accompagnement du développement.
Une délégation a déclaré que les États qui offrent des services d'intermédiaires entre des terroristes preneurs d'otage et des pays disposés à payer les rançons exigées soulèvent la question de la légitimation d'entités condamnées par la communauté internationale; peut-être même s'agit-il d'un encouragement à la poursuite de la prise d'otages. Ainsi, dans la région du Sahel, le problème des prises d'otages s'amplifie à la mesure des montants astronomiques récoltés à travers le paiement de rançons en contrepartie de la libération des otages kidnappés. Certaines études considèrent d'ailleurs que si le terrorisme s'est implanté au Sahel, c'est grâce aux revenus soutirés du kidnapping qui constitue une nouvelle forme de traite des êtres humains. Une délégation a appelé les États à refuser de verser des rançons à des preneurs d'otages.
Une délégation a estimé que la libération des otages doit être une priorité pour les États. Une autre a insisté sur la nécessité de tenir compte, à cet égard, non seulement des victimes actuelles des prises d'otages, mais aussi des victimes potentielles ou futures qui, par l'effet de l'appât du gain suscité par le paiement des rançons, sont exposées soit à être prises en otages, soit à être touchées par de nouveaux actes de terrorisme
Des intervenants ont demandé aux experts comment concilier les exigences liées aux droits des otages, en particulier le droit à la vie, à ceux des familles des victimes des prises d'otages et l'interdiction du paiement des rançons.
La prise d'otages par des terroristes est souvent liée à des crimes connexes telle la traite des êtres humains, ont observé plusieurs intervenants. D'autres ont relevé qu'il devient très difficile de distinguer les terroristes des trafiquants en tout genre, des rebelles ou encore des groupes séparatistes.
Grâce à «l'engagement ferme» de tous les citoyens, l'activité de la prise d'otage est en forte baisse en Colombie ces dernières années. Entre 2002 et 2010, le nombre de séquestrations simples a été réduit de 92%, les séquestrations avec extorsions ayant diminué de 89%, passant de 1708 cas en 2002 à 177 en 2010, a précisé la représentation de ce pays.
Il a été observé que le paiement de rançons renforce les terroristes et entraîne de nouvelles prises d'otages. Certaines délégations ont souligné leur position inflexible sur la question du versement de rançons, y voyant une incitation à de nouvelles prises d'otages; il ne faut faire aucune concession aux ravisseurs, a insisté une délégation. Il a en effet été estimé que depuis 2004, les groupes terroristes en Afrique, dans la péninsule arabique et en Asie orientale avaient réussi à lever au moins 120 millions de dollars en soutirant des rançons. «Bloquer le flot de ces fonds est essentiel à la préservation de nos citoyens de la violence terroriste», estiment notamment les États-Unis. Il a été rappelé à cet égard que la résolution 1904 (2009) du Conseil de sécurité dit clairement que le versement de rançons était contraire au régime de sanctions mis en place contre Al-Qaida et les talibans. «Nous souhaitons dissuader les preneurs d'otages de commettre des crimes contre des individus, non pas faciliter leurs moyens de lever des fonds ou d'obtenir des concessions politiques», a souligné le représentant britannique.
Des délégations ont recommandé que des études soient menées sur le financement des groupes terroristes. Un représentant a pour sa part dénoncé l'accueil et le soutien par l'Union européenne de groupes commettant des actes terroristes en Iran.
Une délégation a souligné la nécessité de préserver autant que possible la vie des otages et de les aider dans leur réinsertion professionnelle et sociale une fois libérés. Des problèmes très concrets se posent en effet pendant et à la suite d'une séquestration, tels que le maintien du salaire, de la protection médicale et sociale, des droits à la retraite, ou les impôts dus par les intéressés, a-t-il été rappelé.
Conclusions des panélistes
M. SCHEININ a estimé qu'il n'y pas de réponse au dilemme de sauver des vies et ne pas verser des rançons. Il revient à la communauté internationale de trouver des solutions en la matière. Cependant, il est de la responsabilité des gouvernements de libérer les otages. Dans ce contexte, il a souligné l'intérêt d'une coopération étroite entre services de renseignements. Le Rapporteur spécial a estimé qu'il serait très inapproprié de s'embarquer dans la rédaction d'un nouveau texte dans ce domaine, estimant que cela ne ferait qu'ajouter de la confusion dans l'ordre légal actuel. Il faut respecter les droits de l'homme et développer des stratégies de libération des otages sans versement de rançons, a-t-il conclu.
M. BARA a déclaré que le problème de la protection des droits de l'homme dans le cadre de la lutte contre le terrorisme n'a peut-être pas été abordé de manière suffisamment large par les États et les Nations Unies. Plus nombreux sont les otages, plus élevées les rançons, plus nombreux et puissants les réseaux terroristes ou mafieux. On assiste à un véritable phénomène de marchandisation des otages, dont les États deviennent malgré eux les pourvoyeurs. La prise en compte séquentielle, «saucissonnée» de ce problème par les instances des Nations Unies – Conseil de sécurité, Conseil des droits de l'homme, autres forums – ne permet pas à la communauté internationale de dépasser les contradictions inhérentes entre la lutte contre les prises d'otages et le respect des droits de l'homme. La Convention de 1979 ne considère la prise d'otages que comme un acte individuel, alors qu'il s'agit, aujourd'hui, d'une véritable stratégie visant à faire rendre gorge aux États et peut aboutir à la prise en otages de populations entières, comme au Sahel. C'est en cela que les prises d'otages terroristes représentent une véritable menace pour la communauté internationale, a estimé l'expert. Une étude approfondie pourrait être réalisée par le Comité consultatif du Conseil des droits de l'homme, et ses autres mécanismes pourraient être saisis du problème.
MME QUISUMBING a rappelé que les États étaient censés protéger leurs citoyens ainsi que toute personne se trouvant sous leur juridiction. Il est fréquent que des États montent au créneau lorsqu'un de ses ressortissants est enlevé dans un pays en développement, en mettant ce pays sous pression. On cherche une solution dans la précipitation, prenant des raccourcis pouvant aboutir à mettre en cause les droits des suspects, ou à verser une rançon pudiquement qualifiée de «don» ou de «dédommagement» des intermédiaires. À l'inverse, certains États font pression en faisant état de leur «bonne pratique» pour dissuader toute prise d'otages, a-t-elle constaté. Les principaux acteurs ayant des obligations sont effectivement les États et Mme Quisumbing a estimé que les programmes de renforcement des capacités pouvaient jouer un rôle utile face au phénomène de la prise d'otage.
M. MAÏGA a précisé que le groupe terrorisme actif au Sahel, Al-Qaida au Maghreb islamique, est un groupe terroriste strict, qui ne respecte aucun des instruments internationaux évoqués dans le cadre du débat d'aujourd'hui. À une exception près, les pays occidentaux qui refusent de payer des rançons ne voient pas leurs ressortissants enlevés, a aussi relevé l'expert. M. Maïga a préconisé un renforcement de l'action judiciaire contre les auteurs de prises d'otages arrêtés: jugés et condamnés, leur libération n'est pas revendiquée par Al-Qaida. M. Maïga a encore souligné que le montant important des rançons versées est en train de modifier les conditions économiques régnant des régions très pauvres du Sahel par exemple, entraînant une forme dépendance à l'activité terroriste. Il a enfin plaidé pour une plus grande aide internationale au profit d'États trop démunis pour lutter contre le problème des prises d'otages terroristes.
M. ANDREU a attiré l'attention sur le fait qu'il y avait aussi un prix à payer pour le sauvetage. Le problème est donc plus complexe que le versement d'une rançon. S'il semble logique de déduire que le versement d'une rançon risque de provoquer de nouvelles prises d'otage, la réalité est parfois toute autre. Ainsi, en Colombie, il n'est pas rare que le versement d'une rançon non seulement ne débouche pas sur la libération de l'otage mais qu'il aboutisse à son assassinat par les ravisseurs. L'expert a aussi noté que la «judiciarisation» souhaitée par M. Maïga était déficiente, les cas de condamnations pour prise d'otage étant rares; bien souvent le dénouement consiste en une amnistie qui ne dit pas son nom. M. Andreu a aussi souligné la nécessité de respecter les médiations humanitaires, certains acteurs ayant parfois été poursuivis pour complicité d'enlèvement. Quant au versement de rançons, il arrive qu'il y ait parfois un fossé entre l'affirmation du refus de tout paiement par l'État concerné et le versement de fait de sommes d'argent par des tiers agissant avec l'accord tacite de ce même État.
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HRC11/029F