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LE CONSEIL DES DROITS DE L'HOMME TIENT UN DÉBAT AUTOUR DU DROIT À LA VÉRITÉ

Compte rendu de séance

Le Conseil des droits de l'homme a tenu, cet après-midi, une réunion-débat sur le droit à la vérité qui a été ouvert par la Haut-Commissaire aux droits de l'homme, Mme Navi Pillay, et a compté avec la participation de quatre experts: M. Olivier de Frouville, membre du Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires; M. Rodolfo Mattarollo, conseiller juridique au Ministère de la justice et des droits de l'homme de l'Argentine; Mme Yasmin Sooka, Directrice de la Fondation des droits de l'homme de l'Afrique du Sud; et M. Dermot Groome, Procureur au Tribunal pénal international pour l'ancienne Yougoslavie.

Mme Pillay a introduit le débat en indiquant que le droit à la vérité implique la connaissance complète de la vérité concernant des événements donnés: les circonstances dans lesquels ils sont survenus et leurs auteurs, ainsi que les raisons des faits incriminés. Dans le cas des disparitions forcées et des personnes portées disparues, le droit à la vérité consiste également à connaître le sort de la victime. De nombreux instruments internationaux et régionaux, de même que des lois et la jurisprudence des États, reconnaissent le droit à la vérité concernant les violations graves des droits de l'homme et du droit international humanitaire. En particulier, la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées stipule que toutes les victimes et leurs familles ont le droit de connaître la vérité concernant les circonstances de la disparition forcée, l'avancement et les résultats des enquêtes menées ainsi que le sort des personnes disparues.

M. de Frouville a fait observer que le droit à la vérité est un droit à la fois collectif et individuel. D'une part, toute personne est titulaire d'un droit à la vérité, mais de surcroît, chaque peuple a le droit inaliénable de connaître la vérité sur les événements passés relatifs à la perpétration de crimes odieux. Ce droit renvoie aussi à un «devoir de mémoire» de l'État. M. Mattarollo a pour sa part montré que le droit à la vérité dépasse le seul droit à l'information: il s'agit de reconstruire un passé, récent ou éloigné, dans tous ses aspects, y compris sociaux et affectifs. Au-delà des instruments juridiques, il faudrait une synthèse constructive des différents aspects du droit à la vérité; il faudrait notamment reconstituer systématiquement les archives et veiller aux progrès de la médecine légale, qui a une contribution fondamentale à apporter au droit à la vérité. Pour Mme Sooka, le droit à la vérité est une garantie contre l'impunité, ce qui explique qu'il est invoqué pour contester la validité de mesures générales d'amnistie dédouanant des auteurs de violations graves des droits de l'homme telles que définies par le droit international, et pour inciter des gouvernements à agir de manière plus responsable et transparente. M. Groome a fait valoir que les travaux des tribunaux internationaux s'inscrivent dans un projet qui consiste non seulement à appliquer le droit international, mais aussi à œuvrer de telle sorte que les systèmes de justice nationaux tirent parti de synergies avec l'action judiciaire au niveau international.

Au cours du débat, les représentants d'États ont généralement estimé que la codification du droit à la vérité en tant que droit de l'homme représenterait un grand pas en avant, compte tenu de l'importance que revêt ce droit dans la lutte contre l'impunité. Le sentiment demeure en effet que tous les aspects du droit à la vérité n'ont pas encore été abordés de manière intégrée, a relevé une délégation. De nombreux intervenants ont observé que si la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées traite du droit à la vérité dans son préambule et dans son article 24, elle n'est pas dotée, pour autant, de tous les éléments du droit à la vérité, notamment pour ce qui est de sa dimension collective.

Les représentants des États suivants ont fait des déclarations: Argentine (au nom des États membres du MERCOSUR et en son propre nom), Azerbaïdjan, Colombie (au nom du Groupe des États d'Amérique latine et des Caraïbes), Uruguay, Hongrie, Pérou, Paraguay, Brésil, Arménie, Cuba, Lettonie, Espagne (au nom de l'Union européenne), Équateur, Irlande, Maroc, Chili, Canada, Mexique, Belgique, Argentine, Bosnie-Herzégovine, États-Unis, Colombie, Royaume-Uni, France, Turquie, Suisse, Égypte et Guatemala.

Les institutions nationales de droits de l'homme et organisations non gouvernementales suivantes ont également participé au débat: Bureau du procureur des droits de l'homme du Guatemala, Conectas Direitos Humanos, Assemblée permanente pour les droits de l'homme, Réseau des institutions nationales de droits de l'homme africaines, Comité consultatif des droits de l'homme du Maroc et Human Rights Advocates.

La République populaire démocratique de Corée, l'Iran, Chypre, le Japon et la Turquie ont exercé le droit de réponse.


Le Conseil des droits de l'homme tiendra demain, à partir de 10 heures, sa journée de réunion annuelle consacrée aux droits de l'enfant.


Réunion-débat sur le droit à la vérité

Déclarations liminaires

MME NAVI PILLAY, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme, a ouvert le débat en indiquant que le droit à la vérité était initialement rattaché à la question des personnes disparues. Au fil des ans, ce droit a commencé d'être appliqué à d'autres violations graves des droits de l'homme, comme par exemple les exécutions extrajudiciaires et la torture. De nombreux instruments internationaux et régionaux, de même que le droit et la jurisprudence des États reconnaissent le droit à la vérité concernant les violations graves des droits de l'homme et du droit international humanitaire. En particulier, la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées stipule que toutes les victimes ont le droit de connaître la vérité concernant les circonstances de la disparition forcée, le progrès et les résultats des enquêtes menées à ce sujet ainsi que le sort des personnes disparues. La jurisprudence liée à l'application de la Convention américaine relative aux droits de l'homme prévoit quant à elle que les proches des victimes de violations graves des droits de l'homme autres que la disparition forcée ont aussi le droit d'être tenus informés du déroulement des enquêtes diligentées; dans un arrêt concernant une exécution extrajudiciaire, la Cour interaméricaine des droits de l'homme a jugé que le droit à la vérité des proches et de la société en général constitue une importante mesure de réparation. La Cour européenne des droits de l'homme juge pour sa part que ce droit est partie intégrante du droit à ne pas être soumis à la torture et aux mauvais traitements, a encore précisé Mme Pillay, qui a rappelé que c'est l'ancienne Commission des droits de l'homme qui est à l'origine des résolutions sur le droit à la vérité.

Compte tenu de cette évolution, le droit à la vérité implique la connaissance complète de la vérité concernant des événements donnés, c'est-à-dire les circonstances dans lesquels ils sont survenus et leurs auteurs, ainsi que les raisons des faits incriminés. Dans le cas des disparitions forcées et des personnes portées disparues, le droit consiste également à connaître le sort de la victime. Le droit à la vérité est assimilable à un droit autonome, exigeant une mise en œuvre effective. Les mécanismes d'application sont par exemple les tribunaux internationaux, les tribunaux nationaux mixtes, les commissions de vérité, les institutions nationales de droits de l'homme et d'autres organismes administratifs. Mme Pillay a conclu sa présentation en faisant valoir l'importance que revêt, pour la protection du droit la vérité, la conservation des archives, dossiers et éléments de preuve relatifs aux violations des droits de l'homme et du droit international humanitaire.

M. OLIVIER DE FROUVILLE, membre du Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires, a précisé qu'il prenait la parole en tant qu'expert indépendant, et non en tant que représentant officiel de la position du Groupe de travail. Il a souhaité éclairer le Conseil sur deux points: la nature et le contenu du droit à la vérité d'une part, et la question des mécanismes à mettre en place pour améliorer l'effectivité du droit à la vérité d'autre part.

M. de Frouville a souligné que l'on a affaire à un droit à la fois collectif et individuel. Toute personne est titulaire d'un droit à la vérité. Mais selon les «principes Joinet» (Louis Joinet était ancien expert indépendant du Conseil et ancien membre du Groupe de travail, notamment) sur la lutte contre l'impunité, «chaque peuple a le droit inaliénable de connaître la vérité sur les événements passés relatifs à la perpétration de crimes odieux», et à ce droit correspond le devoir de mémoire de l'État. L'objet du droit à la vérité a des sens plus variés, a poursuivi l'expert. Il existe plusieurs niveaux de vérité: les résultats d'une enquête, les circonstances dans lesquelles la violation a eu lieu, l'identité de l'auteur ou des auteurs, le sort de la personne disparue, etc. Le droit à la vérité est reconnu par l'article 24 de la Convention de 2006 pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées. Il se distingue du droit à l'information et en particulier du droit pour les familles d'obtenir des informations relatives à une personne détenue par les autorités, réglementées dans d'autres articles de cette Convention.

Le régime du droit à la vérité, question très difficile, est par conséquent un droit émergent en droit international coutumier, qui se fonde sur une pratique effective des États; et il existe des expériences diverses. M. de Frouville a ainsi évoqué l'exemple de la Bosnie-Herzégovine, qui a invité le Groupe de travail pour une visite officielle qui se déroulera en juin. Cette expérience, a précisé l'expert, témoigne d'un processus complet, des exhumations jusqu'aux procès nationaux ou internationaux d'auteurs de violations. Le second exemple est Chypre, qui a vu la mise en place d'une commission mixte en vue d'exhumer les fosses communes et d'identifier les cadavres, mais en s'interdisant d'aller plus loin sur les circonstances de la disparition, y compris l'identité des auteurs. Une telle démarche a été jugée insuffisante par la Cour européenne des droits de l'homme dans un arrêt rendu dans l'affaire Varnava, mais elle reste un progrès considérable dans la recherche de la vérité, a estimé l'expert. À la lumière de ces exemples, le droit à la vérité ne saurait être un droit absolu, a constaté M. de Frouville. Il reste indérogeable, lié à des circonstances comme la guerre, mais il peut faire l'objet de certaines limitations, dans le cadre d'un processus démocratique équilibré entre l'exigence de vérité et une société pacifiée. Cependant, il existe un noyau dur du droit à la vérité qui ne saurait faire l'objet de limitations: c'est le fait de savoir dans le cadre d'une disparition forcée, si la personne est vivante ou morte. Cela ne peut faire l'objet d'aucune limitation car l'ignorance pour les familles constitue une torture continue, on touche alors au domaine des «droits absolus», non limités.

En ce qui concerne les mécanismes à mettre en place, les mesures prises doivent l'être avant tout à l'échelon national, a noté l'expert. Les bonnes pratiques en la matière mériteraient d'être recensées plus systématiquement. Mais sur le plan international, le Groupe de travail peut jouer un rôle très important. Ce dernier a constamment souligné le caractère fondamental du droit à la vérité, depuis ses premiers rapports en 1981. Son mandat humanitaire a précisément pour objet d'aider les familles des disparus à faire la lumière sur le sort de leurs proches disparus, vivants ou morts. Le Groupe a en outre eu l'occasion d'examiner de nombreux processus de transition, lui permettant d'acquérir une grande expérience. Enfin, il a pu observer que nombre de pays n'ont pas les moyens matériels ou manquent d'expertise à ce sujet. Pour M. de Frouville, une mesure simple consisterait à faire du Groupe de travail un point focal pour toutes les activités opérationnelles des Nations Unies ayant trait à la recherche de la vérité concernant les personnes disparues. Le Groupe de travail pourrait ainsi recueillir toutes les informations relatives à ces activités, faire des recommandations et superviser les mesures d'assistance technique fournie par les Nations Unies, dans toutes les régions du monde. La condition est de renforcer l'assistance au Groupe de travail par le Secrétariat, puisqu'en l'état il dispose à peine des moyens nécessaires pour remplir le mandat qui lui est conféré par le Conseil.

M. RODOLFO MATTAROLLO, Conseiller permanent en droit international au Ministère de la justice, de la sécurité et des droits de l'homme de l'Argentine, a expliqué qu'en 1995, les aveux d'un ancien capitaine de l'armée argentine ont été publiés. C'était la première fois qu'un officier racontait à la presse comment on jetait des prisonniers au-dessus de l'Atlantique ou du Rio de la Plata, rappelant que deux religieuses françaises avaient subi ce sort après avoir été torturées dans une école militaire. Cette déclaration a abouti à une procédure de recherche de la vérité, initialement sans sanction pénale mais via une procédure judiciaire. La Commission des droits de l'homme de l'Organisation des États américains (OEA), saisie, est parvenue à un accord en trois points avec le Gouvernement argentin: la reconnaissance d'un droit à la vérité comme un droit de l'homme, la compétence des chambres fédérales pour enquêter sur les faits et la collaboration du ministère public. Les jugements ont ensuite proliféré, a souligné M. Mattarollo, qui a rendu hommage au travail des «mères de la Place de Mai» (las madres de la Plaza de Mayo), qui ont réellement mis en application ce droit à la vérité.

Pour M. Mattarollo, le droit à la vérité va au-delà du droit à l'information. Il s'agit de reconstruire un passé, récent ou éloigné, dans tous ses aspects, y compris sociaux et affectifs. Au-delà des instruments juridiques, il faudrait une synthèse constructive des différents aspects du droit à la vérité qui montrerait comment il peut s'actualiser, a-t-il estimé. Il faudrait notamment reconstituer systématiquement des archives, ce qui a été fait en Argentine. Il faudrait aussi organiser la protection systématique des témoins, des juges, des procureurs et avocats. Il faudrait enfin veiller à une avancée systématique de la médecine légale, qui a une contribution fondamentale à apporter au droit à la vérité. C'est grâce aux anthropologues de la médecine légale que l'une des religieuses torturée à l'École de mécanique de la marine de guerre de Buenos Aires a pu être identifiée 30 ans après sa mort, alors qu'elle avait été, comme d'autres, jetée depuis les airs dans le Rio de la Plata, a déclaré M. Mattarollo.

MME YASMIN SOOKA, Directrice de la Fondation des droits de l'homme de l'Afrique du Sud, a déclaré que la raison d'être du droit à la vérité réside dans le droit d'une victime d'une violation des droits de l'homme et de sa famille de connaître les circonstances ayant entouré cette violation. Entre autres, cette connaissance doit permettre la réconciliation. Les victimes sont confrontées à un besoin de respect, a souligné Mme Sooka. Le droit à la vérité impose aux États de révéler les raisons des violations des droits de l'homme. Ce droit comporte un aspect collectif dans la mesure où il concerne des violations qui déchirent le tissu social. Le droit à la vérité est aussi souvent invoqué pour aider les sociétés à comprendre les causes profondes d'un conflit passé ou de violations des droits de l'homme commises à grande échelle. De nombreux pays ont cherché à mettre en œuvre le droit à la vérité par le biais de commissions d'enquête. Mme Sooka a également souligné que selon M. Louis Joinet, ancien expert indépendant sur la question de l'impunité nommé en son temps par la Commission des droits de l'homme, il existe un droit individuel et collectif inaliénable à la vérité, droit dont le corollaire est le «devoir de mémoire» des États.

En outre, le droit à la vérité est une garantie contre l'impunité, a poursuivi Mme Sooka. C'est pour cela qu'il a été fait appel au droit à la vérité afin de contester la validité de mesures générales d'amnistie dédouanant des auteurs de violations graves des droits de l'homme telles que définies par le droit international, et pour inciter des gouvernements à agir de manière plus responsable et transparente. C'est ainsi qu'en Afrique du Sud, des victimes et militants des droits de l'homme ont réussi à imposer la conception selon laquelle le droit à la vérité interdit l'octroi de la grâce présidentielle aux auteurs de crimes politiques; et obtenu des tribunaux une extension du droit à la vérité au droit d'accéder aux archives. La plupart des instruments instituant des Commissions de vérité et de réconciliation sont fondés sur la nécessité de répondre aux attentes des victimes, en particulier pour éviter une répétition des violations des droits de l'homme, contribuer à la lutte contre l'impunité et améliorer la confiance du public envers les institutions de l'État et la démocratie. En termes de structure, le rôle des institutions nationales de droits de l'homme en matière de droit à la vérité est déterminant, compte tenu du caractère éphémère des Commissions, a fait remarquer la panéliste. En témoignent les exemples de la Commission afghane des droits de l'homme et des Commissions marocaine et ougandaise, a observé l'experte. À l'avenir, il faudra consolider et codifier les différents éléments du droit à la vérité, a-t-elle souligné, estimant qu'une telle démarche aurait pour effet d'aider les victimes dans leur lutte contre l'impunité.

M. DERMOT GROOME, Procureur au Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY), a identifié les synergies entre le droit à la vérité et le droit pénal en matière de lutte contre l'impunité. Il a tout d'abord donné une vue d'ensemble de la jurisprudence des tribunaux pénaux internationaux. Ces vingt dernières années, le «droit à la vérité» a été un concept évolutif en droit international. Dans le contexte des droits de l'homme, il a été utilisé par les familles pour forcer les États à leur livrer des informations sur des cas de disparition et à rendre publiques de graves et massives violations des droits de l'homme, un élément important dans toute gouvernance démocratique. Le TPIY a pris en compte très tôt dans ses travaux le rôle important du droit à la vérité, a souligné M. Groome. Le Conseil de sécurité de l'ONU a quant à lui considéré que les larges violations répétées du droit humanitaire international en ex-Yougoslavie constituait une menace pour la paix internationale et a conclu que juger les auteurs contribuerait à la restauration et au maintien de la paix. Ce faisant, le Conseil de sécurité a placé le processus de découverte de la vérité entre les murs d'un tribunal au sein duquel la responsabilité criminelle d'individus serait déterminée, a souligné le Procureur, ajoutant qu'en dépit de ses limitations statutaires, le rôle de «découvreur de vérité» au sens large du TPIY a été reconnu très tôt.

«Nous n'écrivons pas l'histoire, mais notre travail définit la responsabilité historique; nous ne jugeons pas les États, mais nous écrivons ce qu'ont fait les États; notre travail contribue dans un effort plus vaste à éliminer l'impunité par l'établissement des faits, en invoquant les normes exigeantes de la vérité», a expliqué M. Groome, ajoutant que certaines preuves n'auraient jamais été rendues publiques sans le travail des tribunaux ad hoc. Il a ainsi cité l'exhumation de 40 fosses communes au fil des années en Bosnie-Herzégovine. Les dépouilles mortelles de milliers de personnes ont ainsi été retrouvées et identifiées. Le Procureur a également estimé possible de trouver des axes d'interaction qui permettent de créer des voies d'action au niveau des États. Ainsi, la Chambre des droits de l'homme de la Bosnie-Herzégovine a-t-elle pris la jurisprudence et incorporé certaines conclusions et sentences du TPIY. M. Groome a évoqué quelques synergies créées dans cet effort interconnecté de lutte contre l'impunité. L'objectif est en effet de déterminer si la conduite des violations des droits de l'homme en question est attribuable à cet État. Dans la mesure où les tribunaux pénaux internationaux se concentrent sur la conduite de hauts fonctionnaires, ces tribunaux ne vont pas statuer sur la responsabilité de l'État. Mais leurs conclusions peuvent être pertinentes compte tenu des chevauchements entre certains crimes internationaux et la vérité sur le rôle particulier d'un État peut émerger à partir de là, a indiqué le Procureur. M. Groome a par ailleurs fait remarquer qu'il y a actuellement un vide, une impunité concernant les conflits dans l'ex-Yougoslavie: cachés dans la diaspora se trouvent des responsables de crimes graves. Ces responsables ont dépassé le seuil passé par le Conseil de sécurité pour notre travail, a souligné le Procureur.

Débat

M. ALBERTO J. DUMONT (Argentine au nom du MERCOSUR) a souligné que les États membres du MERCOSUR avaient pris de fermes engagements pour la promotion et de protection des droits de l'homme, au plan international comme au plan régional, pour traiter spécifiquement de cette question du droit à la vérité. Les pays du MERCOSUR réaffirment l'importance du droit à la vérité. Ils ont à ce sujet commencé à coordonner leurs efforts pour adopter des positions communes au sein du Conseil des droits de l'homme. Le représentant a estimé que la Convention sur les disparitions forcées traite certes du droit à la vérité dans son préambule et dans son article 24 mais n'est pas dotée pour autant de tous les éléments du droit à la vérité, notamment pour ce qui est de sa dimension collective. Estimant que de nombreuses questions en suspens liées au droit à la vérité ont été abordées dans les rapports successifs de la Haut-Commissaire aux droits de l'homme, le représentant argentin a toutefois ajouté qu'il n'y avait pas eu de consolidation systématique de ces éléments et en a souhaité le regroupement dans un document unique.

M. AKRAM ZEYNALLI (Azerbaïdjan) a déclaré que le droit à la vérité était un des piliers de la protection qui devrait être accordée aux personnes disparues et à leurs familles. Le droit international reconnaît le droit des familles de connaître le sort de proches portés manquants suite à un conflit armé, y compris s'agissant des circonstances de leur mort éventuelle, de même qu'il prévoit l'obligation des États de mener des enquêtes concernant les circonstances d'une disparition. Le représentant a demandé aux panélistes leur avis concernant les modalités pratiques de l'interaction entre le droit à la vérité, le droit d'accéder à la justice et le droit d'obtenir réparation.

M. ÁLVARO AYALA (Colombie au nom du Groupe des États d'Amérique latine et des Caraïbes - GRULAC) a indiqué que les pays du GRULAC étaient engagés en faveur de la cause du droit à la vérité et ont contribué à l'élévation du droit à la vérité comme droit universel, au niveau national, régional et sous-régional. Les pays du GRULAC espèrent que les services du Haut Commissariat aux droits de l'homme et les autres services pertinents continueront à prêter une attention particulière au développement du droit à la vérité, y compris pour ce qui est de son application dans le contexte des tortures ou encore des enfants nés en captivité ou enlevés à leurs familles d'origine - questions qui ne relèvent pas toutes de la problématique des disparitions forcées.

MME LAURA DUPUY LASSERRE (Uruguay) s'est associée aux déclarations du GRULAC et du MERCORSUR et a rendu hommage à l'Argentine pour son travail constant en faveur du droit à la vérité. L'Uruguay a avancé dans le droit à la vérité dans le cadre de la reconstruction de son passé récent, par le biais de nombreuses mesures, dont la reconnaissance publique d'opérations illégales commises sous le régime militaire entre 1973 et le 1er mars 1985 ainsi que la reconnaissance de la responsabilité de l'État ou encore le déclassement des archives de la dictature et leur traitement, la publication d'enquêtes historiques, la création d'un Musée de la Mémoire et la mise en place d'Archives de la mémoire. L'Uruguay estime qu'il faut avancer dans la création d'un document unique sur l'ensemble des éléments composant le droit à la vérité.

M. ZOLTÁN BÁNYÁSZ (Hongrie) a déclaré que la poursuite de l'évolution du concept de droit à la vérité est intéressante en particulier sous l'angle de son articulation avec le principe de protection des sources d'informations. Le concept étant adopté au plan international, les tribunaux internationaux considèrent désormais que la création d'une mémoire institutionnelle est importante, a observé avec satisfaction le représentant. Il a également souligné que les efforts visant à améliorer l'action des tribunaux internationaux ne doivent pas mettre en question le rôle des commissions nationales de vérité et réconciliation. Enfin, il a demandé aux panélistes leur avis sur la manière dont le Conseil pourrait assumer un rôle plus marqué en faveur du droit à la vérité.

M. INTI ZEVALLOS AGUILAR (Pérou) a rappelé qu'entre 1980 et 2000, son pays avait connu un conflit fratricide et sanglant. En 2001, après la restauration démocratique, le Gouvernement de transition a créé la Commission de la vérité et réconciliation. En 2003, après avoir recueilli 16 000 témoignages, un rapport a été présenté montrant l'ampleur de l'horreur connue par le Pérou durant le conflit, le plus intense de toute l'histoire de la république avec plus de 60 000 victimes. La Commission a dès lors proposé certaines formes de réparation aux victimes; elle a déterminé quelles étaient les responsabilités présumées des individus. Cette approche n'équivaut pas à une sentence de justice, mais a permis aux instances judiciaires d'enquêter et de condamner à des peines de prison un ancien président et des hauts officiers de l'armée, a précisé le représentant péruvien. En 2004, la Cour constitutionnelle a reconnu le droit à la vérité dans le droit interne péruvien.

M. FEDERICO A. GONZÁLEZ (Paraguay) a déclaré qu'au cours des dernières décennies, les pays d'Amérique latine, dont le Paraguay, ont connu des dictatures militaires violant massivement les droits de l'homme. Au Paraguay, cette situation a perduré jusqu'en 1989. Des mesures ont été prises ensuite, notamment en 2003, pour reconstituer le passé du pays, qui ont abouti à la présentation en août 2008 d'un rapport officiel. L'expérience du Paraguay dans le domaine du droit à la vérité a permis de reconstituer dans une large mesure la mémoire collective, a souligné le représentant.

M. ALEXANDRE GUIDO LOPES PAROLA (Brésil) a déclaré que son pays accordait une place centrale au droit à la vérité et à la mémoire dans son plan d'action en matière de droits de l'homme. Le Gouvernement a donc créé une Commission chargée d'enquêter sur les disparitions d'opposants politiques durant le régime militaire au Brésil; il a aussi adopté une loi facilitant l'accès aux archives et documents officiels.

M. VAHEH GEVORGYAN (Arménie) a constaté une reconnaissance croissante du principe du droit à la vérité. Il a estimé que l'application du droit à la vérité était avant tout une entreprise nationale, tout en soulignant que ce droit ne peut être réalisé sans un dialogue entre toutes les parties prenantes dans la société. Pour ce faire, la confiance doit être renforcée, a précisé le représentant arménien. Les États doivent éliminer les obstacles juridiques qui empêchent la réalisation du droit à la vérité, a-t-il souligné. Il a en outre relevé le caractère indispensable des commissions vérité et réconciliation qui doivent se pencher sur les conditions des violations massives des droits de l'homme. Le droit à la vérité est réalisé lorsque la mémoire, la vérité et la justice sont révélées. Le principal résultat est une société juste et apaisée où l'on ne craint pas la mémoire mais où l'on a confiance dans un avenir commun, a souligné le représentant.

MME MARÍA DEL CARMEN HERRERA CASEIRO (Cuba) a estimé que la codification du droit à la vérité en tant que droit de l'homme représente un grand pas en avant de la communauté internationale: il est une contribution à la lutte contre l'impunité. Elle a rappelé que le continent latino-américain a connu pendant des années un véritable terrorisme d'État qui a fait 400 000 victimes, notamment dans le cadre de disparitions forcées. Elle a souligné que des mécanismes qui reconnaissent le droit aux familles de connaître le sort de leurs proches existent. Chaque année, sont adoptées dans les principales enceintes des Nations Unies des résolutions sur le droit à la vérité et Cuba se félicite d'en être un des co-auteurs. La Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées reconnaît le droit à la vérité en matière de disparitions forcées. Cuba estime que cette base importante doit être systématisée et soutient les efforts de l'Argentine dans ce sens.

M. JANIS MAZEIKS (Lettonie) a déclaré que son pays a émergé d'une longue période de répression au cours de laquelle plusieurs dizaines de milliers de ses citoyens sont morts en déportation ou victimes d'exécutions sommaires. C'est pour cette raison que la Lettonie a mis sur pied une «Commission d'études des crimes du totalitarisme». La Commission préconise en particulier l'ouverture des archives aux familles des victimes, sans restriction, afin de comprendre ce qui s'est passé en Lettonie il y a 70 ans. Le devoir de mémoire doit permettre de comprendre ce qui est arrivé aux victimes, afin de ne pas voir se répéter les crimes du passé.

M. JAVIER GARRIGUES (Espagne, au nom de l'Union européenne) a déclaré que l'Union européenne était convaincue du lien évident entre le droit à la vérité et la dignité humaine. L'Union européenne est déterminée à trouver des mesures efficaces au niveau international pour rendre des comptes en cas de violations graves et systématiques des droits de l'homme. Cela peut aider les États et les sociétés dans leur période de transition pour empêcher que ne resurgisse la violence, a précisé le représentant espagnol, ajoutant que le droit à la vérité peut être obtenu quand les victimes ont la possibilité de connaître leurs droits. Selon lui, la protection des victimes et des témoins fait entièrement partie de la lutte contre l'impunité. Enfin, il a demandé des précisions sur les modalités d'une collaboration accrue entre les institutions d'État et la société civile pour mettre en œuvre le droit à la vérité dans un contexte judiciaire et non judiciaire et a demandé des exemples précis d'assistance technique au niveau national.

M. JUAN HOLGUÍN (Équateur) a déclaré que son Gouvernement a créé, en 2007, une Commission de la vérité chargée de faire la lumière sur les violations des droits de l'homme commises entre 1984 et 1988, afin de lutter contre l'impunité de ces graves crimes, parmi lesquels figurent des exécutions extrajudiciaires, des violences sexuelles, des cas de détention arbitraire. L'Équateur soutient fermement le droit à la vérité qui est essentiel pour empêcher que se répètent des atrocités à l'avenir.

MME AISLING NÍ LEIDHIN (Irlande) a déclaré que son pays est acquis au principe du droit à la vérité, au bénéfice des victimes et de leurs familles. Ce droit est aussi applicable aux victimes de la torture ou de détention au secret, par exemple. Les torts doivent être reconnus afin que la justice et la réconciliation prévalent, a souligné la représentante. Elle a rappelé que plus de 3500 personnes ont perdu la vie pendant les troubles en Irlande du Nord. Toutes les parties à l'accord de paix de 1998 ont démontré leur attachement à la vérité, à la réconciliation et à la justice, en mettant sur pied des Commissions et tribunaux d'enquêtes et en chargeant une Commission indépendante de retrouver les dépouilles de victimes. La représentante a demandé aux panélistes dans quelle mesure la compréhension du droit à la vérité tient compte de la diversité des situations d'après-conflit.

M. OMAR HILALE (Maroc) s'est félicité de la tenue d'une réunion qui permet d'améliorer la compréhension du contenu et de la nature du droit à la vérité. Il a rappelé que le droit à la vérité est reconnu dans divers instruments internationaux, notamment l'article 33 du protocole additionnel I aux Conventions de Genève et dans la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées. En outre, dans plusieurs pays une reconnaissance de ce droit au niveau national se développe, a remarqué le représentant marocain, tout en constatant que ce droit semble souvent limité, notamment quand il est exclusivement lié aux cas de disparitions forcées, hypothèse dans laquelle il existe un droit clair des victimes et de leur famille. Or, le droit à la vérité devrait concerner tous les cas de violations des droits de l'homme ou du droit international humanitaire, a souligné M. Hilale. Il s'est en effet demandé si le temps n'est pas venu de regrouper tous les éléments constitutifs du droit à la vérité dans un document unique permettant la codification de ce droit dans toutes ses dimensions.

MME KATHARINA ROSE (Bureau du procureur des droits de l'homme du Guatemala) a signalé que son bureau a reçu des centaines de personnes cherchant à éclairer le sort de disparus. Le Procureur tient, dans la mesure de ses possibilités, un registre des disparitions forcées, avec une base de données qui spécifie le nom des victimes et toutes les informations permettant de faciliter les recherches ultérieures. Une Commission de vérité a, certes, été créée dans le cadre du processus de paix, mais les recherches paraissent interminables, a-t-elle déploré. La représentante a conclu son intervention en invitant les organes des Nations Unies à demeurer vigilants sur ce qui se passe au Guatemala.

M. SAMUEL FRIEDMAN (Conectas Direitos Humanos) s'est félicité des mesures prises par le Brésil pour rétablir le droit à la vérité des victimes du régime militaire. Le représentant a noté que seule parmi les pays d'Amérique latine, l'armée brésilienne refuse encore d'ouvrir ses archives. Le fait de connaître les causes des violations commises antérieurement au Brésil permettra d'en éviter la répétition, d'où l'importance de la création d'une Commission d'enquête brésilienne, à laquelle les citoyens pourront faire appel, a-t-il souligné.

M. HORACIO RAVENNA (Assemblée permanente pour les droits de l'homme) s'est prononcé en faveur de l'établissement du droit à la vérité en tant que droit autonome garanti. Une étape importante est intervenue avec les procès qui se sont tenus en Argentine, le droit à la vérité a ensuite été concrétisé dans la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées. Il s'agit d'un droit de l'ensemble de la société et non pas limité à la seule famille des victimes, a précisé le représentant, ajoutant qu'il ne doit pas être confondu avec le droit à l'information. Enfin, il a demandé aux panélistes si la communauté internationale devait se lancer dans l'élaboration d'une Convention internationale spécifique à ce droit.

M. RODRIGO DONOSO (Chili) a déclaré que dans son pays, les organisations non gouvernementales de défense des droits de l'homme et les familles de victimes ont été les premières à se mobiliser pour connaître la vérité sur la période de la dictature. Le droit à la vérité est un élément de la construction de la mémoire collective; l'inauguration en début d'année au Chili d'un Musée de la Mémoire souligne l'importance de la vérité et de la mémoire dans le pays, a souligné son représentant. Il a par ailleurs jugé important de réfléchir à l'élaboration d'un instrument international non contraignant, qui pourrait prendre la forme d'une déclaration du Conseil des droits de l'homme et proclamer un droit à la mémoire notamment par l'accès aux archives officielles.

MME LAURIE SERGENT (Canada) a souligné que son pays a soutenu toutes les initiatives du Conseil - tout comme de l'ancienne Commission des droits de l'homme - portant sur le droit à la vérité. Révéler et préserver la vérité est vital pour les sociétés en transition, et offre les meilleures chances pour la réconciliation et l'établissement d'une paix durable. La représentante canadienne a rappelé que les États ont l'obligation de mettre un terme à l'impunité et de traduire les responsables de violations des droits de l'homme et du droit international humanitaire en justice.

M. SALVADOR TINAJERO (Mexique) a déclaré que le droit à la vérité est un droit autonome lié étroitement à la lutte contre l'impunité et au droit des victimes d'obtenir réparation. Dans ce contexte, il faut reconnaître le rôle de la société civile pour la mise en œuvre du droit à la vérité. Le sentiment demeure cependant que tous les éléments n'en ont pas encore été abordés de manière intégrée, a-t-il constaté.

M. NICOLAS FIERENS GEVAERT (Belgique) a déclaré qu'en reconnaissant le droit des victimes de violations flagrantes des droits de l'homme à connaître la vérité, la communauté internationale participe indéniablement à la lutte contre l'impunité et à l'établissement de l'état de droit. La Belgique a toujours soutenu des mécanismes tels que ceux de justice transitionnelle, dans lesquels le droit à la vérité joue un rôle fondamental. De même, la Belgique insiste sur la prise en compte du droit à la vérité dans le cadre de l'élaboration de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées. La Belgique s'est en outre fortement impliquée dans l'utilisation de la médecine légale dans le cadre du droit à la vérité et œuvre en faveur du déploiement d'experts légistes en cas de violations des droits de l'homme dans un pays tiers. Le représentant a demandé aux panélistes leur avis sur les meilleurs moyens d'impliquer le personnel et les ressources de la communauté scientifique dans l'élaboration du droit à la vérité.

M. ALBERTO J. DUMONT (Argentine) a estimé que les idées présentées au cours de cette discussion montraient l'intérêt suscité par le sujet. S'agissant de l'Argentine, pour qui la question revêt une importance particulière, il a rappelé que ces trente dernières années, les organisations non gouvernementales et la société civile ont mené une grande bataille en faveur de la reconnaissance publique des événements subis sous la dictature. Il a notamment indiqué que les lois d'amnistie ont été déclarées nulles par le Congrès en 2003, ce qui a permis de reprendre des procès en province. Le représentant argentin a estimé que le débat de cet après-midi montre qu'il existe une documentation abondante sur la base de laquelle il est possible de travailler dans ce domaine, des jugements de la jurisprudence régionale et internationale, des commissions vérité et réconciliation, des résolutions des Nations Unies, des rapports du Haut Commissariat.

MME LJUBICA PERIĆ (Bosnie-Herzégovine) s'est félicitée de l'importance croissante attachée au droit à la vérité, du fait en particulier de l'action de plusieurs Commissions et tribunaux au niveau international. De nombreux éléments constitutifs de ce droit sont dispersés dans les instruments du droit international. Un effort de consolidation s'impose afin de favoriser le respect de ce droit important, a estimé la représentante.

MME TARA FOLEY (États-Unis) a remercié l'Argentine d'avoir attiré l'attention de l'ancienne Commission des droits de l'homme sur le droit à la vérité. Elle a déclaré soutenir les travaux sur le droit à la vérité, estimant qu'avec la reconnaissance de ce droit, on fait progresser les principes de responsabilités et de bonne gouvernance. Elle l'a mis en liaison avec le droit à l'information, ainsi qu'avec le droit des familles à connaître le sort de leurs membres disparus. Elle a souligné que le droit à la vérité est lié de manière inextricable aux idéaux démocratiques, aux droits de l'homme et à la justice.

M. ÁLVARO AYALA (Colombie) a rappelé que son pays a connu des épisodes douloureux dans son histoire, et qu'il est important pour les victimes de violations des droits de l'homme de connaître la vérité. L'État doit garder la mémoire de faits qui ne doivent pas se répéter, a-t-il souligné. Il a précisé que le progrès le plus important du Gouvernement a été la création de la Commission nationale de réparation et réconciliation; 280 000 victimes ont porté plainte, 46 000 dossiers ont été déposés, 17 000 affaires ont été élucidées. Pour 400 dossiers, les auteurs des faits ont demandé pardon aux victimes pendant la procédure. Il y a encore beaucoup à faire et ce sera long et douloureux, a reconnu le délégué colombien.

MME CATHERINE HOLMES (Royaume-Uni) a indiqué que son pays appuyait les mécanismes chargés de faire la lumière sur les violations des droits de l'homme. Le Royaume-Uni n'accepte cependant pas le principe d'un droit à la vérité au titre du droit international des droits de l'homme. Le Royaume-Uni espère que certaines dispositions des traités créeront un droit à l'information dans des contextes spécifiques, applicable aux États parties à ces traités: ainsi, l'article 32 du Protocole facultatif aux Conventions de Genève accorde aux familles le droit d'être informées du sort de leurs proches.

M. EMMANUEL PINEDA (France) a rappelé les progrès faits depuis trente ans dans le domaine de la protection contre les disparitions forcées et dans le droit à la vérité. Les États reconnaissent la nécessité de garantir le droit à réparation des victimes des violations graves des droits de l'homme et il faut rendre hommage aux progrès enregistrées dans la jurisprudence des cours européenne et interaméricaine des droits de l'homme, a souligné le représentant français, pour qui le droit à la vérité constitue un impératif politique pour les États car il est nécessaire à lutte contre l'impunité. Il a appelé tous les États membres à ratifier la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées pour qu'elle entre au plus vite en vigueur. Il a proposé de dresser un état des efforts engagés en matière de coopération judiciaire et de recenser l'ensemble des bonnes pratiques existantes afin de répondre à deux questions: l'intérêt de normes ad hoc et l'opportunité de la création d'un mécanisme du Conseil sur le droit à la vérité. Enfin, il a souhaité qu'une réflexion soit lancée sur la dynamique nécessaire à la mobilisation des moyens au sein du Conseil.

M. FAITH ULUSOY (Turquie) a estimé que les États ont l'obligation de fournir des renseignements sur les disparitions à la famille. Il a relevé l'importance de lutter contre l'impunité de ceux qui refusent de fournir ces informations ou en donnent de fausses à dessein. Il a fait remarquer que des mécanismes ont fait leurs preuves pour élucider le sort de personnes disparues, citant à titre d'exemple le comité des personnes disparues à Chypre. L'objectif est de permettre aux familles de recouvrer les dépouilles de leurs proches, de pouvoir organiser un enterrement et de mettre fin à l'incertitude et à l'angoisse, a précisé le représentant turc. Il a signalé que son pays a donné un montant additionnel de 50 000 dollars à ce comité qui, a-t-il précisé, effectue un travail remarquable. Il a indiqué que 630 dépouilles ont été exhumées dans des sites dispersés, puis rendues à leurs familles, et que de nombreuses familles chypriotes ont été concernées directement et indirectement. Il a conclu son intervention en espérant que les vieilles plaies guériront.

MME KATRIN WEILHAMMER (Suisse) a déclaré que son pays s'intéressait tout particulièrement au droit à la vérité, compte tenu de son engagement actuel pour la justice transitionnelle. Elle a fait remarquer que le droit de savoir la vérité était étroitement associé à la lutte contre l'impunité. La représentante suisse a notamment demandé dans quelle mesure et sous quelle forme on pourrait envisager une compilation des meilleures pratiques dans le domaine du droit à la vérité.

M. AHMED IHAB GAMALELDIN (Égypte) s'est ému du sort de soldats égyptiens disparus et a demandé, dans la perspective de l'entrée en vigueur de Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, quelle valeur ajoutée le Comité international de la Croix-Rouge pourrait apporter.

M. CARLOS RAMIRO MARTÍNEZ ALVARADO (Guatemala) a expliqué qu'une Commission chargée de faire la lumière sur les faits intervenus durant 36 ans de conflit armé avait été créée dans son pays et avait soumis, il y a plus de dix ans, un rapport et des recommandations. Elle a précisé que la communauté internationale et la société civile ont contribué à ces efforts. Plusieurs procédures judiciaires ont été lancées et une première condamnation a eu lieu l'an passé au sujet d'une disparition forcée, a-t-elle indiqué. Elle a affirmé que son pays continue de travailler étroitement avec la Cour interaméricaine des droits de l'homme.

M. AHMED HERZENNI (Réseau des institutions nationales de droits de l'homme africaines) a notamment indiqué que le droit à la vérité était lié au devoir des États d'informer les victimes, leurs familles voire la société en général, afin que tous connaissent les circonstances de violations des droits de l'homme. Il a indiqué que le Réseau des institutions nationales des droits de l'homme africaines a organisé une conférence sur cette question au terme de laquelle ont été promues, notamment, la facilitation de consultations nationales et l'interaction avec les mécanismes régionaux et internationaux de droits de l'homme.

M. MUSTAPHA IZNASNI (Comité consultatif des droits de l'homme du Maroc) s'est félicité de la visite effectuée en juin 2009 par Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires, qui, a-t-il estimé, à permis aux membres du Groupe de travail de renforcer un dialogue fructueux avec les autorités marocaines. Il a ajouté que le Comité consultatif des droits de l'homme avait transmis au Groupe de travail des compléments d'information sur l'étendue du processus de mise en œuvre des recommandations de la Commission marocaine de vérité et réconciliation. Il insisté sur la coopération exemplaire des autorités marocaines avec le Groupe de travail et a ajouté que son organisation ne cesse d'encourager le Gouvernement marocain à poursuivre ce processus de coopération afin de clarifier les 56 cas encore en suspens.

M. RENÉ VELÁSQUEZ (Human Rights Advocates) a considéré que le droit à la vérité avait le potentiel d'être appliqué dans n'importe quelle situation des droits de l'homme. Dans un pays comme la Somalie, l'appui du droit à la vérité constitue un espoir pour les populations afin qu'elles puissent un jour bénéficier d'un droit à la réparation, a fait remarquer le représentant. Il a également souligné qu'à El Salvador, où des personnes vivent autour de barils de pesticides déposés par une entreprise du secteur privé, les autorités n'ont pas offert de solution efficace à ce qui est une violation du droit à la vie et à la santé. Il a dès lors demandé que le droit à la vérité soit étendu de manière explicite et doté d'instruments pour son application, notamment lorsque sont impliquées des entreprises. Enfin, il a proposé la création d'un mandat sur le droit à la vérité.

Réponses des panélistes

M. DE FROUVILLE a rappelé que le droit à la vérité est autonome et doit donc être respecté à côté des autres droits, notamment le droit à la justice et le droit à réparation, l'approche pratique dépendant des pays. Le rôle de la société civile est fondamental dans les processus de recherche de la vérité, à côté de celui joué par les institutions, de telle sorte que les victimes et leurs familles puissent y participer concrètement. Quant au Groupe de travail, il a un rôle à jouer dans les études réalisées au niveau national, a estimé le membre du Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires. Il serait enfin utile de procéder à une codification systématique du droit à la vérité, a-t-il acquiescé.

M. de Frouville a salué l'évolution de la position des États-Unis sur le droit à la vérité. Il a toutefois indiqué ne pas comprendre celle du Royaume-Uni: «nous ne sommes pas, à ce stade, face à une alternative binaire entre existence ou non d'un droit à la vérité dans le droit international coutumier, mais engagés plutôt dans une démarche de réflexion sur le contenu de ce droit». M. de Frouville a aussi noté qu'à la fragmentation des sources du droit correspond une fragmentation opérationnelle, qui justifierait la création d'un point focal au sein du système des Nations Unies, chargé de centraliser les informations sur des initiatives en cours.

M. MATARROLLO a constaté que le débat avait mis en évidence un élément constant: le souci de systématiser la problématique du droit à la vérité. Il a suggéré une nouvelle étude pour mieux structurer les éléments qui ne l'ont pas encore été, ajoutant qu'on pouvait envisager aussi à terme l'adoption d'un instrument de codification du droit à la vérité dont la nature reste à définir, mais il s'est demandé si la situation était mûre pour y procéder dès à présent. M. Mattarollo a estimé que la collaboration de la société civile était fondamentale dans le cadre du droit à la vérité. Les Nations Unies ont pu parfois apporter leur assistance, comme en Sierra leone. L'échange d'expérience est en tout cas fondamental, comme l'a illustré l'échange d'expérience des médecins légistes latino-américains.

Le Conseiller du Gouvernement argentin en droit international a ensuite estimé qu'il pourrait être envisagé de mener une étude menant à l'élaboration d'un instrument sur le droit à la vérité. En outre, les États doivent veiller à ce que la pratique soit conforme au travail intellectuel: les victimes l'exigent. Enfin, les États doivent pratiquer l'échange d'expériences. M. Mattarollo a par ailleurs insisté sur l'aspect pédagogique et éducatif du droit à la vérité, qui est souvent le plus marquant, y compris dans les procès pénaux; il permet de rappeler à chacun les valeurs essentielles de la civilisation des droits de l'homme et le respect de la dignité humaine.

MME SOOKA a souligné que les commissions de vérité devaient 'être dotée d'un mandat participatif, sans exclusions. La manière dont ces organes mènent l'enquête doit être parfaitement définie. Le processus doit intégrer la participation de la société civile, notamment les groupes de victimes. La question de la protection des témoins a été très difficile pour le travail des commissions vérité. Un code particulier doit être élaboré en matière de protection des témoins. Les codes de conduite doivent être également élaborés sur ce point. La question de l'accès aux archives et la nécessité que les rapports de ces organes soient accessibles à tous revêt la plus haute importance, c'est actuellement le maillon faible des organisations de ce type. Si l'on peut compter 40 commissions de vérité dans le monde, il est difficile d'en trouver dix dont les recommandations ont été dûment appliquées. Le travail des commissions nationales des droits de l'homme est essentiel dans ce domaine et il faut lui apporter un soutien, a insisté Mme Sooka. «Nous ne connaissons pas encore assez les bonnes pratiques», a-t-elle déploré. Pour l'Afrique, il est essentiel de commencer à élaborer les protocoles appropriés sur ce qu'est le droit à la vérité ainsi que l'accès à l'information et aux archives.

La Directrice de la Fondation des droits de l'homme de l'Afrique du Sud a par la suite lancé un appel à la prudence afin de s'assurer que la mise en application du droit à la vérité n'aboutisse pas à faire reculer d'autres droits. Une commission de la vérité n'épuise pas le droit à la vérité, a-t-elle averti. Ainsi, les États ne doivent pas utiliser la création de ces commissions pour mettre fin aux enquêtes. La manière dont les unités de médecine légale collaborent en matière de recherche de l'identité sur la base de l'ADN constitue une bonne pratique qui devrait être inclue dans l'étude. Le lien avec la génération qui vient est très important, a par ailleurs ajouté Mme Sooka. Il ne suffit pas d'œuvrer pour faire apparaître la vérité, il faut la faire connaître et donc la transmettre aux nouvelles générations.

M. GROOME a déclaré que l'assistance technique revêtait une importance particulière dans la lutte contre l'impunité, de même que les méthodes d'accès aux archives et les mesures de protection des témoins. En outre, il serait intéressant d'étudier les différences d'interprétation du droit à la vérité en vue d'une unification des différentes approches. «Seule l'exposition de la vérité permettra de mettre le passé derrière nous».

Le Procureur au Tribunal pénal international pour l'ancienne Yougoslavie a souligné que le droit à la vérité est plus que la simple liberté d'information: le premier, tels qu'interprété par les tribunaux, est une obligation positive faite aux États d'enquêter au sujet d'une personne disparue par exemple. La Cour interaméricaine a statué que le droit à la vérité est compris dans le droit de la victime d'obtenir qu'une une enquête soit diligentée et que des responsabilités soient établies, de manière à ce que justice soit véritablement rendue.

Exercice du droit de réponse

M. CHOE MYONG NAM (République populaire démocratique de Corée) est intervenu en réaction aux allégations de la délégation du Japon sur des cas d'enlèvements: il a indiqué que ce dossier était clos et que les personnes concernées étaient rentrées. Il s'agit là, de l'avis de la République populaire démocratique de Corée, d'une manière pour le Japon de masquer son rôle durant la Seconde guerre mondiale.

M. MESBAH ANSARI (Iran) a regretté que le Royaume-Uni ait choisi d'attaquer son pays à plusieurs reprises sur la base d'affirmations sans fondement ne reflétant que l'attitude politisée de ce pays. Le représentant iranien a espéré que la délégation du Royaume-Uni renoncera à une attitude qui n'a pour effet que de compromettre la qualité des travaux du Conseil.

MME MARIA MICHAEL (Chypre) a souhaité répondre à la déclaration du représentant de la Turquie. Elle a affirmé que son pays soutient le travail du Groupe de travail sur les disparitions forcées et qu'une équipe supplémentaire d'exhumation et d'identification a été mise en place.

M. AKIO ISOMATA (Japon) a souligné que son pays a fait face aux événements du passé avec sincérité, en exprimant ses regrets auprès des autres nations asiatiques. Il a par ailleurs signalé qu'à l'heure actuelle, sur les 17 personnes qui ont été enlevées, seules cinq sont rentrées au pays. La République populaire démocratique de Corée n'a jamais donné d'explications sur ce que sont devenues les douze autres, a rappelé le représentant japonais.

M. FAITH ULUSOY (Turquie) a estimé que la déclaration qu'il avait faite dans le cadre du débat ne justifiait en rien un droit de réponse.

M. CHOE MYONG NAM (République populaire démocratique de Corée) a rejeté les déclarations de la délégation japonaise: le problème des enlèvements est définitivement réglé et sa réactivation par le Japon ne répond qu'à des objectifs de politique intérieure. D'autre part, le représentant a regretté que le Japon n'admette même pas la réalité de ses crimes contre l'humanité passés.

M. AKIO ISOMATA (Japon) a regretté que la République populaire démocratique de Corée n'ait pas répondu aux attentes de la communauté internationale concernant le règlement du problème des enlèvements de citoyens japonais.

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La documentation relative à la présente session du Conseil, notamment l'ordre du jour annoté (A/HRC/13/1), est disponible sur la page Internet consacrée à la documentation de la treizième session du Conseil: http://www2.ohchr.org/english/bodies/hrcouncil/13session/reports.htm


Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas un document officiel

HRC10/022F