Fil d'Ariane
LE COMITÉ POUR L'ÉLIMINATION DE LA DISCRIMINATION RACIALE EXAMINE LE RAPPORT DU GUATEMALA
Le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale a examiné, vendredi après-midi et ce matin, le rapport du Guatemala sur les mesures prises par ce pays pour mettre en œuvre les dispositions de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale.
Présentant le rapport de son pays, M. Lars Pira, Vice-Ministre des relations extérieures du Guatemala, a admis que la discrimination et le racisme touchent encore aujourd'hui, au quotidien, la société guatémaltèque et de manière particulière les peuples autochtones maya, garifuna et xinka. Bien que le Guatemala soit partie à la Convention depuis 1983 et que des progrès aient été enregistrés depuis, il a reconnu de considérables limitations qui entravent encore le respect de ses dispositions. La délégation guatémaltèque a ensuite fait valoir que 13% du budget national global étaient consacrés aux peuples autochtones en 2008 et 14% en 2009. Elle a également indiqué qu'entre 2004 et 2008, 75% des adjudications de terres accordées par l'État guatémaltèque l'ont été à des autochtones. La délégation a par ailleurs fait état d'une proposition présentée au Parlement visant à ce que la loi sur les activités minières intègre la notion de consultation des peuples autochtones. Elle a précisé que le nombre de licences en vigueur pour des concessions minières et hydroélectriques s'élevait actuellement à 136 pour l'exploration et à 262 pour l'exploitation.
La délégation guatémaltèque était également composée du Représentant permanent du Guatemala auprès des Nations Unies à Genève, M. Carlos Ramiro Martínez; de la Présidente de la Commission présidentielle chargée de la coordination de la politique du pouvoir exécutif en matière de droits de l'homme (COPREDEH), Mme Ruth del Valle; du Commissaire de la Commission présidentielle contre la discrimination et le racisme à l'égard des peuples autochtones (CODISRA), M. Antonio Curruchich; de la Défenseure des femmes autochtones, Mme Cleotilde Cu; ainsi que de représentants de la Commission présidentielle du système national de dialogue permanent, du Ministère des relations extérieures et du Ministère de l'énergie et des mines. Elle a répondu aux questions soulevées par les membres du Comité s'agissant, notamment, des dispositions législatives contre la discrimination raciale et le racisme; des lieux sacrés autochtones; des mesures concrètes prises pour le respect de l'accord sur l'identité et les droits des peuples autochtones; de la situation des autochtones sans terres; des questions relatives à l'octroi de licences d'exploitation minière et des consultations avec les autochtones dans ce contexte.
Le rapporteur du Comité pour l'examen du rapport du Guatemala, M. Pastor Elias Murillo Martínez, a déclaré que la problématique du racisme et de la discrimination raciale au Guatemala était structurelle et s'exprimait de manière éloquente dans la situation d'inégalité où se trouvent les peuples autochtones et garifuna. Il a salué les mesures prises par l'État pour corriger cette situation et qui visent une meilleure intégration des peuples autochtones, mais a relevé des difficultés à traduire dans la pratique les mesures législatives et administratives qui ont été adoptées afin de combattre le racisme. Il a rappelé que le Procureur avait relevé 24 homicides de dirigeants autochtones l'an dernier, auxquels s'ajoute notamment le meurtre, le 11 février dernier, de Germán Antonio Curup.
Le Comité adoptera en séance privée des observations finales sur le rapport du Guatemala, qu'il rendra publiques à la fin de la session, le vendredi 12 mars prochain.
Cet après-midi, à 15 heures, le Comité entamera l'examen du rapport du Cameroun (CERD/C/CMR/15-18).
Présentation du rapport du Guatemala
M. LARS PIRA, Vice-Ministre des relations extérieures du Guatemala, a admis que la discrimination et le racisme touchent encore aujourd'hui, au quotidien, la société guatémaltèque et de manière particulière les peuples autochtones maya, garifuna et xinka. Bien que le Guatemala soit partie à la Convention depuis 1983 et que des progrès aient été enregistrés au cours des 27 années écoulées depuis cette date, de considérables limitations au respect de ses dispositions persistent encore. C'est un défi et un objectif pour le Guatemala que de parvenir à surmonter ces limitations et le pays est disposé, pour ce faire, à déployer des efforts conjoints susceptibles de contribuer à la réalisation de l'un des objectifs fondamentaux des Nations Unies, à savoir parvenir à instaurer une société universelle exempte de toutes formes de ségrégation et de discrimination raciale.
La délégation a ensuite fait une présentation de diapositives en indiquant, notamment, que le peuple garifuna représente environ 6100 personnes, soit 0,4% de la population. Ella reconnu qu'aucune étude n'a été menée visant à connaître le niveau de connaissances sur la situation du peuple garifuna de la part de la société guatémaltèque. La délégation a indiqué que la journée du 26 novembre a été déclarée par décret Journée nationale du peuple garifuna.
Une analyse a été réalisée par le Secrétariat général de la planification (SEGEPLAN) concernant l'investissement public en faveur des peuples autochtones durant la période 2008-2009, dont les résultats complets seront bientôt rendus publics, a poursuivi la délégation. Elle a indiqué que 13% du budget national étaient consacrés aux peuples autochtones en 2008 et 14% l'année suivante. Au total, a par ailleurs indiqué la délégation, une quinzaine de politiques publiques au Guatemala visent l'élimination de la discrimination raciale sous toutes ses formes.
La Politique publique pour la coexistence et l'élimination du racisme et de la discrimination raciale de la Commission présidentielle contre la discrimination et le racisme à l'égard des peuples autochtones du Guatemala (CODISRA) comporte quatre volets traitant respectivement du racisme légal, du racisme économique, du racisme institutionnel et de la prévention, a d'autre part indiqué la délégation.
La délégation a ensuite exposé plusieurs lois adoptés par le Guatemala: Loi relative au Registre d'information cadastrale, Loi sur le système de sécurité alimentaire et Loi-cadre sur les accords de paix, le Conseil national de suivi des accords de paix ayant été créé au titre de cette dernière loi. Il existe au Guatemala d'autres lois qui portent, notamment, sur la juridiction des peuples autochtones, sur les lieux sacrés et sur les droits généraux des peuples autochtones, a ajouté la délégation, faisant en outre état d'un projet de loi visant à prévenir, éliminer et sanctionner le racisme et la discrimination raciale à l'encontre des peuples autochtones. Il n'existe actuellement au Guatemala aucun projet de loi qui porterait sur la question de la définition de la discrimination raciale, a par ailleurs indiqué la délégation.
La délégation a d'autre part indiqué que sur les 6619 plaintes émanant de personnes travaillant dans les maquiladoras (industrie d'exportation) qui ont été déposées, 624 plaintes émanent d'autochtones et bon nombre ont été résolues par voie de conciliation.
Entre 2004 et 2008, a également indiqué la délégation, 75% des adjudications de terres accordées par l'État guatémaltèque l'ont été à des autochtones; environ 1600 familles en ont été bénéficiaires pour un total 16 970 hectares de terres ainsi régularisées, a-t-elle précisé. La délégation a par ailleurs indiqué qu'une proposition de la Députée Rosa María de Frade vise à faire en sorte que la loi sur les activités minières intègre la notion de consultation des peuples autochtones; le cabinet vert coordonné par le Vice-Président de la République est en train d'analyser l'inclusion d'un droit à la consultation. Sous le Gouvernement actuel, aucune nouvelle licence de reconnaissance d'exploration et d'exploitation minière n'a été accordée, a souligné la délégation. S'agissant des concessions minières et hydroélectriques, le nombre de licences en vigueur s'élève à 136 pour l'exploration et à 262 pour l'exploitation, a-t-elle précisé.
La délégation a d'autre part indiqué qu'un total de 14 défenseurs autochtones relevant de l'Institut de la défense pénale publique avaient été saisis de quelque 5400 affaires. Le système judiciaire du pays compte 389 employés publics bilingues, six juges de paix communautaires et 73 centres de médiation, a-t-elle ajouté. Elle a en outre précisé que quelque 4184 agents de la police nationale civile sont bilingues, et maîtrisent au total une vingtaine de langues autochtones.
La présence d'enseignants autochtones au sein du système éducatif s'élève à 15,24% du corps enseignant, a par ailleurs indiqué la délégation.
Le rapport périodique du Guatemala (CERD/C/GTM/12-13, document regroupant les douzième et treizième rapports périodiques) indique que la Politique publique pour la coexistence et l'élimination du racisme et de la discrimination raciale (2006) a été élaborée à l'initiative de la Commission présidentielle contre la discrimination et le racisme à l'égard des peuples autochtones du Guatemala (CODISRA). Son principal objectif est de mettre en place des actions visant à la construction d'un État pluriel, en identifiant et en éliminant les mécanismes du racisme et de la discrimination raciale. L'une des principales approches développées a trait à l'harmonisation des politiques selon plusieurs axes. 68. Le budget de la CODISRA a donné la priorité à la sensibilisation, à la prise de conscience et à la promotion du changement de mentalités, dans le but d’éradiquer les préjugés et les stéréotypes qui empêchent les divers peuples habitant l’État du Guatemala de coexister dans le respect, l’équité et l’égalité. À cet effet, la CODISRA a organisé des dialogues, des ateliers, des rencontres, des formations et autres activités. Parmi les principales actions réalisées par la CODISRA, le rapport cite notamment la formulation et publication de la Politique publique pour la coexistence et l’élimination du racisme et de la discrimination raciale; la Campagne nationale en faveur de la coexistence par le biais de spots radiophoniques et télévisuels; la mise en place de formations contre la discrimination dans plusieurs départements du pays; la mise en place d’une formation destinée aux agents de la fonction publique, aux employés du secteur de la justice et aux représentants des organisations de la société civile, dans le but de sensibiliser les fonctionnaires et d’éliminer les pratiques discriminatoires et racistes.
Les politiques publiques en matière de peuples autochtones se fondent en partie sur le Programme public en faveur des peuples autochtones dans le cadre des Accords de paix, dont les lignes directrices prioritaires consistent notamment à définir et mettre en place des politiques d’État, conformément à la nature multiethnique, pluriculturelle et multilingue du pays qui permettent l’application effective des Accords de paix de 1996; à transformer l’État pour que ses institutions reflètent le caractère multiethnique, pluriculturel et multilingue du pays, et puissent assurer le développement intégral des peuples maya, garifuna et xinka; à garantir la pleine participation de ces peuples dans tous les espaces où sont prises les décisions stratégiques au niveau national, régional et local ainsi qu’à l’échelle internationale; à mettre en place, dans tous les domaines et à tous les niveaux de la structure de l’État, une politique publique de lutte contre la discrimination et le racisme qui puisse conduire à l’éradication de ce fléau.
La Politique agraire (2007) a été élaborée par le Secrétariat des affaires agraires et s'inscrit dans la Politique de développement rural intégré, dont l'objectif général est de faire évoluer la situation agraire au Guatemala, en œuvrant en faveur de la certitude juridique sur la propriété, la possession et la jouissance de la terre, de l'accès à celle-ci et de la résolution des conflits. Le rapport attire par ailleurs l'attention sur le soutien de la diversité linguistique et les efforts visant à accroître la population sachant lire et écrire les langues autochtones et à promouvoir la création et la diffusion de textes rédigés en langues autochtones. Le rapport ajoute que le décret gouvernemental 22-2004 rend obligatoire le bilinguisme comme politique linguistique nationale et établit la généralisation du multiculturalisme et de l'interculturalité. À partir de 2006, poursuit le rapport, le service juridique de la CODISRA assure l'accompagnement et le suivi des plaintes reçues pour discrimination.
Examen du rapport
Questions et observations des membres du Comité
M. PASTOR ELIAS MURILLO MARTÍNEZ, rapporteur du Comité pour l'examen du rapport du Guatemala, a indiqué avoir eu l'occasion, au mois de novembre dernier, de se rendre pour la première fois au Guatemala et de découvrir une partie de ce merveilleux pays. Le Guatemala est un pays varié et multiculturel et cependant, les groupes ethniques n'ont pas été suffisamment reconnus et ne participent pas aux prises de décisions qui les touchent, a poursuivi l'expert. Curieusement, a-t-il ajouté, en dépit de la grande diversité qui caractérise ce pays et contrairement à la tendance qui se manifeste en Amérique latine, la Constitution politique du Guatemala, qui date de 1985, ne reconnaît pas le caractère plurinational du pays.
Selon l'enquête nationale sur les conditions de vie réalisée en 2006, 51% de la population (soit 6 625 892 personnes) vivent dans des conditions de pauvreté et près de 15,2% (1 976 604 personnes) vivent dans l'extrême pauvreté, surtout dans les zones rurales, et cela affecte davantage les autochtones que les autres groupes de la population. Sur 4 973 138 autochtones, quelque 3 721 110 se trouvent dans une situation de pauvreté et, sur ce nombre, 1 354 995 dans une situation de pauvreté extrême, soit 68% du total des personnes vivant dans l'extrême pauvreté dans le pays, a fait observer M. Murillo Martínez. L'un des problèmes prioritaires qui découlent de cette situation est la malnutrition chronique qui affecte, au niveau national, 43,4% des enfants âgés de 3 mois à 5 ans. Un rapport du Fonds des Nations Unies pour l'enfance indique qu'en 2007, le Guatemala possédait le taux le plus élevé d'enfants victimes de malnutrition chronique de toute l'Amérique latine, avec une incidence dépassant 80% parmi la population autochtone. Selon la FAO, a insisté M. Murillo Martínez, plus de 2 des 13 millions de Guatémaltèques, soit 15% de la population, se trouvent en situation de risque d'insécurité alimentaire.
M. Murillo Martínez a relevé que les réponses fournies par le Guatemala à la liste de questions écrites qui lui avait été préalablement adressée par le Comité constituent un document très détaillé qui fournit notamment une abondante information relative au peuple garifuna. Il a toutefois indiqué que le document présenté par des organisations non gouvernementales sous le titre «Un regard critique sur la mise en œuvre de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale au Guatemala» expose une vision diamétralement opposée à celle que présente le rapport du Guatemala.
Le rapporteur a salué l'adoption par le Guatemala de la Politique publique pour la coexistence et l'élimination du racisme et de la discrimination raciale, ainsi que le Programme public en faveur des peuples autochtones des peuples autochtones adopté dans le cadre des Accords de paix. Il a également salué l'adoption par le pays d'un ensemble de politiques sectorielles comportant des aspects tenant compte de la diversité culturelle du pays. Les préoccupations et les interrogations que suscite le rapport du Guatemala n'en demeurent pas moins nombreuses, a-t-il poursuivi. Il a notamment déploré le manque de statistiques qui auraient permis de se faire une idée précise des progrès réalisés et des défis persistants dans la lutte contre le racisme et la discrimination raciale au Guatemala; en effet, aucune donnée récente ne reflète la composition démographique du pays, ni les possibilités d'accès à l'éducation, à l'emploi et à la santé ou encore l'espérance de vie. Aussi, l'expert s'est-il réjoui de la perspective du recensement national de la population qui est actuellement en préparation. À cet égard, il s'est enquis des questions qui seront posées dans le cadre de ce recensement.
La problématique du racisme et de la discrimination raciale au Guatemala est structurelle et s'exprime de manière éloquente dans la situation d'inégalité où se trouvent les peuples autochtones et garifuna, a poursuivi M. Murillo Martínez. Pour corriger cette situation, a-t-il relevé, l'État guatémaltèque a pris un certain nombre de mesures au nombre desquelles figurent l'adoption de la Convention n°169 de l'Organisation internationale du travail sur les peuples indigènes et tribaux, l'approbation d'une politique publique contre le racisme et la discrimination raciale, l'octroi d'un rang légal à l'Accord de paix et d'identité culturelle ou encore la création de la Commission présidentielle contre la discrimination raciale. Néanmoins, le pays rencontre un problème pour ce qui est de traduire dans la pratique les mesures législatives et administratives qui ont été adoptées afin de combattre le racisme, a souligné le rapporteur. Selon un nombre important et représentatif de porte-parole des peuples autochtones, les recommandations émises par le Comité à l'issue de l'examen du précédent rapport du Guatemala n'ont été que peu appliquées. Le racisme et la discrimination raciale restent importants au Guatemala, a insisté M. Murillo Martínez. L'expert a ajouté que la qualification du délit de racisme au Guatemala ne répondait pas aux paramètres fixés à l'article 4 de la Convention.
M. Murillo Martínez a par ailleurs rappelé que récemment, le Rapporteur spécial de l'ONU sur l'indépendance des juges et des avocats avait constaté de graves déficiences du système judiciaire guatémaltèque en raison de facteurs structurels et de la violence exercée à l'encontre des avocats et fonctionnaires de justice, ce qui contribue à un climat généralisé d'impunité, non seulement pour les crimes commis durant le conflit armé mais aussi pour ceux qui le sont actuellement. Si l'on considère que, selon des sources non officielles, les communautés autochtones représentent 83% des victimes du conflit armé qui a frappé le pays pendant plus de deux décennies, il est aisé d'en déduire le grave impact de cette situation sur la population autochtone, a fait observer M. Murillo Martínez.
D'une manière générale, l'expert a souhaité en savoir davantage sur l'impact des politiques adoptées par l'État guatémaltèque en faveur des populations autochtones et du peuple garifuna. Qu'en est-il des actions entreprises par le Gouvernement depuis 2008 en vue d'approfondir l'application de l'Accord de paix sur l'identité et le droit des peuples autochtones et du peuple garifuna?
Relevant que l'une des revendications les plus fréquentes des communautés autochtones a trait à ce qu'elles considèrent être une violation de leur droit à la consultation préalable, en particulier dans le contexte des projets miniers et énergétiques, M. Murillo Martínez a souligné que la participation des communautés à toutes les phases de l'élaboration des études d'impact environnemental, social et culturel de ces projets est un impératif, de même que la garantie préventive pour que le projet ne se réalise pas si les résultats des études d'impact l'exigent. Dans le contexte post-conflit dans lequel se trouve le Guatemala, il convient de souligner que l'institution de la constitution préalable, loin d'être considérée comme un obstacle, devrait être considérée comme une occasion d'approfondir le dialogue interculturel qui a beaucoup fait défaut au pays entre les années 60 et le milieu des années 1980 «lorsque la seule langue qui était parlée au Guatemala était celle du fusil».
M. Murillo Martínez a déclaré que de nombreux cas illustrent les tensions croissantes avec les peuples autochtones en rapport avec l'activité minière et énergétique sur les territoires autochtones. Il a notamment attiré l'attention sur la grave situation vécue du fait de l'exploitation de l'or par l'entreprise canadienne Montana (filiale de Glamis) et de l'installation d'une mine de ciment à San Juan Sacatepéquez. Selon de nombreux rapports préparés par des porte-parole des communautés autochtones et par d'autres sources qui les confirment, de nombreux homicides ont été perpétrés en rapport avec ces activités, auxquels s'ajoute la criminalisation extrême de la protestation sociale qui s'est soldée par des condamnations allant jusqu'à 150 années d'emprisonnement pour une seule et même personne, comme ce fut le cas pour M. Abelardo Kaqchikel. M. Murillo Martínez a également évoqué, dans ce contexte, l'assassinat, la semaine dernière, de deux défenseurs des droits de l'homme des peuples autochtones, dont celui de Germán Antonio Curup, le fils d'un dirigeant communautaire qui s'opposait à l'installation de la fabrique de ciment dans la municipalité de San Juan Sacatepéquez. L'expert a encouragé l'État du Guatemala à mener une enquête sur ce présumé assassinat. Il a en outre demandé à la délégation d'éclairer le Comité au sujet de la problématique minière environnementale à San Juan Sacatepéquez. Le rapporteur s'est en outre enquis du nombre de licences octroyées pour l'exploitation de ressources minières et énergétiques sur des territoires des peuples autochtones et de processus suivi dans ce contexte pour garantir la participation des communautés potentiellement affectées.
Soulignant qu'au Guatemala, six analphabètes sur dix sont autochtones, M. Murillo Martínez a recommandé à l'État d'éradiquer le problème de l'analphabétisme. Il lui a également recommandé de reconnaître la compétence du Comité pour examiner des plaintes pour discrimination raciale, conformément à l'article 14 de la Convention, et de prendre des mesures pour combattre les préjugés raciaux dans les médias. Il lui a aussi recommandé d'adopter des mesures adéquates afin de lutter contre la malnutrition infantile et l'extrême pauvreté qui affectent les populations autochtones du Guatemala.
M. Murillo Martínez a ensuite rappelé que le peuple garifuna avait été emmené d'Afrique jusqu'aux côtes guatémaltèques par les marchands d'esclaves à l'époque de la Traite. Il a salué les efforts déployés par le Gouvernement pour améliorer la perception de la communauté garifuna, notamment à l'occasion de la Journée nationale du peuple garifuna. L'expert a néanmoins souhaité connaître les mesures d'action affirmative adoptées en faveur des garifunas, de telles mesures étant seules à même d'assurer la pleine intégration de ces populations aux décisions du pays compte tenu de leur faible poids démographique.
À l'instar de M. Murillo Martínez, un autre membre du Comité a, lui aussi, observé une certaine discordance entre ce que l'on peut lire dans le rapport de l'État partie et dans les informations émanant des organisations non gouvernementales, qui indiquent notamment la persistance des stéréotypes d'infériorisation voire de mépris à l'égard des autochtones de la part de la population non autochtone du Guatemala, notamment l'idée selon laquelle les autochtones seraient responsables de leur sous-développement. Les ONG font également état d'une tendance des autorités à réprimer les communautés autochtones lorsqu'elles opposent leur résistance aux activités, notamment minières, des grandes entreprises, a-t-il ajouté. Les poursuites judiciaires lorsqu'il s'agit de plaintes émanant des autochtones sont peu nombreuses, a en outre relevé l'expert.
Un autre membre du Comité a souligné que des interrogations et des sujets de préoccupations subsistent s'agissant du Guatemala. Il a souhaité connaître les données officielles concernant la proportion d'autochtones dans la population globale du Guatemala, relevant de considérables différences entre les chiffres fournis dans le présent rapport et ceux qui figuraient dans le document de base soumis par le pays il y a quatre ans? Par ailleurs, l'expert a regretté que le racisme et la discrimination raciale ne soient pas qualifiés comme des infractions pénales.
Il reste au Guatemala des problèmes qui concernent surtout les peuples autochtones, a aussi constaté un autre membre du Comité, citant en particulier le problème de la terre. Il a souhaité savoir combien d'autochtones ou de communautés autochtones se trouvent encore, à l'heure actuelle, sans terres. L'expert a regretté que de nombreux projets de loi pourtant très importants du point de vue du Comité ne parviennent pas à être adoptés. Il serait, par exemple, particulièrement important que puisse être adoptée une loi qui renforce les capacités du Ministère public de poursuivre tous les cas de discrimination raciale devant les tribunaux agraires.
Renseignements complémentaires fournis par la délégation
La délégation a reconnu que divers défis se posaient au Guatemala mais a ajouté que le moment était opportun pour renforcer le combat en faveur de l'inclusion de la population autochtone dans la société guatémaltèque puisque ce jour marque le début d'un nouveau cycle du calendrier maya. Elle a estimé que, dans le cadre de cette approche cyclique de la vie, le Guatemala déploie aujourd'hui un réel effort pour défendre les droits des populations autochtones. Elle a aussi expliqué que, selon les croyances traditionnelles mayas, chaque personne possède trois signes fondamentaux: son nawal de conception, son nawal de naissance et son nawal de destin, qui, tous trois, déterminent un paramètre de vie et une mission à accomplir.
La délégation a attiré l'attention sur un certain nombre de décrets intéressant les populations autochtones, citant notamment le décret sur les langues nationales, qui déclare comme telles les langues maya, xinka et garifuna, ou encore le décret déclarant d'intérêt national la protection des textiles autochtones.
S'agissant des lieux sacrés pour les autochtones, la délégation a rappelé que ces lieux émettent des énergies et ont une fonction spéciale pour chaque communauté dans le quotidien de tout un chacun. Ces lieux émettent des énergies positives qui sont l'expression physique de puissances qui veillent sur le bien-être de la communauté et de chacun de ses membres. Le projet de loi sur les lieux sacrés a reçu en août dernier un avis favorable des commissions législatives des peuples autochtones, a indiqué la délégation.
Interrogée sur les mesures concrètes prises par le Gouvernement actuel pour approfondir le respect de l'accord sur l'identité et les droits des peuples autochtones, la délégation a rappelé que le principal défi que se proposent de relever les Accords de paix – et en particulier l'accord sur l'identité et les droits des peuples autochtones – était de passer du paradigme de l'État monoethnique, monolingue et monoculturel au paradigme d'un État multiethnique, pluriculturel et multilingue. À cette fin, les institutions publiques ont soutenu la prise en compte d'un paramètre ethnique dans la classification des allocations budgétaires de l'État. La délégation a également souligné que la création d'une université maya était envisagée.
La délégation guatémaltèque a par ailleurs fait part de la Loi sur le développement rural et la politique nationale de développement rural intégral. Elle a également attiré l'attention sur le processus de relevé de l'information cadastrale engagé par les autorités ainsi que sur un grand nombre de programmes et d'institutions mis en place aux fins de la promotion des droits des peuples autochtones.
Le Guatemala dispose désormais d'une instance spécifique pour la promotion de l'alphabétisation: le Comité national pour l'alphabétisation (CONALFA), a par ailleurs fait valoir la délégation. Elle a précisé qu'au moment de l'élaboration de la loi sur l'alphabétisation de 1986, les indicateurs montraient un taux d'analphabétisme de la population de plus de 15 ans qui se situait à 52%, ce qui, en chiffres absolus, représentait quelque 2,6 millions de personnes. Environ 77% de cette population analphabète résidait en zones rurales où pas moins de 61% des personnes analphabètes étaient des autochtones. En 2009, le taux global d'analphabétisme était tombé à 21,05%, a souligné la délégation.
La délégation a par ailleurs rappelé que l'Accord de généralisation de l'éducation bilingue multiculturelle et interculturelle dans le système éducatif national rend obligatoire l'enseignement et la pratique de la multiculturalité et de l'interculturalité.
La délégation a ensuite indiqué que, conformément à la Loi minière associée au décret 48/97 du Congrès, le Ministère de l'énergie et des mines a octroyé, depuis 1996, quelque 169 licences d'exploitation, dont 54 (soit 31%) se situent dans des départements et des municipalités dont la majorité de la population est autochtone. Trois seulement de ces 54 licences visent l'exploitation de minerais métalliques et une seule de ces trois licences – dans le département de San Marcos – est actuellement active; les 51 autres licences concernent l'exploitation de matériaux de construction et de minerais non métalliques.
Les processus de consultation communautaires de bonne foi ont été appliqués dans diverses municipalités du pays et, dans leur grande majorité, ont été organisés par les municipalités concernées elles-mêmes. S'ils ne suivent pas la procédure normalisée et s'ils ne respectent pas l'esprit de la Convention n°169 de l'Organisation internationale du travail, ces processus consultatifs aboutissent à des résultats qui tendent au veto; le consentement libre et informé est la base de toute décision des communautés autochtones, a souligné la délégation. Les consultations menées dans le pays ont abouti à des résultats négatifs, de sorte que l'État, qui accorde la priorité à la recherche d'accords et à la prévention des conflits, n'a pas octroyé de licences minières dans les juridictions des municipalités où ont été menées des procédures de consultation, a insisté la délégation. Dans le cas des communautés qui habitent dans les zones d'influence de l'unique projet minier d'exploitation de minerais métalliques, des systèmes d'information ont été mis en œuvre associant les dirigeants communautaires, l'entreprise qui développe ce projet et l'État guatémaltèque; dans ce contexte, les préoccupations des habitants vivant aux abords du projet sont reçues et des enquêtes sont menées afin de constater les faits faisant l'objet d'une plainte, après quoi les communautés sont informées des résultats obtenus.
Le pays a engagé un processus permanent de dialogue et de discussion d'un projet de loi minière qui intègrerait l'expérience de pays miniers ayant des normes environnementales, sociales et économiques plus favorables, a indiqué la délégation.
S'agissant de la situation à San Juan Sacatepéquez, la délégation a rappelé que le Ministère de l'énergie et des mines a octroyé, le 17 avril 2007, le droit d'exploitation minière «San José Mincesa» à l'entité Minerales Industriales de Centro America S.A. La zone concernée par cette licence couvre 900 hectares tout en préservant l'essentiel de la surface boisée, a précisé la délégation. Selon les documents présentés par le responsable du projet, la zone dans laquelle s'inscrit ce projet minier se trouve sur des terrains de propriété privée acquis par le titulaire du projet. Ce dernier a respecté toutes les exigences légales; toutefois, étant donné qu'un processus d'information et de dialogue est en cours, seuls sont entrepris, pour l'heure, des travaux d'entretien de la propriété et de reforestation. Suite aux violences survenues en 2008, le Gouvernement a décrété l'état de précaution (estado de prevención) à San Juan Sacatepéquez, mais il n'existe à l'heure actuelle aucune limitation des droits constitutionnels dans cette municipalité, a assuré la délégation.
Pour ce qui est du cas d'Abelardo Curup, la délégation a indiqué qu'il avait été condamné à 150 années d'emprisonnement pour l'assassinat de trois membres de la famille Raxón Canel (le père, José Irineo, et ses deux fils, Ángel et Edwin, âgés de 19 et 17 ans) à San Juan Sacatepéquez, le 20 janvier 2007. Toutefois, selon le Code pénal guatémaltèque, il ne peut purger que 50 années de prison. Le tribunal de Mixco a considéré qu'il existait suffisamment de preuves pour condamner M. Curup, lequel avait pris la tête, avec José Mario Turuy Nij et d'autres personnes, d'un groupe d'une centaine de personnes qui ont commis ces meurtres.
Interrogée sur les consultations préalables menées par l'État conformément aux normes de l'Organisation internationale du travail (OIT), la délégation a ensuite indiqué que l'État n'a encore réalisé aucune consultation préalable à l'octroi des licences existant actuellement. Les consultations menées par les autorités municipales ou convoquées par les communautés elles-mêmes n'étaient pas, non plus, conformes aux normes établies par l'OIT.
Dans leur grande majorité, les consultations communautaires de bonne foi convoquées jusqu'ici ont été menées comme un moyen de défense permettant aux communautés de faire savoir à l'État guatémaltèque qu'elles n'étaient pas d'accord que des droits miniers soient octroyés dans leurs communautés; aussi, jusqu'à présent, aucune nouvelle licence n'a été octroyée dans les municipalités dans lesquelles de telles consultations communautaires ont été menées, a fait valoir la délégation.
Pour ce qui est des licences minières octroyées postérieurement à la ratification de la Convention n°169 de l'OIT, on peut constater que les titulaires des licences d'exploitation ont évité de développer des travaux de prospection minière afin de ne pas provoquer de conflit, de sorte que toutes les zones d'exploration sont actuellement inactives, a ajouté la délégation. Quant aux deux projets les plus conflictuels, l'État a mis en place un système de dialogue pour informer la population des activités menées dans le cadre de ces deux projets et est attentif aux plaintes en provenance des communautés concernées et des ONG environnementales.
La délégation a par ailleurs indiqué que la Cour constitutionnelle du Guatemala avait établi que l'article 6.2 de la Convention n°169 de l'OIT ne devait pas être interprété comme octroyant aux peuples autochtones et tribaux un droit de veto, conformément au guide d'application de ladite Convention de l'OIT qui affirme qu'aucun groupe de la population nationale d'un quelconque pays n'a le droit d'opposer un veto aux politiques de développement qui affectent tout le pays.
La délégation a fait état de l'existence d'un projet de loi sur la consultation des peuples autochtones dont l'objet est de réglementer l'exercice du droit des peuples et communautés autochtones à être consultés et le caractère obligatoire de cette consultation. Pour que cette loi soit approuvée, a-t-elle précisé, le projet doit faire l'objet de trois lectures en autant de sessions parlementaires, puis être approuvé article par article avant qu'il ne soit procédé à sa rédaction finale. À ce stade, a ajouté la délégation, le projet a déjà été approuvé en deux lectures.
En ce qui concerne la situation dans les maquiladoras, la délégation a indiqué qu'en 2004, du fait de la situation de violation des droits du travail prévalant dans les entreprises maquiladoras du pays, les autorités guatémaltèques ont mis sur pied l'Instance de prévention des conflits de travail dans les maquiladoras. Le Gouvernement a s'est alors fixé pour priorité de parvenir à la ratification de la Convention n°155 de l'OIT sur la sécurité et la santé des travailleurs; cette Convention n'ayant pas été ratifiée et les conditions de travail actuelles restant fréquemment précaires, essentiellement dans les maquiladoras, les organisations sociales du Guatemala continuent de demander la ratification de cet instrument. Le Guatemala compte quelque 280 inspecteurs du travail, dont 80 se consacrent à des tâches administratives, ce qui réduit d'autant la capacité globale de visites in situ de l'ensemble de ce corps d'inspection, a poursuivi la délégation. Elle a toutefois souligné que le Ministère du travail avait mis en place une unité d'inspecteurs spécifiquement dédiés aux plaintes émanant des travailleurs des maquiladoras dans le département de Guatemala (celui de la capitale) et qui se penchent également sur les cas de licenciements massifs.
La délégation a en outre rappelé que l'article 14 bis du Code pénal guatémaltèque interdit la discrimination fondée sur la race, la religion, les croyances politiques et la situation économique.
S'il est vrai qu'il n'existe pas dans le cadre juridique du Guatemala de qualification pénale des délits de discrimination raciale et de racisme, il n'en demeure pas moins que diverses dispositions pénales peuvent être invoquées en cas de tels délits, a souligné la délégation. Pour autant, a-t-elle ajouté, il est clair que l'État devrait promouvoir auprès du Congrès la qualification pénale de la discrimination ethnique ainsi que la révision de la législation en vigueur afin d'en retirer toute disposition susceptible d'avoir un effet discriminatoire à l'encontre des peuples autochtones. La Commission présidentielle contre la discrimination et le racisme à l'égard des peuples autochtones (CODISRA) est en train d'élaborer un avant-projet de loi ayant pour objectif de prévenir, d'éliminer et de sanctionner la discrimination et le racisme au Guatemala, a ajouté la délégation.
Interrogée sur le nombre et la proportion d'autochtones sans terres, la délégation a indiqué que l'État guatémaltèque ne disposait pas de statistiques sur la propriété foncière spécifiquement autochtone. Il existe néanmoins des institutions, comme le Fonds des terres, le Secrétariat aux affaires agraires et le Registre d'information cadastrale, qui disposent d'informations statistiques pouvant être transmises au Comité mais qui concernent la propriété des terres aux mains de paysans, a-t-elle précisé.
Observations préliminaires
Le rapporteur du Comité pour l'examen de ce rapport, M. PASTOR ELIAS MURILLO MARTÍNEZ, a remercié la délégation guatémaltèque et a exprimé l'espoir que le Comité saurait formuler de bonnes recommandations à l'intention des autorités de ce pays. Il a rappelé que le Comité se préoccupe en particulier de la situation des peuples autochtones. Le rapport du Procureur indique que l'an dernier, pas moins de 24 meurtres de dirigeants autochtones ont été enregistrés au Guatemala, a souligné M. Murillo Martinez. Il a ajouté que le Comité se félicite néanmoins d'un certain nombre de mesures prises par le pays, telles que l'intégration d'un repère ethnique dans la classification (ou codification) du budget et la création d'une université autochtones – autant de mesures qui vont dans le sens d'une meilleure intégration des peuples autochtones. Le rapporteur a estimé que le dialogue interculturel qui est promu dans le pays est indispensable et devrait déboucher sur une réforme constitutionnelle propre à promouvoir l'intégration de tous les Guatémaltèques, a conclu M. Murillo Martínez.
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CERD10/007F