Fil d'Ariane
LE COMITÉ POUR L'ÉLIMINATION DE LA DISCRIMINATION RACIALE EXAMINE LE RAPPORT DU PÉROU
Le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale a examiné, hier après-midi et ce matin, le rapport périodique du Pérou sur les mesures prises par ce pays pour se conformer aux dispositions de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale.
Présentant le rapport de son pays, M. Aurelio Pastor Valdivieso, Ministre de la justice du Pérou, a déclaré que depuis la fin de 2000, le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales au Pérou est plus grand que jamais. Il est vrai que beaucoup reste à faire, mais les autorités péruviennes ne ménagent aucun effort pour parvenir au meilleur degré de démocratie possible. Le Ministre de la justice a mis l'accent sur le cadre juridique péruvien qui garantit à tous les habitants, indépendamment de leur religion, de leur sexe, de leur race, de leur langue, de leur opinion, de leur origine ethnique ou de leur groupe social, la pleine égalité de droits. Il a d'autre part fait observer que la répartition géographique de la population autochtone coïncidait avec les zones les plus pauvres du pays, qui sont des zones rurales d'accès difficiles. Il est indéniable qu'il existe des conflits entre les peuples autochtones de l'Amazonie et les activités pétrolières du fait de l'impact de ces dernières sur l'environnement, a par ailleurs reconnu M. Valdivieso. Évoquant les récents évènements de Bagua, qui ont causé la mort d'une trentaine de personnes – essentiellement des membres des forces de la police nationale –, le Ministre a indiqué que des enquêtes sont en cours, mais a expliqué que se sont de fausses informations et rumeurs faisant état de fosses communes et de charniers où se trouveraient des cadavres de membres de communautés autochtones qui ont entraîné la violence qui a abouti à ces événements. La délégation a par ailleurs souligné que ces fausses informations, reprises dans les médias internationaux, allaient «coûter cher» au pays pour retrouver la confiance de ceux qui souhaiteraient venir investir au Pérou.
La délégation péruvienne était également composée du Représentant permanent du Pérou auprès des Nations Unies à Genève, M. Eduardo Ponce Vivanco, ainsi que de représentants du Ministère des relations extérieures, du Ministère de l'énergie et des mines, du Ministère de la femme et du développement social. Elle a fourni des compléments d'informations s'agissant, en particulier, de la situation des autochtones, aussi qualifiés de communautés paysannes et natives au Pérou; de la réglementation de la participation citoyenne dans le secteur minier; de la situation socioéconomique du pays; ou encore la situation relative aux actes de terrorisme.
À l'issue des échanges entre le Comité et la délégation péruvienne, M. José Francisco Cali Tzay, rapporteur du Comité pour l'examen de ce rapport, a relevé qu'un certain nombre de questions posées par les experts n'ont pas reçu de réponses, notamment s'agissant de la gestion de l'eau dans le contexte des communautés autochtones. Les membres du Comité sont en outre vivement préoccupés par la discrimination raciale et par la discrimination structurelle au Pérou et il aurait été souhaitable de savoir les mesures envisagées par les autorités pour lutter contre cette discrimination structurelle, a-t-il ajouté. Il a aussi relevé que la délégation s'est attachée à mettre l'accent sur les mesures visant à assurer le développement économique du pays, et a exprimé l'espoir que cette approche ne traduisait pas une politique d'assimilation.
Le Comité adoptera, dans le cadre de séances privées, ses observations finales sur le rapport du Pérou avant de les rendre publiques à l'issue de sa session, le vendredi 28 août.
Cet après-midi, à 15 heures, le Comité doit entamer l'examen du rapport périodique des Émirats arabes unis (CERD/C/ARE/12-17).
Présentation du rapport
M. AURELIO PASTOR VALDIVIESO, Ministre de la justice du Pérou, a souligné que ce rapport était le fruit d'un vaste processus de consultations entre tous les secteurs et institutions concernés par la mise en œuvre de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Il a par ailleurs assuré que s'il n'existe pas au Pérou d'institution publique centralisant la lutte contre la discrimination, il n'en demeure pas moins que depuis 1971 – année où le pays est devenu partie à la Convention – diverses mesures ont été adoptées afin d'éliminer toute pratique discriminatoire et de promouvoir l'égalité de toutes les personnes se trouvant sous la juridiction de l'État péruvien.
M. Valdivieso a souligné que les autorités et les principales forces politiques du pays ont élaboré un document de base pour le renforcement de la démocratie et l'affirmation de l'identité nationale, intitulé «Accord national». Ce document constate notamment que diverses formes de discrimination et d'inégalité sociale perdurent dans le pays et réaffirme son engagement d'accorder la priorité à la promotion de l'égalité des chances, a-t-il précisé. Il s'agit donc là d'une preuve de la reconnaissance de l'existence du problème et d'un témoignage de l'engagement de tous à y apporter des solutions efficaces, a ajouté le Ministre. Il a affirmé que depuis la fin de 2000, le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales au Pérou est plus grand que jamais. Il est vrai qu'un grand chemin reste à parcourir, mais il est tout aussi vrai que les autorités péruviennes n'ont ménagé aucun effort pour parvenir au meilleur degré de démocratie possible, a-t-il insisté, rappelant notamment que le Président de la République est élu et n'a pas le droit d'être réélu, ce qui garantit la rotation du pouvoir. Le Pérou est un État décentralisé où la séparation des pouvoirs est garantie, a ajouté M. Valdivieso.
Aujourd'hui, a indiqué le Ministre péruvien de la justice, 70% du budget national sont gérés de manière décentralisée et autonome par les gouvernements régionaux et locaux, instances au sein desquelles les dépenses et investissements publics sont approuvés par les autorités élues suite à un vote populaire, avec la participation des populations organisées à travers un mécanisme dit du «budget participatif»; autrement dit, la loi reconnaît à tout citoyen le droit de participer à la discussion et à la prise de décision s'agissant de la manière dont sont utilisées les ressources publiques allouées à sa collectivité régionale ou locale. D'autre part, les 30% restants du budget national qui sont gérés par le Gouvernement central sont affectés essentiellement aux provinces et zones les plus pauvres, a précisé le Ministre. Il a fait valoir que grâce aux programmes sociaux et aux différents programmes menés à bien par les différents ministères, plus de six millions de Péruviens ont pu bénéficier, en trois ans, d'un service de base en eau. La pauvreté, en trois ans, a baissé de 12%, passant de 48% à 36% de la population, a insisté M. Valdivieso. Il a fait valoir que le Pérou est l'un des cinq pays au monde où, en dépit de la crise mondiale actuelle, la croissance économique s'est poursuivie cette année.
Le Ministre de la justice a par ailleurs mis l'accent sur le cadre juridique péruvien qui garantit à tous les habitants, indépendamment de leur religion, de leur sexe, de leur race, de leur langue, de leur opinion, de leur origine ethnique ou de leur groupe social, la pleine égalité de droits. Il a ajouté que le Tribunal constitutionnel était parvenu à établir d'importants précédents jurisprudentiels dont l'un établissant que la notion d'égalité devait être perçue sur deux plans convergents: l'un soulignant que cette notion est un principe directeur de l'organisation et du comportement de l'État de droit démocratique et l'autre établissant qu'il s'agit d'un droit fondamental de la personne. Le Tribunal a toutefois estimé qu'une différence de traitement n'était pas incompatible avec le principe de l'égalité si elle était fondée sur des critères objectifs, raisonnables, rationnels et proportionnels, a poursuivi le Ministre, précisant que l'État démocratique doit prendre des mesures pour remédier aux inégalités qui frappent certains groupes défavorisés.
M. Valdivieso a fait part de nombreuses mesures législatives adoptées par le Pérou afin d'éliminer toutes les formes de discrimination, mentionnant la législation relative à l'accès aux centres de formation pédagogique (loi relative à l'éducation) et la législation relative à la discrimination dans les offres d'emploi et l'accès aux moyens de formation pédagogique. S'agissant de cette dernière loi, il a précisé que le Ministère du travail était habilité à enquêter sur les cas de discrimination, à établir les responsabilités et à imposer les sanctions administratives correspondantes. La discrimination constitue un délit sanctionné par le chapitre du Code pénal consacré aux crimes contre l'humanité, a par ailleurs précisé M. Valdivieso.
Le Ministre péruvien de la justice a en outre indiqué que la population autochtone du Pérou était composée des peuples andins et amazoniens, qui représentent 40% de la population totale. Selon les résultats du recensement de 2007, a-t-il précisé, le castillan est la langue que la majorité de la population apprend durant son enfance; 83,9% de la population de plus de cinq ans a indiqué avoir appris cette langue durant son enfance – 13,2% ayant indiqué avoir appris le quechua et 1,8% l'aymara. La répartition géographique de la population autochtone coïncide avec les zones les plus pauvres du pays, qui sont des zones rurales d'accès difficiles, a par ailleurs indiqué le Ministre de la justice. Selon le recensement susmentionné, a-t-il ajouté, les peuples autochtones d'Amazonie sont composés de 299 218 habitants et leur niveau d'éducation s'écarte sensiblement de la moyenne nationale. Quant à la population afropéruvienne, on peut affirmer que – produit du processus de «transculturation» - elle a perdu sa langue maternelle.
Il est indéniable que le Pérou connaît des conflits entre les peuples autochtones de l'Amazonie et les activités pétrolières du fait de l'impact de ces dernières sur l'environnement, a par ailleurs reconnu M. Valdivieso. Il a attiré l'attention, à cet égard, sur le Règlement pour la protection de l'environnement dans le contexte des activités pétrolières, qui prévoit le respect des communautés natives et paysannes dans le cadre de ces activités. Un autre règlement reconnaît le droit de consultation et de participation des populations concernées en matière de gestion de l'environnement, a précisé le Ministre de la justice, faisant en outre part d'initiatives législatives allant dans le même sens. M. Valdivieso a par ailleurs fait état de la création en 2005 de l'Institut national de développement des peuples andins, amazoniens et afropéruviens, qui est chargé de proposer des politiques nationales et d'en superviser la mise en œuvre.
Le Ministre de la justice a par ailleurs indiqué que depuis septembre 1999, le service militaire n'est plus obligatoire au Pérou.
Répondant à une liste de questions écrites adressée au Pérou par le Comité, le Ministre de la justice a ensuite indiqué que la Constitution péruvienne reconnaît à tout Péruvien le droit à son identité ethnique et culturelle. Il a attiré l'attention sur la carte ethnolinguistique du Pérou qui a été élaborée cette année afin de localiser les établissements ancestraux de tous les peuples autochtones du pays. Cette carte a identifié 76 ethnies regroupées en 15 familles ethnolinguistiques; elle a recensé 67 langues (58 en Amazonie, 8 dans la région andine et 1 dans la région côtière). Une fois officialisée, cette carte doit servir d'instrument d'orientation pour l'exécution de politiques de développement durable et d'interculturalité dans des domaines tels que l'éducation bilingue, la sécurité alimentaire ou l'octroi de terres aux communautés paysannes et natives. La communauté afropéruvienne a fourni un apport important à la culture péruvienne, a par ailleurs souligné le Ministre de la justice, précisant que depuis 2005, le 4 juin de chaque année est célébrée la Journée de la culture afropéruvienne.
Le Ministre péruvien a par ailleurs souligné que les populations les plus vulnérables ont fait l'objet d'une attention prioritaire dans le cadre des programmes sociaux mis en œuvre par les autorités péruviennes. Il a en outre attiré l'attention sur le Programme gouvernemental d'assistance juridique gratuite mis en place afin de rapprocher la population des services de justice. Le Ministre de la justice a également fait état des cours de droits de l'homme dispensés aux membres du pouvoir judiciaire.
M. Valdivieso a indiqué que les décrets législatifs mis en cause par certaines communautés natives ou paysannes ont été adoptés dans le cadre de la mise en œuvre de l'Accord de promotion commerciale passé entre le Pérou et les États-Unis dans le but de parvenir à un État moderne en favorisant une meilleure efficacité productive et une utilisation adéquate des ressources naturelles. À cette fin, il a fallu créer ou modifier des structures et cela, sans que ne soient affectés les droits des communautés ni la propriété privée, a-t-il assuré. Des tables de dialogue avec les représentants des communautés paysannes et natives ont été mises en place afin de discuter et, si nécessaire, d'éclaircir le contenu des normes considérées comme pouvant porter atteinte à leurs droits, a précisé le Ministre.
Évoquant les récents évènements de Bagua, qui ont causé la mort d'une trentaine de personnes – essentiellement des membres des forces de la police nationale -, le Ministre de la justice a indiqué que le Gouvernement avait engagé des enquêtes au sujet de ces événements. Il a rappelé que la paralysie de routes et de services publics constitue un délit au Pérou, en particulier lorsque cette paralysie commence à avoir des conséquences néfastes pour la santé des populations. Les policiers envoyés pour rétablir l'ordre lorsque les routes ont ainsi été paralysées ont été reçus par des coups de feu avec des armes volées à l'issue d'un raid contre un commissariat de police, a-t-il indiqué. Revenant sur la genèse de ces événements récents, il a affirmé que certains avaient parlé de fosses communes et de charniers où se trouveraient des cadavres de membres de communautés autochtones; de manière irresponsable, une radio locale a repris ces informations, prétendant qu'il s'agissait d'un massacre de population autochtone, ce qui est totalement faux, a affirmé le Ministre. Mais ces rumeurs, grossies par des informations prétendant que se commettait sur les routes un massacre d'autochtones, ont entraîné la violence qui a abouti au massacre d'une trentaine de policiers, a expliqué M. Valdivieso.
Le dix-neuvième rapport périodique du Pérou (CERD/C/PER/14-17), qui porte sur la période 1998-2008, indique que le Tribunal constitutionnel a rendu de multiples arrêts qui traitent du droit à l'égalité, dans lesquels il a été établi que l'égalité est un principe/droit qui place sur le même plan des personnes dont la situation est identique. La Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale fait partie intégrante de la législation nationale, avec rang constitutionnel, rappelle en outre le rapport. Le rapport indique par ailleurs que tout étranger a le droit d'exercer son droit à la propriété dans les mêmes conditions que les citoyens péruviens, avec pour seule restriction l'interdiction d'acquérir ou d'être propriétaire d'un titre foncier à moins de 50km de la frontière. Plus loin, il indique que la loi du 9 août 2006 est venue ajouter aux faits constitutifs d'un délit de discrimination. Jusque-là, précise le rapport, le Code pénal réprimait le délit de discrimination fondé uniquement sur des motifs raciaux, ethniques, religieux ou sexuels. S'ajoutent désormais à ces motifs les facteurs génétiques, la filiation, l'âge, le handicap, la langue, l'identité ethnique et culturelle, la tenue vestimentaire, l'opinion politique ou autre, ou encore la situation financière.
Au Pérou, indique le rapport, les peuples autochtones sont composés des peuples andins et amazoniens. Ils représentent à eux tous 40% de la population péruvienne. Leurs terres s'étendent sur 23 millions d'hectares et leur contribution au PIB s'élève à 25%, ce qui témoigne de leur importance dans le pays. Les données sur l'identification à une ethnie montrent que 57,6% des Péruviens se considèrent métis et 22,5% Quechuas. Dans une moindre mesure, les autres s'identifient aux catégories suivantes: Blancs (4,8%), Aymaras (2,7%) et peuples d'Amazonie (1,7%). Les peuples autochtones bénéficient d'un cadre constitutionnel et légal de protection. La Constitution dispose que les ressources naturelles sont la propriété de la nation et que l'État a la souveraineté sur leur exploitation. Au niveau législatif, l'État reconnaît le droit et la faculté des peuples et communautés autochtones de disposer librement de leurs savoirs collectifs dans le cadre du Régime de protection des savoirs collectifs des peuples autochtones liés aux ressources biologiques. Au Pérou, poursuit le rapport, le multilinguisme est une réalité, qui vient renforcer la loi pour l'éducation bilingue interculturelle.
Le rapport fait état d'un certain nombre de projets de loi portant sur la question des peuples autochtones et notamment à leur consultation préalable dans les domaines de l'environnement de l'exploitation des ressources naturelles. Une des conclusions du rapport final de la Commission Vérité et Réconciliation est que 75% des victimes de la violence appartenaient aux communautés autochtones, quechua entre autres, ajoute le rapport, avant de préciser qu'en 2005, était adoptée la loi portant création du Plan intégral de réparation applicable aux victimes de la violence, conformément aux recommandations de la Commission.
Examen du rapport
Questions et observations des membres du Comité
M. JOSÉ FRANCISCO CALI TZAY, rapporteur du Comité chargé de l'examen du rapport péruvien, a assuré que le Comité n'avait aucunement l'intention d'utiliser à des fins politiques les informations qu'il a pu recevoir et a tenu à rappeler que le Comité, aux fins du présent examen, se fonde essentiellement sur le rapport du Pérou tel que contenu dans le document CERD/C/PER/14-17 et sur diverses informations en provenance d'organisations non gouvernementales.
En ce qui concerne les événements de Bagua du 5 juin dernier, certains médias et organisations non gouvernementales ont parlé de génocide, a rappelé M. Cali Tzay. Aussi, ces événements ne vont-ils cesser de faire partie de l'analyse du rapport soumis au Comité, a-t-il fait observer. Il conviendra de placer ces événements dans le cadre approprié, a-t-il précisé. Eu égard à la gravité des événements en cause, il faudra que les autorités péruviennes acceptent de recevoir la visite d'un mécanisme adéquat aux fins de l'éclaircissement de ces événements, a-t-il indiqué.
Les normes pertinentes ne sont pas traduites et divulguées de manière adéquate à l'intention des peuples autochtones, a par ailleurs déploré M. Cali Tzay. La Constitution péruvienne ne parle pas de peuples autochtones, mais de communautés paysannes, a en outre relevé l'expert. Quant au rapport, il parle essentiellement de communautés paysannes et natives, a-t-il noté.
Les sourds-muets, a fortiori lorsqu'ils sont autochtones, sont particulièrement vulnérables et devraient de ce fait bénéficier d'une attention particulière, a-t-il par ailleurs estimé.
Comment envisage-t-on concrètement au Pérou de mettre en œuvre la participation des autochtones à toutes les questions les concernant, a demandé M. Cali Tzay ?
Certaines informations donnent à penser que les autorités péruviennes auraient outrepassé la délégation de pouvoir que leur accorde la Constitution et seraient passées outre certaines obligations qui sont les leurs en matière de droits de l'homme, s'agissant notamment des questions en rapport avec les peuples autochtones et l'environnement, dans le cadre des mesures qu'elles ont prises pour appliquer le traité de libre-échange avec les États-Unis, a par ailleurs relevé M. Cali Tzay.
L'absence de consultation et de consentement préalable des communautés autochtones sur les questions qui les concernent – et notamment pour ce qui a trait à l'exploitation des ressources naturelles – entraîne inévitablement des problèmes, a insisté l'expert.
S'agissant des Afropéruviens, M. Cali Tzay a fait observer qu'en tant que peuple, ils devraient bénéficier de la protection de la Convention n°169 de l'Organisation internationale du travail relative aux peuples indigènes et tribaux. Il a aussi souligné que cette communauté était particulièrement vulnérable puisqu'elle n'est pas reconnue par la Constitution et ce, d'autant plus qu'il n'existe pas, au Pérou, de plan d'action national pour lutter contre la discrimination raciale. Les Afropéruviens sont stigmatisés et rencontrent des difficultés d'accès à la justice, a insisté l'expert.
M. Cali Tzay a par ailleurs rappelé que la pratique de la stérilisation forcée a été dénoncée et rejetée au niveau international. Il s'agit là d'un délit international, notamment au regard de la Convention sur le crime de génocide, a-t-il insisté.
À cet égard, d'autres membres du Comité ont demandé si le cas de stérilisation forcée mentionné dans le rapport du Pérou était un cas isolé.
Un expert a relevé que le Pérou reconnaît la subsistance de diverses formes de discrimination et que l'État accepte l'idée de prendre des mesures spéciales. La notion de peuple natif - ou originel - recouvre-t-elle autre chose que celle de peuples autochtones, s'est interrogé l'expert? Les dispositions de l'article 4 de la Convention (qui exige que soit incriminée l'incitation à la haine raciale et que soient interdites les organisations à caractère racial) ne sont pas couvertes, et de loin, par la législation péruvienne, a par ailleurs relevé l'expert.
Un membre du Comité s'est enquis des raisons pour lesquelles les personnes de langue maternelle autre que l'espagnol semblent, selon les statistiques, renoncer peu à peu à parler leur langue maternelle au profit de l'espagnol.
La peine capitale est-elle encore en vigueur au Pérou, a demandé un membre du Comité? Le groupe que l'on appelait «Sentier lumineux» existe-t-il et agit-il encore, a demandé un autre expert?
Un membre du Comité a relevé que les dispositions de l'article 323 du Code pénal, étendues par la loi du 9 août 2006, ne satisfont pas pleinement à toutes les exigences de l'article 4 de la Convention; il conviendrait pour le Pérou de remédier à cette lacune. Il faut que le Pérou comprenne que le faible nombre ou l'absence de plaintes pour discrimination n'est pas nécessairement un fait considéré comme positif par le Comité car cela peut être révélateur soit d'une connaissance insuffisante par les citoyens de leurs droits, soit de la crainte de représailles en cas de dépôt de plainte, voire de difficultés dans l'établissement de la preuve de discrimination raciale. Qu'en est-il actuellement de la situation en ce qui concerne les comités d'autodéfense, a demandé l'expert?
Un membre du Comité a fait observer qu'une succession de sondages réalisés ces dernières années au Pérou montre bien la prévalence du racisme dans le pays, notamment à l'encontre des autochtones et des métis. Pour régler ce problème, il convient avant tout d'en reconnaître l'existence, a souligné cet expert.
Près d'un Afropéruvien sur quatre ne parvient pas à achever son éducation primaire, a fait observer un autre expert. Aussi, s'est-il enquis des mesures prises par l'État péruvien pour promouvoir l'accès à l'éducation de cette catégorie de la population, étant entendu que l'éducation reste la voie royale de la lutte contre les discriminations.
Réponses de la délégation
La délégation péruvienne a indiqué que le 11 juin dernier, le Ministre péruvien du travail avait présenté devant le Comité de normalisation de l'Organisation internationale du travail un document expliquant ce que le Pérou entend par communautés paysannes et natives au regard de la notion de peuples autochtones. «En bref», il n'y a pas de différence entre ces deux notions, a indiqué la délégation, qui a rappelé que le Pérou a ratifié en 1984 la Convention n°169 de l'OIT alors que le pays disposait déjà d'une législation très ancienne traitant nommément des communautés paysannes et natives. La délégation a souligné l'importance que représentent les communautés autochtones pour le pays, ajoutant que la Constitution établit très clairement que l'on doit respecter leurs terres et que le pays progresse sur la voie de l'octroi de titres fonciers autochtones.
La population péruvienne dispose de suffisamment de recours internes pour contester toute décision ou pratique de l'État, a par ailleurs assuré la délégation. Vantant la démocratie péruvienne, elle a notamment souligné que les représentants des communautés natives disposent de sièges dans les conseils régionaux.
Ces dernières années, a poursuivi la délégation, le Pérou se heurte à une forte résistance face à toute tentative de modification de la Constitution. Or, il faut au moins les deux tiers des votes au Parlement pour qu'une modification constitutionnelle soit adoptée; aussi, est-il difficile de faire valider l'idée d'une représentativité accrue des communautés autochtones au Parlement, a expliqué la délégation.
La délégation a déclaré que le pays a connu certains problèmes en raison de tentatives d'ingérence dans la démocratie péruvienne, fondée sur un modèle politique et socioéconomique que soutiennent pourtant 85% de Péruviens. Il y a eu tentative de manipulation des populations autochtones en prétendant que des décrets qui avaient été adoptés avaient pour but de spolier les terres de ces populations et de les polluer, a dénoncé la délégation. Certains sujets souhaitaient ainsi encourager la violence, a-t-elle insisté. Certains membres de l'Église catholique – et non l'Église catholique elle-même en tant que telle – se sont aussi égarés dans cette affaire, a poursuivi la délégation, dénonçant l'attitude de certains prêtres qui avaient suivi la voie de la confrontation. Quoi qu'il en soit, l'enquête sur les événements qui sont survenus et qui ont causé la mort de 34 personnes, dont une majorité appartenait à la police nationale, est en cours, a rappelé la délégation, faisant référence aux événements de Bagua. Il faut identifier les personnes qui sont à l'origine de ce massacre de Bagua et qui ont cherché à maintenir leurs privilèges alors qu'elles affirment protéger les intérêts des autochtones. Il n'y a pas eu génocide d'autochtones dans cette affaire, ce qui n'a pas empêché les médias du monde entier de prétendre le contraire, a déclaré la délégation. «Mesurez-vous le temps que cela va nous prendre et à quel point cela va nous coûter cher pour retrouver la confiance de ceux qui souhaitent venir au Pérou pour y opérer des investissements», a demandé la délégation ?
En ce qui concerne les ressources en eau, la délégation a fait état de l'existence de décrets relatifs à l'attribution des ressources hydriques, complétés par un projet de loi sur les ressources hydriques présenté en mars dernier, qui renforce les pouvoirs de l'autorité en charge de ces ressources. L'idée d'une privatisation de l'eau a été rejetée puisque cette loi stipule que l'eau constitue un patrimoine de l'État, a précisé la délégation. Cette loi n'est pas encore entrée en vigueur; un processus de consultation est en cours qui devrait aboutir, faut-il espérer, à sa promulgation, a-t-elle ajouté.
La délégation a par ailleurs indiqué qu'un second décret réglementant la participation citoyenne dans le secteur minier a été adopté l'an dernier, qui fait suite à un premier décret sur la même question adopté en 2002. Le nouveau décret précise les processus de participation citoyenne encadrant la mise en place d'un projet minier, tant en amont qu'en aval du projet. Des bureaux de surveillance de cette participation citoyenne ont d'ores et déjà été mis en place dans plusieurs régions du pays en rapport avec divers projets miniers. À ce jour, Perupetro a réalisé 67 ateliers d'information avant l'appel d'offres ou l'octroi de licences en rapport avec des projets d'exploitation d'hydrocarbures, a précisé la délégation.
Un projet de loi qui a récemment été déposé devant le Congrès péruvien et qui vise à promouvoir plus avant la mise en œuvre de la Convention n°169 de l'OIT devrait permettre, lorsqu'il aura été adopté, de renforcer encore davantage les processus participatifs citoyens, a par ailleurs fait valoir la délégation.
Le terrorisme a reculé et est désormais concentré dans une petite zone du pays; mais il n'a pas disparu, a par ailleurs indiqué la délégation. Il y a quelques jours, le Sentier Lumineux a encore tué cinq personnes, a-t-elle précisé. Le terrorisme ne constitue certes pas la menace qu'il a pu représenter jadis, mais il a établi des liens avec les narcotrafiquants, et le Sentier Lumineux se livre maintenant au trafic de stupéfiants. Le Sentier Lumineux est un mouvement criminel, assassin, antidémocratique et violent qui méprise les droits de l'homme de tous les Péruviens et a déjà causé la mort de 25 000 personnes, a souligné la délégation.
En dépit d'une contraction des exportations, le Pérou a continué d'enregistrer une forte croissance et ce, grâce au développement des marchés intérieurs, a fait valoir la délégation.
La délégation a par ailleurs fait part du programme qui a été lancé dans le pays avec pour objectif d'éliminer l'analphabétisme au Pérou en 2011.
Les autorités péruviennes ont énormément investi afin d'accroître le niveau d'éducation, notamment parmi les groupes afropéruvien et métis, a par ailleurs affirmé la délégation. Le Pérou est un pays qui progresse mais au sein duquel persistent d'importantes inégalités, notamment dans le domaine de l'éducation, a-t-elle ajouté.
La délégation a par ailleurs fait part de mesures prises par les autorités afin de lutter contre la violence à l'égard des femmes, ainsi que des programmes de prévention du racisme et de la discrimination mis en place dans le pays.
En ce qui concerne la stérilisation forcée de femmes autochtones, la délégation a déclaré qu'il s'agit là d'un problème qui remonte à la décennie passée. Les enquêtes voulues ont été menées et les sanctions qui s'imposaient ont été appliquées, a-t-elle assuré.
Il n'existe pas au Pérou de groupe organisé qui inciterait au racisme, a par ailleurs souligné la délégation.
Répondant à une autre question des membres du Comité, la délégation a reconnu que la Constitution prévoit la peine de mort, mais la peine n'a pas été exécutée depuis une trentaine d'années, sans compter qu'en vertu de divers accords auxquels a souscrit le pays, elle ne peut plus être imposée. Donc, même si elle est prévue par la Constitution, la peine de mort reste désormais inapplicable dans le pays.
Observations préliminaires
M. JOSÉ FRANCISCO CALI TZAY, rapporteur du Comité chargé de l'examen du rapport péruvien, a salué la volonté manifeste qui anime les autorités péruviennes de respecter les dispositions de la Convention. Pour autant, a-t-il ajouté, un certain nombre de questions posées par les experts n'ont pas obtenu de réponses; il en va ainsi de la gestion de l'eau dans le contexte des communautés autochtones – question à laquelle il n'a été que partiellement répondu. En effet, il conviendrait de présenter plus avant la manière dont les autochtones sont associés à la gestion de l'eau – au-delà de la question de leur consultation préalable dans ce contexte. En outre, les lamas sont en train de mourir par manque d'eau dans certaines régions où ils constituent pourtant une ressource essentielle pour les communautés locales.
Les membres du Comité sont par ailleurs profondément préoccupés par la discrimination raciale et par la discrimination structurelle au Pérou et il eut été bon de savoir ce que les autorités comptent faire, concrètement, pour lutter contre cette discrimination structurelle. De ce point de vue, a relevé M. Cali Tzay, la délégation s'est attachée à mettre l'accent sur les mesures visant à assurer le développement économique du pays; il faut espérer que derrière ce discours et cette approche, ne se cache pas une politique d'assimilation, a souligné M. Cali Tzay. Il serait bon de savoir comment ce développement économique se traduira sur la situation particulière des peuples autochtones, a-t-il insisté.
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