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LE COMITÉ POUR L'ÉLIMINATION DE LA DISCRIMINATION RACIALE EXAMINE LE RAPPORT DE LA TURQUIE

Compte rendu de séance

Le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale a examiné, hier après-midi et ce matin, le premier rapport présenté par la Turquie sur les mesures prises par ce pays pour se conformer aux dispositions de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale.

Le rapporteur du Comité pour l'examen du rapport, M. Patrick Thornberry, a relevé que la Turquie a procédé à de nombreux amendements législatifs dont il faut se féliciter. Subsistent néanmoins des questions de définition et de mesures de lutte contre la discrimination raciale qui posent encore problème et le Comité attend qu'il leur soit apporté des réponses précises, a-t-il dit. M. Thornberry a en outre souligné, s'agissant de la question des minorités, qu'il ne revient pas à l'État de fixer les paramètres à partir desquels les personnes s'autodéfinissent. Il a en outre relevé que la législation turque ne comprend pas de définition complète de la discrimination raciale. L'expert s'est également inquiété, notamment, du taux particulièrement élevé d'abandon scolaire des Roms. Le Comité adoptera des observations finales sur le rapport de la Turquie qui seront rendues publiques à l'issue de sa session, le vendredi 6 mars prochain.

Présentant le rapport de son pays, M. Hasan M. Gögüs, Directeur général des affaires politiques multilatérales au Ministère turc des affaires étrangères, a souligné que le système constitutionnel de la Turquie est basé sur l'égalité de tous les individus devant la loi, sans discrimination aucune. Il a ajouté que chaque citoyen turc est considéré comme faisant partie intégrante de l'identité nationale et de la culture turques. M. Gögüs a également rappelé que la Turquie reconnaît la juridiction contraignante de la Cour européenne des droits de l'homme depuis 1990 et qu'à ce jour, jamais cette Cour n'a trouvé qu'il y avait eu violation par la Turquie de l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme sur le principe de non-discrimination. Il a aussi indiqué que les droits des minorités sont régis par le Traité de paix signé en 1923 à Lausanne, a poursuivi M. Gögüs. Conformément à ce traité, les citoyens turcs appartenant à une minorité non musulmane relèvent de la définition des «minorités», ces citoyens jouissent des mêmes droits et libertés que le reste de la population et ils les exercent dans les mêmes conditions. Le terme de «minorité» n'est pas employé pour les citoyens turcs musulmans, a-t-il précisé. Il a s'autre part fait valoir que la situation des citoyens turcs d'origine rom s'est améliorée dans le cadre du processus de réforme de la Turquie.

La délégation turque était également composée de Mme Asligül Ügdül, Représentante permanente adjointe de la Turquie auprès des Nations Unies à Genève, ainsi que de représentants du Ministère de la justice, du Ministère des affaires étrangères, du Ministère de l'intérieur et du Ministère de l'éducation nationale. Elle a fourni des compléments d'information en ce qui concerne, entre autres, la notion de minorités; la place de la Convention dans l'ordre juridique interne; le concept de «turquitude»; l'interdiction de la discrimination raciale; l'éducation religieuse et le statut des communautés religieuses; les citoyens turcs d'origine kurde; la violence contre les femmes et les crimes commis au nom de la coutume; les réserves de la Turquie quant à l'application de la Convention de 1951 sur le statut des réfugiés; la situation au nord de Chypre.


Le Comité entamera cet après-midi, à 15 heures, l'examen du rapport du Suriname.


Présentation du rapport

M. HASAN GÖGÜS, Directeur général des affaires politiques multilatérales au Ministère des affaires étrangères de la Turquie, a souligné que depuis 2001, son pays s'attache à mettre en œuvre un processus de réforme complète visant à améliorer la protection et la promotion des droits de l'homme au niveau national. Alors que la première phase de ce processus de réforme a pour objectif d'aligner le cadre juridique interne sur les normes et principes internationaux en matière de droits de l'homme, de démocratie et de primauté du droit, la seconde phase entend mettre en pratique ce nouveau cadre juridique, a précisé M. Gögüs. Dans le cadre de la première phase, a-t-il poursuivi, plusieurs réformes juridiques remarquables ont été menées à bien dans un court laps de temps. En vertu de l'amendement apporté en 2004 à l'article 90 de la Constitution, les accords internationaux dans le domaine des droits de l'homme et des libertés fondamentales prévalent désormais sur les dispositions du droit interne en cas de conflit entre ces deux sources de droit, a notamment souligné M. Gögüs. Dans le cadre de la seconde phase du processus de réforme susmentionné, a-t-il ajouté, de nombreux programmes de formation ont été lancés à destination des agents publics chargés de l'application des lois.

Le chef de la délégation turque a par ailleurs souligné que la Turquie est fermement attachée au principe selon lequel tous les êtres humains naissent égaux en dignité et en droits. Toute doctrine ou pratique de supériorité raciale est illégale, moralement inacceptable et ne saurait être justifiée sous quelque base que ce soit, a-t-il déclaré. Le système constitutionnel de la Turquie est basé sur l'égalité de tous les individus devant la loi, sans discrimination aucune.

M. Gögüs a indiqué que chaque citoyen turc est considéré comme faisant partie intégrante de l'identité nationale et de la culture turques. La nation turque n'est pas une juxtaposition de communautés ou de groupes. Elle est composée de citoyens égaux devant la loi indépendamment de leurs origines, de leur langue, race, couleur, appartenance ethnique, religion ou toute autre considération analogue, a insisté M. Gögüs. De la même manière, les droits et libertés fondamentaux, énoncés dans la Constitution, ne donnent lieu à aucune distinction entre citoyens turcs et étrangers et ne peuvent être limités par la loi que de manière conforme au droit international, a-t-il poursuivi. Les droits sociaux de base sont également garantis par la Constitution sans aucune référence à la citoyenneté, a-t-il précisé.

Les actes de discrimination sont interdits et sanctionnés par la loi pénale, a poursuivi M. Gögüs. D'autre part, des recours sont disponibles contre les violations des droits et libertés fondamentaux, a-t-il ajouté. Il a également rappelé que la Turquie reconnaît la juridiction contraignante de la Cour européenne des droits de l'homme depuis 1990 et qu'à ce jour, jamais cette Cour n'a trouvé qu'il y avait eu violation de l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme (article qui traite du principe de non-discrimination) en Turquie – pays qui a pourtant fait l'objet du plus grand nombre de jugements de cette Cour.

Le nouveau Code pénal turc, entré en vigueur en 2005, contient plusieurs dispositions pénalisant les actes de discrimination, ainsi que les actes de génocide et de crime contre l'humanité, a souligné M. Gögüs. Il réglemente aussi, en son article 216, paragraphe 1, la liberté d'expression afin de prévenir l'incitation à la haine ou à l'hostilité sociale, raciale, religieuse ou régionale; pour qu'un acte relève de cette disposition du Code pénal, il doit être fait de manière à constituer, pour la sécurité publique, un danger concret et non pas abstrait. Le danger doit être basé sur des éléments concrets; il doit être réel, a insisté M. Gögüs.

En vertu du système constitutionnel turc, le terme «minorité» s'applique uniquement aux groupes de personnes définis et reconnus en tant que minorités conformément aux instruments multilatéraux ou bilatéraux auxquels la Turquie est partie, a poursuivi M. Gögüs. Par conséquent, en Turquie, les droits des minorités sont régis par le Traité de paix signé en 1923 à Lausanne. Conformément à cet instrument, les citoyens turcs appartenant à une minorité non musulmane relèvent de la définition des «minorités». Conformément à la philosophie de l'État selon laquelle tous les citoyens sont égaux sans discrimination, les citoyens turcs appartenant à une minorité non musulmane jouissent des mêmes droits et libertés que le reste de la population et ils les exercent dans les mêmes conditions. En outre, ils bénéficient du statut de minorité en vertu des dispositions du Traité de Lausanne, a insisté M. Gögüs. Dans cette perspective, a-t-il indiqué, le Gouvernement turc ne recueille, ne conserve ni n'utilise de données – qualitatives ou quantitatives – sur l'origine ethnique de ses citoyens.

Le terme de «minorité» n'est pas employé pour les citoyens turcs musulmans, a insisté M. Gögüs. Tous les citoyens turcs, même s'ils appartiennent à une minorité non musulmane ou s'ils sont d'origine kurde, bénéficient d'un système d'éducation national unifié, a-t-il souligné. En outre, les citoyens turcs appartenant aux communautés non musulmanes (minorités arménienne, grecque et juive) ont leurs propres écoles primaires et secondaires, dans lesquelles la langue d'instruction est la langue de la minorité concernée; seuls les cours de langue et de culture turques se font en turc. La Constitution stipule qu'aucune langue autre que le turc ne peut être enseignée en tant que langue maternelle à des citoyens turcs dans quelque institution de formation ou d'éducation que ce soit, a rappelé M. Gögüs. D'un autre côté, la loi prévoit que le Conseil des Ministres décide quelles sont les langues étrangères qui peuvent être enseignées en Turquie. Conformément aux résolutions prises par le Conseil des Ministres, peuvent être enseignées dans l'éducation formelle l'allemand, le français, l'anglais, l'espagnol, l'italien, le japonais, le russe, le chinois et le néerlandais. En outre, l'arabe et l'hébreu peuvent être enseignés dans certains établissements. Une loi du 3 août 2002 – connue sous le nom de troisième série de réforme - permet des cours privés destinés à l'apprentissage de différentes langues et dialectes traditionnellement utilisés par des citoyens turcs. M. Gögüs a par ailleurs fait état d'un amendement apporté en 2008 à la Loi sur la radio et la télévision qui a permis à une nouvelle chaîne multilingue gérée par l'État (TRT-6) de commencer à diffuser en kurde, à compter du 1er janvier dernier; désormais, cette chaîne diffuse en kirmanchi et en zaza; le dialecte sorani doit suivre et une diffusion en arabe et en persan est prévue d'ici la fin de l'année. Des préparatifs sont en cours pour amender le cadre juridique de manière à permettre au Conseil suprême de la radio et de la télévision d'autoriser les compagnies privées à diffuser dans des langues autres que le turc.

M. Gögüs a par ailleurs souligné que la Turquie est située sur une route de migration de premier plan empruntée par un nombre sans cesse croissant d'immigrants illégaux en provenance de «l'Est économiquement et politiquement instable», qui tentent de traverser son territoire vers l'Europe. Étant donné l'ampleur du problème, les solutions dépassent les moyens d'un pays à lui seul et exigent un partage international du fardeau, a déclaré M. Gögüs. Près de 700 000 migrants illégaux ont été appréhendés en Turquie durant les années 1995-2007, a-t-il précisé. L'une des caractéristiques principales de cette immigration illégale est qu'elle est menée par des réseaux organisés. En 2008, un total de 56 876 immigrants illégaux ont été appréhendés, a indiqué M. Gögüs. Il a précisé que la plupart des immigrants illégaux étaient ressortissants d'Afghanistan, du Pakistan, d'Iraq et de Palestine. Pour cette même année 2008, a ajouté M. Gögüs, quelque 9045 demandes d'asile ont été enregistrées, sur lesquelles 3555 ont abouti à une acceptation du statut de réfugié du requérant. Les enfants de réfugiés et de requérants d'asile ont les mêmes droits que les enfants de citoyens turcs en matière d'éducation primaire obligatoire, a-t-il indiqué.

Les procédures applicables aux étrangers en attente d'expulsion ne peuvent pas toujours être menées à bien dans les délais impartis, a souligné M. Gögüs. Dans ce contexte, les immigrants illégaux en attente d'expulsion sont hébergés dans des centres de rétention, de manière similaire à ce qui se fait dans d'autres pays européens, a-t-il déclaré.

Le fléau du terrorisme, qui a essentiellement affecté les régions est et sud-est de la Turquie depuis 1984, a entraîné des déplacements internes de populations, a poursuivi M. Gögüs. Face à cette situation, le Gouvernement a lancé trois séries de mesures: le programme de retour au village et de réhabilitation (qui, au mois d'octobre 2008, avait permis le retour de 151 469 citoyens de 25 001 foyers dans leurs anciens lieux de résidence); l'adoption, en 2004, de la loi sur l'indemnisation des pertes résultant des actes terroristes et les mesures prises contre le terrorisme (jusqu'à présent, sur 360 000 demandes présentées en vertu de cette loi, 150 000 ont été examinées et 97 000 ont donné lieu à une indemnisation); et le programme de soutien au développement d'un programme en faveur des personnes déplacées internes.

La situation des citoyens turcs d'origine rom s'est améliorée dans le cadre du processus de réforme de la Turquie, a par ailleurs assuré M. Gögüs. Afin d'éviter la discrimination à leur encontre, ces citoyens d'origine rom sont considérés comme socialement défavorisés et sont inclus en tant que tels dans des programmes visant l'amélioration de leur situation sociale et économique, a-t-il précisé.

La «Présidence des droits de l'homme» du Bureau du Premier Ministre et les conseils provinciaux et sous-provinciaux des droits de l'homme sont également chargés d'enquêter sur les allégations de violations des droits de l'homme, a poursuivi M. Gögüs. Sur les 1318 cas de violations présentés par 1171 personnes devant ces institutions en 2007, 42 étaient liés à des plaintes pour discrimination. Pour le premier semestre de 2008, 45 des 2767 cas de violations présentés par 2356 plaignants avaient trait à la discrimination. Encore convient-il de souligner que dans aucune des plaintes susmentionnées la discrimination alléguée n'avait trait à la race, à la couleur, à la langue, à la religion ou à l'opinion politique; les plaintes portaient sur un traitement frauduleux ou préférentiel dans les services publics et sur des inégalités de salaires au travail, a précisé M. Gögüs.

M. Gögüs a par ailleurs rappelé qu'en septembre 2006, l'Assemblée nationale turque avait adopté la loi sur le médiateur, promulguée le mois suivant, avant que l'ancien Président de la République et un certain nombre de parlementaires ne déposent plainte devant le Conseil constitutionnel pour faire annuler plusieurs articles de cette loi. La Cour constitutionnelle a immédiatement décidé de suspendre l'exécution de cette loi et, le 25 décembre dernier, a unanimement décidé de l'abroger en affirmant qu'elle n'était pas conforme à la Constitution. Le raisonnement de la Cour associé à cette décision reste à paraître, a indiqué M. Gögüs.

Le chef de la délégation turque a par ailleurs rappelé que son pays est, avec l'Espagne, coparrain de l'initiative de l'Alliance des civilisations.

Le rapport de la Turquie (CERD/C/TUR/3), qui réunit en un seul document le rapport initial et les deuxième et troisième rapports périodiques et couvre la période 1990-2007, indique que la Convention fait partie du droit interne et qu'en cas de conflit entre les instruments internationaux relatifs aux droits et libertés fondamentaux dûment mis en vigueur en Turquie et les lois nationales relatives à ces mêmes droits et libertés, les dispositions des premiers l'emportent. L'article 10 de la Constitution de la République de Turquie, qui garantit l'égalité de tous devant la loi, est libellé comme suit: «Tous les individus sont égaux devant la loi sans distinction de langue, de race, de couleur, de sexe, d'opinions politiques, de croyances philosophiques, de religion ou d'appartenance à une secte, ou autre distinction fondée sur des considérations similaires. Les femmes et les hommes ont des droits égaux. L'État est tenu d'assurer la mise en pratique de cette égalité. Il ne peut être accordé de privilège à aucun individu, famille, groupe ou classe quel qu'il soit. Les organes de l'État et les autorités administratives sont tenus d'agir en toute circonstance conformément au principe de l'égalité devant la loi. » L'emploi de l'expression «autre distinction fondée sur des considérations similaires» confère au pouvoir judiciaire une grande latitude dans l'appréciation des violations du principe d'égalité, souligne le rapport.

Aux termes de l'article 66 de la Constitution, «est Turc quiconque est rattaché à l'État turc par le lien de la nationalité». Le terme «turc» dénote l'identité nationale de tous les citoyens turcs, quelle que soit leur origine. Aucune importance ne s'attache à l'origine raciale ou ethnique d'un citoyen étant donné que l'identité nationale et la conscience nationale ont été définies, au moment de l'établissement de la République turque, en fonction des liens territoriaux et non pas des liens de sang, conformément au principe de la citoyenneté. Actuellement, les citoyens turcs appartenant aux minorités non musulmanes ont 196 lieux de culte, 42 écoles (primaires et secondaires), 138 fondations, 5 hôpitaux et 9 journaux. Les citoyens turcs d'origine rom vivent généralement dans les grandes villes et sont sédentaires, poursuit le rapport. Bien que de plus en plus intégrés dans les communautés au sein desquelles ils vivent, ils rencontrent dans certains endroits des difficultés tenant à des problèmes généraux comme la pauvreté et le chômage. Ces difficultés sont, en général, liées à de mauvaises conditions de vie, à un faible niveau d'éducation, à la précocité des mariages et à la précarité de l'emploi, phénomènes dont aucun ne leur est particulier. Des solutions y sont recherchées dans le cadre de la politique générale du Gouvernement visant à réduire la pauvreté et l'exclusion sociale. Ces citoyens ne sont soumis à aucune discrimination fondée sur leur origine et font partie intégrante de la société turque. Toutes les formes de discrimination étant prohibées et sévèrement punies par la loi conformément à la Constitution, les actes de discrimination commis à leur encontre tombent également sous le coup des dispositions des lois pertinentes relatives à la non-discrimination, insiste le rapport.

Le nouveau Code pénal turc (no 5237), entré en vigueur le 1er juin 2005, qualifie la «discrimination» d'infraction et réprime les actes de discrimination fondés, notamment, sur la race. L'article 82 de la loi sur les partis politiques (no 2820) dispose que les partis politiques n'ont pas le droit de se donner pour buts le régionalisme et le racisme, ajoute le rapport.



Examen du rapport

Observations et questions des membres du Comité

M. PATRICK THORNBERRY, rapporteur du Comité pour l'examen du rapport de la Turquie, a relevé que la Turquie est une société complexe à maints égards et constitue un pont entre l'Est et l'Ouest et entre le Nord et le Sud. Il a rappelé que c'est en 2002 que la Turquie a ratifié la Convention et qu'elle présente donc aujourd'hui son rapport initial combiné à ses deuxième et troisième rapports périodiques. Il a souligné que la Turquie a accompagné sa ratification de la Convention de deux déclarations et une réserve. La Turquie semble avoir signé mais pas ratifié le Protocole 12 à la Convention européenne des droits de l'homme relatif à la non-discrimination, a en outre relevé M. Thornberry.

Le Traité de Lausanne de 1923 parle de minorité «non musulmane» sans définir cette notion, a par ailleurs relevé M. Thornberry. Or, bahaïs, maronites et assyriens, entre autres, ont insisté pour obtenir des droits en vertu de ce Traité; mais le problème réside dans la définition de ce qu'il faut entendre par «non-musulmans», a insisté l'expert, tout en soulignant que la notion de «minorité» ne figure pas dans la Convention.

M. Thornberry a souhaité savoir pourquoi la législation turque pertinente aux fins de l'évaluation du respect de la Convention ne fait aucune mention de la notion d'origine ethnique et se borne - certes de manière non exhaustive selon ce qui a été expliqué par la délégation - à parler de langue, de race et de couleur.

D'une manière générale, a par ailleurs souligné M. Thornberry, le Comité estime que ce n'est pas à l'État de fixer les paramètres à partir desquels les personnes s'autodéfinissent.

M. Thornberry a en outre indiqué ne pas bien comprendre pourquoi les principes républicains de la Turquie l'empêchent de reconnaître les droits de plusieurs groupes.

L'expert a par ailleurs relevé que la législation turque ne comprend pas de définition complète de la discrimination raciale qui, convient-il de rappeler, peut être directe ou indirecte (discrimination par intention ou par effet).

M. Thornberry a par ailleurs relevé qu'il n'y a dans le Code du travail aucune disposition permettant le renversement de la charge de la preuve en cas de discrimination.
Des dispositions ont-elles été prises en Turquie pour interdire la discrimination à l'encontre de candidats à l'achat ou à la location de biens immobiliers, a par ailleurs demandé l'expert?
Le taux d'abandon scolaire des Roms est particulièrement élevé et cette situation mérite l'attention des autorités turques, a par ailleurs souligné M. Thornberry.


Plusieurs autres experts se sont dits étonnés que la loi sur l'ombudsman ait été déclarée inconstitutionnelle en Turquie et se sont enquis des raisons d'une telle décision.

Un autre membre du Comité a demandé comment la Turquie assure le droit des Kurdes à un enseignement dans leur langue? Quel sort est-il en outre réservé à la langue abkhaze, a aussi demandé l'expert?

Un expert a souligné que la Turquie ne dispose pas d'une loi contre la discrimination qui corresponde aux dispositions de l'article premier de la Convention. Il a par ailleurs attiré l'attention sur un certain nombre de problèmes que rencontrent les minorités ethniques non musulmanes, notamment pour ce qui est de la restitution des propriétés qui leur ont été confisquées. Les minorités religieuses ne peuvent pleinement jouir de leurs droits, a insisté cet expert. Plusieurs minorités, notamment les minorités grecque et arménienne, rencontrent des problèmes en matière de liberté d'expression, a-t-il ajouté. Les Kurdes, quant à eux, ne semblent pas autorisés à donner à leurs enfants des prénoms contenant les lettres k, w et x – lettres que l'on rencontre particulièrement en langue kurde mais pas dans la langue turque.

Un membre du Comité a rappelé que la Convention doit être appliquée dans les territoires occupés et a évoqué la situation dans le nord de l'île de Chypre, qui se trouve sous contrôle militaire de la Turquie.

Un autre membre du Comité a rappelé que dans le cadre de la Convention, le Comité n'examine pas les discriminations fondées sur la religion, mais uniquement celles fondées sur la race, la couleur, l'origine ethnique et l'ascendance. Il a en outre souligné que la définition de la discrimination raciale dans la législation turque ne correspond pas à celle énoncée à l'article premier de la Convention. L'expert a par ailleurs attiré l'attention, entre autres, sur les violations des normes en matière de liberté d'association s'agissant des Kurdes. Il n'en demeure pas moins que la Turquie a fait d'évidents progrès ces dernières années, a-t-il admis, encourageant le pays à continuer sur la voie des réformes visant la mise en œuvre de la Convention.
Selon diverses sources d'information, a relevé un expert, il y aurait des restrictions à la liberté d'expression lorsque l'on touche à certaines questions sensibles telles que l'identité kurde ou le génocide arménien. Les enfants de citoyens turcs appartenant à des minorités non musulmanes doivent-ils obligatoirement suivre un enseignement distinct, a demandé cet expert?

Un autre membre du Comité a indiqué comprendre très bien que la Turquie chérisse le principe de l'indivisibilité de la nation turque, qui peut se comprendre en le replaçant dans son contexte historique. Le fait que la Turquie ait su résister aux tendances visant l'éclatement du pays est tout à son honneur, a insisté cet expert. Il a rappelé que la Turquie est un pays laïc. Le pays a réalisé de grands progrès économiques et a su attirer de nombreux touristes occidentaux; plus de 10 millions de touristes visitaient annuellement le pays il y a déjà une dizaine d'années, ce qui témoigne de la confiance qu'inspire ce pays. Le Gouvernement turc pourrait-il investir davantage dans l'émission de programmes de télévision en différentes langues, ce qui lui permettrait de faire entendre son point de vue non seulement dans le pays mais aussi à l'extérieur des frontières turques, a suggéré l'expert?

On ne peut opposer la souveraineté à la reconnaissance des minorités nationales, a pour sa part souligné un autre membre du Comité, faisant observer que cela signifierait que les pays qui reconnaissent des minorités ne sont pas souverains. Il a par ailleurs souhaité que la Turquie fournisse, dans son prochain rapport, des données sur la situation économique, sociale et culturelle de populations de diverses origines ethniques.

L'article 216 du Code pénal pose un problème du point de vue de l'interprétation, car il semble que pour qu'il y ait discrimination raciale, il faut remplir une double condition, à savoir qu'il y ait atteinte à un «groupe de population» et qu'il y ait atteinte à l'ordre public, a fait observer un autre expert. En outre, engager des poursuites pour dénigrement de l'identité turque, comme le prévoit le Code pénal turc, pourrait poser quelques problèmes du point de vue de l'atteinte à la liberté d'expression, a souligné l'expert; aussi, a-t-il souhaité, comme d'autres membres du Comité, en savoir davantage sur l'application pratique de cette disposition du Code pénal.

La Turquie envisage-t-elle d'introduire dans sa législation une disposition prévoyant que la motivation raciale d'un crime constitue une circonstance aggravante générale, a demandé un expert? La Turquie a-t-elle prévu un mécanisme de renversement de la charge de la preuve dans les affaires civiles, a-t-il également demandé? En matière pénale, la Turquie admet-elle les pratiques dites de testing qui permettent de constater directement, in situ, les pratiques discriminatoires auxquelles recourent certains établissements en matière d'accès public.

Un expert a fait observer que dans son troisième rapport publié en 2005, la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance demande aux autorités turques de s'engager dans un dialogue constructif avec les minorités afin de résoudre les questions en suspens. En outre, si la Cour européenne des droits de l'homme n'a trouvé aucune violation de l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme en Turquie, il ne faudrait pas en déduire qu'il n'existe pas de discrimination dans le pays, a souligné l'expert. En effet, chacun sait que l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme n'est pas autonome et que lorsque la Cour européenne le cite, c'est toujours en conjonction avec une autre disposition de la Convention. Aussi, lorsque la Cour européenne trouve une violation des articles autonomes de la Convention relatifs, par exemple, au droit à la vie ou à la torture, elle n'éprouve nullement la nécessité – aux fins de l'économie du procès – d'examiner s'il y a eu violation conjointe de l'article 14, puisque cet article n'est de toute façon pas autonome et qu'une violation d'un article autonome a déjà été trouvée.


Renseignements complémentaires fournis par la délégation

La délégation a indiqué que la Convention sur les droits des personnes handicapées a été publiée au Journal officiel le 3 décembre 2008 et fait donc désormais partie de l'ordre législatif interne turc.

La délégation s'est dite quelque peu étonnée de constater que presque toutes les observations faites par les experts ont porté sur la façon dont la Turquie comprend la notion de «minorité nationale». Les droits des minorités en Turquie sont régis par le Traité de Lausanne de 1923, a rappelé la délégation. La Turquie ne partage pas l'approche de l'auto-identification pour déterminer quels groupes de citoyens peuvent être considérés comme des minorités; en outre, il n'existe pas de définition internationalement acceptée de cette notion de minorité, a-t-elle rappelé. La Turquie n'est pas le seul État européen à ne pas avoir signé la Convention-cadre du Conseil de l'Europe sur les droits des minorités nationales, a d'autre part fait observer la délégation; trois autres États européens ne l'ont pas signée et quatre autres l'ont signée mais ne l'ont pas ratifiée. Si on acceptait le concept d'auto-identification, on aurait des centaines voire des milliers de minorités en Turquie, a poursuivi la délégation. En outre, la Turquie reconnaît et respecte les droits de l'homme de tous, a-t-elle souligné.

La délégation a par ailleurs rappelé que selon l'article 90 de la Constitution turque, les traités internationaux dûment entrés en vigueur ont force de loi interne. De plus en plus fréquemment, les tribunaux turcs – y compris le Conseil d'État – mentionnent dans leurs sentences les conventions internationales, a-t-elle précisé.

La délégation a indiqué qu'il a été proposé que le concept de «turquitude» qui figure dans la législation turque soit remplacé par les termes «nation turque». Quoi qu'il en soit, ce concept de «turquitude» n'a jamais été invoqué par quelque tribunal que ce soit et la Cour constitutionnelle elle-même a statué qu'il n'était ni discriminatoire, ni raciste.

Bien qu'il n'existe pas de loi interdisant spécifiquement la discrimination raciale, plusieurs dispositions interdisant les pratiques discriminatoires figurent dans différentes lois nationales, a par ailleurs indiqué la délégation.

L'un des principaux obstacles à l'action visant à éliminer les disparités régionales en Turquie a trait à l'allocation des ressources, a par ailleurs indiqué la délégation.

En ce qui concerne l'éducation religieuse, il est vrai que les écoles théologiques ne sont pas opérationnelles en Turquie depuis les années 1970, a reconnu la délégation. Mais selon la législation turque, l'instruction religieuse aux niveaux du primaire et du secondaire n'est possible que sous la responsabilité de l'État. Le statut de l'église orthodoxe grecque relève du Traité de Lausanne de 1923, en vertu duquel elle a été autorisée à pouvoir continuer ses activités en Turquie, a précisé la délégation.

La législation grecque n'autorise pas les institutions religieuses, quelles qu'elles soient, à avoir une personnalité juridique, a par ailleurs rappelé la délégation. Néanmoins, grâce à un amendement apporté à la loi en 2003, les communautés religieuses ont le droit d'acquérir des propriétés, a-t-elle ajouté.

En ce qui concerne les droits des citoyens turcs d'origine kurde, la délégation a assuré que ceux d'entre eux qui respectent la loi ne courent aucun risque de poursuites, quelles qu'elles soient. En outre, la Cour européenne des droits de l'homme n'a trouvé aucune violation dont auraient été victimes des citoyens turcs d'origine kurde en Turquie du fait de leur origine kurde.

La délégation a par ailleurs indiqué que la Turquie a adhéré à la Convention de 1951 sur le statut des réfugiés en prononçant, comme le permet cet instrument, une limitation à caractère géographique quant à l'application de cette Convention. En 2005, la Turquie a fait savoir qu'elle était disposée à renoncer à cette limitation géographique; le moment de la levée de cette limitation sera déterminé en fonction des progrès accomplis dans le calendrier d'adhésion de la Turquie à l'Union européenne, a indiqué la délégation.


En ce qui concerne la violence contre les femmes et les crimes d'honneur, la délégation a indiqué que le défi en la matière consiste avant tout à changer les attitudes sociales. La lutte contre la violence faite aux femmes est l'une des priorités de la politique de droits de l'homme de la Turquie, a insisté la délégation. Elle a précisé qu'en 2005, les dispositions pénales ont été renforcées afin de lutter contre les meurtres commis au nom de la coutume, lesquels doivent désormais être considérés comme des meurtres avec circonstances aggravantes.

En ce qui concerne la situation au nord de Chypre, il convient de rappeler que la présence de forces turques au nord de cette île ne constitue pas une occupation, car elle est légitime en vertu du traité de 1960 et a pour objectif d'assurer la sécurité des citoyens turcs de cette partie de Chypre – après bien des massacres dont ils ont été victimes, a déclaré la délégation turque. Elle a prié le Comité de ne pas aborder des questions hautement politiques alors même que les pourparlers intercommunautaires sur Chypre se poursuivent. Elle a par ailleurs souligné que la Cour européenne des droits de l'homme s'est abstenue de qualifier d'occupation la présence de forces turques dans le nord de l'île de Chypre.

S'agissant du délit de «dénigrement» mentionné par plusieurs membres du Comité, la délégation a admis qu'il y avait un équilibre délicat à assurer en ce qui concerne l'application des articles 216 et 301 du Code pénal. Quoi qu'il en soit, il faut une autorisation du Ministre de la justice pour engager des poursuites en la matière et, même en cas d'autorisation du Ministre, le Procureur peut encore décider qu'il n'y a pas matière à engager ces poursuites.

La délégation a enfin souhaité mettre à jour certains chiffres cités par un membre du Comité concernant le tourisme en Turquie en précisant que pour l'année 2008, ce sont 25 millions de touristes qui ont visité le pays.


Observations préliminaires

M. Thornberry a remercié la délégation pour avoir répondu de manière ouverte à toutes les questions qui lui ont été posées par les experts. Il a rappelé qu'aucun État n'est à l'abri du problème de la discrimination raciale. En dehors des cas de racisme institutionnalisé ou généralisé, il existe des formes plus subtiles de discrimination raciale, a souligné M. Thornberry. La Turquie a procédé à de nombreux amendements législatifs dont il faut se féliciter, a-t-il ajouté.

M. Thornberry a exprimé l'espoir que les recommandations que le Comité adressera à la Turquie aideront ce pays à progresser encore. Subsistent en effet des questions de définition et de mesures de lutte contre la discrimination raciale qui posent encore problème et le Comité attend qu'il leur soit apporté des réponses précises. Nombreuses ont été les questions posées par les experts concernant la discrimination dans les faits, a rappelé M. Thornberry. Il faut en effet aller au-delà de la législation et se pencher sur la réalité sur le terrain, a-t-il insisté. Les noms des individus constituent l'un des éléments clefs de l'identité, a par ailleurs rappelé l'expert.



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