Fil d'Ariane
LE COMITÉ POUR L'ÉLIMINATION DE LA DISCRIMINATION RACIALE TIENT UNE DISCUSSION THÉMATIQUE SUR LES «MESURES SPÉCIALES»
Le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale a tenu hier après-midi et ce matin une discussion thématique sur la question des mesures spéciales prévues par l'article 2, paragraphe 2, de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale.
Cette disposition prévoit que «les États parties prendront, si les circonstances l'exigent, dans les domaines social, économique, culturel et autres, des mesures spéciales et concrètes pour assurer comme il convient le développement ou la protection de certains groupes raciaux ou d'individus appartenant à ces groupes en vue de leur garantir, dans des conditions d'égalité, le plein exercice des droits de l'homme et des libertés fondamentales».
Ouvrant la discussion, la Présidente du Comité, Mme Fatimata-Binta Victoire Dah, a indiqué que l'objectif de cette discussion était d'éclaircir les dispositions relatives aux mesures spéciales figurant dans la Convention ainsi que dans la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes. Il s'agit de parvenir, par la suite, à une recommandation générale du Comité sur la question. Un autre membre du Comité, M. Patrick Thornberry, a notamment reconnu que les dispositions sur les mesures spéciales dans ces deux instruments sont particulièrement complexes à appréhender et il a salué, à l'issue du débat, l'appui général en faveur d'un projet de recommandation qui pourrait profiter à toutes les parties.
Un membre du Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes, Mme Hanna Beata Schopp-Schiling, a rappelé que son Comité a adopté une recommandation générale consacrée aux mesures spéciales temporaires et a exposé les différences d'approche, s'agissant de cette question des mesures spéciales, entre les deux Conventions. Ont également pris part à la discussion des représentants de l'Organisation internationale du travail (OIT) et de l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO), ainsi que des représentants du Chili, de l'Uruguay, du Royaume-Uni, de la Colombie et de la Nouvelle-Zélande et des organisations non gouvernementales suivantes: Anti-Racism Information Service, Forest Peoples Programme, Conseil central des Sinti et Roms allemands. Un autre expert ainsi que plusieurs membres du Comité ont également pris part à la discussion.
Un membre du Comité a rappelé que certains pays ont, dans leurs réponses ou dans leurs rapports, estimé qu'ils n'étaient pas tenus d'adopter des mesures spéciales, ce à quoi le Comité a répondu que ces mesures sont obligatoires lorsque les circonstances l'exigent. En effet, l'égalité formelle n'est pas suffisante pour éliminer l'inégalité et la discrimination, a souligné l'expert. Nombre de membres du Comité ont souligné que les mesures spéciales doivent être temporaires et être réexaminées régulièrement, afin d'être abolies dès que les objectifs visés ont été atteints; en effet, faute de nécessité, un traitement différencié deviendrait discriminatoire, a-t-il été souligné.
Cet après-midi, à 15 heures, le Comité entamera l'examen du rapport périodique de l'Allemagne (CERD/C/DEU/18).
Aperçu du débat sur les mesures spéciales en faveur de groupes défavorisés
MME FATIMATA-BINTA VICTOIRE DAH, Présidente du Comité pour l'élimination de la discrimination raciale, a souligné que cette discussion thématique tient particulièrement à cœur aux membres du Comité et touche directement aux dispositions du paragraphe 4 de l'article premier de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes et au paragraphe 2 de l'article 2 de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale. L'objectif de cette discussion est d'éclaircir ces dispositions conventionnelles et de parvenir, par la suite, à une recommandation générale, qui sera la trente-deuxième du Comité.
M. PATRICK THORNBERRY, membre du Comité, a souligné que cette question revient régulièrement dans les travaux du Comité. Il a reconnu que le paragraphe 4 de l'article premier de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes et le paragraphe 2 de l'article 2 de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale, qui portent sur les mesures spéciales, sont particulièrement complexes à appréhender, notamment du fait que la terminologie employée n'est pas toujours cohérente. M. Thornberry a par ailleurs attiré l'attention sur la problématique du caractère temporaire de ces mesures spéciales. Il a aussi rappelé que le Comité a déjà débattu de cette question mais a souligné que jusqu'à présent, rien n'a été fixé de manière définitive.
M. Thornberry a préconisé que la configuration globale de la future recommandation générale que pourrait adopter le Comité sur cette question soit conceptuelle, puis analytique et enfin opérationnelle.
MME HANNA BEATA SCHOPP-SCHILING, membre du Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes, a rappelé que son Comité avait adopté une recommandation générale n°25 consacrée aux mesures spéciales temporaires. La définition même de ce qui constitue une discrimination au regard de chacune des deux conventions diffère. Les différences sont de taille puisque la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale couvre uniquement la discrimination dans la vie publique alors que la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes couvre la discrimination tant dans la vie publique que dans la vie privée. En outre, la question se pose de savoir si les mesures spéciales temporaires sont simplement autorisées ou obligatoires; le Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes, en ce qui le concerne, a estimé que l'on peut dire que ces mesures, si elles ne sont pas obligatoires, sont néanmoins nécessaires car elles sont appropriées pour atteindre une égalité de facto.
Mme Schopp-Schiling a par ailleurs souligné que son Comité parle expressément de mesures «temporaires» alors que ces mesures ne sont pas formellement qualifiées de temporaires dans la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Elle a en outre souligné que son Comité a écarté le terme d'«action positive» et elle a préconisé que le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale retienne lui aussi la terminologie de «mesures spéciales temporaires».
Dans sa recommandation générale traitant de ces mesures spéciales, le Comité devrait se garder de donner des exemples d'application, car une liste d'exemples risque d'être considérée comme exhaustive, alors que l'on souhaite évidemment laisser ouvertes les possibilités d'application de ces mesures temporaires, a par ailleurs souligné Mme Schopp-Schiling.
Un représentant de l'Organisation internationale du travail a rappelé que la Convention n°111 de l'OIT concerne la discrimination en matière d'emploi et de profession. Il a déclaré que l'origine même de la notion de mesures spéciales peut être associée à l'article 5 de la Convention n°111 de l'OIT qui traite de mesures spéciales de protection et d'assistance. Il avait été convenu, lors de l'élaboration de cette Convention, à laquelle l'article 5 avait été tardivement rattaché, que l'interdiction de la discrimination en matière d'emploi ne devait pas rendre nulle et non avenue toute mesure spéciale en faveur des femmes, des jeunes et des personnes handicapées, entre autres. La Convention n°169 de l'OIT sur les peuples autochtones et tribaux envisage également, dans son article 4, des mesures spéciales de protection, a souligné le représentant de l'OIT. Cet article 4 de la Convention n°168 va même jusqu'à souligner que ces mesures spéciales ne doivent pas être contraires aux vœux des populations concernées, a-t-il insisté. Le mérite des articles 1(4) de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes et 2(2) de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale est qu'ils posent la question des inégalités de facto, a souligné le représentant de l'OIT.
Un représentant de l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture a indiqué que l'UNESCO partage le point de vue selon lequel les mesures temporaires spéciales constituent une action nécessaire pour assurer l'égalité de fond. Les collectivités locales ont acquis un rôle croissant qui en fait des acteurs essentiels pour assurer la promotion et la protection des droits de l'homme au niveau local, a-t-il souligné, insistant sur les mesures spéciales qu'elles peuvent prendre, par exemple, en matière d'habitat. Complétant ces informations, une autre représentante de l'UNESCO a présenté les instruments dont dispose l'Organisation aux fins de l'application du droit à l'éducation pour tous. Ainsi, l'UNESCO a adopté en 1960 une Convention contre la discrimination dans l'enseignement. À la fin de l'année dernière, a-t-elle ajouté, l'UNESCO a achevé la septième consultation sur la mise en œuvre de cette convention, qui couvrait la période allant de 2000 à 2005; les rapports soumis par les États membres dans ce contexte ont permis de présenter un certain nombre de mesures d'action positive prises par les États, a souligné la représentante.
Le représentant du Chili a souligné que son pays a toujours soutenu, dans nombre d'enceinte, les résolutions visant à ce que les minorités nationales et ethniques puissent exercer leurs droits et liberté fondamentaux dans des conditions d'égalité. Quand on a besoin de mesures spéciales, c'est que l'on n'a pas atteint ces objectifs, a-t-il souligné. L'État chilien, en ce qui le concerne, a mis en place un certain nombre de mesures spéciales, a-t-il précisé. Cette année, la politique en faveur des autochtones connaît une phase nouvelle avec le Pacte social sur la pluriculturalité, baptisé «Reconnaître». Ce pacte comporte un certain nombre de volets ayant trait, pour l'un, au développement intégral des peuples concernés et, pour un autre, à l'intégration des peuples autochtones tout en respectant leur caractère spécial et leurs particularités.
La représentante de l'Uruguay a notamment souligné que son pays, dans son action globale contre le racisme et la discrimination, a notamment entrepris de promouvoir, en collaboration avec la société civile, la participation des personnes d'ascendance africaine dans les structures de l'État. Parmi les obstacles que rencontre le pays s'agissant de ces questions, figurent l'insuffisance budgétaire, le manque de ressources humaines ou encore l'absence de cette thématique dans les programmes des partis politiques, a-t-elle indiqué.
La représentante du Royaume-Uni a indiqué que par «action positive», le Royaume-Uni entend des mesures d'encouragement spécial pour les personnes sous-représentées ou pour les groupes défavorisés, afin de contrer les effets d'une discrimination historique et prévenir toute discrimination future. De telles mesures sont considérées comme une exception au principe général de non-discrimination. Par «discrimination positive», le Royaume-Uni entend discrimination en faveur d'une personne appartenant à un groupe particulier sous-représenté ou autrement défavorisé sur la seule base que cette personne provient de ce groupe. La discrimination positive, pour l'essentiel, est illégale au Royaume-Uni, a précisé la représentante.
Le représentant de la Colombie a pour sa part assuré que son pays est très engagé en faveur de la lutte contre toutes les formes de discrimination. La Colombie a ainsi adopté un certain nombre de lois en faveur des femmes ou encore en faveur de la population afrocolombienne.
La représentante de la Nouvelle-Zélande a indiqué que dans son pays, des mesures spéciales ont été prises dans le contexte d'un environnement visant à favoriser une égalité de fond de tous les habitants. La Nouvelle-Zélande souhaiterait que le Comité précise la relation entre les mesures permanentes et les mesures spéciales de protection.
Le représentant de Anti-Racism Information Service (ARIS) a souligné que la discrimination raciale se construit socialement et que ce sont des mécanismes institutionnels qui perpétuent la discrimination. Il faut donc prendre des mesures volontaires pour la contrer. La volonté politique «peut déplacer des montagnes», a-t-il insisté.
La représentante du Forest Peoples Programme s'est réjouie de la façon dont ce Comité a fait progressé les droits des peuples autochtones et leur compréhension. Elle a indiqué que son organisation, en 2005 et 2007, avait passé en revue la jurisprudence des organes des Nations Unies concernant les populations autochtones, ce qui a permis de constater que la nécessité de débattre des objectifs et de la durée des mesures de protection spéciale a maintes fois été reconnue. Il convient de bien distinguer les mesures temporaires spéciales en faveur de tel ou tel groupe défavorisé et les dispositions permanentes en faveur des populations autochtones, a souligné la représentante. Les droits autochtones sont des droits inhérents et permanents, a-t-elle insisté.
Le représentant du Conseil central des Sinti et Roms allemands a souligné la nécessité d'une harmonisation de la terminologie associée aux mesures spéciales. De telles mesures devraient essentiellement porter sur les domaines de l'éducation, de l'emploi, du logement, de la représentation politique et de la représentation au niveau de la communauté. Bon nombre des 10 à 12 millions de Roms qui vivent en Europe subissent une discrimination grave, notamment dans le système éducatif des pays dans lesquels ils se trouvent.
M. BRUCE ABRAMSON, expert, a tenu à souligner que la disposition relative aux mesures spéciales ne parle pas d'exception. Il convient de ne pas oublier qu'il faut interpréter les dispositions des traités en tenant compte des objectifs visés, a-t-il poursuivi. Le droit international n'est pas absolu au point de ne pas accorder aux États une certaine souplesse, a-t-il ajouté.
M. ION DIACONU, membre du Comité, a affirmé que selon lui, les mesures spéciales constituent l'un des aspects des mesures prises par les États pour éliminer les discriminations. En 2001, a-t-il rappelé, la Conférence de Durban a recommandé que de telles mesures soient adoptées. Certains pays ont, dans leurs réponses ou dans leurs rapports, nié l'obligation d'adopter des mesures spéciales; le Comité leur a alors signifié que de telles mesures sont obligatoires, a souligné M. Diaconu. Elles sont obligatoires lorsque le besoin s'en fait sentir, a-t-il précisé. L'idée de départ est que l'égalité formelle n'est pas suffisante pour éliminer l'inégalité et la discrimination, a-t-il poursuivi. La Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale s'occupe de personnes ayant en commun la couleur, la race ou l'origine nationale ou ethnique, a-t-il rappelé. Des mesures spéciales peuvent être adoptées dans tous les domaines: économique, social, politique, linguistique, éducatif, culturel. En matière de lutte contre la pauvreté, par exemple, une mesure spéciale temporaire en faveur d'un groupe particulier doit durer jusqu'à ce que le niveau de vie de ce groupe ait été relevé, a notamment souligné cet expert.
M. LINOS-ALEXANDRE SICILIANOS, membre du Comité, a estimé que les mesures spéciales (ou mesures positives) ne constituent pas une discrimination mais visent à assurer la jouissance des droits de l'homme à travers une égalité de fait. Il convient de ne pas trop exagérer les différences, en particulier terminologiques, entre les dispositions de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes et celles de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale, s'agissant de cette question des mesures spéciales. Ces mesures doivent être temporaires et être réexaminées régulièrement afin d'être abolies dès que les résultats factuels ont été atteints; en effet, faute de nécessité, un traitement différencié deviendrait discriminatoire, a souligné M. Sicilianos. Il a précisé que ces mesures spéciales peuvent prendre la forme de mesures législatives, mais également de mesures administratives voire de mesures établies par la voie jurisprudentielle.
M. ALEXEI S. AVTONOMOV, membre du Comité, a souligné que la Convention n'appartient pas aux membres du Comité, qu'elle doit se développer et que ce développement doit se faire en coopération et en consultation avec les États. Il a souscrit à l'idée selon laquelle il faut avant tout s'en tenir au libellé de la Convention et en particulier à l'expression «mesures spéciales» que l'on retrouve tant dans la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes que dans la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Une terminologie harmonisée entre les différents organes de traités permettra de mieux dialoguer avec les États parties, a souligné M. Avtonomov. Il a fait part de son souhait de participer aux travaux du groupe de travail – à composition non limitée faut-il espérer – qui sera chargé de préparer une recommandation générale sur cette question des mesures spéciales.
M. RÉGIS DE GOUTTES, membre du Comité, a présenté quelques-uns des principaux éléments qui semblent se dégager de la discussion et qui devraient, à son sens, être retenus en vue de l'élaboration de la future recommandation générale sur les mesures spéciales. Il en va ainsi de l'harmonisation de la terminologie, qui s'impose, en retenant la notion de «mesures spéciales temporaires» et en écartant la notion d'«action affirmative» et, a fortiori, celle de «discrimination positive» qui doit être totalement bannie. Les mesures spéciales doivent être nécessaires, appropriées et proportionnées, a poursuivi M. de Gouttes. Conformément à la Convention, ce n'est que si les circonstances l'exigent que doivent être prises des mesures spéciales, a-t-il rappelé. Il a souligné que ces mesures spéciales doivent être temporaires, ce qui exige qu'elles soient périodiquement réexaminées. Par ailleurs, il y a des précisions à apporter aux définitions et des distinctions à opérer, en particulier, entre les mesures spéciales, qui ont un caractère provisoire, et les droits inhérents, qui ont un caractère permanent et qui doivent être reconnus, notamment aux populations autochtones et en particulier en ce qui concerne la possession de leurs terres ancestrales, a poursuivi M. de Gouttes. Pour ce qui est du contenu même des mesures spéciales, il conviendra de discerner les diverses modalités qu'elles peuvent revêtir (quotas, contingentement, programmes d'aide…), a en outre souligné l'expert. Un autre élément à prendre en compte lors de l'élaboration de la future recommandation générale a trait aux limites qu'il convient de fixer aux mesures spéciales; en effet, ces mesures spéciales ne doivent en aucun cas contrevenir au principe premier, élémentaire, de non-discrimination – principe auquel il ne saurait être dérogé. Les mesures spéciales ne sont pas une exception au principe de non-discrimination, elles ne sont admissibles que si elles ne contreviennent pas à ce principe supérieur, a rappelé M. de Gouttes, reprenant le point de vue qu'avait exprimé à ce sujet M. Marc Bossuyt (qui fut Rapporteur spécial sur cette question).
M. PASTOR ELIAS MURILLO MARTÍNEZ, membre du Comité, a attiré l'attention sur l'amélioration de leur condition qu'ont connue les femmes colombiennes depuis un demi-siècle. Il a en outre rappelé que l'esclavage a été aboli en Colombie en 1851. M. Murillo Martínez a estimé qu'il ne faut pas établir de distinction entre hommes et femmes lorsqu'il s'agit d'analyser la notion d'action positive. L'expert a par ailleurs fait observer que la notion de quota suscite des réserves, certains estimant que l'instauration de quotas place en fait les bénéficiaires en position d'infériorité. Il n'en demeure pas moins vrai que les quotas constituent une mesure appropriée pour garantir l'équité, en ce sens qu'ils promeuvent la participation des groupes exclus, a-t-il souligné. Mme Condoleezza Rice a elle-même reconnu qu'elle avait pu suivre des études grâce à des mesures d'action positive dont elle avait pu bénéficier, a-t-il ajouté.
M. DILIP LAHIRI, membre du Comité, a souligné que la notion d'action positive, dans le contexte du Comité pour l'élimination de la discrimination raciale, est fondée sur l'idée que les talents sont répartis de manière uniforme entre les groupes dominants et minoritaires. Les mesures positives doivent être temporaires, ce qui, bien sûr, ne signifie pas qu'elles doivent être de court terme; elles doivent en fait se poursuivre jusqu'à ce que les objectifs aient été atteints, a-t-il poursuivi. Au Comité, nous parlons uniquement dans ce contexte de mesures temporaires, a rappelé M. Lahiri. Peu importe la terminologie employée pour parler de ces mesures, à condition qu'il s'agisse toujours de mesures temporaires, a-t-il affirmé. Il ne serait pas productif d'analyser les nuances et petites différences qu'il peut y avoir dans la manière d'exprimer les choses entre ce Comité et le Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes, a estimé M. Lahiri. Il a par ailleurs rappelé qu'il existe un contentieux entre le Comité et l'Inde pour savoir si la discrimination fondée sur les castes entre dans le cadre de la discrimination raciale. Quoi qu'il en soit, la Constitution de l'Inde contient des dispositions visant à corriger des déséquilibres historiques, a-t-il souligné.
M. JOSÉ FRANCISCO CALI TZAY, membre du Comité, a souhaité que le Comité prenne des mesures spéciales en renonçant, dans la terminologie qu'il emploie, à la notion de «populations autochtones», au profit de celle de «peuples autochtones», qui est d'ailleurs reprise dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. M. Cali Tzay a relevé que lorsqu'on parle d'éducation bilingue, à l'intention par exemple des peuples autochtones, on cherche en fait à imposer l'apprentissage d'une autre langue et d'une autre culture à ces peuples, alors que l'on ne demande pas au reste de la population d'apprendre les langues et cultures autochtones. Aussi, les mesures spéciales dans un tel contexte devraient-elles être destinées à l'État en général et non pas seulement aux peuples autochtones, a estimé M. Cali Tzay.
M. ANWAR KEMAL, membre du Comité, a regretté l'attitude des pays qui ignorent les disparités existantes entre leurs différents groupes ethniques et qui ne prennent pas de mesures positives pour surmonter ces différences. L'objet des mesures spéciales temporaires est de rétablir l'équilibre qui doit exister au sein de toute société, ce qui, en retour, permettra de surmonter les nombreux problèmes d'édification de la nation qui peuvent se poser, a-t-il souligné. Il en va donc de l'intérêt de tous les États d'accepter ce concept de mesures spéciales et de l'appliquer dans la pratique, a souligné M. Kemal.
M. PIERRE-RICHARD PROSPER, membre du Comité, a souligné que les mesures spéciales sont clairement envisagées par la Convention. Malheureusement, des déséquilibres subsisteront toujours dans la vie, indépendamment, d'ailleurs, de toute question de discrimination raciale, a-t-il rappelé. L'important reste donc de garantir l'égalité des chances pour tous, a poursuivi l'expert. À cet égard, il convient d'encourager à la diversité, qui profite à tous et enrichit l'existence. L'important est de savoir non pas si les mesures spéciales sont obligatoires, mais à quel moment elles doivent être déclenchées, a souligné M. Prosper.
M. JOSE A. LINDGREN ALVES, membre du Comité, a relevé que certains droits permanents, notamment pour les peuples autochtones, peuvent certes faire l'objet de mesures spéciales visant leur mise en œuvre effective; mais il n'en demeure pas moins que les mesures spéciales sont, par nature, temporaires et visent à assurer l'égalité des droits de toutes les personnes se trouvant sous une juridiction donnée. M. Lindgren Alves a fait d'un certain nombre d'éléments essentiels qui, selon lui, devraient figurer dans la future recommandation générale que le Comité adoptera s'agissant de ces mesures spéciales. Ainsi, conviendra-t-il notamment de retenir que l'objectif des mesures spéciales est de surmonter toute discrimination structurelle fondée sur l'un des motifs énoncés à l'article premier de la Convention.
M. CHRIS MAINA PETER, membre du Comité, a indiqué que pour lui, les mesures spéciales sont une évidence. Les droits ne sont pas octroyés; ils sont obtenus à l'issue d'un long combat, a-t-il souligné. Il a insisté sur la nécessité, pour le Comité, de dégager des règles claires, exemptes de toute confusion, s'agissant de cette question des mesures spéciales. Beaucoup d'États sont déjà en avance sur le Comité s'agissant des questions qui sont ici débattues et il convient donc pour le Comité de veiller à ne pas perdre sa pertinence.
M. ABRAMSON a relevé que la Convention ne mentionne pas le terme de «temporaire» dans le contexte des mesures spéciales. Quand les choses durent plusieurs décennies, elles n'ont plus rien de temporaires, a-t-il souligné. Il s'est interrogé sur la marge de souplesse qui peut être tolérée s'agissant de cette question des mesures spéciales. Si l'exception envisagée n'est pas inscrite dans la loi, peut se poser un problème de primauté du droit, a-t-il fait observer.
Concluant cette discussion thématique, M. PATRICK THORNBERRY, membre du Comité, a mis l'accent sur la nécessité de parvenir à un consensus le plus large possible pour pouvoir étayer une recommandation générale sur cette question des mesures spéciales. La mise sur pied, par exemple dès la prochaine session du Comité, d'un groupe de travail chargé de rédiger le projet d'une telle recommandation ne garantira pas nécessairement un aboutissement rapide de cette démarche. Il conviendra dans cette démarche de conserver une certaine latitude, afin de ne pas être trop dirigiste à l'égard des États, de manière à ne pas trop empiéter sur leurs responsabilités, a souligné M. Thornberry. Quoi qu'il en soit, il est bon de constater qu'il existe un appui général en faveur d'un projet de recommandation générale qui pourrait profiter à toutes les parties, a conclu l'expert.
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