Fil d'Ariane
LE COMITÉ POUR L'ÉLIMINATION DE LA DISCRIMATION RACIALE EXAMINE LE RAPPORT DE LA SUISSE
Le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale a examiné, vendredi après-midi et ce matin, le rapport périodique de la Suisse sur la mise en œuvre, par ce pays, des dispositions de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale.
Présentant des observations préliminaires à l'issue du dialogue avec la délégation suisse, le rapporteur du Comité pour l'examen du rapport, M. Pierre-Richard Prosper, a indiqué qu'il ressort des discussions que la Suisse est une société en évolution. Des ajustements sont nécessaires et il n'est pas toujours aisé de les mener, a-t-il souligné. Néanmoins, il est clair que la Suisse dispose d'outils et de mécanismes pour mettre en œuvre la Convention. À ce stade, le Comité cherche à faire en sorte que le Gouvernement central joue un rôle phare en donnant le ton et en se situant à l'avant-garde pour faire évoluer l'opinion de ses citoyens, a déclaré M. Prosper. Le Comité rendra publiques ses observations finales sur le rapport de la Suisse à la fin de la session, le 15 août prochain.
Présentant le rapport de son pays, Mme Christine Schraner Burgener, Directrice suppléante à la Direction du droit international public du Département fédéral des affaires étrangères de la Suisse, a insisté sur la forte composante fédéraliste de l'ordre juridique suisse et reconnu que ce partage des compétences rend parfois le contrôle effectif par les autorités peu aisé. Elle a précisé que les dispositions de la Convention ont valeur de loi-cadre. En ce qui concerne la question de la persistance d'attitudes hostiles envers les personnes de couleur et de religion musulmane ainsi qu'envers les demandeurs d'asile, Mme Schraner Burgener a souligné que le Gouvernement considère chaque cas de discrimination raciale et de violence comme inacceptable et mise sur un travail de sensibilisation et de prévention mis en place de façon constante et constructive. Très préoccupé par l'accroissement du nombre des incidents à motivation raciale survenus ces dernières années, il a pris plusieurs mesures pour faire face à ces incidents et éviter qu'ils ne se reproduisent. La nouvelle loi fédérale sur les étrangers a fait de l'intégration l'idée maîtresse de la politique de la Suisse en la matière, a fait valoir le chef de la délégation.
La délégation suisse était également composée de M. Michele Galizia, Chef du Service de lutte contre le racisme et de représentants des Départements fédéraux (ministères) des affaires étrangères, de la justice et police, et de l'intérieur, ainsi que du Département des institutions de la République et canton de Genève, de la Police cantonale de Zurich et du Service de la population de Lausanne. Elle a fourni des compléments d'information en ce qui concerne notamment le fonctionnement du fédéralisme suisse est son incidence sur la mise en œuvre de la Convention; les moyens dont dispose la Confédération pour surveiller le respect d'une obligation internationale par les cantons; la persistance d'attitudes hostiles envers les personnes de couleur et de religion musulmane; la lutte contre l'extrémisme de droite; la situation concernant les affiches publiées dans le cadre d'une campagne sur les naturalisations menée par l'Union démocratique du centre (UDC); les procédures de naturalisation; la politique d'immigration et d'intégration; la situation des gens du voyage.
Cet après-midi, à 15 heures, le Comité doit entamer l'examen du rapport de la Suède (CERD/C/SWE/18).
Présentation du rapport
MME CHRISTINE SCHRANER BURGENER, Directrice suppléante à la Direction du droit international public du Département fédéral des affaires étrangères de la Suisse et chef de la délégation, a assuré que la Suisse a toujours été respectueuse des principes d'égalité et de non-discrimination. Elle a souligné que deux des recommandations formulées durant le dialogue interactif qui s'est déroulé lors de l'Examen périodique universel de la Suisse par le Conseil des droits de l'homme ont immédiatement reçu l'appui de la Suisse, à savoir: celle visant à ce que le pays poursuive les efforts qu'il fait pour prévenir et combattre la xénophobie et celle visant à ce qu'il prenne les dispositions nécessaires pour prévenir la survenance d'actes de violence à relents racistes et xénophobes de la part d'agents de la sécurité à l'égard d'étrangers, d'immigrants ou de demandeurs d'asile, et traduise les auteurs de tels actes en justice. Deux autres recommandations faites par le Groupe de travail du Conseil sur l'Examen périodique universel ont été examinées plus en détail avant d'être approuvées par la Suisse, a ajouté Mme Schraner Burgener, à savoir: celle visant à ce que le pays adopte des mesures visant à renforcer les mécanismes déjà en place pour combattre la discrimination raciale et celle visant à ce qu'il traite plus avant et combatte plus énergiquement les causes profondes de la discrimination, à l'égard en particulier des migrantes, en supprimant les obstacles juridiques et systémiques qui s'opposent à l'égalité des droits. La représentante suisse a tenu à préciser que le présent rapport couvre la période comprise entre février 2002 et avril 2006.
Mme Schraner Burgener a rappelé que la Suisse fait partie des pays qui se réclament de la tradition moniste, c'est-à-dire que dès qu'elles ont été approuvées par la Suisse, les normes du droit international font partie intégrante de l'ordre juridique suisse et tous les organes de l'État doivent les respecter et les appliquer. En outre, le droit international public prime sur le droit national, a précisé la représentante suisse. Insistant sur la forte composante fédéraliste de l'ordre juridique suisse, elle a rappelé que selon la constitution fédérale, les cantons exercent tous les droits qui ne sont pas délégués à la Confédération. Il est certain que ce partage des compétences rend parfois le contrôle effectif par les autorités peu aisé, a-t-elle reconnu. S'il est vrai que la Suisse ne dispose pas d'une législation globale destinée à lutter contre les discriminations en tous genres au niveau fédéral, cette particularité n'est pas tant l'expression d'une lacune quant au fond, mais celle de la spécificité de l'ordre juridique suisse, caractérisé par son attachement à la tradition moniste et par le fédéralisme. Concrètement, cela signifie que les dispositions de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale ont valeur de loi-cadre.
Ces dernières années, a poursuivi le chef de la délégation suisse, la défense des droits de l'homme en général et l'interdiction de la discrimination raciale en particulier ont bénéficié d'une attention accrue. Cette évolution s'est reflétée de manière très claire dans la nouvelle Constitution fédérale entrée en vigueur en 2000. Soucieux de veiller à l'application de la Convention au niveau fédéral, le Gouvernement suisse poursuit actuellement une stratégie consistant à codifier de manière cohérente toutes les interdictions de discrimination s'appliquant à des domaines spécifiques. Les autorités fédérales sont d'avis que l'approche sectorielle telle que présentement appliquée garantit une protection accrue contre les diverses formes de discrimination envers les différentes catégories de personnes.
En ce qui concerne la question de la persistance d'attitudes hostiles envers les personnes de couleur et de religion musulmane ainsi qu'envers les demandeurs d'asile, Mme Schraner Burgener a souligné que le Gouvernement considère chaque cas de discrimination raciale et de violence comme inacceptable, que les fluctuations annuelles des cas enregistrés aillent dans le sens d'une augmentation ou d'une diminution. Le Gouvernement mise sur un travail de sensibilisation et de prévention mis en place de façon continue et constructive, a indiqué Mme Schraner Burgener. Très préoccupé par l'accroissement du nombre des incidents à motivation raciale survenus ces dernières années, le Gouvernement suisse a pris plusieurs mesures pour faire face à ces incidents et éviter qu'ils ne se reproduisent. Mme Schraner Burgener a, à cet égard, évoqué l'augmentation des procédures relevant du droit pénal en rapport avec la norme pénale contre le racisme, l'article 261bis du Code pénal et l'article 171c du Code pénal militaire. Le 6 avril 2006, a poursuivi Mme Schraner Burgener, il a été décidé de procéder à une révision approfondie de la statistique policière de la criminalité; ce nouvel instrument disposera de données détaillées sur les dénonciations en raison de la discrimination raciale et permettra aussi de relever l'existence d'une motivation raciste lors de la commission d'une infraction.
Mme Schraner Burgener a précisé que la Suisse est d'avis que la réserve qu'elle a émise à l'égard de l'article 4 de la Convention demeure justifiée au regard de la prise en considération d'autres droits de l'homme tels que la liberté d'expression et la liberté d'association, garanties par la Constitution. La Suisse n'a pas pour principe de déclarer des organisations pénalement responsables ou de les interdire: elle ne criminalise que les comportements des individus, a-t-elle expliqué.
Il faut souligner que la majorité des cas de racisme et de discrimination qui ne peuvent pas faire l'objet de poursuites pénales relèvent du champ de compétences des cantons et des communes, a poursuivi Mme Schraner Burgener. Dans ces cas, un service de médiation fédéral ne peut rien entreprendre, a-t-elle précisé. Cependant, le nombre de services de médiation cantonaux et communaux augmente, lentement mais régulièrement.
En ce qui concerne la politique de naturalisation, qui est en voie de remaniement partiel, Mme Schraner Burgener a indiqué qu'une modification de la loi sur la nationalité pourra vraisemblablement entrer en vigueur en 2009, à condition qu'aucun référendum ne soit lancé; les cantons seront alors compétents en matière de procédure de naturalisation dans les communes et le canton et chaque refus de naturalisation devra être motivé. Cela aura pour effet qu'une assemblée communale déclarée compétente ne pourra rejeter une demande de naturalisation que si une demande de refus aura été déposée et motivée.
Mme Schraner Burgener a par ailleurs rappelé que le Groupe de travail sur l'Examen périodique universel a recommandé à la Suisse de recruter des membres des minorités dans la police et de mettre en place un organisme chargé de mener des enquêtes sur les affaires de brutalités policières. La Suisse s'est vue dans l'obligation formelle de rejeter cette recommandation pour des raisons de fédéralisme évoquées plus haut, a-t-elle indiqué. Lors de rapatriements forcés, a poursuivi Mme Schraner Burgener, l'usage de la force par les autorités a, à quelques reprises, été à l'origine d'événements tragiques. En 1999 et en 2001, deux personnes sont décédées lors de la préparation de leur rapatriement; dans les deux cas, les décès étaient dus à une asphyxie découlant de l'usage de la force physique par les forces de police. Une loi fédérale sur l'usage de la contrainte a alors été élaborée à la demande des cantons et adoptée le 20 mars dernier. Cette loi, qui entrera sans doute en vigueur le 1er janvier 2009, s'appliquera aux autorités fédérales amenées à faire usage de la contrainte et à mettre en œuvre des mesures policières dans le cadre de l'exécution de leurs tâches et aux autorités cantonales dans les domaines du droit d'asile et du droit des étrangers, a précisé Mme Schraner Burgener. En vertu de cette nouvelle réglementation, sont en particulier interdits les moyens auxiliaires pouvant entraver la respiration ou porter gravement atteinte à la santé des intéressés.
Il est vrai que la Commission fédérale contre le racisme ne constitue pas une instance officielle des droits de l'homme selon la définition des Principes de Paris, a d'autre part reconnu Mme Schraner Burgener. Cependant, dans le domaine de la lutte contre le racisme, elle exerce sa mission en tant qu'instance nationale spécialisée, a-t-elle souligné.
La représentante suisse a par ailleurs rappelé que son pays avait jugé opportun, au moment de la ratification de la Convention, d'émettre une réserve à l'égard de l'article 2 de la Convention, qui concerne la législation régissant l'accès au marché du travail. Actuellement, la politique d'admission de la Suisse est fondée sur un système binaire distinguant entre ressortissants des États membres de l'Union européenne et ressortissants des autres États. Cette distinction n'est pas contraire à la Convention dans la mesure où elle repose sur des traités conclus avec les États en question. Comme l'accord bilatéral sur la libre circulation des personnes est conforme aux exigences de la Convention, la Suisse pourrait en effet décider le retrait de sa réserve. Mais soucieuse de conserver une certaine marge de manœuvre pour l'avenir, elle juge cependant préférable de maintenir la réserve.
La nouvelle loi fédérale sur les étrangers a fait de l'intégration l'idée maîtresse de la politique de la Suisse en la matière, a poursuivi Mme Schraner Burgener. Elle a en outre souligné que la Suisse considère que les règles générales du droit privé garantissent une protection adéquate contre les discriminations raciales en matière d'emploi, de logement ou de prestation de services destinés au public.
«Assurément, nous n'avons pas réussi à éliminer toutes les formes de discrimination», a reconnu Mme Schraner Burgener. «Les mesures pénales déploient leurs effets positifs, mais, à plus long terme, d'autres mesures seront bien entendu nécessaires, notamment des mesures politiques et sociales, lesquelles sont déterminantes», a-t-elle conclu.
M. MICHELE GALIZIA, Chef du Service de lutte contre le racisme de la Suisse, a souligné que son Service fait partie de l'administration suisse et reflète donc le point de vue officiel sur les questions en jeu. Il a précisé que la tâche centrale de ce Service a trait à la coordination en matière de lutte contre le racisme. Depuis 2006, 2,5 millions de francs suisses ont été alloués à près de deux cents projets dont 60 sont des projets scolaires, a-t-il précisé.
La Commission fédérale contre le racisme et le Service de lutte contre le racisme ont des rôles et des tâches complémentaires et travaillent très souvent de concert, a poursuivi M. Galizia. Au niveau fédéral, le Conseil fédéral a défini la lutte contre le racisme et contre la discrimination comme relevant d'une mission trans-sectorielle de tous les départements fédéraux.
La Suisse ne dispose pas d'une législation globale contre la discrimination mais poursuit une approche sectorielle, a rappelé M. Galizia. Cela ne signifie pas pour autant que nous ne réfléchissons pas à la manière d'améliorer notre approche, a-t-il souligné. À cet égard, il a précisé que la Commission fédérale contre le racisme est en train d'organiser une conférence afin de discuter de l'usage et des limites de l'approche de la Suisse pour faire face aux diverses formes de discrimination.
Du point de vue de la communication, il serait plus facile pour la Suisse de disposer d'un plan national d'action contre le racisme, a reconnu M. Galizia, soulignant toutefois que la structure fédérale du pays l'en empêche. Il a ajouté que c'est justement son approche pragmatique bien établie qui permet à la Suisse de reconnaître et de combattre les anciennes et les nouvelles formes de racisme.
Le rapport périodique de la Suisse (CERD/C/CHE/6 - document rassemblant les quatrième à sixième rapports) indique qu'à la fin de l'année 2004, 20,6% des personnes résidant en Suisse à titre permanent n'avaient pas la nationalité suisse. La tendance à une profonde mutation des motifs d'immigration constatée depuis le début des années 90 se confirme: à peine un tiers des immigrants de longue durée sont arrivés en Suisse dans le cadre des contingents de travailleurs étrangers. Dans 40,3% des cas, l'entrée en Suisse était due à des raisons familiales (regroupement familial, mariage avec un citoyen suisse). À la fin de 2004, 79 374 personnes vivaient en Suisse au bénéfice d'un titre de séjour relevant du domaine de l'asile. Le rapport précise que 30,6% d'entre elles avaient le statut de réfugié, 29,5% avaient été admises à titre provisoire et 17,9% faisaient l'objet d'une procédure d'exécution après avoir obtenu une décision définitive. Pour le reste, 6251 requêtes étaient en suspens en première instance et 11 214 demandes tranchées en première instance n'étaient pas encore entrées en force. Le rapport indique en outre qu'en 2004, quelque 90 000 personnes vivraient en Suisse sans autorisation. La plupart de ces sans-papiers exercent une activité lucrative et travaillent souvent dans des conditions précaires en étant mal payés et en ayant des horaires de travail très longs. Lorsqu'elles sont confrontées aux cas de personnes qui ne sont pas autorisées à séjourner en Suisse, les autorités se fondent sur la réglementation applicable aux cas de rigueur extrême. Cette réglementation donne aux personnes sans titre de séjour valable la possibilité de présenter une demande de dérogation à la règle des nombres maximums si elles se trouvent dans une situation d'extrême gravité. En cas d'acceptation de la demande, la présence du sans-papiers peut être légalisée par l'octroi d'un permis de séjour. Les critères déterminants pour l'évaluation d'un cas de rigueur sont la durée de son séjour; la situation scolaire des enfants; le comportement irréprochable et la bonne réputation du requérant; son intégration sociale; son état de santé; son intégration sur le marché du travail; et la présence de membres de sa famille en Suisse ou à l'étranger. De septembre 2001 à mai 2006, les autorités ont légalisé la situation d'environ 1900 personnes; 1168 ont fait l'objet de décisions négatives et 218 de décisions de «non-entrée en matière».
Le nombre de musulmans en Suisse a plus que doublé en dix ans, puisqu'il est passé de 152 200 à 310 800 personnes (4,3% de la population résidente), poursuit le rapport. La rapidité de cette progression s'explique avant tout par les flux migratoires en provenance du Kosovo, de Bosnie-Herzégovine, de l'ex-République yougoslave de Macédoine et de Turquie). La multiplication généralisée des actes d'intolérance à l'égard de membres de communautés musulmanes de Suisse a été frappante durant la période sous rapport. En outre, au début de l'année 2005, les actes à caractère antisémite se sont multipliés dans différentes régions de Suisse. Le rapport indique par ailleurs qu'en 2001, la fondation «Assurer l'avenir des gens du voyage suisses» estime le nombre de personnes appartenant à ce groupe de population en Suisse à environ 35 000, dont 3000 à peu près auraient conservé leur mode de vie nomade.
Les efforts de lutte contre le racisme ont continué d'être intensifiés durant la période sous rapport. Outre le travail courageux et infatigable de divers organismes, étatiques ou non, une grande partie du mérite en revient aux deux institutions que la Confédération a créées à cet effet: le Service de lutte contre le racisme (SLR), faisant partie de l'administration fédérale, et la Commission fédérale contre le racisme (CFR), qui est un organisme indépendant. Depuis qu'il a précisé sa jurisprudence, le Tribunal fédéral considère que des propos racistes ont été tenus en public au sens de l'article 261 bis du Code pénal et sont donc pénalement répréhensibles dès le moment où ils ne sont pas destinés uniquement à un cercle privé très restreint.
Questions et observations des membres du Comité
M. PIERRE-RICHARD PROSPER, rapporteur du Comité pour l'examen du rapport de la Suisse, a déclaré qu'il trouvait le système de gouvernement suisse compliqué, mais en même temps simple et direct. Il a relevé que le fait saillant de ce système est la reconnaissance de la souveraineté des cantons. Ce type de régime débouche sur un certain nombre d'incohérences, a affirmé M. Prosper. Il a indiqué souhaiter mieux comprendre la nature des pouvoirs des différents tribunaux pour faire respecter certaines dispositions qui intéressent particulièrement le Comité. M. Prosper a par ailleurs souhaité en savoir davantage sur la base juridique autorisée pour limiter certains droits fondamentaux. Qu'en est-il de la notion d'intérêt public dans ce contexte? Que se passe-t-il si un canton décide de ne pas appliquer des dispositions de la Convention? Relevant par ailleurs que la Cour suprême ne peut pas revenir sur un référendum populaire, M. Prosper a souhaité savoir ce qu'il advient si un référendum est contraire au droit international.
M. Prosper s'est enquis des recours dont disposent les pouvoirs publics pour lutter contre la discrimination, non seulement au pénal mais aussi au public.
Le rapporteur s'est par ailleurs réjoui que la Suisse ait reconnu la compétence du Comité pour recevoir des plaintes individuelles.
De quelle marge de manœuvre parle la Suisse lorsqu'elle invoque son souhait de se réserver une marge de manœuvre comme justification du maintien de la réserve qu'elle a émise à l'égard de l'article 2 de la Convention (sur l'accès au marché du travail), a par ailleurs demandé M. Prosper?
M. Prosper a réitéré la demande du Comité visant à ce que la Suisse fournisse des données concernant les plaintes déposées et les poursuites engagées pour violences policières. Qu'est-il arrivé aux policiers impliqués dans la mort des deux personnes décédées par asphyxie au cours de l'opération de rapatriement auxquelles la délégation a fait référence dans sa présentation, a demandé l'expert; des poursuites judiciaires ont-elles été engagées?
Le pouvoir fédéral fournit-il des directives en matière de naturalisation que devraient suivre les cantons, a en outre demandé M. Prosper? Est-il possible qu'un canton refuse une demande là où un autre canton l'accepterait? Est-il exact de dire que la loi sur l'asile en vigueur en Suisse est l'une des plus dures d'Europe?
M. Prosper a indiqué avoir le sentiment que «les cantons mènent le pays par le bout du nez», ce qui peut rendre le Gouvernement vulnérable au regard de la mise en œuvre de la Convention, des pratiques de discrimination étant possibles. Il a demandé à la Suisse de faire preuve de volonté politique et d'exercer au mieux ses fonctions de «navire amiral» vis-à-vis des cantons, a déclaré l'expert.
Un autre membre du Comité a demandé de plus amples informations sur la manière dont sont considérés en Suisse les gens du voyage: sont-ils considérés comme un groupe socioculturel ou comme un groupe ethnique? Les Yéniches sont-ils différents des Roms et des Sintis? Quelles sont les raisons pour lesquelles les Yéniches semblent ne pas souhaiter que leur langue soit parlée par d'autres qu'eux, a en outre demandé l'expert? Selon le rapport, 0,9% seulement de la population suisse parle le romanche, a par ailleurs relevé l'expert, qui s'est enquis des efforts déployés par la Suisse pour préserver et promouvoir cette langue très ancienne.
Un expert s'est réjoui de l'engagement volontaire pris par la Suisse au Conseil des droits de l'homme indiquant qu'elle était disposée à mettre sur pied une institution nationale des droits de l'homme. Il a rappelé que le Conseil des droits de l'homme a relevé l'insuffisance des mécanismes visant à combattre la discrimination raciale en Suisse. Il a par ailleurs relevé une certaine concordance entre le Conseil des droits de l'homme et les organisations non gouvernementales s'agissant de brutalités policières, le premier ayant demandé à la Suisse de prendre les dispositions nécessaires pour prévenir les actes de violence à relents racistes de la part des forces de sécurité et les secondes parlant, elles, de recrudescence des actes de violence policière. Aussi ne peut-on qu'encourager le Gouvernement à aller de l'avant dans la mise en œuvre de la recommandation du Conseil s'agissant de cette question – recommandation que la Suisse a indiqué avoir acceptée, a insisté ce membre du Comité.
Au sujet des organisations racistes, l'expert a relevé que la Suisse affirme qu'elle n'a pas pour habitude de déclarer des organisations pénalement responsables. S'il est vrai que la grande majorité des pays n'a pas pour pratique de reconnaître la responsabilité pénale des personnes morales, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme permet en revanche certaines limitations à la liberté d'association, a-t-il fait observer. Il a en outre relevé l'existence de lacunes, dans la législation civile, pour combattre la discrimination, notamment dans le domaine du travail; or précisément, le Comité a pu observer que la majeure partie des cas qui soulèvent des questions de discrimination ne relève pas de la législation pénale. L'expert a donc soulevé la question de l'opportunité d'une loi globale d'interdiction de la discrimination.
Un autre membre du Comité a souhaité savoir si la sédentarisation observée des gens du voyage en Suisse résulte d'une politique délibérée de sédentarisation de ces personnes ou de leur adaptation à la culture dans laquelle elles vivent. Relevant que la Suisse n'a toujours pas ratifié la Convention n°169 de l'Organisation internationale du travail sur les peuples indigènes et tribaux, l'expert a fait observer que certains pays européens, comme la Norvège, le Danemark ou les Pays-Bas, l'ont ratifiée, soit parce qu'ils ont eux-mêmes des populations autochtones sur leur territoire, soit par solidarité.
Un autre expert a affirmé avoir eu une impression partagée à la lecture du rapport de la Suisse qui est d'une grande qualité tout en donnant l'impression d'une évolution de plus en plus restrictive de la politique de la Suisse à l'égard des résidents des pays tiers, des immigrés et des requérants d'asile. Lors de l'Examen périodique universel de la Suisse, les tendances xénophobes et racistes qui se sont manifestées à l'égard des migrants et des requérants d'asile ont été relevées, notamment dans le cadre des campagnes d'affichage ayant accompagné les votations sur l'immigration. Aussi l'expert s'est-il enquis des perspectives d'avenir s'agissant de ces questions.
Un autre membre du Comité a fait état de cas de suicides parmi les demandeurs d'asile et a souhaité obtenir des informations sur les causes et conséquences de ces cas.
Un expert s'est aussi inquiété des informations faisant état d'un climat hostile à l'égard, notamment, des Noirs, des musulmans et des personnes originaires d'Europe de l'Est. Par ailleurs, a-t-il estimé, le refus du Conseil fédéral – au nom certes de la liberté d'expression – de pénaliser les organisations racistes mériterait d'être réexaminé au vu de la résurgence de groupes néo-nazis dans le contexte de xénophobie qui caractérise, malheureusement, de nombreuses régions d'Europe.
Un membre du Comité a souhaité connaître le suivi qui a été donné par la Suisse aux recommandations issues de la mission qu'a effectuée dans le pays le Rapporteur spécial sur le racisme, M. Doudou Diène.
Un expert a relevé que dans son rapport, à chaque fois que quelque chose de contraire à la Convention est décelé – et donc reconnu – la Suisse cherche à le justifier en affirmant que cela a été approuvé par le peuple.
Il faut que la Suisse consente davantage d'efforts, notamment d'éducation, pour éradiquer partout toutes les formes de racisme et de xénophobie, a déclaré un expert. Comment peut-on expliquer la permanence d'organisations et de groupes néo-nazis en Suisse, comme d'ailleurs dans nombre de pays européens, a demandé l'expert?
Un autre membre du Comité a relevé que la Suisse n'a pas ratifié la Convention sur l'élimination et la répression du crime d'apartheid, pas plus qu'elle n'a ratifié la Convention contre l'apartheid dans les sports.
D'après la Commission fédérale de lutte contre le racisme, a relevé un autre expert, pendant les élections parlementaires de l'an dernier, un racisme s'est expressément manifesté à l'encontre des musulmans de la part d'un parti politique. Il a ajouté que des journaux ont à cette occasion publié des propos racistes et xénophobes.
Plusieurs experts ont dénoncé l'attitude des autorités suisses à l'encontre de certains membres du Comité au moment de leur entrée sur le territoire suisse. L'un d'eux, d'origine africaine, a souligné que sur une centaine de passagers de l'avion qui l'emmenait en Suisse, seuls lui et une autre personne d'origine africaine se sont vu demander le passeport à l'arrivée en suisse. Un autre expert a prié la délégation d'intercéder, auprès des autorités compétentes, en faveur des membres du Comité afin qu'elles facilitent, notamment, l'obtention des visas – diplomatiques – de manière à mettre un terme au véritable parcours du combattant que doivent suivre les experts. Un autre expert encore a indiqué avoir déjà été l'objet de discrimination en Suisse.
Renseignements complémentaires fournis par la délégation suisse
Au nombre des progrès enregistrés par la Suisse depuis la présentation du précédent rapport présenté par le pays en 2002, la délégation a particulièrement mis l'accent sur la reconnaissance de la compétence du Comité pour examiner des plaintes individuelles en vertu de l'article 14 de la Convention et sur l'augmentation des procédures relevant du droit pénal, liée à la norme pénale contre le racisme. Elle a également insisté sur le plan d'action concernant la politique d'intégration et le fait que tous les cantons ont mis en place des bureaux chargés de répondre aux questions ayant trait à l'intégration. La délégation a également rappelé toutes les activités de sensibilisation menées par la Commission fédérale contre le racisme et par le Service de lutte contre le racisme.
S'agissant de la question de savoir si le fédéralisme constitue un obstacle pour l'application complète de la Convention, la délégation s'est dite frappée de constater à quel point la plupart des membres du Comité ont remis en question une institution centrale du système institutionnel suisse, à savoir le fédéralisme, perçu par les experts comme un obstacle à la mise en œuvre de la Convention. La délégation a rappelé qu'en vertu du principe de subsidiarité, les cantons assument toutes les tâches et tous les droits sauf celles et ceux attribués à la Confédération. La coopération entre la Confédération et les cantons et entre les cantons se déroule sur une base volontaire; en cas de collision entre deux normes juridiques, c'est toujours le droit fédéral qui prime, a précisé la délégation.
Le fédéralisme a d'indéniables avantages qui n'ont peut-être pas été suffisamment mis en évidence, a poursuivi la délégation. Ce système permet notamment d'amener des changements et des progrès en respectant les minorités linguistiques et culturelles. Ainsi, peut-il être tenu compte des spécificités d'une population et de ses besoins. Il est ainsi permis aux uns de faire des expériences et à d'autres d'observer les nouveautés avant de s'y rallier. Souvent, a souligné la délégation, ce sont les cantons qui sont les précurseurs des idées nouvelles et de leur mise en application pragmatique et rapide.
Conformément à la tradition moniste de la Suisse, a rappelé la délégation, la Convention, comme tous les accords internationaux, est devenue partie intégrante de l'ordre juridique suisse dès son entrée en vigueur et l'ensemble des autorités législatives, exécutives et judiciaires de la Confédération, des cantons et des communes, doivent dès lors s'y conformer.
La Suisse ne dispose pas d'une cour constitutionnelle, a précisé la délégation. Néanmoins, quand les garanties de la Convention européenne des droits de l'homme sont en jeu, le Tribunal fédéral exerce tout de même un contrôle constitutionnel des lois fédérales. Le contrôle de tous les autres actes normatifs incombe à l'ensemble des tribunaux ordinaires, voire aux organes d'application, qu'ils soient cantonaux ou fédéraux.
Pour ce qui est des moyens dont dispose la Confédération de sanctionner le non-respect d'une obligation internationale par les cantons, la délégation a indiqué que l'un des principaux instruments de la surveillance fédérale, à titre préventif, est l'approbation d'actes normatifs cantonaux par la Confédération. L'obligation existe pour les constitutions cantonales qui doivent obtenir la garantie du Parlement fédéral, en principe également pour les traités conclus entre un canton et un État étranger et pour certaines lois ou ordonnances cantonales. Lorsque la Confédération constate qu'un acte – ou une omission – cantonal(e) contrevient au droit fédéral ou international, elle s'efforcera dans un premier temps d'obtenir le résultat souhaité par des voies «amiables», par voie d'invitation, d'information ou d'avertissement informels. En cas d'échec, elle peut recourir à des moyens de surveillance proprement dits, tels que les instructions générales par circulaires internes, l'obligation de fournir un rapport périodique sur les activités dans un domaine donné, ou la possibilité de recourir, par voie d'action directe devant le Tribunal fédéral, contre un acte cantonal. En plus des moyens de surveillance, on citera l'exécution fédérale comme sanction qui menace un canton qui refuse de se conformer aux moyens de surveillance; cette mesure est extrêmement rare, a ajouté la délégation. Parmi les moyens d'exécution, on citera les pressions financières, en refusant au canton récalcitrant de lui allouer des remboursements ou des parts cantonales, a-t-elle précisé. Autre moyen, a-t-elle poursuivi: l'exécution par substitution, c'est-à-dire que c'est alors l'autorité fédérale elle-même qui exécute une tâche que le canton refuse d'accomplir.
S'agissant du nombre restreint de constitutions cantonales qui connaissent l'interdiction de la discrimination, la délégation a rappelé que chaque canton est doté de sa propre constitution qui contient un catalogue des droits et libertés fondamentaux. Le Tribunal fédéral ne leur accorde une portée autonome que dans le cas, au demeurant fort rare, où cette protection va au-delà de ce qu'offre le droit constitutionnel fédéral, a expliqué la délégation. En tout état de cause, les droits fondamentaux tels qu'ils figurent dans la Constitution fédérale sont applicables au niveau des cantons.
En réponse aux préoccupations exprimées s'agissant de la persistance d'attitudes hostiles envers les personnes de couleur et de religion musulmane, ainsi qu'envers les demandeurs d'asile, la délégation a reconnu que la société suisse a dû apprendre, à travers sa propre expérience douloureuse, à faire face à des conflits potentiellement perturbateurs et à trouver et maintenir un équilibre – souvent précaire. Il faut reconnaître que la xénophobie fait aussi partie de ce processus, a souligné la délégation. La société et les autorités suisses ne ménagent aucun effort pour surmonter des phénomènes xénophobes sans cesse renouvelés, a-t-elle assuré. Le fait que la Suisse soit une société d'immigration n'a été largement accepté que ces dernières années, a-t-elle fait observer. De la fin du XIXe siècle jusqu'aux années 1970, a-t-elle rappelé, les Italiens étaient la cible privilégiée des mouvements xénophobes; aujourd'hui, les Italiens sont les étrangers les plus appréciés en Suisse. Le rôle de victimes de la xénophobie a été assumé par les Tamouls dans les années 1980, par les personnes originaires de l'ex-Yougoslavie dans les années 1990 puis par les Noirs et les musulmans, dernièrement.
En tant que société laïque, la Suisse ne considère pas la religion comme un attribut susceptible, à lui seul, de catégoriser les individus, a poursuivi la délégation. Seuls les fondamentalistes de tous bords, politiques ou religieux, tirent profit de la réduction d'une personne à sa seule appartenance religieuse, a-t-elle déclaré. En Suisse, a précisé la délégation, quelque 350 000 à 400 000 personnes se déclarent musulmanes et seules 15 à 20% d'entre elles pratiquent leur religion. C'est pourquoi les activités d'intégration doivent se concentrer davantage sur les aspects sociaux et culturels et moins sur l'aspect religieux.
S'agissant des questions en rapport avec l'extrémisme de droite, la délégation a indiqué que le nombre d'incidents liés à l'extrême droite est resté stable. En Suisse, où on recense actuellement une trentaine de groupements skinheads actifs, la violence prend des formes de plus en plus graves dans les rangs de Blood and Honour, a poursuivi la délégation; pendant les derniers mois de l'année 2007, les membres du mouvement se sont régulièrement fait remarquer par des rixes menant à des lésions corporelles et les tendances violentes au sein du mouvement proviennent surtout de ses membres les plus jeunes. L'évolution de l'extrême droite en Suisse ne diverge pas significativement de celle observée dans d'autres pays d'Europe du Nord et d'Europe occidentale. À l'échelle européenne, les groupes d'extrême droite sont généralement petits, dispersés et peu homogènes sur le plan idéologique, bien qu'ils soient tous extrémistes de droite. En Suisse, les affrontements idéologiques avec leurs ennemis idéologiques d'extrême gauche constituent un élément majeur des activités d'extrême droite; ces incidents sont porteurs d'un potentiel de violence très élevé. En outre, les chiffres montrent qu'en 2007, les extrémistes de droite se sont montrés plus agressifs face aux forces de sécurité, a indiqué la délégation. L'organisation secrète d'événements, en particulier de concerts, est une activité caractéristique de ces groupes, a-t-elle poursuivi. En 2007, a-t-elle précisé, la Police fédérale a prononcé comme mesure à court terme 40 interdictions d'entrée contre des militants étrangers d'extrême droite, parmi lesquels se trouvaient aussi des membres de groupes de musique skinheads.
En ce qui concerne l'article du Code pénal, qui réprime la discrimination raciale (art. 261 bis), la délégation suisse a souligné que la jurisprudence a apporté, au cours des années, plusieurs précisions importantes à l'interprétation de ce texte. Cette jurisprudence témoigne du souci de trouver l'équilibre entre, d'une part, le respect des biens juridiques protégés par la norme pénale et, d'autre part, la liberté d'expression. L'idée d'élargir la portée de l'article par une disposition punissant les organisations racistes n'a pas été poursuivie, a en outre rappelé la délégation. En effet, le Conseil fédéral a estimé que la responsabilité pénale est, par principe, une responsabilité individuelle. Une autre initiative est en revanche, de nouveau, à l'ordre du jour, a précisé la délégation: suite à une motion de la Commission des affaires juridiques, l'actuelle Ministre de la justice a décidé d'entamer des travaux visant à introduire dans le Code pénal une interdiction des symboles racistes.
Le Comité ayant mentionné la responsabilité du Gouvernement dans le contexte des affiches représentant des moutons noirs que l'Union démocratique du centre (UDC) a publiées dans le cadre de l'initiative populaire «Pour des naturalisations démocratiques», la délégation a fait observer que toutes les sociétés modernes doivent aujourd'hui faire face à une accélération de la diversité dans tous les domaines. En Suisse, comme partout ailleurs en Europe, les dynamiques liées à la mondialisation peuvent conduire à un climat de tension identitaire, susceptible d'être exploité politiquement. Ces confrontations sont cependant le signe d'une démocratie vivante à laquelle participent tous les groupes de la population, a souligné la délégation. En ce qui concerne la campagne de l'UDC susmentionnée, il est vrai que ces affiches ont été placardées dans toutes les régions de la Suisse. Les actes à caractère potentiellement raciste commis dans l'espace public étant poursuivis d'office, il appartient, le cas échéant, aux tribunaux de juger si ces affiches sont condamnables. À ce jour, a indiqué la délégation, les tribunaux ont privilégié la confrontation politique ouverte plutôt qu'une application rigoureuse de l'interdiction. «Les arrêts rendus correspondent à l'opinion du Conseil fédéral selon laquelle la confrontation politique a plus d'impact, à long terme, qu'une condamnation par le juge», a expliqué la délégation.
En ce qui concerne les gens du voyage, la délégation a indiqué qu'en dehors de quelques familles manouches (Sintis), tous les gens du voyage suisses sont des Yéniches. Les Yéniches sont un groupe autochtone connu comme tel depuis les XVIIIe et XIXe siècles; leurs ancêtres vivaient dans la zone alpine, de l'Autriche actuelle à l'Italie en passant par la Suisse et le sud de l'Allemagne. Aujourd'hui, ce n'est qu'en Suisse que les Yéniches sont reconnus comme une minorité, a indiqué la délégation. L'urbanisation et l'industrialisation les ont de plus en plus poussés en marge de la société, a-t-elle ajouté, attirant l'attention sur le fait que ce groupe a été forcé à se sédentariser. Le nombre de 30 000 à 35 000 gens du voyage que mentionne le rapport renvoie à toutes les personnes qui se considèrent comme d'origine yéniche, a précisé la délégation. Entre 2500 et 3000 personnes – Yéniches et Manouches confondus – sont toujours partiellement itinérante, tout au moins durant les mois d'été, a ajouté la délégation. Elle a rappelé que la Suisse a reconnu la langue yéniche comme étant une langue de minorité. Il y a aussi des Roms qui vivent en Suisse, a ajouté la délégation, précisant que les premiers d'entre eux étaient des travailleurs saisonniers originaires de l'ex-Yougoslavie et que tous avaient un mode de vie sédentaire, la plupart ne s'étant pas déclarés comme Roms par crainte de conséquences négatives.
En Suisse, les officiers de police doivent agir dans le respect du droit, c'est-à-dire qu'ils doivent respecter les droits de l'homme, a assuré la délégation. À Genève, suite à quelques interpellations fortement médiatisées, dans le cadre desquelles des allégations de violences policières avaient été faites par les personnes concernées, le pouvoir politique cantonal a décidé de mettre sur pied une institution de contrôle de type inédit en Suisse, a rappelé la délégation.
La structure de contrôle que constitue le Commissariat à la déontologie examine les dénonciations, rapports et constats en matière d'usage de la force par la police et le personnel pénitentiaire et donne, s'il le juge utile, son avis au Chef du département auquel la police cantonale est rattachée. Le Commissariat à la déontologie peut procéder à des investigations et le secret de la fonction ne lui est pas opposable. En 2007, a précisé la délégation, le Commissariat à la déontologie a examiné quelque 1051 rapports de police faisant mention d'actes de contrainte et 104 rapports d'intervention émanant de l'Office pénitentiaire cantonal lui ont également été transmis. Sur la base de ses recommandations, le Chef du département et le Chef de la police peuvent ordonner l'ouverture d'une enquête interne qui peut aboutir à des sanctions allant de l'avertissement jusqu'à la révocation du ou des policiers impliqués. Depuis peu, a ajouté la délégation, la police cantonale a également nommé, dans ses rangs, un médiateur chargé de traiter les plaintes et autres récriminations faites par des personnes heurtées par une intervention de police, indépendamment de toute procédure.
En ce qui concerne la politique d'immigration et d'intégration, la délégation a relevé que la dernière révision de la loi sur l'asile, mais aussi de la nouvelle loi sur les étrangers, sont souvent perçues sous l'aspect d'un durcissement. Par contre, les améliorations et les avantages dont les personnes concernées peuvent bénéficier après ces révisions risquent d'être oubliés. Ainsi, la situation des personnes au bénéfice d'une admission provisoire en raison de la mauvaise situation dans le pays d'origine s'est-elle nettement améliorée, car il y a un meilleur accès au travail en Suisse et le regroupement familial est désormais possible après trois ans, a fait valoir la délégation.
Selon la pratique suisse permanente en matière d'asile, les femmes et les filles qui ont une crainte fondée d'être victimes d'une mutilation génitale féminine peuvent être reconnues comme réfugiées, a par ailleurs souligné la délégation.
S'agissant des procédures de naturalisation, la délégation a indiqué que la loi sur la nationalité détermine les conditions d'aptitude d'un requérant à la naturalisation; on examine en particulier si le requérant s'est intégré dans la communauté suisse, s'il se conforme à l'ordre juridique suisse et s'il ne compromet pas la sûreté intérieure et extérieure de la Suisse. En outre, il convient de préciser que ce ne sont que des personnes qui ont habité depuis 12 ans en Suisse (le temps passé en Suisse entre 10 et 20 ans révolus compte double) qui peuvent déposer une demande de naturalisation ordinaire, a ajouté la délégation. Ces critères sont des conditions minimales édictées par la Confédération, a-t-elle précisé. Étant donné que la procédure de naturalisation en Suisse se déroule sur trois échelons (commune, canton, Confédération), les cantons et les communes peuvent fixer leurs propres conditions de naturalisation en fonction des conditions minimales prévues par la loi fédérale. Afin de garantir une égalité de traitement dans l'appréciation des conditions d'aptitude et afin d'éviter des décisions arbitraires ou même discriminatoires à l'échelon cantonal et communal, la Confédération examine en ce moment la possibilité d'instaurer des normes d'intégration dans la procédure de naturalisation, normes valables dans tous les cantons et communes.
Pour ce qui est des décisions de l'Office fédéral des migrations d'octroi de l'autorisation fédérale de naturalisation, le refus d'octroyer une telle autorisation peut être attaqué par la personne concernée devant le Tribunal administratif fédéral, a indiqué la délégation. En droit actuel, plusieurs cantons ne connaissent pas de voies de recours contre les décisions communales ou cantonales négatives en matière de naturalisation ordinaire, a-t-elle ajouté. Pour y remédier, a souligné la délégation, la nouvelle disposition de la loi sur la nationalité qui entrera en vigueur en 2009 obligera les cantons à instituer une autorité judiciaire en qualité d'autorité cantonale de dernière instance. Ainsi, le rejet d'une demande de naturalisation ordinaire par une autorité cantonale ou communale pourra-t-il être attaqué en dernière instance devant le Tribunal fédéral dans le cadre du recours constitutionnel subsidiaire qui examinera si les droits constitutionnels ont été violés.
Observations des experts
Un expert a souligné ne pas considérer le fédéralisme comme un obstacle à la mise en œuvre de la Convention; mais le système fédéral, quel qu'il soit, doit permettre la mise en œuvre de la Convention et le Comité tiendra toujours l'État fédéral pour responsable de cette mise en œuvre, quelles que soient les modalités de partage des compétences entre le pouvoir fédéral et les pouvoirs locaux, a souligné l'expert. Il a d'autre part rappelé que les membres du Comité n'ont pas reçu de la part de la Suisse d'informations concernant les éventuelles mesures spéciales adoptées par le pays en faveur de groupes défavorisés.
Un expert a souligné que beaucoup de questions resteraient à évoquer s'agissant de la défense des identités, de l'intégration ou encore de la montée des populismes. Il a également soulevé la question des difficultés à établir les preuves en matière de discrimination raciale et s'est enquis de la possibilité d'inversion de la charge de la preuve en matière civile. Il a aussi souhaité savoir si les pratiques de testing existent en Suisse.
Présentant des observations préliminaires à l'issue du dialogue avec la délégation suisse, le rapporteur du Comité pour l'examen du rapport de la Suisse, M. PIERRE-RICHARD PROSPER, a remercié la délégation pour sa présentation du rapport et pour les réponses fort complètes qu'elle a fournies aux questions soulevées par les experts. Il est évident que la Suisse prend très au sérieux les motifs de préoccupations du Comité, a-t-il déclaré. Il ressort des discussions que la Suisse est une société en évolution. Des ajustements sont nécessaires et il n'est pas toujours aisé de les mener, a souligné M. Prosper. Il a relevé un certain nombre de progrès réalisés par le pays, s'agissant notamment de la reconnaissance de la compétence du Comité pour examiner des plaintes en vertu de l'article 14 de la Convention ou encore de l'intégration des étrangers.
Le Comité n'est pas en mesure de donner des solutions spécifiques; mais il peut faire des recommandations et fournir des conseils, a souligné M. Prosper. Il est clair que la Suisse dispose d'outils et de mécanismes à sa disposition pour mettre en œuvre la Convention. À ce stade, le Comité cherche à faire en sorte que le Gouvernement central joue un rôle phare en donnant le ton et en se situant à l'avant-garde pour faire évoluer l'opinion de ses citoyens, a déclaré M. Prosper.
Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas un document officiel
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