Le Comité des disparitions forcées dialogue avec le Pérou au sujet de la « Loi n° 32107 d’intégration dans la législation péruvienne des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre »

Le Comité des disparitions forcées a examiné, cet après-midi, des renseignements complémentaires soumis par le Pérou en application de l’article 29(4) de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, qui prévoit que « le Comité peut aussi demander aux États parties des renseignements complémentaires sur la mise en application de la présente Convention ».
En octobre 2024, le Comité a ainsi prié le Pérou d’expliquer pour quelles raisons l’État partie avait adopté, le 6 juin 2024, la Loi n° 32107 portant sur l’intégration dans la législation péruvienne des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre ainsi que sur la répression de ces crimes.
Pendant le dialogue avec une délégation conduite, à Lima, par M. Luis Fernando Domínguez Vera, Directeur général des droits de l’homme au Ministère de la justice du Pérou, un expert du Comité a mis en garde contre le risque d’impunité que l’application de cette loi pourrait entraîner, car elle stipule en effet que « nul ne peut être poursuivi, condamné ou puni pour crime contre l’humanité ou crime de guerre pour des actes commis avant le 1er juillet 2002 ».
L’expert a relevé qu’en juin 2024, le ministère public péruvien avait averti que si la Loi n° 32107 était appliquée, « l'une des conséquences juridiques serait qu'un nombre important d'enquêtes et de procédures judiciaires devraient être classées ou abandonnées, avec une prescription de l'action pénale dans environ 600 cas, dont des cas emblématiques, qui concerneraient au total 550 victimes », parmi lesquelles des victimes de disparitions forcées.
Après des remarques liminaires de M. Luis Juan Chuquihuara Chil, Représentant permanent du Pérou auprès des Nations Unies à Genève, M. Domínguez Vera a notamment affirmé que la Loi n° 32107 était compatible avec les droits et obligations énoncés dans la Convention, dans la mesure où elle n’a aucune incidence sur le déroulement des enquêtes, sur la recherche des personnes disparues ni sur l’application du plan national de recherche de ces personnes, qui sont tous régis par des procédures administratives.
De plus, l’État péruvien dispose de mécanismes internes pour régler d’éventuels différends issus de l’application de la Loi n° 32107, en particulier le contrôle de constitutionnalité, a souligné le Directeur général. La Loi n° 32107 n’aura pas de répercussions sur les réparations accordées aux victimes de disparition forcée, a-t-il aussi assuré.
La délégation était composée de collaborateurs de M. Domínguez Vera ainsi que de représentants de la Mission permanente péruvienne auprès des Nations Unies à Genève.
Le Comité examinera les informations données par le Pérou pendant ce dialogue et fera part de ses observations finales, qui seront transmises à l’État partie avant la fin de la session, puis rendues publiques.
Lundi 24 mars à 10 heures, la Belgique présentera un rapport contenant des renseignements complémentaires sur l’application de la Convention demandés par le Comité.
Réponses du Pérou à la demande de renseignements complémentaires du Comité
En octobre 2024, par une demande spéciale de renseignements complémentaires conformément à l’article 29(4) de la Convention, le Comité a prié le Pérou d’expliquer pour quelles raisons l’État partie a adopté, le 6 juin 2024, le projet de loi n° 6951/2023 CR portant sur l’intégration dans la législation péruvienne des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre ainsi que la répression de ces crimes.
Remarques liminaires
Dans ses remarques liminaires, M. LUIS JUAN CHUQUIHUARA CHIL, Représentant permanent du Pérou auprès des Nations Unies à Genève, a déclaré que son pays participait au dialogue avec le Comité pour réaffirmer son engagement ferme en faveur de la promotion et de la protection des droits de l'homme, du respect des engagements pris dans le cadre de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, ainsi que des principes qui sous-tendent la démocratie et l'État de droit.
Présentation
Par vidéoconférence, M. LUIS FERNANDO DOMINGUEZ VERA, Directeur général de la division des droits de l’homme au Ministère de la justice du Pérou, a d’abord déclaré que le Pérou était un État démocratique, social, indépendant et souverain, organisé selon le principe de la séparation des pouvoirs, l'une de ses principales obligations étant de garantir le plein respect des droits de l'homme.
Le législateur péruvien, a poursuivi le Directeur général, a jugé opportun, en août 2024, d’adopter la Loi n° 32107 (ancien projet de loi n° 6951/2023 CR), intitulée « Loi précisant l'application et la portée du crime contre l'humanité et des crimes de guerre dans la législation péruvienne ». Le Parlement, ce faisant, a tenu compte du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, entré en vigueur au Pérou en 2002, ainsi que de la Convention sur l'imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité. Il a également respecté les principes d’interdiction de la rétroactivité et de séparation des pouvoirs, selon lequel il revient aux tribunaux de trancher les différends juridiques.
L’État péruvien dispose de mécanismes internes pour régler d’éventuels différends issus de l’application de la Loi n° 32107, a poursuivi le Directeur général, notamment le contrôle de constitutionnalité. À cet égard, a-t-il précisé, le Tribunal constitutionnel est actuellement saisi de deux requêtes, dont l’une émanant du parquet général péruvien. Le Directeur général a par ailleurs affirmé que le Comité n’avait pas compétence pour évaluer le caractère constitutionnel ou non d’une loi, cette démarche relevant des procédures nationales, a-t-il souligné.
La Loi n° 32107 est compatible avec les droits et obligations énoncés dans la Convention dans la mesure où les auteurs de crimes internationaux ou de disparition forcée ne peuvent bénéficier de mesures de grâce. De plus, la Loi n’a aucune incidence sur le déroulement des enquêtes, sur la recherche des personnes disparues, ni sur l’application du plan national de recherche de ces personnes, qui sont tous régis par des procédures administratives, a-t-il précisé.
La Loi sur les recherches de personnes disparues pendant la période de violence (1980-2000) accorde la priorité à la dimension humanitaire afin d’apporter des réponses aux proches des victimes. À cet égard, le Ministère de la justice a créé un service de soutien aux familles pour les aider à localiser les personnes disparues et identifier les auteurs de ces disparitions, a précisé le Directeur général.
Questions et observations des membres du Comité
M. JUAN PABLO ALBAN ALENCASTRO, rapporteur du Comité pour le Pérou, a relevé que, le 13 juin 2024, le Conseil des procureurs généraux du ministère public péruvien avait averti que « si [la loi n° 32107] était appliquée, l'une des conséquences juridiques serait qu'un nombre important d'enquêtes et de procédures judiciaires devraient être classées ou abandonnées, avec une prescription de l'action pénale dans environ 600 cas, dont des cas emblématiques, qui concerneraient au total 550 victimes », parmi lesquelles des victimes de disparitions forcées.
L’expert a mis en garde contre le risque d’impunité ainsi que contre les entraves aux recherches et enquêtes sur les personnes disparues que l’application de cette loi pourrait entraîner. Il a également souligné les préoccupations liées à un projet de modification de la directive relative à la recherche des personnes disparues pendant la période de violence 1980-2000, qui, selon les informations disponibles, fixerait à neuf mois le délai maximal pour mener à bien la recherche et l'enquête humanitaire sur les personnes disparues.
L’expert a demandé quelle était l’origine de cette loi et quelles observations son élaboration avait suscitées de la part des milieux universitaires et de la société civile. Il a enfin rappelé que les États ne peuvent invoquer leur droit interne pour se soustraire aux obligations découlant des instruments internationaux qu’ils ont ratifiés.
M. HORACIO RAVENNA, rapporteur du Comité pour le Pérou, a prié la délégation de communiquer le nombre de suspects faisant l'objet d'une enquête, de personnes inculpées et de personnes condamnées ayant bénéficié des articles 4 et 5 de la loi n° 32107. Il a également demandé quelles mesures avaient été adoptées pour protéger les juges opposés à cette loi contre d'éventuelles représailles. Selon les informations reçues, au moins trois juges auraient déjà été confrontés à de telles situations.
La loi stipule que « nul ne peut être poursuivi, condamné ou puni pour crime contre l’humanité ou crime de guerre pour des actes commis avant le 1er juillet 2002 » [date d’entrée en vigueur du Statut de Rome de la Cour pénale internationale], a-t-il été souligné. M. Ravenna s’est interrogé sur les effets de cette loi sur le droit à la vérité et sur l'accès à la justice, au niveau national, pour les victimes de disparition forcée avant le 1er juillet 2002. Il a également questionné les mécanismes de réparation prévus pour ces victimes, notamment en ce qui concerne la restauration de leur dignité et de leur réputation, ainsi que les garanties de non-répétition.
Enfin, M. Ravenna a relayé des préoccupations exprimées au Pérou quant aux effets potentiels de la loi sur l’entretien de la mémoire des victimes, citant notamment une proposition visant à détruire un monument dédié aux victimes pour en faire un terrain de sport.
Réponse de la délégation
La délégation a d’abord précisé que le principe de subsidiarité impliquait que l’analyse de la compatibilité des normes nationales avec les instruments internationaux devait se faire au niveau national. Les processus de contrôle de constitutionnalité en cours au Pérou permettront de vérifier cette compatibilité, a-t-elle estimé. Le même principe de subsidiarité, a-t-elle tenu à souligner, implique que, pour le Pérou, le Comité n’est pas habilité à juger si une norme interne est compatible ou non avec la Convention.
Au Pérou, chaque institution de l’État joue son rôle dans le cadre de la séparation des pouvoirs, un principe que le Gouvernement respecte pleinement. C’est dans ce contexte, a dit la délégation, qu’il faut envisager la demande du Parquet relative au contrôle de la constitutionnalité de la Loi n° 32107. Les juges ont la possibilité de demander et d’obtenir une protection, a-t-elle ajouté.
La délégation a ensuite décrit le mécanisme de réparation pour les victimes des faits survenus pendant la période 1980-2000. Au Pérou, a-t-elle expliqué, un système purement administratif a été mis en place tant pour les recherches que pour les réparations, des mécanismes qui, a-t-elle insisté, n’ont aucun lien avec les questions juridictionnelles. Cinquante-six personnes ont déjà obtenu des réparations.
Le Plan national de recherche des personnes disparues vise à appliquer la Loi sur la recherche des personnes disparues. Il est mis en œuvre année après année depuis quarante ans, conformément à des objectifs définis. La nouvelle loi donnera un nouvel élan à l’application de ce plan, a estimé la délégation. Elle a précisé que le Ministère de la justice était légalement tenu de procéder aux recherches de personnes disparues par le biais d’une direction spécialisée qui dispose de 49 fonctionnaires et dont les activités, a assuré la délégation, ne seront pas influencées par la Loi n° 32107.
La Loi n° 32107 ne réglemente pas les lieux de mémoire, a précisé la délégation. L’élaboration de cette loi s’est faite en consultation avec, notamment, la Croix-Rouge internationale et les associations nationales de victimes de disparition forcée, a-t-elle aussi précisé.
Enfin, dans ses remarques de conclusion, M. Domínguez Vera a insisté sur le fait que l’État péruvien était un État démocratique et respectueux de ses obligations internationales et constitutionnelles, ainsi que des principes de séparation des pouvoirs et de subsidiarité. La Loi n° 32107 n’aura pas de répercussions sur les réparations accordées aux victimes de disparition forcée, a-t-il assuré.
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