Brésil : le Comité des droits de l'homme porte son attention sur la lutte contre la corruption, le respect des droits sexuels et reproductifs, la lutte contre l'impunité et les violences policières
Le Comité des droits de l'homme a examiné, hier après-midi et ce matin, le troisième rapport périodique du Brésil sur l'application des dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Présentant le rapport de son pays, la Secrétaire exécutive du Ministère des droits de l'homme et de la citoyenneté, Mme Rita Cristina de Oliveira, a souligné que son pays était aujourd'hui engagé dans une reconstruction profonde de ses politiques des droits de l'homme, dont la mise en œuvre a été durement affectée ces dernières années par un « programme pervers de démantèlement opérationnel et de subversion conceptuelle ». Le Brésil reconnaît que les populations qui, historiquement, sont l'objet de discriminations et sont les plus vulnérables sont plus exposées que les autres aux violences policières, à la torture, au déni de la justice, au travail forcé, à l'incarcération de masse, à la xénophobie et à la violence politique. Plusieurs mesures ont été prises à cet égard, dont une politique de quotas minimums de 30% réservés aux personnes noires dans l'administration fédérale. La cheffe de la délégation a également reconnu que la lutte pour la vérité, la mémoire et la justice reste inachevée au Brésil. C'est pourquoi le nouveau gouvernement a révisé la composition de la Commission d'amnistie et est en train de rétablir la Commission spéciale sur les personnes décédées et disparues. Il s'engage également à donner suite aux recommandations de la Commission nationale de la vérité, qui a finalisé son rapport en 2014.
La délégation était également composée de représentants du Ministère des affaires étrangères et du Ministère de la justice et de la sécurité publique. Elle a répondu à de nombreuses questions et apporté des éclaircissements concernant la lutte contre la corruption, la lutte contre l'impunité et les violations passées des droits de l'homme, la lutte contre les discours de haine en ligne, l'usage de la force par la police, la lutte contre la discrimination raciale et les mesures en faveur des peuples autochtones et des personnes d'ascendance africaine, la réponse des autorités face au phénomène des féminicides. S'agissant de la question des violences policières et de l'usage excessif de la force, la délégation a reconnu qu'il s'agissait d'une réalité, ajoutant notamment qu'un plan de réduction de la létalité policière avait été adopté dans l'État de Rio de Janeiro. Aux questions portant sur la torture, la délégation a mentionné une décision de justice qui avait reconnu que le gouvernement précédent avait dérogé à ses obligations internationales dans ce domaine.
Les membres du Comité ont notamment salué certaines dispositions dans la lutte contre la corruption, s'interrogeant néanmoins sur les résultats obtenus. Ils ont également salué la décision de la Cour suprême de considérer l'homophobie et la transphobie comme un crime et ont relevé des initiatives de lutte contre les discours de haine sur Internet mais se sont demandé quels résultats avaient été atteints. Le Comité a exprimé ses préoccupations concernant deux projets de loi prévoyant des mesures antiterroristes et comportant notamment une définition apparemment trop large des organisations visées. Les experts se sont intéressés également à la question de la participation effective des femmes, en particulier des femmes autochtones et d'ascendance africaine, dans les domaines politique et judiciaire et dans le secteur public. Ils ont relevé que les femmes et les filles, y compris les victimes de viol et d'inceste, n'ont toujours pas pleinement accès aux services d'avortement. Des informations sur l'usage disproportionné de la force létale par la police ont également retenu l'attention des membres du Comité.
Le Comité adoptera, dans le cadre de séances privées, des observations finales sur le rapport du Brésil et les rendra publiques à l'issue de la session, qui se termine le 26 juillet prochain.
Le Comité des droits de l'homme entame cet après-midi l'examen du troisième rapport périodique du Ouganda, qui se poursuivra demain matin.
Examen du rapport du Brésil
Le Comité des droits de l'homme était saisi du troisième rapport périodique du Brésil,
(CCPR/C/BRA/3), ainsi que ses réponses à une liste de points à traiter qui lui avait été adressée par le Comité.
Présentation du rapport
MME RITA CRISTINA DE OLIVEIRA, Secrétaire exécutive au Ministère des droits de l'homme et de la citoyenneté du Brésil, a déclaré que son pays était aujourd'hui engagé dans une reconstruction profonde de ses politiques des droits de l'homme, dont la mise en œuvre a été durement affectée ces dernières années par un « programme pervers de démantèlement opérationnel et de subversion conceptuelle ». Elle a précisé, à cet égard, que ce troisième rapport du Brésil avait été soumis au Comité à peine trois jours avant la fin du mandat présidentiel précédent, et a indiqué que, tout au long du dialogue avec le Comité, sa délégation s'efforcera de combler les lacunes dans les informations présentées, de corriger les nombreuses distorsions et de porter de nouveaux éléments et initiatives à l'attention du Comité.
La cheffe de la délégation a expliqué que, pour le Brésil, à l'instar d'autres pays en développement, la division entre, d'une part, les droits civils et politiques et, d'autre part, les droits économiques, sociaux et culturels est artificielle et datée. Elle ignore les circonstances matérielles et le contexte historique d'inégalités sociales profondes nées du colonialisme et de ses effets. Au Brésil, les autorités reconnaissent que les populations qui, historiquement, sont l'objet de discriminations et sont les plus vulnérables – les Noirs, les autochtones, les femmes, les quilombolas (descendants de marrons), les sans-abris, la communauté LGBTQIA+ – sont plus exposées que les autres communautés aux violences policières, à la torture, au déni de la justice, au travail forcé, à l'incarcération de masse, à la xénophobie et à la violence politique, notamment. Cela implique que la garantie de leurs droits passe avant tout par des politiques d'autonomisation matérielle et politique de ces populations.
C'est dans ce sens que, le 20 juin dernier, le Président Lula a institué le nouveau programme « Bolsa Família », un programme de transfert de revenus en faveur de 54,6 millions de Brésiliens, dont 73,4 % des bénéficiaires sont des Noirs et 81,5 % des ménages sont dirigés par des femmes. En matière de promotion de l'équité raciale, parmi plusieurs mesures, le Gouvernement fédéral a fixé un quota minimum de 30 % de places réservées aux personnes noires dans les commissions et les postes de responsabilité de l'administration fédérale. Il a aussi institué un groupe de travail interministériel pour l'élaboration du plan Alive Black Youth, en vue de réduire la violence meurtrière et les vulnérabilités sociales contre les jeunes noirs et lutter contre le racisme institutionnel.
Dans le domaine du respect de l'orientation sexuelle et de l'identité de genre, en janvier de cette année, le Brésil s'est retiré du soi-disant « Consensus de Genève », étant entendu que ses objectifs contredisaient l'engagement du Brésil à réaliser les droits sexuels et reproductifs des femmes dans une perspective de promotion de l'égalité et de l'équité entre les sexes, et non -discrimination envers la population LGBTQIA+. De plus, pour la première fois dans son histoire, le Brésil s'est doté d'un Secrétariat national exclusivement dédié aux droits des personnes LGBTQIA+ et a créé le Conseil national des droits des personnes LGBTQIA+, instance collégiale de dialogue entre l'État et la société civile pour la co-construction de politiques en faveur de cette population.
Le Gouvernement a mis en place un groupe de travail qui préparera, en collaboration avec la société civile, une politique nationale de protection des défenseurs des droits de l'homme, des communicants et écologistes, afin d'établir un cadre juridique pour un programme de protection spécifique. Le Gouvernement a par ailleurs soumis au Congrès national l'Accord d'Escazú (sur l'accès à l'information, la participation publique et l'accès à la justice à propos des questions environnementales en Amérique latine et dans les Caraïbes) et recommandé sa ratification rapide.
En ce qui concerne la lutte contre les discours de haine, la cheffe de la délégation brésilienne a déclaré que, contrairement à ce qu'a répondu le gouvernement précédent devant ce Comité, ces dernières années, les manifestations de haine et d'incitation à la haine ont été largement diffusés dans les déclarations publiques des hautes autorités qui gouvernaient alors le Brésil. L'un des effets a été une augmentation significative de la violence politique. Aujourd'hui, afin de chercher des réponses aux causes profondes de la haine, a été créé, sous la coordination du Ministère des droits de l'homme et de la citoyenneté, un groupe de travail chargé de présenter des stratégies de lutte contre les discours de haine et l'extrémisme et de proposer des politiques publiques sur les droits de l'homme sur le thème. Le groupe remettra son rapport final dans les prochains jours, travail résultant de divers secteurs gouvernementaux, chercheurs, chefs religieux, communicateurs, entre autres.
Mme de Oliveira a également reconnu que la situation carcérale au Brésil, ainsi que la létalité policière, sont en partie dues au racisme, qui nourrit la violence contre la population noire et pauvre du pays, et aussi aux 20 longues années de dictature militaire. La lutte pour la vérité, la mémoire et la justice reste inachevée au Brésil. Mais comme mesure prioritaire, le nouveau gouvernement a révisé la composition de la Commission d'amnistie et est en train de rétablir la Commission spéciale sur les personnes décédées et disparues. Le nouveau gouvernement s'engage également à donner suite aux recommandations de la Commission nationale de la vérité, qui a finalisé son rapport en 2014. Enfin, les autorités portent une grande attention aux peuples autochtones brésiliens, comme le prouve la création du Ministère des peuples autochtones, en janvier dernier. Il est dirigé par d'importantes personnalités autochtones et constitue une étape historique, a affirmé Mme de Oliveira.
Questions et observations des membres du Comité
Un expert a assuré la délégation que les membres du Comité sont conscients que l'examen du rapport a lieu après un changement politique à la tête de l'État et que, par conséquent, certains des problèmes qui ont fait l'objet de la liste des questions transmises à l'époque à l'État partie se réfèrent à une situation passée. Il a ajouté que le fait que ce dialogue se déroule au début d'une nouvelle étape politique au Brésil était un motif d'espoir, car il représente une opportunité pour que les observations finales soient utilisées comme un instrument de progrès dans la mise en œuvre effective des droits de l'homme dans le pays.
L'expert a relevé que, dans le contexte de la lutte contre la corruption au Brésil, le pays a adopté loi de 2013 sur l'entreprise honnête (Lei da Empresa Limpa), qui est l'une des plus sévères au monde. Il a souhaité avoir des informations détaillées sur l'application de cette loi, en particulier des chiffres concernant son application. Il a aussi demandé des éclaircissements sur les résultats déjà obtenus dans l'opération Lava-Jato de lutte contre la corruption, notant en particulier que seules 44 personnes ont été jugées sur les 980 poursuivies.
En matière de lutte contre l'impunité et les violations passées des droits de l'homme, l'expert a salué les informations fournies par le Brésil (§ 12 à 15), mais constaté également que certaines questions sont restées sans réponse, notamment celles relatives à la mise en œuvre des recommandations de la Commission nationale de la vérité, les condamnations pour violations des droits de l'homme et la compatibilité de la loi d'amnistie de 1979 avec les dispositions du Pacte.
Le même membre du Comité a également rappelé qu'en ce qui concerne les mesures antiterroristes, le Comité a exprimé ses préoccupations concernant deux projets de loi N.272/2016 et N.1595/2019 en cours d'examen devant le Congrès national. Alors que le Brésil explique que la définition du terrorisme et des types de criminalité envisagée dans la loi 13 260/2016 déjà existante est « conforme aux normes internationales existantes », l'expert a demandé à la délégation de dire quels textes internationaux ont été pris en compte pour établir cette définition du terrorisme. De plus, les projets de loi susmentionnés vont-ils introduire des changements dans la définition du terrorisme, a-t-il aussi demandé.
Selon certaines sources, le projet de loi N.1595/2019 assimile explicitement les activités des mouvements sociaux au terrorisme. L'expert a demandé à la délégation de répondre aux allégations selon lesquelles les modifications législatives proposées risquent de criminaliser les droits garantis par le Pacte, y compris la défense des droits de l'homme par les organisations de la société civile et les mouvements sociaux.
Un autre membre du Comité a souligné que, si l'approche consistant à adopter une législation spécifique sur la situation de groupes particuliers et sur certaines formes de discrimination soit louable, il faut pouvoir disposer d'une législation complète contre la discrimination de manière à résoudre le problème des formes croisées de discrimination et d'intersectionnalité. Il a demandé à la délégation de dire si les autorités envisagent de se fixer un tel objectif.
L'expert a également salué la création du ministère des peuples autochtones en janvier dernier, ainsi que la décision de 2019 de la Cour suprême de considérer l'homophobie et la transphobie comme un crime par analogie avec le racisme, de même que la création récente d'un secrétariat national sur les droits des personnes LGBTI. Il a aussi souhaité connaître les mesures prises ou qui le seront pour renforcer la capacité des ministères en matière de non-discrimination et pour assurer l'efficacité et la continuité des initiatives dans ce domaine, en particulier les mesures spécifiques qui seront prises ou sont en place concernant la non-discrimination fondée sur l'orientation sexuelle.
Ce membre du Comité a par ailleurs relevé que le programme Humaniza Redes a été présenté dans le rapport du Brésil comme une initiative interministérielle pour lutter contre les discours de haine sur Internet, mais les détails sur ce programme manquent dans les réponses écrites. Il a demandé à la délégation d'informer le Comité de tout progrès réalisé en matière législative dans ce domaine et de fournir des informations détaillées sur la portée du programme mis en œuvre et sur ses résultats. Il a aussi voulu savoir si d'autres mesures ont été prises pour lutter contre les discours de haine et la discrimination en ligne.
Portant son attention sur la déclaration de l'état d'urgence dans le contexte de la pandémie de COVID-19, l'expert a également regretté que le Brésil ne fournisse pas d'informations sur les mesures prises pour faire face à la pandémie, alors que de nombreuses informations indiquent que les mesures prises par le Gouvernement ont eu un impact direct sur l'exercice des droits civils et politiques.
Une experte s'est penchée sur la question de la participation effective des femmes, en particulier des femmes autochtones et d'ascendance africaine, dans les domaines politique et judiciaire et dans le secteur public. Selon les informations reçues, 70% du budget alloué aux politiques féminines n'ont pas été dépensés en 2020. Les budgets auraient même été réduits en 2021 de plus de 50%. Plus récemment, le Comité a été informé de restructurations de différents ministères ayant conduit à la création d'un ministère des femmes (Ministério das Mulheres). Elle a souhaité davantage d'informations sur les ressources consacrées aux programmes de promotion de l'égalité entre les genres et les différents ministères responsables de la mise en œuvre des politiques et programmes. Elle a aussi posé des questions sur les efforts déployés pour accroître la participation des femmes issues de groupes marginalisés à la prise de décision de haut niveau. La délégation pourrait-elle préciser ses engagements concrets visant à accroître la participation politique des femmes, et en particulier des femmes afro-brésiliennes et autochtones, y compris en tant que candidates à des fonctions politiques, a-t-elle demandé.
L'experte a demandé à la délégation de fournir des données détaillées et ventilées sur la prévalence de toutes les formes de violence à l'égard des femmes, y compris des données ventilées sur les infractions, ainsi que l'origine ethnique et le milieu socioéconomique des victimes. Elle a aussi voulu savoir comment l'État du Brésil entend mieux s'attaquer au problème des taux élevés de féminicides et d'autres formes de violence à l'égard des femmes, en particulier parmi les femmes d'ascendance africaine.
Sur la question de l'interruption volontaire de grossesse et les droits sexuels et reproductifs, le Comité a été informé que les femmes et les filles, y compris les victimes de viol et d'inceste, n'ont toujours pas accès aux services d'avortement, même si elles y ont légalement droit. Elles finissent souvent par subir une intervention dans des circonstances dangereuses et malsaines et certaines font même face à des accusations criminelles pour avoir cherché à se faire avorter. Pour mieux comprendre la situation, le Comité a de nouveau demandé des informations à la délégation sur le manque d'accès aux services d'avortement, même pour les victimes de viol et d'inceste. L'experte a voulu savoir quelles mesures sont prises pour protéger les femmes et les filles contre la violence sexuelle et pour garantir leurs droits sexuels et reproductifs, y compris l'accès légal à l'avortement.
Un autre membre du Comité a soulevé la question de l'usage disproportionné de la force létale par la police. Il s'est dit encouragé par la baisse des meurtres commis par la police en 2022. Cependant, de nombreuses informations dignes de foi indiquent que le recours à la force létale par la police et le personnel de sécurité se soit maintenu à un niveau inacceptable pendant plus d'une décennie, et de manière disproportionnée contre les jeunes hommes afro-brésiliens pauvres. Les personnes d'ascendance africaine représentent environ 60% des victimes à São Paulo et 90% à Rio de Janeiro. Il a demandé à la délégation de fournir au Comité des informations supplémentaires sur les mesures spécifiques prises par les autorités fédérales et des États fédérés pour réduire le taux élevé de mortalité dû à la violence policière. Alors que l'utilisation de caméras corporelles par les bataillons de police à São Paulo en 2022 a été associée à une diminution de 76 % de la létalité, est-il envisagé d'imposer leur utilisation dans d'autres États et municipalités, a-t-il voulu savoir.
L'expert a également attiré l'attention sur une opération de police dans la favela de Jacarezinho, le 6 mai 2021, qui a entraîné la mort de 27 habitants, rappelant la décision de 2020 de la Cour suprême qui interdisait pourtant à la police de mener des raids dans les quartiers populaires de Rio de Janeiro pendant la pandémie de COVID-19. Il a exigé de la délégation des informations précises et à jour concernant l'enquête sur les agents qui ont mené et planifié ce raid ainsi que sur les mesures prises pour se conformer à la décision de la Cour suprême et aux autres réglementations sur l'usage de la force par la police et le personnel de sécurité.
Se déclarant préoccupé par l'impunité dont jouissent les forces de police, le Comité a demandé des informations spécifiques concernant les mécanismes en place pour enquêter sur les plaintes pour recours excessif à la force par la police et les agents de sécurité, de même que sur les mesures prises pour s'assurer de l'indépendance et de l'impartialité de toutes les enquêtes.
L'expert a aussi demandé les mesures mises en place dans la lutte contre torture, notamment les mécanismes efficaces existants. Le Comité a également interrogé la délégation à propos des disparitions forcées, de la conformité de leur définition avec les dispositions du droit international et leur statut juridique. Il a également demandé des statistiques sur ce phénomène qui, selon les informations à la disposition du Comité, serait le fait des forces de sécurité.
Des questions ont aussi été posées sur les questions de la liberté d'expression, de la liberté de religion ou des homicides et crimes de haine, pour lesquels l'État partie n'a fourni aucune information en réponse aux questions concernant les niveaux disproportionnés d'homicides parmi les Afro-Brésiliens, les groupes autochtones et les personnes LGBT, pas plus que sur le cadre juridique pour punir les crimes de haine dans le pays. La délégation a également été questionnée, et entre autres, sur l'objection de conscience dans l'armée et en particulier le fait que les objecteurs sont privés de leurs droits civils et politiques.
Réponses de la délégation
Répondant aux questions et observations des membres du Comité s'agissant notamment du cadre d'application du Pacte, la délégation a réaffirmé la détermination des nouvelles autorités de défendre l'égalité, soulignant à cet égard que la Constitution fédérale de 1878 offrait un cadre général de lutte contre la discrimination. Son article 5 stipule que toute personne vivant au Brésil a le droit inviolable à la vie, à l'égalité et à la sécurité. Ainsi, le Président Lula a créé les ministères chargés, respectivement, des droits de la femme, de l'égalité raciale et des peuples autochtones.
S'agissant de la situation des peuples autochtones, la délégation a notamment fait valoir que, pour la première fois, une femme autochtone dirige la Fondation des peuples autochtones, ce qui est une rupture par rapport à l'histoire du colonialisme au Brésil. Il existe également un groupe de travail de juristes autochtones, dont l'objectif est d'analyser le statut des peuples originaires pour proposer un nouveau pacte avec eux. Des dispositions, non encore publiées, envisagent également d'instaurer des quotas de personnes issues de ces peuples dans le système judiciaire.
Des quotas minimums de 30% ont été fixés pour les postes vacants au sein de l'administration fédéral en faveur des personnes d'ascendance africaine. Un groupe de travail interministériel a en outre été créé pour élaborer un programme de discrimination positive de manière à renforcer la présence des personnes d'ascendance africaine et pauvres dans les universités brésiliennes. La loi des quotas de 2012 prévoit que 50% des postes vacants dans les établissements publics d'enseignement supérieur et technique reviennent de droit à des candidats issus des réseaux publics d'enseignement les moins nantis. Cette pratique des quotas a beaucoup réduit les inégalités, permettant d'améliorer la diversité socio-économique et raciale. En 2001, le nombre de non-blancs dans les universités était de 31%, contre 51% aujourd'hui. Les plus pauvres sont passé de 9% à 52%, a chiffré la délégation.
En matière de lutte contre la discrimination raciale, le Brésil a promulgué le Statut de l'égalité raciale en 2010 et ratifié, en 2022, la Convention interaméricaine contre le racisme et la discrimination raciale et les formes connexes d'intolérance. La Convention a été érigée en amendement de la Constitution et intégrée au système judiciaire brésilien. Elle définit la discrimination comme un crime aggravé. Tous les instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme régulièrement ratifiés par le Congrès après deux lectures et approuvés par trois cinquièmes des voix sont constitutifs d'amendements constitutionnels. Tous les autres traités ratifiés, mais n'ayant pas reçu un tel taux d'approbation, sont légaux mais ont un statut inférieur.
La lutte contre la corruption est régie par une loi de 1992, amendée en 2021. Cette loi est appliquée strictement par les 26 États de la Fédération du Brésil, ainsi que par l'État central et ses administrations. Le pays a également adopté la loi sur les entreprises honnêtes (Lei da Empresa Limpa) et celle sur la protection des lanceurs d'alerte (denunciantes), entre autres. S'agissant du nombre d'affaires en cours dans ce domaine, la délégation a reconnu le manque de statistiques, ajoutant que l'absence de données était un problème structurel que le Brésil doit encore résoudre. Mais de manière générale, il existe au moins deux cents organes qui s'occupent de la lutte contre la corruption et d'enquête au Brésil. Le contrôleur général de la Fédération a procédé à des règlements avec des entreprises soupçonnées de corruption en 2021, pour un montant de près de 500 milliards de dollars des États-Unis. Le nombre d'enquêtes civiles en cours portant sur des affaires de corruption constatées en 2021 s'élève à 37 400. S'agissant du blanchiment d'argent, 20% des procédures ont été annulées, mais 77 procédures sont actuellement en cours, a indiqué la délégation, qui a précisé que la durée moyenne des procédures était comprise entre trois et dix ans.
En ce qui concerne les crimes et violations des droits de l'homme du passé, le gouvernement actuel s'efforce de prendre des mesures de justice transitionnelle, y compris en suivant les recommandations de la Commission nationale de la vérité, créée en 2012. Des travaux de recherche des personnes disparues sont en cours, suivant en cela les recommandations de la Commission spéciale sur les personnes décédées et disparues, qui a reconnu 364 personnes comme mortes ou disparues pour des raisons politiques. Sur plus de cent mille demandes de pardon ou de réparations économiques reçues, plus de quarante mille ont été tranchées, a dit la délégation. En juin 2022, la justice brésilienne a condamné un agent de la dictature pour les crimes commis pendant cette période. Il a été reconnu coupable de séquestration dans des prisons privées. La justice brésilienne a également reconnu que le crime d'épuration ethnique était imprescriptible, permettant l'ouverture de nouvelles affaires, a indiqué la délégation.
En matière de lutte contre les discours de haine, la délégation a reconnu qu'il n'y avait pas au Brésil de définition unique du discours de haine. Cette situation est exploitée par les promoteurs de ces discours, qui soutiennent qu'en l'absence de définition, l'État ne peut agir de manière légitime. Mais les auteurs peuvent toutefois être poursuivis pour d'autres motifs, comme la menace ou l'injure. De la même manière, le gouvernement ne dispose pas de données ventilées.
La promotion de l'égalité entre les genres a bénéficié d'une augmentation de budget passé de 16 millions à 166 millions, via la création du ministère des femmes chargé d'élaborer les politiques idoines. Un groupe de travail interministériel a également été créé avec pour but de travailler à l'égalité salariale entre les genres. Le Gouvernement a également saisi le Congrès en vue de la ratification de la Convention 190 de l'Organisation internationale du Travail (OIT) sur la violence et le harcèlement.
S'agissant de la question des violences faites aux femmes, la délégation a indiqué que 699 femmes ont été victimes de féminicides au premier semestre 2022, soit une moyenne de quatre par jour. Les chiffres étaient de 677, 664 et 631 victimes pour les premiers semestres de 2021, 2020 et 2019 selon les données de la sécurité publique. Dans ces nombres, 62% des femmes étaient des personnes d'ascendance africaine. Dans 81,7% des cas, les auteurs étaient des partenaires ou anciens partenaires. Depuis 2015, des qualifications pénales spécifiques sont prévues en cas de violence liée au genre. Actuellement, l'État reformule sa réponse face aux féminicides et le Président Lula s'est fermement engagé à réduire drastiquement ce phénomène, a assuré la délégation.
La délégation a également évoqué les actes putschistes du 8 janvier 2023, attribués à l'extrême droite contestataire des résultats de l'élection présidentielle. Elle a indiqué que le Gouvernement suit de près au Congrès la redéfinition des normes visant la lutte contre le terrorisme, y compris dans le cadre des actes portant atteinte à la démocratie ou des tentatives de massacres dans les écoles, mais non pas le cadre de manifestations revendiquant des droits prévus dans le Pacte.
S'agissant de la violence policière et de l'usage excessif de la force, la délégation a reconnu qu'il s'agissait d'une réalité. Pour y répondre, un plan de réduction de la létalité policière a été adopté dans l'État de Rio de Janeiro en juin 2022. Dans la foulée, un observatoire de la police citoyenne et un groupe de travail sur la sécurité citoyenne ont été créés et des systèmes de GPS, de caméras et des micros ont été installés dans de nombreux véhicules policiers, a indiqué la délégation.
La délégation a aussi répondu à des questions portant sur la torture, en faisant notamment référence à une décision de justice constatant que le Gouvernement précédent avait dérogé à ses obligations internationales à cet égard. Le budget alloué par le précédent gouvernement au Mécanisme national de prévention et de lutte contre la torture n'était que de 33 500 reais pour 2023. Le gouvernement actuel a réévalué le budget à 600 000 reais, ce qui devrait permettre au Mécanisme d'être totalement opérationnel, a assuré la délégation. Elle a par ailleurs reconnu manquer de données ventilées, y compris en ce qui concerne les réparations aux victimes.
Conclusions
MME RITA CRISTINA DE OLIVEIRA, cheffe de la délégation du Brésil, a remercié le Comité pour ce dialogue constructif qui permettra au Brésil d'avancer sur la voie des droits de l'homme. Les questions posées ont aidé la délégation à aborder la réalité de la situation des droits de l'homme dans le pays, a-t-elle dit, avant de regretter que l'ancien gouvernement ait abordé la coopération avec le Comité dans une logique de confrontation, en contradiction avec la tradition de dialogue du Brésil. Les nouvelles autorités sont aujourd'hui plus ouvertes à la discussion pour mettre en œuvre les instruments des droits de l'homme, a-t-elle assuré.
MME TANIA MARÍA ABDO ROCHOLL, Présidente du Comité, a remercié la délégation pour sa coopération avec le Comité et pour les réponses apportées aux questions des membres.
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