Fil d'Ariane

Il faut faire plus contre le trafic d'armes à feu qui « inondent » Haïti, plaide un expert de l’ONU

Alors que les gangs contrôlent 85% de la capitale Port-au-Prince, William O’Neill, Expert des Nations Unies sur la situation des droits humains en Haïti, estime que la situation concernant les armes à feu est absolument catastrophique dans ce pays de 11 millions d'habitants.
« Les gangs ont accès à un nombre croissant d'armes de gros calibre et à des réserves de munitions apparemment inépuisables, et certains gangs possèdent des armes qui percent les blindages », explique-t-il dans un entretien avec ONU Info après une récente visite en Haïti. « C'est très dangereux, car la Police nationale haïtienne et la Mission multinationale d’appui à la sécurité dirigée par le Kenya comptent énormément sur leurs véhicules blindés pour assurer leur protection ».
Il rappelle que des incidents récents ont eu lieu : un policier kenyan a été blessé par un projectile à l'intérieur de son véhicule, et plusieurs agents de la Police nationale haïtienne ont également été blessés.

Armes automatiques puissantes
Les gangs disposent d'armes automatiques puissantes qui tirent plusieurs coups par minute, ainsi que de fusils de précision que certains membres ont été formés à manier.
« Les gangs possèdent des armes qui provoquent une violence immense et les personnes que j'ai rencontrées disent que c'est absolument terrifiant », souligne William O’Neill.
Les gangs utilisent ces armes à feu pour conquérir des territoires, repousser d'autres gangs et lutter contre la police, mais aussi pour contrôler et dominer la population et commettre de nombreuses violations des droits humains. « Les gens sont menacés de mort s'ils ne se soumettent pas aux gangs ».
Haïti ne fabrique ni armes à feu ni munitions et ces armes arrivent principalement des États-Unis, « certaines directement sur de petits navires qui partent majoritairement de Floride », souligne l’expert. « On en trouve un nombre croissant en provenance de République dominicaine, ayant toujours pour origine les États-Unis. Elles traversent la frontière, qui est très poreuse ».
Récemment, des armes ont afflué de Colombie, provenant notamment des FARC et d'autres groupes armés colombiens qui vendaient des armes ou se les faisaient confisquer.

Mettre fin au flux de munitions
Selon William O’Neill, l'essentiel est de stopper le flux de munitions, car si les gangs venaient à manquer de munitions, le type d'armes qu'ils possèdent n'aurait plus d'importance. « Ils seraient anéantis, faute de soutien populaire », dit-il.
Il estime qu’on ne fait « pas assez » pour mettre fin au trafic de ces armes.
« Le chef de la police frontalière haïtienne m'a dit qu'ils ne disposent que de 350 agents pour surveiller une frontière de 400 km. Ils disposent d'un drone, de véhicules insuffisants et admettent ne même pas pouvoir contrôler les postes-frontières officiels. Il y a une défaillance dans les ports ; il n'y a pas un seul scanner dans tout le pays. Un grand scanner à métaux pourrait vérifier ce qui arrive dans ces conteneurs », explique-t-il.
« Du côté haïtien, on constate un manque de ressources et une certaine corruption. Du côté américain, on constate un manque constant d'engagement en matière d'inspection des cargaisons sortantes, bien que les inspections aient légèrement augmenté ces derniers temps sous la pression intérieure américaine », ajoute-t-il.

Intensifier les inspections
Selon l'expert onusien, il faut que les États-Unis intensifient considérablement les inspections.
Il juge nécessaire aussi d’enquêter davantage sur les réseaux de trafic en Floride.
Récemment, plusieurs poursuites et lourdes peines ont été prononcées, dont l'une concernait un ancien chef de gang haïtien extradé vers les États-Unis. « Son témoignage au procès a révélé comment il se procurait des armes aux États-Unis, ce qui a conduit à l'arrestation d'autres personnes, dont des ressortissants haïtiens aux États-Unis. De lourdes peines seraient très dissuasives ».
William O'Neill estime que les États-Unis sont devenus plus sensibles au problème de trafic d’armes et reconnaissent que si la sécurité règne en Haïti, la motivation de quitter le pays diminuerait considérablement.
« Apporter la stabilité à un voisin qui souffre énormément permettrait à ce pays de se développer économiquement et d'être en paix. Parallèlement, cela réduirait le facteur d'incitation à la migration d'Haïtiens désespérés qui souhaitent quitter le pays », souligne-t-il.
Selon lui, la République dominicaine a également un intérêt majeur à la stabilité en Haïti, car elle craint une propagation de la violence. « Je pense que la République dominicaine redouble d'efforts pour mettre fin au trafic illégal d'armes et de munitions vers Haïti », dit-il.
« Il est également important de rappeler l'embargo sur les armes décrété par le Conseil de sécurité de l'ONU. Tous les pays ont l'obligation légale de prendre des mesures pour garantir que leurs obligations extraterritoriales concernant la situation des droits humains en Haïti soient liées au respect de l'embargo sur les armes », conclut-il.