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En Haïti, l’ONU met en garde contre un « point de non-retour »

Des migrants expulsés de la République dominicaine reviennent en Haïti.
© IOM/Antoine Lemonnier
Des migrants expulsés de la République dominicaine reviennent en Haïti.
Face à la gangrène de la violence de gangs qui ronge progressivement les structures de l’État haïtien, l’envoyée des Nations Unies dans le pays a appelé, lundi, le Conseil de sécurité à examiner de toute urgence les propositions du chef de l’ONU pour renforcer le dispositif international déjà sur place.

Un sentiment d’impuissance se dégageait du discours prononcé dans la matinée par la représentante spéciale du Secrétaire général des Nations unies pour Haïti, María Isabel Salvador, devant les membres du Conseil de sécurité de l’organisation, à New York. 

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Malgré le renforcement des forces de l’ordre haïtiennes, le déploiement progressif des policiers de la Mission multinationale d’appui à la sécurité (MMAS), sous l’égide du Kenya, et l’appui du Bureau intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH), dont Mme Salvador est la cheffe, les violences criminelles dans le pays ne cessent de s’intensifier. « Nous approchons d’un point de non-retour dans la crise haïtienne », a prévenu la représentante spéciale. 

Une montée en puissance des gangs

Depuis plusieurs mois, le pays s’enfonce dans un chaos sécuritaire que la communauté internationale peine à endiguer. Dans la capitale, Port-au-Prince, les groupes criminels organisés, qui contrôlent déjà la plupart de la ville, lancent depuis fin janvier des offensives coordonnées pour s’emparer de nouvelles zones, y compris Kenscoff, le dernier axe routier d’accès à la métropole non contrôlé par les gangs. Le centre de Port-au-Prince et Pétion-Ville, dans la périphérie, jusqu’ici relativement épargnés, sont également pris pour cible.

Outre la capitale, les violences s'étendent en province, notamment dans les départements de l’Ouest, du Centre et de l’Artibonite. À Mirebalais, dans le centre, plus de 500 détenus ont été libérés lors d’une attaque de prison par les gangs, la cinquième évasion massive recensée en moins d’un an. « Il s’agit d’une action délibérée visant à consolider leur domination, à démanteler les institutions et à instiller la peur », a déploré Mme Salvador.

Une violence hors de contrôle

Les efforts du gouvernement haïtien ne suffiront pas...

Les chiffres communiqués sont glaçants : 1.086 morts et 383 blessés pour les seuls mois de février et mars, durant lesquels plus de 60.000 personnes ont été contraintes de fuir les violences. Elles viennent s’ajouter au million de déplacés recensés fin 2024. Selon la cheffe du BINUH, « l’échelle de la violence a semé la panique parmi les Haïtiens, qui craignent l’effondrement total de l’État ».

La police nationale haïtienne, épaulée par les policiers de la MMAS, semble dépassée. Malgré les efforts des autorités, notamment l’adoption le 14 avril d’un budget révisé pour soutenir les forces de l’ordre, l'émissaire onusienne a tenu à être « très franche, responsable et honnête : les efforts du gouvernement haïtien ne suffiront pas pour réduire significativement l’intensité et la violence des groupes criminels ».

Un appel au soutien international

Face à cette spirale de violence, Mme Salvador a lancé un appel clair à la communauté internationale. Si elle a salué « le leadership inébranlable du Kenya » dans le cadre de la MMAS, elle a estimé qu’« à ce stade critique, tous les États membres doivent accroître leur soutien aux forces de sécurité haïtiennes ».

Sur le plan opérationnel, les Nations Unies peinent également à maintenir leur présence. Les blocages routiers et la suspension des vols commerciaux depuis novembre 2024 entravent l’acheminement de l’aide et la mobilité du personnel. « Sans ce soutien vital, les opérations des Nations Unies risquent d'être encore réduites, au moment où le pays a le plus besoin de nous », a prévenu la diplomate.

L’impératif, selon elle, est désormais de revoir la stratégie sur le terrain. Dans un courrier datant du 24 février, le Secrétaire général, António Guterres, a précisément recommandé au Conseil de créer une structure onusienne d’appui opérationnel et logistique à la MMAS, qui serait financée par le budget de maintien de la paix de l’ONU. Sans rentrer dans le détail de ces recommandations, la représentante spéciale a jugé que les membres du Conseil devaient les examiner « de toute urgence ».

Des médecins dispensent des soins dans l'unité pédiatrique d'un hôpital à Cap-Haïtien, dans le nord du pays.
© UNICEF
Des médecins dispensent des soins dans l'unité pédiatrique d'un hôpital à Cap-Haïtien, dans le nord du pays.

Des institutions à reconstruire

Malgré ce climat délétère, un processus politique est engagé. Le Conseil présidentiel de transition, dirigé par Fritz Jean, a réitéré son objectif de tenir des élections d’ici février 2026 et des consultations ont été menées pour réviser la constitution.

Mais la faisabilité du calendrier électoral est remise en cause par les conditions sécuritaires. Pour María Isabel Salvador, le rôle du BINUH doit désormais être recentré : « Il s'agit d'un appel à concentrer les efforts du bureau là où ils peuvent être les plus efficaces, durables et crédibles ».

La représentante spéciale a par ailleurs salué les efforts de lutte contre l’impunité et de renforcement de l’appareil judiciaire, via la création récente d’unités spécialisées contre les crimes financiers et odieux, ainsi que des initiatives en matière de contrôle des armes. Mais, a-t-elle insisté, « la justice est un système ; son fonctionnement requiert l'intervention de tous ses acteurs ».

Sur le terrain, la situation humanitaire devient critique : les violences ont entraîné la fermeture de 39 établissements de santé et plus de 900 écoles dans la capitale. Le choléra et les violences sexistes, notamment dans les sites de déplacement, se répandent. Pour soulager le peuple haïtien, Mme Salvador a exhorté les États membres à financer le plan de réponse humanitaire 2025. 

« Haïti pourrait être confrontée à un chaos total et tout retard dans votre soutien pourrait être la cause directe d'une telle détérioration », a-t-elle insisté.