Fil d'Ariane

Soudan : deux ans de guerre, une crise humanitaire hors norme

Le 15 avril 2023, les tensions entre l’armée soudanaise, dirigée par le général Abdel Fattah al-Burhane, et les Forces de soutien rapide (RSF) fidèles à son adjoint, le général Mohammed Hamdan Daglo, dégénèrent en conflit ouvert. Depuis lors, près de 13 millions de Soudanais ont été contraints de fuir les combats, soit plus d’un quart de la population totale, catapultant le pays en tête du classement mondial des crises de déplacement, devant la Syrie, la République démocratique du Congo et l’Ukraine.
Dans un communiqué publié lundi soir, le Secrétaire général des Nations unies, António Guterres, a évoqué une situation dont l’horreur confine selon lui à l’absurde.
« Deux ans après le déclenchement de cette guerre dévastatrice, le Soudan s’enlise dans une crise d'une ampleur stupéfiante, dont les civils sont les premières victimes. La seule manière de garantir leur protection est de mettre fin à ce conflit insensé ».
Une population à bout de souffle
La guerre civile, qui touche désormais 17 des 18 États du pays, a provoqué l’effondrement des services de base, la paralysie des circuits d’approvisionnement humanitaire et une hausse exponentielle des besoins. Plus de 30 millions de personnes — soit près des deux tiers de la population soudanaise — dépendent aujourd’hui d’une aide extérieure.
La moitié des civils du pays sont en situation d’insécurité alimentaire aiguë, quand ils ne sont pas confrontés à la famine, qui s’étend à plusieurs régions du pays depuis l’été 2024.
De retour d’une visite récente à la frontière entre la région du Darfour, à l’ouest du Soudan, et le Tchad, le Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, Filippo Grandi, n’a pas caché son inquiétude. « Le Soudan saigne. Son peuple souffre depuis trop longtemps. Deux années de guerre ont créé ce qui est désormais la pire crise humanitaire et de déplacement au monde, aggravée par des réductions extrêmes de l’aide internationale ».
La communauté humanitaire, confrontée à des obstacles logistiques et sécuritaires majeurs, peine à en effet acheminer l’aide. Des restrictions bureaucratiques, des attaques contre les convois et le sous-financement chronique des opérations entravent gravement l’accès aux populations. Suite à des réductions drastiques d’allocation de fonds à l’aide étrangère, principalement de la part des États-Unis, mais également d’autres pays, le bureau onusien des affaires humanitaires (OCHA) estime que moins de 5 % des besoins financiers du Soudan pour 2025 ont été couverts à ce jour.

Les enfants et les femmes, premières victimes
La crise touche de manière disproportionnée les enfants et les femmes. Selon l’Unicef, plus de 15 millions d’enfants ont désormais besoin d’une aide humanitaire, soit le double par rapport à début de l’année 2023.
L’immense majorité d’entre eux sont déscolarisés, et plus de 460.000 risquent de souffrir de malnutrition aiguë sévère dans les mois à venir, une situation exacerbée par la saison des pluies et les inondations.
« Deux années de violence et de déplacements ont brisé la vie de millions d’enfants à travers le Soudan. Les besoins dépassent constamment le financement humanitaire. Le Soudan est aujourd’hui la plus grande crise humanitaire au monde, mais elle ne retient pas l’attention du monde », a déploré mardi Catherine Russell, la directrice exécutive de l’UNICEF, dans un communiqué de presse.
L'agence des Nations Unies pour la santé reproductive et sexuelle (UNFPA) dénonce également une explosion des violences sexuelles, souvent utilisées comme arme de guerre.
« Le conflit a terrifié la nation et décimé les infrastructures et les services, piégeant les femmes et les filles dans un cauchemar de violences, de déplacements et d’absence d’accès aux soins de santé », a souligné lundi l’agence, qui estime que 91.000 femmes devraient accoucher au cours des trois prochains mois, souvent sans assistance médicale.
Dans l’État de Sennar, par exemple, à l’est du pays, l’un des rares hôpitaux encore opérationnels fonctionne grâce à des panneaux solaires fournis par l’UNFPA, permettant la réalisation de césariennes dans des conditions précaires. Depuis le début de la guerre, l’agence onusienne a assuré plus de 11.000 accouchements à travers le Soudan.
L’indifférence internationale pointée du doigt
L’intensité de la crise contraste avec le relatif silence diplomatique qui l’entoure. Le président de l’Assemblée générale de l’ONU, Philemon Yang, a condamné les attaques répétées contre les civils et appelé la communauté internationale à redoubler d’efforts pour trouver une solution politique.
« Les Soudanais sont assiégés de toutes parts – guerre, abus généralisés, indignité, faim et autres souffrances. Et ils font face à l’indifférence du reste du monde », estime quant à lui Filippo Grandi.
Pour António Guterres, la solution ne peut venir que d’une volonté politique : « Le monde ne doit pas oublier le peuple du Soudan. Ceux qui ont la plus grande influence sur les parties doivent l’utiliser pour améliorer la vie des gens au Soudan, non pas pour perpétuer cette catastrophe ».
L’Organisation mondiale de la santé (OMS), dont le personnel continue de travailler dans des conditions dangereuses sur le terrain, rappelle, par la voix de son directeur général, Tedros Adhanom Ghebreyesus : « Le meilleur médicament, c’est la paix. Nous appelons à la protection des civils et de la santé en tout temps et à un engagement pour une paix durable ».
À ce jour, les négociations de paix, engagées par intermittence à Jeddah ou à Addis-Abeba, n’ont produit aucun accord durable. Sur le terrain, les civils attendent toujours un cessez-le-feu, tandis que le spectre d’un effondrement complet de l’État se profile.