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La faim, cet autre front du conflit au Soudan du Sud

Une fille se dirige vers un point d'eau dans la ville de Renk, dans l'État du Haut-Nil, au Soudan du Sud. (archive)
© UNICEF/Mark Naftali
Une fille se dirige vers un point d'eau dans la ville de Renk, dans l'État du Haut-Nil, au Soudan du Sud. (archive)
Alors que le Soudan du Sud entre dans la période de soudure, le nord-est du pays atteint des niveaux record d’insécurité alimentaire, a mis en garde, mercredi, une agence de l’ONU. 

Selon le Programme alimentaire mondial (PAM), 7,7 millions de Sud-Soudanais sont confrontés à une insécurité alimentaire aiguë, soit plus de la moitié de la population, alors que le pays entame cette période difficile précédant les premières récoltes, durant laquelle le grain de la récolte précédente est épuisé.

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« C'est la période de l'année où la faim atteint son apogée et en ce moment nous sommes sérieusement à un point de basculement », a déclaré Mary-Ellen McGroarty, la représentante du PAM au Soudan du Sud, lors d’un point de presse à New York, auquel elle participait par liaison vidéo depuis la capitale, Juba. 

Plus d’un tiers des Sud-Soudanais souffrant de la faim vivent dans le nord-est du pays, notamment dans l'État du Haut-Nil, près de la frontière avec l'Éthiopie, où depuis le 4 mars, des affrontements croissants ont lieu entre les forces du président Salva Kiir et un groupe de miliciens de la communauté Nuer, connu sous le nom de l’Armée blanche, accusé par M. Kiir d’être proche de son rival, le premier vice-président Riek Machar.

Escalade des combats

La lutte de pouvoir entre les deux hommes est au cœur de l’histoire de la plus jeune nation du monde, qui a sombré dans une guerre civile à dimension ethnique en 2013, deux ans à peine après son indépendance. 

Depuis 2018, un accord de paix fragile de partage du pouvoir entre le président Kiir et le vice-président Machar avait permis un retour au calme. Mais cet accord a volé en éclats le mois dernier, avec l'arrestation de M. Machar à son domicile à Juba, par les Forces de défense du peuple du Soudan du Sud de M. Kiir.

L’incident est venu couronner plusieurs semaines de tensions entre les deux hommes dans la capitale, où des responsables politiques affiliés au Mouvement populaire de libération du Soudan dans l'opposition de M. Machar avaient été limogés et arrêtés courant février. 

Un pays submergé par les crises

A cette crise s’ajoute le conflit armé qui dure depuis avril 2023 au Soudan voisin, lequel a provoqué un afflux massif de civils fuyant les combats vers le Soudan du Sud. 

Environ 1,1 million de réfugiés ont traversé la frontière, dont près de la moitié sont confrontés, selon le PAM, à un niveau de faim « catastrophique ».

La guerre au Soudan a également perturbé l’économie dans les États limitrophes, notamment au Soudan du Sud. « Les prix des denrées alimentaires ont doublé, triplé, augmenté de 150 et 200 % et même pour le PAM, nos chaînes d'approvisionnement sont perturbées, ce qui signifie que nous devons faire venir de la nourriture du sud, ce qui coûte au moins 100 dollars de plus par tonne », a expliqué Mary-Ellen McGroarty.

Des femmes trient des réserves de compléments alimentaires au Soudan du Sud.
© WFP/Eulalia Berlanga
Des femmes trient des réserves de compléments alimentaires au Soudan du Sud.

Une aide humanitaire bloquée

Le PAM dispose actuellement de plus de 9.000 tonnes de vivres, stockés principalement à Malakal, Bor et Juba, de quoi nourrir plus d’un million de personnes pendant un mois. Mais l’insécurité persistante contraint l’agence à suspendre ses distributions dans six comtés de  l'État du Haut-Nil.

Les voies fluviales, souvent les seules routes praticables, sont devenues des zones de combat. Cela empêche l’acheminement de 148 tonnes de fournitures nutritionnelles, médicales et d’abris, prêtes à être livrées dès que les conditions de sécurité le permettront.

« Ces zones sont déjà parmi les plus reculées du pays », a dit Mme McGroarty. « L'accès physique peut être difficile dans le meilleur des cas, mais avec un conflit actif, le PAM ne peut pas remonter le fleuve, nous ne pouvons pas le descendre, et ce sont des zones où il n'y a ni routes, ni voitures ».

Le Service aérien humanitaire des Nations unies (UNHAS), géré par le PAM, maintient une liaison vitale en assurant des vols de fret et de personnel vers les zones les plus isolées. Mais cette solution, coûteuse et limitée, ne permet pas de couvrir l’ensemble des besoins.

Un garçon assis près d'un champ inondé dans l'État de Jonglei, au Soudan du Sud.
© UNICEF/Mark Naftalin
Un garçon assis près d'un champ inondé dans l'État de Jonglei, au Soudan du Sud.

Urgence sanitaire et financement en péril

À cette crise alimentaire s’ajoute une épidémie de choléra qui touche particulièrement l'État du Haut-Nil. Le Cluster logistique coordonné par le PAM a déjà envoyé par voie aérienne 35 tonnes de fournitures sanitaires et d’eau potable, en attendant de procéder à des livraisons supplémentaires dès que la situation le permettra.

Pour le PAM, assurer la sécurité des  équipes de l’agence, des populations locales et des stocks de nourriture est une priorité. « Nous ne pouvons intervenir que là où cela ne met pas de vies en danger », a déclaré Mme McGroarty.

Malgré l’ampleur des besoins, le PAM fait face à un déficit de financement de 396 millions de dollars pour couvrir ses opérations au Soudan du Sud jusqu’à la fin de l’année 2025. Une équation redoutable, alors même que les conditions de vie se dégradent jour après jour.

Dans les campagnes du nord-est, les vivres manquent, les marchés sont à l’arrêt, et les familles en viennent à réduire les repas ou à consommer des racines sauvages pour survivre. Alors que les combats s’intensifient, « le Soudan du Sud n'est pas en mesure de résister à une nouvelle guerre », a estimé la représentante du PAM.