Fil d'Ariane

Conflit en RDC : la question du désengagement de la MONUSCO reléguée au second plan

C’est ce qu’a expliqué la cheffe de la MONUSCO, Bintou Keita, dans un entretien accordé mercredi à ONU Info, la veille de son exposé sur la situation dans ce pays devant les membres du Conseil de sécurité de l’ONU à New York.
Efforts de médiation
La rencontre entre le président congolais, Félix Tshisekedi, et son homologue rwandais, Paul Kagame, la semaine dernière à Doha, au Qatar, au cours de laquelle ils ont évoqué un cessez-le-feu, montre, selon elle « une image positive », puisque les deux hommes ne s’étaient pas rencontrés physiquement depuis très longtemps.
La cheffe de la MONUSCO ajoute que la mission onusienne a été associée aux efforts de médiation menés par l’Angola, auxquels elle a apporté sa « connaissance physique du terrain », et est prête à appuyer « l’observation d’un vrai cessez-le-feu » dans l’est de la RDC.
C'est dans cette région du pays que, depuis le début de l'année, les rebelles du M23 et l'armée rwandaise mènent une offensive contre le gouvernement de Kinshasa, dans la province du Sud-Kivu, dont les casques bleus de la MONUSCO se sont retirés en juin 2024, et celle du Nord-Kivu, où la mission est toujours déployée. Les soldats de la paix sont également présents en Ituri, une province voisine dans laquelle d’autres groupes armés profitent de la diversion causée par la percée du M23 pour multiplier les attaques.
Le désengagement progressif est passé au second plan
Avant l’intensification du conflit en janvier, la MONUSCO et le gouvernement congolais poursuivaient leurs discussions sur un « désengagement progressif et responsable » de la mission de paix onusienne et devaient présenter, fin mars, au Conseil de sécurité la manière dont ce désengagement s’effectuerait au Nord-Kivu et en Ituri, sur la base des leçons apprises du désengagement du Sud-Kivu.
Mais avec l’offensive du M23, « l’urgence était de gérer la crise », explique Bintou Keita, ce qui a placé au second plan les discussions sur le désengagement. « Le Conseil va recevoir une lettre du Secrétaire général qui va admettre qu'il n'a pas été possible dans le contexte des développements actuels de pouvoir aller plus avant dans le raffinement de la méthodologie du désengagement », nous dit Mme Keita.
Protection de civils dans les bases de la MONUSCO
L’escalade du conflit dans l’est de la RDC n’a pas empêché les casques bleus de continuer à remplir leur mandat de protection des civils, malgré l’environnement difficile dans les zones sous le contrôle du M23 dans le Nord-Kivu.
Même si sa capacité à mener des patrouilles est restreinte, la MONUSCO accueille notamment dans ses bases des milliers de personnes qui sont venues y trouver refuge, leur offrant ainsi une protection physique.
« Il y a trois manières de faire la protection des civils. Il y a les engagements politiques, il y a la sécurité physique – la protection physique par la présence physique – et puis il y a les conditions pour que les populations se sentent bien », souligne l’envoyée de l’ONU.
Dans ses bases, à Goma, la MONUSCO offre ainsi une protection aux personnes venues s’y réfugier. « Est-ce que ce sont des militaires ou est-ce que ce sont des civils ? À partir du moment où ils sont dans nos bases, ils sont tous considérés comme non combattants parce qu'ils sont désarmés et donc ils sont des civils », dit-elle. « Notre rôle de protection des civils, c'est de répondre aux demandes de protection individuelle. Dans le contexte des zones sous contrôle du M23, nous avons une forte demande d'individus, de groupes, qui veulent venir dans nos bases pour être protégés ».
« En ce moment, la protection des civils, ce n'est pas de faire des patrouilles dans l'environnement, c'est de pouvoir accueillir ceux qui sont en recherche d'un refuge dans les bases de la MONUSCO », ajoute-t-elle.
La MONUSCO s’efforce aussi de plaider auprès du M23 et de l'Alliance fleuve Congo, une coalition politique affiliée au groupe armé, en faveur du respect des droits de l'homme et du droit humanitaire. La mission plaide également auprès du gouvernement congolais en faveur de l’amélioration des conditions de vie des personnes dans les sites de déplacés à qui on a demandé de partir pour retourner dans leur lieu d'origine.
Aide humanitaire : inventer d’autres modèles

Concernant l’impact du gel du financement américain de l’aide humanitaire en RDC, l’envoyée de l’ONU estime que c’est peut-être le moment d’inventer d’autres modèles de réponse humanitaire, suggérant notamment de privilégier les ONG et associations locales.
Elle rappelle que 70% du financement de l'aide humanitaire en RDC était dépendant du financement des États-Unis à travers l’agence américaine USAID.
« Peut-être que c'est le moment de se poser la question : comment fonctionner dans un environnement où les ressources sont plutôt déclinantes et peut-être inventer d'autres modèles de réponse humanitaire », dit-elle. « Et dans ce contexte, je pense que les organisations non gouvernementales nationales, les associations locales, devraient être privilégiées parce qu'elles, quelle que soit la situation sécuritaire, restent sur terrain, continuent de pouvoir avoir accès aux populations ».

Le fléau des violences sexuelles
Evoquant la recrudescence des violences sexuelles liées au conflit, elle déplore que les appels réguliers à lutter contre ce fléau ne soient pas entendus.
« Qu’est-ce qu'il faudrait faire de différent ? À mon avis, il y a plusieurs niveaux, mais c'est du moyen et long terme. Dans l'immédiat, c'est de pouvoir apporter une réponse holistique à celles qui sont les survivantes des violences sexuelles, pour amener à la fois une réponse sur le plan traumatique, sur le plan psychologique, la prise en charge médicale, mais aussi la prise en charge au sens légal de poursuites pour que la justice se prononce et qu'il y ait aussi des réparations », dit-elle.
Elle note que le gouvernement congolais est enclin à des réparations, mais elle se demande si la réponse est assez rapide pour les victimes et à la mesure de « la magnitude des violences ».
Recrutement d’enfants par les groupes armés
Interrogée sur les rapports alarmants de recrutement d'enfants dans les rangs du M23, elle déplore que malgré tout le travail de plaidoyer, les groupes armés continuent de recruter des enfants pour grossir leurs rangs.
Selon elle, « pour essayer de changer la donne », il va falloir travailler avec les communautés pour les sensibiliser à cette question, car ces groupes armés « sont issus de communautés, ont des familles ». Il s’agit de montrer, au niveau communautaire, les dégâts que cause le recrutement des enfants sur le moyen et long terme.
« Les enfants, ce n'est pas dans les groupes armés qu'ils doivent être, ils doivent être à l'école primaire, secondaire, à l'université, pour être des citoyens et des citoyennes pour leur pays », conclut-elle.