Fil d'Ariane

Haïti : le recours à la violence sexuelle par les gangs inflige des « souffrances insupportables » à la population

Alors que les gangs se répandent dans des zones autrefois libres de gangs dans la capitale Port-au-Prince et dans sa périphérie et s’emparent de territoires et d’infrastructures clés, les violences sexuelles, notamment les viols collectifs et l’exploitation sexuelle, sont de plus en plus utilisées par les gangs pour contraindre les communautés et affirmer leur domination.
« Sous la menace des armes, de nombreuses victimes ont été attaquées à leur domicile, tandis que d’autres ont été enlevées, violées dans des lieux publics ou saisies alors qu’elles voyageaient dans les transports publics », a indiqué Volker Türk devant le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, à Genève.
Selon le Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme (HCDH), plusieurs victimes ont été « tuées par balle après avoir été violées ». « Les services d’aide aux survivants restent extrêmement rares. Le Bureau a également documenté le recrutement forcé, l’exploitation et la traite d’enfants par des gangs », a détaillé M. Türk.
Une « souffrance insupportable » subie par la population
D’une manière générale, les gangs se sont unis pour lancer des attaques coordonnées, armés d’armes puissantes et, dans certains cas, plus nombreux et plus puissants que les forces de sécurité nationales. Les gangs tuent des gens ordinaires, punissant brutalement ceux qui défient leurs règles ou qui sont soupçonnés de collaborer avec la police ou les groupes d’autodéfense.
« Je dois m’arrêter ici une minute, car je ne suis pas sûr que la description habituelle de la violence des gangs rende compte de l’ampleur des souffrances insupportables qui ont été infligées au peuple haïtien », a fait valoir M. Türk.
Au cours de la période considérée, entre le 1er juillet 2024 et le 28 février 2025, 4.239 personnes ont été tuées. Selon le HCDH, plus de 90 % des victimes ont été tuées par des armes à feu.
Les services du Haut-Commissaire Türk indique avoir documenté « plusieurs massacres ». Par exemple, pendant cinq jours au début du mois de décembre, au moins 207 personnes ont été tuées par les gangs qui contrôlent le quartier Wharf Jérémie de Cité Soleil.

Omniprésence des armes à feu
Pour l’ONU, l’omniprésence des armes à feu est au cœur de leur violence.
Plus de 700 enlèvements, perpétrés par des personnes armées, ont été recensés.
Le rapport présenté devant le Conseil explique en détail comment l’utilisation d’armes à feu et de différentes formes de munitions issues du trafic alimente un cycle de violence destructeur, entraînant de graves violations des droits de l’homme et des abus.
L’ONU estime qu’entre 270.000 et 500.000 armes à feu circulent de manière illicite en Haïti, la plupart des armes étant entre les mains de gangs. « Ces armes, de plus en plus sophistiquées, ne sont pas fabriquées en Haïti, mais arrivent systématiquement d’ailleurs ».
Dans ces conditions, les gangs mettent en place leur propre forme de gouvernance dans les zones qu’ils contrôlent. Malgré les efforts considérables de la police nationale haïtienne, les attaques des gangs remettent en question le contrôle de l’État sur les territoires restants et sa capacité à reprendre des territoires aux gangs.
Hausse des décès lors des opérations de police contre les gangs
Par ailleurs, plus de 2.000 personnes ont été tuées ou blessées lors d’opérations de maintien de l’ordre menées contre des gangs, soit une hausse de 60 % par rapport au semestre précédent. Près d’un tiers des personnes tuées ont été touchées alors qu’elles n’étaient pas impliquées dans des actes de violence, souvent par des balles perdues alors qu’elles se trouvaient dans la rue ou chez elles.
Le HCDH indique avoir documenté au moins 219 cas d’exécutions sommaires par des unités de police spécialisées au cours de la période couverte par le rapport, ce qui représente une augmentation substantielle par rapport aux 33 cas recensés en 2023.
Outre l’accélération du déploiement d’une mission internationale d'appui à la sécurité, le HCDH réclame la mise en œuvre intégrale de l’embargo sur les armes décrété par le Conseil de sécurité, ainsi que du gel des avoirs et de l’interdiction de voyager. « La première étape la plus importante consiste à mettre un terme au flux illicite d’armes à Haïti », a insisté le chef des droits de l’homme.
Arrêter le flux d’armes vers l’île
En écho à cette requête du Volker Türk, l’Expert indépendant sur la situation des droits de l’homme à Haïti, a appelé au renforcement rapide du régime de sanctions autorisé par le Conseil de sécurité. Pour l’expert, la communauté internationale doit faire davantage pour stopper le flux d’armes et de munitions vers l’île.
« Les soutiens financiers et politiques des gangs doivent payer le prix de leurs crimes : gel des comptes bancaires, saisie des biens, annulation des visas. Les acteurs du secteur privé m’ont dit que les élites puissantes qui profitent de la violence craignent ces sanctions », William O’Neill.
Il s’est ainsi réjoui des récentes saisies en République dominicaine de plusieurs cargaisons importantes d’armes et de balles destinées à Haïti, ainsi que de la récente condamnation par les tribunaux fédéraux américains de plusieurs trafiquants d’armes impliqués dans des livraisons à Haïti.
« Il est temps d’agir. Si nous attendons plus longtemps, il pourrait ne rester que très peu de choses à sauver en Haïti », a fait observer M. O’Neill.