Aller au contenu principal

Aidez-nous à améliorer notre site web en répondant à ce court sondage

Suspension du financement américain : des millions de vies en péril, alerte l’OMS

Sida, paludisme, tuberculose, rougeole : autant de fronts sur lesquels des décennies de progrès risquent d’être anéanties en l’espace de quelques mois par l'arrêt du financement américain, prévient l’Organisation mondiale de la santé (OMS). 

Lors d’un point de presse à Genève, le directeur général de l'agence, Tedros Adhanom Ghebreyesus, a dénoncé lundi les conséquences potentiellement désastreuses pour la vie de millions de patients à travers le monde de la décision des États-Unis de suspendre, pour une durée initiale de trois mois, les fonds du pays destinés à lutter contre les grandes pandémies mondiales. 

Au moment où le docteur Tedros poussait son cri d’alarme, le Burundi est devenu, ce lundi, le 18e pays à introduire un vaccin contre le paludisme dans son programme de vaccination infantile. Grâce au soutien de l’OMS et de l’Unicef, le pays prévoit d’immuniser plus de 250.000 enfants cette année. « Nous estimons que, d’ici fin 2025, jusqu’à 25 pays incluront les vaccins antipaludiques dans leurs programmes de vaccination infantile », a salué le chef de l’OMS.

Le Directeur général de l'OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, prononce le discours d'ouverture de la 156e session du Conseil exécutif.
OMS
Le Directeur général de l'OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, prononce le discours d'ouverture de la 156e session du Conseil exécutif.

Paludisme : 107.000 décès potentiels supplémentaires

Mais ces avancées risquent fortement d’être compromises. « De nombreux progrès réalisés dans la lutte contre le paludisme au cours des 20 dernières années sont désormais menacés par la réduction du financement américain pour la santé mondiale », a-t-il averti. 

Selon lui, la baisse des contributions américaines est déjà lourde de conséquences. « L’approvisionnement en diagnostics, médicaments et moustiquaires imprégnées d’insecticide contre le paludisme est actuellement gravement perturbé en raison de ruptures de stock, de retards de livraison ou d’un manque de financement », a-t-il indiqué.

Les chiffres avancés par le chef de l’OMS sont alarmants : si ces perturbations se poursuivent, « nous pourrions assister à 15 millions de cas de paludisme et 107.000 décès supplémentaires rien que cette année, au détriment de 15 années de progrès ».

Un retour en arrière pour la lutte contre le VIH

La crise de financement actuelle ne se limite pas au paludisme. La réduction du financement du programme américain de lutte contre le sida PEPFAR a déjà des conséquences dramatiques. 

« La suspension de la majeure partie du financement du PEPFAR a entraîné l’arrêt immédiat des services de traitement, de dépistage et de prévention du VIH dans plus de 50 pays », a indiqué le docteur Tedros.

Parallèlement, « huit pays connaissent actuellement d’importantes perturbations de leur traitement antirétroviral et seront à court de médicaments dans les prochains mois », a-t-il précisé. 

Selon l’OMS, l’interruption de ces programmes pourrait engendrer plus de 10 millions de nouvelles infections et 3 millions de décès liés au VIH dans les années à venir.

Un distributeur communautaire délivre un traitement antirétroviral à un patient à Kinshasa, en RDC.
© Alexis Huguet
Un distributeur communautaire délivre un traitement antirétroviral à un patient à Kinshasa, en RDC.

Tuberculose, rougeole, polio : des systèmes sous pression

L’alerte concerne également la tuberculose, qui pourrait connaître une recrudescence dans les mois à venir. « Vingt-sept pays d’Afrique et d’Asie sont confrontés à des défaillances majeures dans leur riposte : pénuries de ressources humaines, perturbations du diagnostic et du traitement, effondrement des systèmes de données et de surveillance », a déploré le chef de l’OMS.

Les financements américains jouaient aussi un rôle central dans la lutte contre la rougeole et la rubéole, notamment via un réseau mondial de 700 laboratoires, désormais menacé de fermeture. « Cela survient au pire moment possible, alors que la rougeole fait son retour », a-t-il souligné. En 2023, 57 épidémies majeures de rougeole ont en effet été enregistrées, une tendance toujours à la hausse selon l’OMS.

Quant aux efforts visant à éradiquer la poliomyélite, surveiller l'émergence de maladies telles que la grippe aviaire ou répondre à diverses crises humanitaires, ils risquent eux aussi d’être fortement entravés. « Près de 24 millions de personnes vivant en situation de crise humanitaire risquent de ne pas avoir accès aux services de santé essentiels », a indiqué le docteur Tedros. 

D’ores et déjà, plus de 2.600 établissements de santé ont interrompu leurs services dans douze contextes de crise à travers le monde.

Un malade atteint de tuberculose chez lui en Colombie
© PAHO/Joshua Cogan
Un malade atteint de tuberculose chez lui en Colombie

En Afghanistan, 80 % des hopitaux risquent de fermer

Dans un communiqué de presse séparé, l’OMS indique par ailleurs que 80 % des établissements soutenus par l'OMS en Afghanistan risquent de fermer d'ici juin par manque de financement.

L’agence précise que 167 établissements de santé ont déjà fermé leurs portes, privant 1,6 million de personnes de soins médicaux vitaux dans 25 provinces afghanes, un pays notamment en proie à des épidémies de rougeole, de paludisme, de dengue, de polio et de fièvre hémorragique de Crimée-Congo.

Sans fonds supplémentaires, plus de 220 autres établissements pourraient fermer d'ici l’été, au détriment de 1,8 million d'Afghans supplémentaires, indique l’OMS. 

« Ces fermetures ne sont pas de simples chiffres sur un rapport : elles représentent des mères incapables d’accoucher en toute sécurité, des enfants privés de vaccins vitaux, des communautés entières privées de protection contre des épidémies mortelles », déclare le représentant de l’OMS en Afghanistan, Edwin Ceniza Salvador. « Les conséquences se mesureront en vies perdues ».

Plus de 16.000 cas suspects de rougeole, dont 111 décès, ont été signalés au cours des deux premiers mois de 2025 dans le pays, où les taux de vaccination extrêmement bas exposent les enfants à des décès évitables.

Une jeune fille reçoit son vaccin contre la rougeole et la polio, en Afghanistan.
© WHO Afghanistan
Une jeune fille reçoit son vaccin contre la rougeole et la polio, en Afghanistan.

Responsabilité américaine et solidarité internationale

Tout en reconnaissant le rôle historique des États-Unis dans le financement de la santé mondiale, le directeur de l’OMS a appelé Washington à agir de manière responsable. 

« L’administration américaine a fait preuve d’une extrême générosité pendant de nombreuses années et, bien entendu, elle est en droit de décider des causes qu’elle soutient et de quelle manière », a-t-il affirmé.

Cependant, il a mis en garde contre une rupture brutale. « Les États-Unis ont également la responsabilité de veiller à ce que, s’ils retirent leur financement direct à certains pays, cela se fasse de manière ordonnée et humaine, afin de permettre à ces pays de trouver d’autres sources de financement ».

Dans l’hypothèse où Washington maintiendrait ces coupes, le docteur Tedros appelle les autres donateurs et les gouvernements concernés à réagir. « Que le financement américain soit rétabli ou non, les autres donateurs devront se mobiliser, tout comme les pays qui ont compté sur le financement américain, dans la mesure de leurs possibilités », a-t-il estimé.

Enjeu humanitaire, mais aussi sécuritaire et économique, la santé mondiale ne peut se permettre un tel retour en arrière, a insisté le chef de l’OMS. Si rien n’est fait, a-t-il insisté, des millions de vies seront perdues.