Fil d'Ariane
Le Bureau des droits de l’homme de l’ONU enverra la semaine prochaine une équipe en Syrie
Selon le Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme (HCDH), cette petite équipe de spécialistes des droits de l’homme en Syrie soutiendra la présence actuelle des Nations Unies sur les questions relatives aux droits de l’homme, ainsi que les efforts visant à garantir que toute transition soit inclusive et s’inscrive dans le cadre du droit international.
Une façon pour l’ONU de rappeler que la justice transitionnelle et l’instauration d’une confiance communautaire ancrée dans les droits de l’homme constitueront un « chapitre très important de l’avenir de la Syrie ».
« C’est le seul moyen de répondre à la douleur incommensurable endurée par les individus et les familles à travers le pays depuis des décennies et de construire un avenir dans lequel les droits de l’homme de tous les Syriens seront respectés, protégés et réalisés de manière égale », a déclaré lors d’un point de presse à Genève, Thameen Al-Kheetan, porte-parole du HCDH.
La préservation des preuves des crimes et des violations passés
Pour l’ONU, il est essentiel que les autorités intérimaires prennent des mesures immédiates pour assurer la préservation des preuves des crimes et des violations passés. Il s’agit notamment des charniers, des dossiers et des documents provenant des prisons, des centres de détention, des ministères et d’autres institutions publiques, ainsi que de toute autre preuve matérielle qui pourrait être cruciale pour documenter ce qui s’est passé.
Il faut faire en sorte que les responsables rendent compte de leurs actes, dans le respect des normes internationales. Il s’agit également de veiller à ce que les femmes, les enfants et les diverses communautés ethniques et religieuses puissent exercer pleinement leurs droits.
Alors que le Chef de l’ONU a nommé hier la Mexicaine Karla Quintana à la tête de l’Institution indépendante pour les personnes disparues en Syrie, le Chef des droits de l’homme de l’ONU, Volker Türk, a souligné l’importance de ce moment, tant pour les personnes toujours portées disparues que pour leurs proches.
Tandis que l’institution IIPD s’attachera à atténuer les souffrances des familles des disparus, le Haut-Commissariat et d’autres mécanismes - notamment la Commission internationale indépendante d’enquête sur la Syrie et le Mécanisme international, impartial et indépendant – se pencheront sur les abus passés et présents, dans le cadre de leurs mandats respectifs.
Des réponses face aux circonstances dans lesquelles des Syriens ont été portés disparus
Depuis la chute de Bachar el-Assad, il y a près de deux semaines, il y a des images de centaines de détenus se déversant hors des prisons désormais ouvertes - certains exprimant leur bonheur de voir la lumière du soleil, mais d’autres tellement choqués par des années de torture et de traitements inhumains qu’ils sont incapables de toute forme d’expression.
Nombre d’entre eux ont été détenus au secret pendant des années, laissant leurs familles sans aucune information sur leur sort ou le lieu où ils se trouvent. « Nous avons vu des scènes touchantes de personnes se serrant dans les bras pour la première fois depuis des années, d’autres luttant pour reconnaître leurs fils et leurs filles, et de nombreuses familles qui sont restées dans la détresse parce qu’elles n’ont pas encore retrouvé leurs proches », a déclaré Thameen Al-Kheetan, porte-parole du Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme (HCDH).
Pour les services du Haut-Commissaire Türk, ces familles méritent d’obtenir toutes les réponses concernant le sort de leurs proches et le lieu où ils se trouvent, et de connaître les circonstances dans lesquelles ils ont été portés disparus.
Une experte de l’ONU documente devant la CIJ les abus commis en Syrie
Par ailleurs, la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la torture a publié jeudi un document de synthèse relatif à l’affaire que la Cour internationale de justice va engager contre la Syrie. Cette prise de position couvre les nombreuses allégations de torture depuis le début de la guerre civile dans le pays en 2011.
« Tant de Syriens ont été torturés, tant ont disparu et tant ont été assassinés au cours des cinq dernières décennies », a déclaré Alice Jill Edwards. « Ces tragédies sont maintenant révélées au grand public, alors que les victimes sortent des prisons et des centres de détention à travers la Syrie.
Selon l’Experte, les mauvais traitements infligés par le régime Assad comprennent les passages à tabac, les insultes et les humiliations, les chocs électriques, ainsi que l’immobilisation de personnes sur des supports improvisés en métal et en bois. Des brûlures, des blessures par balles et d’autres signes de cruauté, y compris la torture sexuelle, sont documentés.
Il faut « réévaluer » les sanctions pour permettre la reconstruction, selon l’OIM
Sur le plan humanitaire, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) estime qu’il faut « réévaluer » les sanctions internationales pour permettre la reconstruction de la Syrie. « Les exemptions des sanctions pour le développement et la reconstruction sont essentielles pour que nous puissions commencer à les étendre, mais c’est une question qui relève de la décision des États membres », a déclaré lors d’un point de presse à Genève, la directrice générale de l’OIM, Amy Pope, lors d’une conférence de presse à Genève, après son retour de Syrie.
Pour l’agence onusienne basée à Genève, la situation est « fragile ». Alors que Damas reste sous sanctions, il y a une « énorme pénurie de biens normaux ». La majeure partie de l’économie dépend des liquidités. Le pays a simplement besoin de toutes sortes d’aide de la part de la communauté internationale.
« Pour illustrer la pauvreté généralisée, la Cheffe de l’OIM était à Damas où elle a rencontré une jeune femme médecin interne, qui gagnait seulement 50 $ par mois dans un hôpital public. Elle a dû faire d’autres travaux pour subvenir à ses besoins ».
A noter que plus de six millions ont quitté ces dernières années la Syrie et 7,2 millions sont restés déplacés à l’intérieur de ses frontières. Sur la question du retour des réfugiés, l’OIM rappelle qu’elle ne favorise pas « les retours volontaires à grande échelle ». D’autant que de nombreuses communautés ne sont pas prêtes à absorber le retour des déplacés internes et des réfugiés, et « tous les retours doivent être volontaires, dignes et sécuritaires ».
Les conditions pour un retour digne des réfugiés
En attendant, les Syriens veulent savoir que lorsqu’ils rentrent chez eux, ils rentrent chez eux pour de bon et que leurs familles seront en sécurité et qu’elles auront du soutien. Ces familles ont beaucoup à considérer, avant de prendre « la bonne décision ». Elles doivent savoir où leurs enfants iront à l’école, s’elles ont encore leur maison ou si elle a été détruite, et s’elles sont en sécurité.
Dans certaines régions du pays, les infrastructures essentielles, des hôpitaux aux écoles, ont été détruites ou sont dysfonctionnelles. Alep, par exemple, a été presque entièrement détruite pendant le conflit entre 2012 et 2016, avec plus de deux millions de personnes qui ont quitté la ville.
Plus largement, les besoins humanitaires vont des plus élémentaires – logement, nourriture et eau potable – à la tâche complexe de reconstruction d’une société en ruine. Plus de 90 %de la population vit en dessous du seuil de pauvreté.
« La réalité est que jusqu’à il y a deux semaines, pendant les 13 dernières années de guerre, l’ONU a dû faire face à des défis incroyables pour répondre à ces besoins humanitaires en raison de tous les obstacles mis en place par le régime d’Assad, qui empêchent l’ONU d’évaluer systématiquement les besoins et de fournir de l’aide. Nous n’avons pas toujours pu accéder aux lieux, obtenir des visas ou travailler efficacement », a fait valoir Mme Pope.
Plus de la moitié des hôpitaux de la Syrie ne fonctionnent pas
Du côté de l’Agence sanitaire mondiale de l’ONU (OMS), on note que l’infrastructure sanitaire est mise à rude épreuve. Alors que plus de la moitié des hôpitaux de la Syrie ne fonctionnent pas, 36 attaques ont été menées contre des établissements de santé en l’espace de trois semaines.
À Hama par exemple, 30 établissements de santé ne fonctionnent toujours pas. Dans le nord-est de la Syrie, l’activité de 14 centres de santé est toujours suspendue en raison d’actes de vandalisme et de pillage et de l’impossibilité d’accéder à ces centres.
D’autres établissements de santé ne fournissent que des services de base en raison d’une grave pénurie de produits pharmaceutiques et de fournitures médicales, ce qui ne fait qu’aggraver la situation pour les 44.000 personnes déplacées dans cette région.
Des équipes de l’OMS, qui se sont rendues hier à Idlib, ont visité des hôpitaux qui sont devenus des bouées de sauvetage au cours de la récente escalade du conflit. Elles ont rencontré des chirurgiens dévoués qui ont travaillé sans relâche, souvent sous les attaques, pour sauver des vies.
Des terrains propices pour les maladies diarrhéiques
Un chirurgien a ainsi partagé avec les équipes de l’ONU les mots d’un patient qui a franchi les portes de l’hôpital : « Nous dormons enfin la nuit, nous n’avons plus peur d’être bombardés ».
« Dans un pays secoué par plus d’une décennie de conflits et de déplacements, la santé mentale et les services psychosociaux ne sont pas seulement essentiels, ils sont vitaux pour les familles », a affirmé Christina Bethke, Représentante par intérim de l’OMS en Syrie, qui s’exprimant depuis Damas.
Plus largement, les conditions de vie surpeuplées, l’insécurité alimentaire et l’assainissement inadéquat sont des terrains propices aux carences nutritionnelles, aux infections respiratoires et à d’autres maladies transmissibles telles que les maladies diarrhéiques, ainsi qu’aux poux et à la gale, qui peuvent entraîner des complications de santé à long terme.
Pour financer ses opérations, l’OMS a lancé un appel de 56 millions de dollars afin de répondre aux besoins urgents au cours des six prochains mois.