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Afghanistan : l’ONU recense plus de 300 atteintes contre la presse en trois ans de pouvoir taliban

Au moins 336 atteintes contre des journalistes et employés des médias ont été recensés depuis le retour du gouvernement taliban en août 2021, ont rapporté mardi les Nations Unies dans un rapport, fustigeant « un environnement de plus en plus marqué par la censure et de fortes restrictions à l’accès à l’information » dans ce pays d’Asie centrale.

Le rapport conjoint du Bureau des droits de l’homme des Nations Unies et de la Mission d’assistance des Nations Unies en Afghanistan (MANUA) dresse un tableau inquiétant du paysage médiatique dans le pays depuis la prise du pouvoir par les Talibans.

Le document a ainsi répertorié « 256 cas d’arrestations et de détentions arbitraires, 130 cas de torture et de mauvais traitements et 75 cas de menaces ou d’intimidations à l’encontre de journalistes et de travailleurs des médias, souvent parce qu’ils sont perçus comme des critiques des autorités de facto ».

Le rapport, qui couvre la période du 15 août 2021 au 30 septembre 2024, détaille une série de violations des droits de l’homme, ainsi que des tendances inquiétantes pour la liberté des médias en Afghanistan.

Ingérence dans le travail des journalistes étrangers

Depuis la prise du pouvoir par les talibans en août 2021, les journalistes et les professionnels des médias en Afghanistan ont continué à travailler dans ces conditions extrêmement difficiles. Ils sont souvent victimes d’intimidations et de règles floues sur ce qu’ils peuvent ou ne peuvent pas rapporter, ce qui conduit beaucoup d’entre eux à s’autocensurer.

Les professionnels des médias considérés comme ayant franchi les « lignes rouges » imposées par les autorités de facto ont été détenus arbitrairement pour des périodes allant de quelques heures à plusieurs mois, sans procédure régulière, et dans certains cas ont été condamnés et emprisonnés.

Face à ce climat d’intimidation, de nombreux médias ont été contraints de cesser leurs activités, que ce soit en raison de pressions directes exercées sur eux ou du déclin économique général du pays et du retrait d’une grande partie du financement des donateurs. En outre, de nombreux professionnels des médias ont cherché un avenir à l’extérieur, créant une pénurie croissante d’expérience dans le secteur des médias.

Les autorités de facto se sont également immiscées dans le travail des journalistes étrangers travaillant pour des médias internationaux et l’ont étroitement surveillé.

Mesures restrictives et discriminatoires

Le 19 septembre 2021, les autorités de facto ont publié une « directive en 11 points » à l’intention des médias, interdisant, entre autres, la publication de contenus jugés contraires à leur propre évaluation de l’islam et de la culture afghane, ou plus généralement jugés contraires à de vagues notions d’« intérêt national ».

Parmi les autres restrictions figure l’interdiction de diffuser de la musique ou des films jugés contraires à la charia, y compris ceux montrant des femmes. 

« Les femmes journalistes et les travailleurs des médias sont confrontés à des mesures restrictives et discriminatoires particulières qui limitent profondément leur capacité à faire leur travail », a déploré lors d’un point de presse à Genève, Jeremy Laurence, porte-parole du Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme (HCDH).

Dans les bureaux des médias, les hommes et les femmes doivent travailler dans des espaces séparés, et les hommes et les femmes qui diffusent des émissions ne peuvent pas apparaître ensemble dans un programme. Dans certaines provinces, les femmes ne sont même pas autorisées à participer à des émissions de radio, les seules exceptions étant celles qui portent sur des questions de santé ou de religion concernant les femmes.

Priées de s’installer au fond de la salle de la presse

Certains représentants des autorités de facto auraient refusé d’être interviewés ou de parler aux femmes. Ils ont favorisé la présence de journalistes masculins aux conférences de presse, tandis que les femmes journalistes n’étaient pas invitées ou, si elles étaient présentes, étaient priées de s’installer au fond de la salle.

Le rapport cite l’exemple du 3 mai 2023, dans la ville de Nili, localité de la province de Daikundi, où les autorités de facto ont commémoré la Journée mondiale de la liberté de la presse par un événement auquel les femmes journalistes n’auraient pas été invitées.

Face à ces restrictions, les services du Haut-Commissaire Volker Türk notent qu’un tel contrôle global de l’espace public - ou de ce qu’il en reste - est étouffant, non seulement pour les journalistes qui tentent de faire leur travail essentiel en prenant de grands risques, mais aussi pour l’ensemble de la population afghane.