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Au nom des femmes afghanes, des dirigeantes de l’ONU appellent à ne pas succomber au fatalisme

Lors d'une réunion du Conseil de sécurité sur la situation en Afghanistan, deux hautes responsables de l'ONU ont condamné mercredi la récente « loi sur la morale » qui opprime les femmes et isole les autorités de facto afghanes de la communauté internationale au détriment du développement de leur pays. 

« Trois ans après la prise du pouvoir par les Taliban, des millions d’Afghans ont des sentiments mitigés sur la situation de leur pays » a déploré la Représentante spéciale du Secrétaire général dans ce pays, Roza Otunbayeva.

Elle a reconnu que la fin du conflit armé a contribué à « une période de stabilité inédite depuis des décennies » et à nombre d’avancées positives en matière d’économie, d’infrastructures et de relations internationales qui répondent aux conséquences négatives de la guerre.

Sérieuse crise humanitaire

Elle a néanmoins dit craindre que le pays « passe à côté d’une opportunité de progrès ». Au moment où la population est confrontée à une sérieuse crise humanitaire et de développement accompagnée par une baisse des financements internationaux, la Représentante spéciale a reproché aux autorités de facto d’exacerber ces crises par des politiques « insuffisamment centrées sur les besoins réels de leur peuple, qui sapent son potentiel économique ».

La Représentante spéciale et cheffe de la Mission d'assistance des Nations Unies en Afghanistan (MANUA), Roza Otunbayeva, s'exprime lors d'une réunion du Conseil de sécurité sur l'Afghanistan.
UN Photo/Loey Felipe
La Représentante spéciale et cheffe de la Mission d'assistance des Nations Unies en Afghanistan (MANUA), Roza Otunbayeva, s'exprime lors d'une réunion du Conseil de sécurité sur l'Afghanistan.

Par ailleurs,  Roza Otunbayeva, qui est aussi la cheffe de la Mission d’assistance des Nations Unies en Afghanistan (MANUA), a regretté que le déficit de confiance entre les autorités de facto et une part importante de la communauté internationale nuise aux efforts diplomatiques. 

Le Plan de réponse humanitaire pour 2024 n’est financé qu’à 30%, à hauteur de 900 millions seulement sur les 3 milliards de dollars nécessaires, et l’aide sur le terrain s’est notoirement réduite, a-t-elle indiqué, rappelant ainsi que 260 centres de santé ont été fermés, au détriment de 2,9 millions d’habitants, et que 171 autres infrastructures similaires seront closes dans les prochains mois, privant bientôt 900.000 enfants vulnérables d’accès aux soins.

De même, les rations de nourritures ont dû être limitées à nouveau dans des communautés déjà proches du seuil d’alerte alimentaire, principalement au détriment des femmes et les enfants qui représentent 80% des bénéficiaires de l’aide alimentaire.

En outre, seuls 2 des 7 projets de déminage du pays ont été préservés alors que les enfants représentent 86% des victimes d’engins explosifs.

Par ailleurs, alors que 160.000 personnes vivent encore dans des conditions précaires depuis le tremblement de terre de l’année dernière, 74% des communautés rurales ont été touchées par la sécheresse depuis 12 mois.

Crise de développement

Roza Otunbayeva a mis en garde contre une crise de développement due à l’incapacité de l’économie d’absorber la part croissante des jeunes dans la population. Elle s’est aussi inquiétée de la réticence des donateurs internationaux à fournir une aide au développement, en raison des restrictions imposées aux mouvements et aux activités de la moitié de la population, les femmes afghanes.

« Les autorités de facto n’auraient pas besoin de tant de charité internationale si elles consentaient à libérer le potentiel de leur population toute entière », a martelé l'envoyée de l'ONU.

Elle a rappelé qu’en dépit des espoirs suscités par la conférence de Doha en juillet, les autorités afghanes ont brisé ce processus de dialogue et conforté leur isolement international en promulguant une « loi sur la morale » qui envoie un signal négatif à la communauté internationale car elle réaffirme et renforce des politiques déjà condamnées internationalement pour leur impact sur les femmes afghanes.

« Cette loi a été élaborée par un petit groupe d’érudits religieux sans consultation avec la population qu’elle régit. Elle codifie des restrictions existantes imposées aux femmes et en ajoute de nouvelles, tout en conférant des pouvoirs étendus et discrétionnaires du ministère de facto de la promotion de la vertu et de la prévention du vice », a-t-elle déploré.

« Cette loi introduit une nouvelle détérioration sur un terrain où nous ne pensions pouvoir descendre plus bas », a protesté pour sa part Sima Bahous, Directrice générale d'ONU Femmes. Cette loi exige qu’elles se couvrent entièrement dès qu’elles sont en dehors de chez elles. Elle leur interdit de parler en public, d’utiliser les transports en commun sans être accompagnées et même de regarder un homme auquel elles ne sont pas liées par le sang ou le mariage.

Pire encore : les stipulations de la loi sont formulées de manière ambiguë, ce qui soumet les femmes à des interprétations arbitraires qui renforcent les pouvoirs de la police de la moralité et les exposent non seulement à des mesures d’oppression, mais à la peur de leur application erratique.

La Directrice exécutive d'ONU Femmes, Sima Sami Bahous (au centre), s'exprime lors d'une réunion du Conseil de sécurité sur l'Afghanistan.
UN Photo/Loey Felipe
La Directrice exécutive d'ONU Femmes, Sima Sami Bahous (au centre), s'exprime lors d'une réunion du Conseil de sécurité sur l'Afghanistan.

Isolement des femmes

Aux yeux de la dirigeante d’ONU Femmes, la loi sur la morale contribue aussi à isoler les femmes des autres femmes. Une enquête récente de l’organisation démontre que 22% d’entre elles seulement disent rencontrer régulièrement d’autres femmes non liées à leur famille, tandis que 18% ne le font jamais. Cette situation est lourde de conséquences : 9 femmes et filles sur 10 confient que leur santé mentale est mauvaise ou très mauvaise, et 8% d’entre elles disent connaitre au moins une femme ou fille qui a tenté de se suicider.

Selon la même étude, 64% des femmes se sentent totalement en insécurité quand elles sortent seules de leur domicile, pour la grande majorité d’entre elles par crainte de harcèlement par les autorités de facto, qui s’ajoute aux crimes d’honneur, aux châtiments corporels, à la violence domestique et à la mortalité maternelle grandissante.

Ces bannissements détruisent aussi les perspectives de développement économique de l’Afghanistan, a ajouté Sima Bahous, rappelant que selon les projections, l’économie perdra 5% de PIB annuel en raison de l’exclusion des femmes du monde du travail, et l’équivalent des deux tiers de sa richesse nationale avant 2066 si perdure l’interdiction des études supérieures pour les femmes.

Enfin, la cheffe d’ONU Femmes a rappelé que la réaction internationale aux politiques extrêmes inacceptables en Afghanistan avait valeur d’exemple, car elle est observée avec attention par les acteurs politiques et les groupes armés dans d’autres pays.

« Si nous succombons au fatalisme, abandonnons nos principes et retirons nos ressources, la lutte mondiale pour l’égalité des genres s’en ressentira pendant des décennies », a-t-elle prévenu. « Nous devons apprendre de nos erreurs passées, ne plus négocier à la baisse les droits des femmes en échange de possibles avancées sur les dossiers du terrorisme ou de la lutte contre le trafic de stupéfiants. Cette approche a échoué dans les années 1990, et elle échouera encore ».