Fil d'Ariane
Bélarus : les critiques font face à un « serrage de vis », avertit une experte
Les citoyens et la société civile qui critiquent les autorités bélarussiennes sont confrontés à une aggravation de la répression, des détentions arbitraires, des mauvais traitements et du harcèlement, près de quatre ans après les vastes manifestations publiques qui ont entouré la réélection du Président Alexandre Loukachenko, a déclaré mercredi une experte indépendante des Nations Unies.
Dans son dernier rapport annuel au Conseil des droits de l’homme à Genève, la Rapporteure spéciale sur la situation au Bélarus, Anaïs Marin, s’est fait l’écho des préoccupations plus larges et plus anciennes des Nations Unies et de la communauté internationale concernant la répression des libertés démocratiques et d’autres violations graves des droits dans ce pays enclavé d’Europe de l’Est.
Le Président Loukachenko, âgé de 69 ans, est au pouvoir depuis 1994 et est le dirigeant européen qui est resté le plus longtemps en place.
« La répression au Bélarus a atteint une telle ampleur et une telle intensité que le pays ne devrait pas être considéré comme sûr pour quiconque a manifesté un jour son désaccord avec le gouvernement ou ses politiques. Je réitère donc mon appel à ne pas procéder à des extraditions et à des expulsions vers le Bélarus », a déclaré Mme Marin, nommée par le Conseil des droits de l’homme en 2018.
Volte-face démocratique
« La tendance générale que j’observe est un nouveau serrage de vis contre toute opposition réelle ou perçue au gouvernement en place, et la persécution systématique de toute personne qui ose exprimer des opinions dissidentes sur ses politiques », a-t-elle déclaré au Conseil, qui est le principal forum des Nations Unies permettant aux États membres de discuter et de traiter les situations préoccupantes en matière de droits de l’homme.
En l’absence du Bélarus au Conseil pour répondre à son rapport, la Rapporteure spéciale a également noté que Minsk était entré dans un nouveau cycle électoral et qu’il n’avait envoyé « aucun signal indiquant que la prochaine élection présidentielle se déroulerait différemment de la précédente ».
L’étiquette d’extrémiste
Pour illustrer les pressions subies par la société civile au Bélarus - qui a rejeté les demandes de visite de l’experte indépendante - Mme Marin a noté que plus de 1.500 associations enregistrées avaient « disparu » ces dernières années, soit près de la moitié du nombre d’associations qui existaient avant les violences électorales de 2020.
« Pour ce faire, elles ont été désignées comme "formations extrémistes" et leurs dirigeants et membres ont été poursuivis en justice, ce qui les a poussés à s’installer à l’étranger », a-t-elle expliqué.
Dans son rapport couvrant la période du 1er avril 2023 au 31 mars 2024, l’experte indépendante soutient que « tous les types d’associations indépendantes » ont souffert au Bélarus : les organisations et initiatives de la société civile, les partis politiques, les syndicats, les associations de barreaux, les organisations religieuses ou culturelles et les communautés en ligne.
En outre, les syndicats indépendants au Bélarus « ont été démantelés » et le nombre de partis politiques est passé de 16 à 4 dans la période précédant les élections législatives de février 2024, a déclaré la Rapporteure spéciale.
Exil ou prison
« Tous ceux qui ont osé s’élever contre le gouvernement ou ses politiques sont soit derrière les barreaux, soit en exil », a poursuivi Mme Marin, ajoutant que les dissidents en exil « continuent d’être harcelés, qualifiés de traîtres ou d’extrémistes, et poursuivis par contumace pour des crimes présumés ».
Parmi les mesures législatives utilisées par les autorités « pour réprimer la liberté de réunion et d’association », l’experte indépendante a énuméré des campagnes de réenregistrement obligatoire, des restrictions à l’accès au financement et des « représailles » pour les dons, ainsi que la « liquidation d’associations par le biais ou non de procédures judiciaires », la désignation d’associations indésirables en tant que « formations extrémistes » et la « persécution de leurs dirigeants, membres, bénévoles et sympathisants ».
En ce qui concerne les détenus, l’expert indépendant a souligné que « plus d’une douzaine » de décès en détention ont été signalés depuis 2020. Ces décès ont été « très probablement causés par des soins médicaux inadéquats ou inopportuns », a affirmé Mme Marin, ajoutant que « quelques détenus ont été mis au secret pendant plus d’un an et leurs familles ignorent ce qu’il est advenu d’eux ».
Il y a également eu « un nombre croissant d’allégations de mauvais traitements de détenus condamnés pour ce qui semble être des accusations politiquement motivées », a conclu la Rapporteure spéciale, tout en soulignant avec inquiétude le harcèlement des minorités et des membres de la communauté LGBTIQ+ et l’«intimidation» des parents d’«extrémistes» vivant en exil.
NOTE :
Les Rapporteurs spéciaux, les experts indépendants et les groupes de travail font partie de ce que l’on appelle les procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme. Les procédures spéciales, le plus grand groupe d’experts indépendants du système des droits de l’homme des Nations unies, est le nom général des mécanismes indépendants d’enquête et de suivi du Conseil qui traitent soit de situations nationales spécifiques, soit de questions thématiques dans toutes les parties du monde. Les experts des procédures spéciales travaillent sur une base volontaire ; ils ne font pas partie du personnel des Nations unies et ne reçoivent pas de salaire pour leur travail. Ils sont indépendants de tout gouvernement ou organisation et travaillent à titre individuel.