Fil d'Ariane
Le Soudan est confronté à une catastrophe alimentaire sans précédent, selon des agences de l’ONU
Quatorze mois après le début du conflit, le Soudan est confronté aux pires niveaux d’insécurité alimentaire aiguë jamais enregistrés dans le pays, ont alerté jeudi des agences humanitaires des Nations Unies, relevant que si la guerre entre les belligérants s’aggrave, 14 localités risquent de connaître la famine.
Il s’agit d’une crise d'une ampleur sans précédent depuis la crise du Darfour au début des années 2000, avertissent les responsables de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), du Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) et du Programme alimentaire mondial (PAM).
« Quatorze mois après le début du conflit, le Soudan est confronté aux pires niveaux d’insécurité alimentaire jamais enregistrés par le Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire (IPC) dans le pays », a indiqué sur le réseau social X, le PAM, ajoutant que la situation est « catastrophique » dans ce pays d’Afrique du Nord-Est.
« La nouvelle analyse a révélé une détérioration rapide et profonde de la situation de la sécurité alimentaire au Soudan, mettant en péril la vie de millions de personnes », a déclaré Qu Dongyu, Directeur général de la FAO, soulignant l’urgence d’agir collectivement, avec un accès sans entrave, dans l’intérêt de millions de vies innocentes qui sont en jeu.
La situation est particulièrement critique pour les populations piégées dans les zones touchées directement par le conflit, l’insécurité et le manque de protection, notamment dans les États du Grand Darfour, du Grand Kordofan, de Khartoum et d’Al Jazirah.
Inquiétudes au Darfour, Khartoum, Kordofan et dans l’Etat d’Al Jazirah
Selon ce rapport, si le conflit s’aggrave encore, notamment en raison d’une mobilisation accrue des milices locales, la famine a une chance réaliste de se produire dans le pire des scénarios dans quatorze zones, comprenant des parties du Darfour, de Khartoum, du Kordofan et de l’Etat d’Al Jazirah. « Cela contribuerait aux restrictions actuelles de l’accès humanitaire aux populations assiégées dans les zones critiques et limiterait la capacité des gens à s’engager dans des activités agricoles et de travail occasionnel au cours de la prochaine saison agricole ».
Plus largement, la détérioration rapide de la situation laisse plus de la moitié de la population (25,6 millions de personnes) dans une situation d’insécurité alimentaire aiguë. Dans ce lot, quelque 755.000 personnes sont confrontées au niveau le plus grave de la faim extrême (phase 5 de l’IPC) dans 10 États, dont le Grand Darfour (les cinq États), le Kordofan Sud et Nord, le Nil Bleu, Al Jazirah et Khartoum.
Par ailleurs, 8,5 millions, soit 18 % de la population, sont confrontés à des pénuries alimentaires (phase 4 de l’IPC) qui pourraient entraîner une malnutrition aiguë et la mort ou nécessiter des stratégies d’adaptation d’urgence, selon la mise à jour.
Détérioration brutale et rapide de l’insécurité alimentaire
Cette dernière analyse de l’IPC marque une détérioration brutale et rapide de la situation de la sécurité alimentaire par rapport à la précédente mise à jour publiée en décembre 2023. Six mois plus tard, le nombre de personnes confrontées à des niveaux élevés d’insécurité alimentaire aiguë a augmenté de 45 % (de 17,7 millions à 25,6 millions), y compris une augmentation de près de trois quarts (+3,6 millions) dans la phase 4 de l’IPC, tandis que la population en situation de catastrophe (phase 5 de l’IPC) a bondi de zéro à 755.000 au cours de la période juin-septembre 2024.
Par rapport à la même période de l’année dernière (juin 2023), le nombre de personnes classées en phase 3 ou supérieure de l’IPC a augmenté de plus de 50 % (+8,7 millions).
Trois enfants sur quatre touchés quotidiennement par la faim
Sur un autre plan, le détail du document montre que le nombre d’enfants soudanais confrontés à de graves pénuries alimentaires a presque doublé en six mois. Environ 75 % des enfants souffrent aujourd’hui quotidiennement de la faim, alors que le conflit atteint des niveaux record, ce qui fait craindre une augmentation de la malnutrition infantile.
Sur la base de nouveaux chiffres de l’IPC, les agences humanitaires ont constaté que 16,4 millions d’enfants, soit trois enfants sur quatre, sont désormais confrontés à des niveaux de faim « de crise », « d’urgence » ou « de catastrophe », contre 8,3 millions en décembre 2023.
« La faim et la malnutrition se propagent à une vitesse alarmante et, sans une action internationale concertée et sans financement, il existe un risque très réel que la situation devienne incontrôlable. Il n’y a pas de temps à perdre. Tout retard dans l’accès sans entrave aux populations vulnérables se mesurera en perte de vies d’enfants », a averti la Directrice exécutive de l’UNICEF, Catherine Russell.
Léger répit pendant la saison des récoltes d’octobre 2024 à février 2025
Toutefois, les agences humanitaires onusiennes s’attendent à un léger répit. Pendant la saison des récoltes (octobre 2024 - février 2025), les conditions de certains ménages devraient s’améliorer légèrement grâce aux disponibilités alimentaires provenant de la production locale et à la stabilisation partielle des prix des denrées alimentaires.
Toutefois un très grand nombre de personnes (21,1 millions) devraient continuer à être confrontées à une insécurité alimentaire aiguë, dont environ 6,4 millions en situation d’urgence (phase 4 de l’IPC) et près de 110.000 personnes en situation de catastrophe (phase 5 de l’IPC).
Au cours de cette période, sept régions devraient être confrontées à un risque de famine.
Malgré les difficultés d’accès, c’est le branle-bas de combat des agences onusiennes pour éviter la famine. Les équipes du PAM travaillent ainsi 24 heures sur 24 pour répondre aux besoins alimentaires croissants dans tout le Soudan, y compris pour les civils pris au piège à El Fasher et les personnes déplacées de la capitale assiégée du Darfour du Nord.
Tous les camions du dernier convoi du PAM devant passer du Tchad au Darfour par le point de passage de Tine ont atteint la semaine dernière leurs destinations finales au Darfour. Les distributions de nourriture et d’aide nutritionnelle ont commencé dans la plupart des endroits, et d’autres devraient commencer dans les jours à venir.
L’ONU s’efforce d’éviter la famine
Le PAM est venu en aide à plus de 3 millions de personnes déplacées et vulnérables au Soudan depuis le début de l’année et intensifie son aide pour atteindre 5 millions de personnes supplémentaires d’ici la fin de l’année.
De son côté, l’UNICEF a permis à près de 5,5 millions d’enfants de bénéficier d’un dépistage nutritionnel et à plus de 322.000 enfants souffrant de malnutrition aiguë sévère de recevoir un traitement vital.
Après avoir atteint 3,8 millions de personnes au cours du premier semestre de l’année grâce à des distributions de semences d’hiver et à des vaccinations, la FAO se prépare, pour sa part, à aider plus de 1,8 million de ménages agricoles et pastoraux au Soudan, soit l’équivalent de 9 millions de personnes, à reprendre leurs activités de subsistance.
« Pour chaque personne que nous avons aidée cette année, huit autres ont désespérément besoin d’aide », a fait valoir Cindy McCain, Directrice exécutive du PAM. « Nous avons besoin d’urgence d’une expansion massive de l’accès humanitaire et du financement afin de pouvoir intensifier nos opérations de secours et d’arrêter le glissement du Soudan vers une catastrophe humanitaire qui menace de déstabiliser l’ensemble de la région ».