Fil d'Ariane
Alors que la guerre au Soudan s'enfonce dans le chaos, aucun lieu n’est sûr pour les civils (ONU)
Le Conseil de sécurité de l'ONU s'est penché mardi à New York sur l'aggravation de la crise au Soudan, alors que les civils continuent de souffrir au milieu des combats brutaux entre armées rivales, et que le Conseil des droits de l'homme, basé à Genève, a entendu des enquêteurs indépendants décrire le « mépris flagrant » des combattants pour les droits de l'homme fondamentaux et le droit international.
La guerre qui a éclaté en avril dernier entre les forces armées soudanaises (SAF) et les forces paramilitaires de soutien rapide (RSF) a provoqué une instabilité politique, une grave urgence humanitaire et des violations généralisées des droits de l'homme.
Plus de 15.500 morts ont été signalés dans quelque 1.400 incidents violents visant des civils et le Soudan compte désormais près de 9,5 millions de personnes déplacées de force - 7,3 millions à l'intérieur du pays (PDI) et 1,9 million dans les pays voisins.
En outre, environ 18 millions de personnes souffrent d'une grave insécurité alimentaire et 5 millions sont menacées de famine. Les femmes enceintes sont les plus exposées et 7.000 nouvelles mères pourraient mourir au cours des prochains mois si elles n'ont pas accès à la nourriture et aux soins de santé.
Les combats à El Fasher
La situation est particulièrement préoccupante à El Fasher et dans ses environs. La capitale provinciale du Darfour-Nord, aujourd'hui assiégée, comptait avant la guerre une population d'environ 1,5 million d'habitants et abritait 800.000 personnes déplacées.
Elle subit désormais des bombardements incessants, des attaques aériennes et des atrocités sont commises à l'encontre des civils selon des critères ethniques, a déclaré aux ambassadeurs présents au Conseil de sécurité. Martha Pobee, la Sous-secrétaire générale des Nations Unies au Département des affaires politiques et de la consolidation de la paix.
« Les civils sont dans la ligne de mire. Ils ne sont à l'abri nulle part », a-t-elle déclaré.
Elle a appelé à un cessez-le-feu immédiat et à une désescalade conformément à la résolution 2736 du Conseil de sécurité adoptée la semaine dernière.
« Un cessez-le-feu à El Fasher est nécessaire dès maintenant pour empêcher de nouvelles atrocités, protéger les infrastructures essentielles et atténuer les souffrances des civils [...] les parties doivent répondre à cet appel sans délai ».
Sous-entendus ethniques
Mme Pobee a également noté une escalade des combats dans d'autres régions du Soudan, notamment dans le Grand Khartoum, dans les régions du Kordofan et dans l'État de Gezira, où des membres de la RSF auraient tué 100 civils lors de l'attaque d'un village le 5 juin.
« Sans une action rapide, le Soudan risque d'être englouti dans de nouvelles violences ethniques et de se fragmenter encore plus », a-t-elle averti.
« Le risque de débordement du conflit reste élevé ».
L'aide manque cruellement de fonds
Les ambassadeurs ont également entendu Edem Wosornu, la Directrice des opérations au Bureau de la Coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA), qui est revenue sur l'impact de la crise sur les civils et sur les opérations de secours.
Bien qu'il y ait eu quelques améliorations au cours des dernières semaines en matière d'accès, comme l'approbation de visas et de permis de voyage par les autorités, les opérations d'aide continuent à faire face à de sérieux défis, y compris des attaques contre le personnel.
« Six travailleurs humanitaires, tous de nationalité soudanaise, ont été tués au cours des six dernières semaines. Cela porte à 24 le nombre total de travailleurs humanitaires tués depuis le début de la guerre », a déclaré Mme Wosornu.
En outre, l'appel humanitaire de 2,7 milliards de dollars lancé par les Nations Unies est « terriblement sous-financé », a-t-elle ajouté, notant qu'à ce jour, seuls 441 millions de dollars, soit 16 %, ont été reçus.
« Nous sommes engagés dans une course contre la montre pour éviter des pertes massives de vies humaines dans cette crise sans précédent de protection et de sécurité alimentaire au Soudan. Chaque jour où nous attendons que les fonds arrivent, de nouvelles vies sont en danger », a-t-elle averti.
Des enquêteurs indépendants de l’ONU dénoncent les viols et les violences sexuelles au Soudan
Le Conseil des droits de l'homme, qui a ouvert sa 56ème session ordinaire mardi à Genève, a entendu le rapport des enquêteurs indépendants sur les allégations de violations des droits de l'homme et d'abus à l'encontre des civils, y compris les réfugiés.
Le mépris flagrant des droits de l’homme fondamentaux et du droit humanitaire international a entraîné des meurtres, des pillages, des déplacements massifs, des viols et d’autres formes de violence sexuelle, et a débouché sur une grave crise humanitaire, avec cinq millions de personnes menacées de famine, ont alerté les enquêteurs de l’ONU.
La Mission internationale indépendante d’établissement des faits pour le Soudan indique avoir reçu des rapports « crédibles » faisant état de nombreux cas de violences sexuelles commises par les parties belligérantes dans diverses régions du pays, depuis le début du conflit. Les femmes et les jeunes filles ont été et continuent d’être victimes de viols et de viols collectifs, d’enlèvements et de mariages forcés.
Depuis le15 avril 2023, de violents affrontements ont éclaté au Soudan entre l’armée régulière d’Abdel Fattah al-Burhane et les paramilitaires des Forces de soutien rapide (RSF) de Mohamed Hamdane Daglo. Selon les enquêteurs de l’ONU, ce conflit dévastateur se caractérise essentiellement par son caractère urbain et généralisé, la population civile étant placée au centre d’une violence extrême.
Des cas d’esclavage sexuel dans des centres de détention
« Les victimes et les intervenants de première ligne nous ont raconté comment les femmes et les filles ont non seulement subi des viols violents, y compris des viols collectifs, et un refus d’assistance médicale, mais aussi comment elles ont été stigmatisées et ensuite abandonnées par leur famille », a déclaré le Président de la Mission, Mohamed Chande Othman.
Les enquêteurs onusiens se penchent actuellement sur des cas d’esclavage sexuel et de torture à caractère sexuel dans des centres de détention, y compris à l’encontre d’hommes et de garçons.
En outre, le recrutement et l’utilisation généralisés d’enfants aux points de contrôle, pour recueillir des renseignements, ainsi que pour participer à des combats directs et commettre des crimes violents sont également fréquemment signalés, mettant en danger la vie et l’avenir de nombreux enfants.
Dans son rapport du 3 juin 2024 sur les enfants et les conflits armés, le Secrétaire général des Nations Unies classe le Soudan parmi les pays où le plus grand nombre de violations graves à l’encontre des enfants ont été signalées, commises par plusieurs parties belligérantes, y compris les Forces armées soudanaises et les Forces de sécurité soudanaises.
Cas de torture, meurtres, viols et autres formes de violence sexuelle au Darfour
Même si elle n’a pas eu accès physiquement au Soudan, la Mission d’établissement des faits a pu mener jusqu’à présent environ quatre-vingts entretiens, notamment avec des victimes et des témoins oculaires. Elle a également tenu des réunions et des consultations avec des représentants de la société civile, des défenseurs des droits de l’homme, des journalistes, des universitaires et des experts spécialisés dans les droits de l’enfant et la violence sexuelle.
Plus largement, la Mission s’est vivement inquiétée du siège au Darfour, une province qui abrite environ 800.000 déplacés internes. Les violents combats entre les parties belligérantes dans différentes parties de la ville ont fait de nombreuses victimes civiles, endommagé des maisons et provoqué des déplacements massifs.
Comme pour aggraver les choses, la Mission enquête actuellement sur des attaques antérieures de grande envergure contre des civils en raison de leur appartenance ethnique dans d’autres régions du Darfour, qui ont comporté des meurtres, des viols et d’autres formes de violence sexuelle, des tortures, des déplacements forcés et des pillages, notamment à Geneina et plus tard à Ardamata entre avril et novembre de l’année dernière.
Attaques contre les hôpitaux
Des attaques à caractère ethnique font également l’objet d’enquêtes, notamment à Zalingei, Nyala et dans d’autres régions du Darfour, ainsi qu’au Kordofan, à Al Jazirah et dans certaines parties de l’agglomération de Khartoum.
Dans ce climat de violence, même les infrastructures sanitaires ne sont pas épargnées. Les établissements de santé ont été attaqués, pillés et détruits, ce qui a empêché les nombreux civils blessés de recevoir des soins médicaux. Les fournitures médicales ont également été empêchées d’atteindre les zones critiques.
« Selon certaines informations, de nombreux civils sont décédés des suites de blessures subies au cours du conflit en raison de l’indisponibilité et/ou de l’inaccessibilité des installations médicales ».
Le conflit a également causé des dommages importants aux infrastructures essentielles, notamment aux lignes d’approvisionnement en eau et en électricité, ainsi qu’aux réseaux de communication. « Les attaques contre le personnel médical, y compris celui qui apporte un soutien aux victimes de violences sexuelles, sont très inquiétantes », ont conclu les enquêteurs de l’ONU.