Fil d'Ariane
Liban : les retombées de la guerre de Gaza poussent 75% des enfants au bord du gouffre
Au Liban, les multiples crises se cumulent, poussant les familles au bord du gouffre, et trois quarts des enfants dans le pays sont désormais menacés par la pauvreté, a alerté mardi une agence des Nations Unies, signalant que les hostilités en cours dans le sud du Liban ont des effets dévastateurs sur la population.
Des enfants de quatre ans sont ainsi contraints d’aller travailler au Liban dans un contexte d’effondrement massif du financement humanitaire et d’escalade des hostilités à la frontière sud du pays avec Israël, qui menacent de dégénérer en une « guerre à grande échelle », a indiqué le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF).
Alors que le conflit qui touche le sud du Liban en est à son septième mois, l’UNICEF a appelé à la fin immédiate de la guerre à Gaza, qui a déclenché l’intensification des échanges de tirs entre les militants armés du Hezbollah et l’armée israélienne.
Selon le Fonds pour l’enfance, les frappes aériennes touchent « de plus en plus profondément » le Liban, avec 344 personnes tuées à ce jour, dont huit jeunes.
Cumul dramatique de facteurs
« Tant que la situation restera aussi instable, davantage d’enfants souffriront. La protection des enfants est une obligation en vertu du droit humanitaire international et chaque enfant mérite d’être en sécurité », a déclaré dans un communiqué, le Représentant de l’UNICEF au Liban, Edouard Beigbeder.
En pous des personnes tuées et des dizaines de blessés, 30.000 enfants ont été déplacés sur environ 90.000, depuis que les combattants du Hezbollah ont intensifié les frappes visant le nord d’Israël, à la suite des attaques menées par le Hamas contre le sud d’Israël le 7 octobre, et du bombardement intense de la bande de Gaza par Israël qui a suivi, a affirmé pour sa part, le porte-parole de l’UNICEF à Genève, James Elder.
« Sans ce cessez-le-feu, le Liban risque de connaître une guerre de grande ampleur, qui sera totalement dévastatrice pour les 1,3 million d’enfants du pays, ainsi que, bien sûr, pour les enfants de la région », a insisté M. Elder.
Plus de 70 écoles actuellement fermées
L’intensification du conflit armé a endommagé les infrastructures et les installations civiles. Elle a également eu un impact sur les services essentiels dont dépendent les enfants et les familles. Neuf stations d’eau, qui desservent une population de 100.000 personnes, ont notamment été gravement endommagées.
Plus de 70 écoles sont actuellement fermées, ce qui affecte gravement l’éducation de 20.000 élèves. Environ 23 centres de soins de santé – desservant 4.000 personnes – sont fermés en raison des violences.
Signe de la détérioration de la situation humanitaire au Liban liée à la crise, de nouvelles données sur l’insécurité alimentaire indiquent que les taux d’émaciation sont étonnamment élevés parmi les enfants vivant dans des campements informels pour les personnes déplacées.
Des familles entières envoyées mendier
« Le nombre d’enfants orientés vers nos programmes de lutte contre la malnutrition a triplé au cours des 12 derniers mois », a précisé la Directrice adjointe du bureau de l’UNICEF au Liban, Ettie Higgins, partageant les indications que la crise s’aggrave en termes de nutrition.
Dans certains cas ces programmes sont maintenant suspendus dans certaines parties du pays en raison du manque de financement humanitaire, a ajouté Mme Higgins.
En conséquence, les communautés « envoient toute la famille mendier ; elles forcent des enfants de quatre ans à travailler dans l’agriculture... J’ai parlé récemment à un médecin qui m’a dit que des enfants de sept ans venaient le voir avec des problèmes de dos à cause des lourdes charges d’ordures qu’ils transportent quotidiennement », a fait valoir la responsable de l’UNICEF.
Les enfants peuvent espérer gagner « peut-être 2 dollars par jour, juste pour pouvoir manger et mettre un repas sur la table », a-t-elle précisé, soulignant que ces histoires sont « de plus en plus fréquentes et de plus en plus graves et tragiques ».
Les personnes déplacées ont tout perdu - une fois de plus
Même avant les dernières hostilités, le Liban était confronté à une profonde crise économique - aggravée par la pandémie de Covid-19 - qui a fait qu’environ la moitié de la population libanaise vit en dessous du seuil de pauvreté.
Les réfugiés syriens, au nombre d'un million, sont encore plus vulnérables : neuf sur dix d’entre eux vivent dans une extrême pauvreté, selon le rapport de l’UNICEF sur la crise.
La majorité des personnes aujourd’hui déplacées dans le sud du pays sont libanaises et beaucoup de ceux qui travaillent dans l’agriculture et l’oléiculture ont perdu leurs moyens de subsistance pour la deuxième fois, a expliqué Mme Higgins.
« Nous aidons les familles à se remettre sur pied depuis le début de la crise économique il y a trois ou quatre ans, depuis 2019, et elles ont à nouveau tout perdu », a-t-elle déclaré à des journalistes à Genève par vidéoconférence depuis Beyrouth.
Une réponse transversale essentielle
« La situation dans le sud s’ajoute aux multiples crises auxquelles le pays est confronté depuis 2019 », a souligné Edouard Beigbeder, relevant que « la gravité de ces crises est insupportable pour les enfants ».
Sur le terrain, l’UNICEF, en collaboration avec ses partenaires, a acheminé une aide vitale aux familles touchées par les hostilités, notamment des fournitures médicales, des kits d’hygiène, des suppléments en micronutriments et des pots d’alimentation complémentaires pour les familles déplacées qui vivent principalement dans des abris collectifs.
L'agence onusienne a également livré du carburant, de l’eau, des réservoirs d’eau, des vêtements d’hiver et des couvertures. Une aide financière d’urgence a été déployée, conjointement avec le ministère des Affaires sociales, pour répondre aux besoins immédiats de 85.000 personnes. Les enfants déplacés à l’intérieur du pays ont pu reprendre leurs études dans les écoles publiques et ont reçu de nouvelles fournitures scolaires ainsi qu’une aide au transport.
Effondrement des financements
Alors que les besoins augmentent et que les tensions entre les communautés de réfugiés libanais et syriens s’exacerbent, ce qui pourrait être désamorcé par une action humanitaire rapide, la responsable de l’UNICEF a prévenu qu’un certain nombre de pays donateurs avaient réduit de « façon significative » leurs financements essentiels au cours des trois ou quatre derniers mois au Liban.
« Cela nous a obligés à réduire la quasi-totalité de nos services, y compris l’approvisionnement en eau potable et des choses aussi simples que l’évacuation des eaux usées dans des communautés déjà surchargées », a déclaré Mme Higgins.
Or après le déclenchement de la crise syrienne en 2011, de nombreux villages libanais, aujourd’hui ébranlés par les hostilités, ont accueilli plus d’un million de réfugiés « dans leurs écoles, leurs cliniques, leurs communautés », a observé la responsable de l’UNICEF.
Aujourd’hui, « nous voyons les tensions monter en flèche et avoir un impact sur les enfants au quotidien », a-t-elle poursuivi, tout en notant le haut niveau de traumatisme affiché par les réfugiés palestiniens qui vivent maintenant dans « des conditions terribles dans les camps ici », tout en souffrant également du « traumatisme secondaire » de voir ce qui se passe pour leurs compatriotes palestiniens à Gaza.